Prédication de Jean-Marc Ferrand (06 août 2023)

D’après Actes 8 v 26 à 35

– Philippe, Philippe, lève-toi et vas par la route qui descend de Jérusalem à Gaza, celle du désert.

– Mais Seigneur, mais qu’est-ce que tu veux que j’aille faire par-là ? C’est paumé ! En plus à midi, c’est vraiment pas l’heure pour entreprendre une randonnée.

– Philippe !



– D’accord, d’accord, j’y vais ! Mais quelle idée ! C’est bien ce que je craignais, y-a pas un chat ! Pourquoi donc perdre son temps dans ce coin désolé ? Ah si ! Tout là-bas, on dirait bien qu’il y a un véhicule. Woua ! C’est même un char, et pas n’importe lequel, ça ressemble à un carrosse. Vu le standing, ça doit être du beau monde !

– Philippe, avance, et approche-toi de ce char, marche à côté de lui. Aller, cours !

– Eh oui, il faut avoir la santé pour être évangéliste ! C’est pas un job de tout repos ! Allez, encore un petit effort, j’y suis presque. Tiens, le passager est en train de lire. Il faut que je m’approche un peu plus. Et on dirait bien qu’il lit un texte biblique.

– “…Comme une brebis que l’on conduit à l’abattoir, comme un agneau muet devant ceux qui le tondent, il n’a pas dit un mot…”

– Bonjour, comprends-tu ce que tu lis ?

– Mais comment le pourrais-je, si je n’ai personne pour me l’expliquer ? Viens, monte et assieds-toi à côté de moi, ce sera plus pratique pour discuter. Qui es-tu ?

– Je suis Philippe et je viens de Jérusalem. Et toi ?

– Moi, je suis Ébed-Candace, eunuque, ministre des finances d’Éthiopie. J’ai entrepris un voyage de plus de 5 000 km aller-retour depuis Méroé jusqu’à Jérusalem et maintenant je m’en retourne chez moi.

– Fuuuu ! Voilà une bien longue expédition ! Et pourquoi t’es-tu lancé dans cette aventure ?

– À Méroé, j’écoutais, aussi souvent que possible, les discours de rabbi Shemouél et j’étais très impressionné par l’histoire du Dieu d’Israël, ce dieu qui a délivré son peuple de l’esclavage en Égypte et lui a donné par l’intermédiaire de son serviteur Moïse une loi sans équivalant qui fait référence dans tous les pays environnants. Rabbi Shemouél parlait des grands rois de ce peuple, David et surtout Salomon. C’est vraiment un grand Dieu, le Dieu qui a créé toute la terre et tous les royaumes, le Dieu Unique et je voudrais donc le servir et l’adorer. Mais…

– Mais quoi ?

Lévitique 21 v 20 ; Deutéronome 23 v 2

– Rabbi Shemouél disait aussi que les étrangers ne sont pas admis dans l’assemblée de l’Éternel. Et encore moins, les eunuques, les hommes mutilés. Il n’y a donc aucune place pour moi. Je suis exclu ! J’ai bien essayé toutes les possibilités pour être admis, mais j’ai été systématiquement écarté et rejeté, il n’y a pas de solution ! Pourtant, une fois, je l’ai entendu parler d’un prophète rapportant la promesse de Dieu, qu’il n’en sera pas toujours ainsi:

Ésaïe 56 v 3 à 8

Un jour, l’attachement à Dieu sera plus important que la descendance ou l’appartenance à l’institution. Un jour, sous la seule condition de la fidélité à Dieu, l’étranger, et même l’eunuque, seront mis sur un pied d’égalité complète avec Israël. Un jour, un jour… mais quand ? Rabbi Shemouél n’a pas pu ou n’a pas voulu m’en dire plus. Je suis donc venu à Jérusalem pour avoir des réponses. Mais, personne n’a accepté de m’aider, j’ai juste pu apprendre le nom du prophète qui rapporte cette promesse et j’ai pu me procurer un exemplaire de son livre, le livre du prophète Ésaïe. Et maintenant je recherche dans son livre cette promesse. Mais je t’avoue avoir un peu de mal à comprendre ce que dit le prophète, alors si tu peux m’aider, c’est bien volontiers !

– Ébed, ta démarche force le respect ! Je veux bien t’aider, et pour cela, je te propose donc de relire, ensemble, le passage que tu es en train de lire.

Ésaïe 52 v 13 à 53 v 3 : “Voici, mon serviteur agira en toute sagesse, il sera haut placé, très élevé, grandement exalté. Beaucoup ont été horrifiés tellement son visage était défiguré et tant son apparence n’avait plus rien d’humain. Car il accomplira le rite de l’aspersion pour beaucoup de nations. Les rois, à son sujet, resteront bouche close, car ils verront eux-mêmes ce qui ne leur avait pas été raconté, ils comprendront ce qui ne leur avait pas été annoncé. Qui a cru à notre message ? À qui a été révélée la puissance de l’Éternel ? Car devant l’Éternel, il a grandi comme une jeune pousse ou comme une racine sortant d’un sol aride. Il n’avait ni prestance ni beauté pour retenir notre attention ni rien dans son aspect qui pût nous attirer. Il était méprisé, abandonné des hommes, un homme de douleur habitué à la souffrance. Oui, il était semblable à ceux devant lesquels on détourne les yeux. Il était méprisé, et nous n’avons fait aucun cas de sa valeur.”

– Philippe, Philippe, explique-moi, s’il te plaît : de qui est-il question ? Est-ce, de lui-même que le prophète parle, ou de quelqu’un d’autre ?

– Ébed, dans ce passage, le prophète parle du serviteur de l’Éternel. C’est le serviteur que l’Éternel promet d’envoyer : le serviteur qu’il aura désigné par l’onction, le Messie. Il sera très élevé, haut placé, il sera le représentant de l’Éternel lui-même, de sa gloire et de sa puissance. Il agira avec la sagesse de Dieu. Il fera l’objet de l’attention de tous les rois. Sa notoriété dépassera largement les frontières d’Israël. Devant lui les grands de ce monde seront dans la stupéfaction. Il sera, tout à la fois, un sujet de joie et d’étonnement pour tous les peuples. Et en même temps, il sera un sujet d’effroi, de stupeur, d’horreur. Il incarnera l’humilité, la simplicité. Il sera rejeté par son peuple qui refusera de le reconnaître pour ce qu’il est. Il sera méprisé, maltraité et humilié.

Ébed, ce que l’Éternel avait annoncé par la bouche du prophète Ésaïe vient de s’accomplir. Ce serviteur de l’Éternel, c’est Jésus de Nazareth. Il est, toute à la fois, très élevé puisqu’il est le Fils de Dieu et en même temps, sans prestance, sans éclat, sans tape-à-l’œil. Il est venu en toute simplicité, en toute humilité, comme un simple homme, il a même accepté toutes les humiliations et pourtant il a aussi manifesté la puissance de Dieu par ses paroles, par ces guérisons, par ces miracles. Il a parcouru la terre d’Israël pendant plusieurs années en enseignant, en interpellant, en bénissant…

– Philippe, c’est vraiment très intéressant ! Tu veux bien continuer la lecture et ton explication.

– Oui, bien sûr !

Ésaïe 53 v 4 à 8 : “Pourtant, en vérité, c’est de nos maladies qu’il s’est chargé, et ce sont nos souffrances qu’il a prises sur lui, alors que nous pensions que Dieu l’avait puni, frappé et humilié. Mais c’est pour nos péchés qu’il a été percé, c’est pour nos fautes qu’il a été brisé. Le châtiment qui nous donne la paix est retombé sur lui et c’est par ses blessures que nous sommes guéris. Nous étions tous errants, pareils à des brebis, chacun de nous allait par son propre chemin : l’Éternel a fait retomber sur lui les fautes de nous tous. On l’a frappé, et il s’est humilié, il n’a pas dit un mot. Semblable à un agneau mené à l’abattoir, tout comme la brebis muette devant ceux qui la tondent, il n’a pas dit un mot. Il a été arraché à la vie par la contrainte, suite à un jugement. Et qui, parmi les gens de sa génération, s’est soucié de son sort, lorsqu’on l’a retranché du pays des vivants ? Il a été frappé à mort à cause des péchés que mon peuple a commis.”

– Ébed, dans ce passage le prophète décrit la façon dont le serviteur de l’Éternel sera traité et pour quelle raison il va accepter ce traitement. C’est ce qui a été accompli par la venue de Jésus. Jésus a été injustement maltraité, accusé et condamné. Il a même subit la mort, la mort la plus infame, la condamnation des criminels, il a été crucifié. Et pourquoi ? Pour porter le châtiment à notre place. Il s’est chargé de nos maladies et de nos souffrances. Il les a prises sur lui. C’est pour nos péchés, nos fautes qu’il a subi tout cela. “Le châtiment qui nous donne la paix est retombé sur lui et c’est par ses blessures que nous sommes guéris… Il a été frappé à mort à cause des péchés que mon peuple a commis.” Jésus est l’agneau du sacrifice, envoyé par Dieu pour être sacrifié à notre place, pour le pardon de nos péchés. Mais le prophète ne s’arrête pas là, écoute la suite !

Esaïe 53 v 9 à 12 : “On a mis son tombeau parmi les criminels et son sépulcre parmi les riches, alors qu’il n’avait pas commis d’acte de violence et que jamais ses lèvres n’avaient prononcé de mensonge. Mais il a plu à Dieu de le briser par la souffrance. Bien que toi, Dieu, tu aies livré sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance. Il vivra de longs jours et il accomplira avec succès ce que désire l’Éternel. Car après avoir tant souffert, il verra la lumière, et il sera comblé. Et parce que beaucoup de gens le connaîtront, mon serviteur, le Juste, les déclarera justes et se chargera de leurs fautes. Voilà pourquoi je lui donnerai une part avec ces gens nombreux : il partagera le butin avec la multitude, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort et s’est laissé compter parmi les malfaiteurs, car il a pris sur lui les fautes d’un grand nombre, il est intervenu en faveur des coupables.”

– Tu vois Ébed, jusqu’au bout, Dieu insiste sur l’innocence de son serviteur et sur son traitement injuste, mis aux rangs des malfaiteurs. Et son serviteur, innocent comme un agneau, est livré en sacrifice de réparation. C’est le sens de la mort sur la croix de Jésus : un sacrifice pour les péchés de tous les hommes. Par ce sacrifice, Dieu nous déclare juste en le chargeant, lui, de nos fautes, car il s’est dépouillé lui-même jusqu’à la mort. Mais comme je te le disais, la promesse ne s’arrête pas là. Le prophète avait entrevu qu’il y a une histoire après la mort. Après le sacrifice, le serviteur verra une descendance, il vivra de longs jours, après avoir souffert il verra la lumière, il partagera le butin avec la multitude. Par tous ces éléments le prophète annonçait que le serviteur ressusciterait. Et c’est ce qui s’est passé : Jésus a été arrêté, jugé, condamné et après avoir été exécuté par crucifixion et mis dans un tombeau, Jésus est ressuscité et il est vivant pour l’éternité ! Il y a quelques jours, mon ami Etienne a eu une vision, il a vu Jésus debout à la droite de Dieu, la place d’honneur ! Voilà pourquoi Ésaïe disait : “ il sera haut placé, très élevé, grandement exalté.” Il entrevoyait la gloire du serviteur auprès de Dieu après sa résurrection !

– Ébed, regarde la fin du message du prophète : “il a pris sur lui les fautes d’un grand nombre, il est intervenu en faveur des coupables”, même des coupables ! Alors, je crois que tu avais raison, quand tu disais qu’un jour, l’attachement à Dieu sera plus important que la descendance ou l’appartenance à l’institution. Que sous la seule condition de la fidélité à Dieu, l’étranger et même l’eunuque seront mis sur un pied d’égalité complète avec Israël. Et je peux répondre à ta question : quand cela se produira-t-il ? C’est maintenant ! C’est maintenant que les étrangers et les eunuques ont accès à la présence de Dieu. Tu vois, le serviteur de l’Éternel est intervenu en faveur des coupables. Toutes sortes de coupables, a fortiori les étrangers et les eunuques ! Aujourd’hui, tu peux être admis dans l’assemblée de l’Éternel ! Jésus a fait le nécessaire pour que tous ceux qui étaient exclus soient maintenant accueillis.

– Attends, Philippe attends ! Qu’est-ce qui te permets de dire que le sacrifice de Jésus est pour tous les hommes ? Le prophète Ésaïe dit que le serviteur “a été frappé à mort à cause des péchés que son peuple a commis.” D’accord, c’est le sacrifice du serviteur qui permet le pardon des péchés, mais qu’est-ce qui te permets de croire que “son peuple” c’est “tous les peuples” ?

– Ébed, tu as raison de poser la question ! Déjà Ésaïe avait dit que le serviteur accomplira le sacrifice pour beaucoup de nation. Et de fait, après sa mort et sa résurrection, Jésus est apparu à ceux qui l’avaient accompagné durant ces quelques années et il leur a laissé un message.

Matthieu 28 v 18 à 20 Il leur a dit : “J’ai reçu tout pouvoir dans le ciel et sur la terre : allez donc dans le monde entier, dans le monde entier, faites des disciples parmi tous les peuples, tous les peuples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit et apprenez-leur à obéir à tout ce que je vous ai prescrit. Et voici : je suis moi-même avec vous chaque jour, jusqu’à la fin du monde.”

– Mais alors, Philippe, si le sacrifice de Jésus est pour tous les hommes, tu penses qu’il est aussi pour moi ?

Actes 8 v 36 à 39

 Regarde, voilà de l’eau, qu’est-ce qui empêche que je sois baptisé ? Le fait que je sois Éthiopien ?

– Non !

– Parce que je suis eunuque ?

– Non plus !

– Alors peut-être, à cause de ma position de ministre des finances ?

– Non ! Ébed, non ! Si tu crois, de tout ton cœur, tu peux être baptisé.

– Oui, Philippe, je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. Arrêter le char !

Et voilà ! Nous sommes descendu dans l’eau, j’ai baptisé Ébed et il est reparti tout content pour terminer son voyage. Et de mon côté, le Seigneur m’a confié une autre mission à Asdod puis à Césarée. Mais ça, c’est une autre histoire…

Intermède musical

      Jésus est l’agneau de Dieu, c’est-à-dire, il est l’agneau que Dieu a fourni pour le sacrifice qui nous sauve.

Dans le cantique que nous allons chanter maintenant, les refrains expriment l’attente, le désir et la confiance du croyant ; et dans les couplets, c’est le Seigneur Jésus qui s’adresse à nous :

Pour toi je fus livré,

Méprisé, maltraité,

Battu, meurtri, blessé,

Pour ton iniquité.

Pour toi je fus brisé,

D’épines, couronné,

De tous abandonné,

Frappé pour ton péché.

Sur l’enfant racheté

Qui fait ma volonté,

Je mets ma sainteté,

Ma divine beauté.

      Je vous invite maintenant à vous lever pour chanter le cantique : « Agneau de Dieu, Messager de la grâce » 236 ATLG




Négociations avec Dieu (5/5) Une grâce qui s’élargit

Nous terminons aujourd’hui notre série sur la prière comme espace d’échange, de dialogue, de négociation parfois avec Dieu. Nous avons suivi les prières d’Abraham et de Moïse, qui « rappelaient » à Dieu sa justice et sa fidélité, lui demandant d’être cohérent avec lui-même malgré, malgré les fautes des hommes. Avec l’histoire de Gédéon, nous avons exploré une prière pas toujours très légitime, une foi mêlée de doute – et Dieu répond encore avec patience. La semaine passée, la prière d’Anne, la mère du prophète Samuel, nous montrait combien Dieu accueille le croyant qui s’épanche, qui se confie à lui. Aujourd’hui, je vous propose de finir la série avec un passage déstabilisant, où la prière se heurte au silence et au rejet.



Oui, parce que le dialogue (même entre les humains) n’est pas toujours un échange : parfois il n’y en a qu’un qui parle, trouvant en face de lui soit le silence soit une parole de rejet. Et dans notre expérience du dialogue avec Dieu, de la prière, ce même scénario peut se présenter – rarement il est vrai, mais quand ça arrive, tout bascule. Quand nos paroles semblent se heurter à un mur, rebondir sur le silence et nous revenir avec un écho, devant ce silence si dur, si impénétrable, on peut finir par se demander s’il y a vraiment Quelqu’un de l’autre côté, et s’il existe, est-ce qu’il n’est pas en train de nous rejeter ? et pourquoi ?

Nous trouvons une situation similaire dans les Evangiles, une rencontre avec Jésus assez perturbante qui nous renvoie à ces durs silences. Je commenterai au fur et à mesure et je tirerai quelques réflexions à la fin.

Lecture biblique : Matthieu 15.21-28

21 Puis Jésus partit de là et s’en retira dans le territoire de Tyr et de Sidon. 

          Dans le contexte, Jésus sort de multiples tensions avec des responsables juifs qui ne supportent pas que Jésus remette en cause leur tradition, des tensions avec des groupes qui voient ce que Jésus fait mais qui ont du mal à en accepter les implications. Une forte résistance spirituelle se dresse devant le message et les œuvres de Jésus, au point qu’il finit par leur dire (Mt 13) qu’eux les Juifs si fiers de leur héritage spirituel ne valent pas mieux que les villes païennes qu’ils méprisent. Jésus cite Sodome et Gomorrhe, Tyr et Sidon (villes de Phénicie, au nord d’Israël, près de la Méditerranée) etc. C’est un peu comme si vous disiez : Jérusalem, tu ne vaux pas mieux que Las Vegas !

          Et Jésus part justement dans une région étrangère, la région de Tyr & Sidon – apparemment sans mission particulière : il se retire. En gros, il part faire une retraite, il prend des vacances ! Lui aussi a besoin de se ressourcer après des moments compliqués ! Quoi de mieux qu’un territoire étranger où il est sûr de ne pas croiser un autre compatriote incrédule !

22 Une femme cananéenne qui vivait dans cette région vint à lui et s’écria :

« Seigneur, fils de David, prends pitié de moi ! Ma fille est cruellement possédée par un démon!» 

          Le repos de Jésus se trouve vite perturbé : manifestement, cette femme n’a pas reçu le mémo !

Cette femme est cananéenne. Dans l’évangile de Marc, elle est appelée « syro-phénicienne », qui évoque son origine géographique et spirituelle : en Phénicie, il n’y a que des païens, qui s’opposent depuis des siècles au peuple juif. Matthieu insiste sur ce contentieux en choisissant le qualificatif « cananéen » qui évoque les peuples opposés à Israël depuis le début, depuis Moïse.

Pourtant cette femme, malgré ses origines, fait appel à Jésus. Le titre « Seigneur » ne doit pas trop nous impressionner : c’est la façon normale de s’adresser à quelqu’un avec respect. Cela dit, en l’appelant « fils de David » c’est-à-dire héritier spirituel du roi David, elle indique une certaine compréhension de ce que Jésus est pour le peuple d’Israël. Elle vient sûrement à lui parce qu’elle a entendu dire qu’il faisait beaucoup de miracles, mais on voit qu’elle s’est bien renseignée.

23 Mais Jésus ne lui répondit pas un mot.

Ses disciples s’approchèrent pour lui adresser cette demande : « Renvoie-la, car elle ne cesse de crier en nous suivant. » 

Comment ? Comment est-ce possible que Jésus se comporte ainsi ? Lui qui n’a fait qu’accueillir, accueillir, accueillir ? Rien que son silence perturbe les disciples, qui finissent par intervenir : fais quelque chose ! « Renvoie-la » pourrait aussi se traduire par « libère-la » : du coup je ne sais pas si les disciples demandent à Jésus de la faire taire en disant stop ou en cédant à sa demande. En tout cas, les disciples en ont marre d’entendre la demande qui dure. Que Jésus dise oui ou non, il faut que ça s’arrête !

24 Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé que vers les moutons perdus du peuple d’Israël. »

Jésus s’explique, vraisemblablement aux disciples, en rappelant le cœur de sa mission : son peuple. Il y a des priorités dans la vie ! On ne peut pas tout faire ! Il n’est pas venu en territoire étranger faire une campagne d’évangélisation, il est là pour se reposer avant de repartir faire son travail qui est d’annoncer au peuple d’Israël que Dieu vient réaliser sa promesse de les sauver.

Ce n’est pas la première fois que Jésus exprime cette priorité dans sa mission : en Matthieu 10, il a utilisé la même expression en envoyant ses disciples annoncer l’amour de Dieu dans les villages environnants.

5 Jésus envoya les douze apôtres à en mission, avec les instructions suivantes :

« Évitez les régions où habitent les personnes qui ne sont pas Juives et n’entrez dans aucune ville de la Samarie. 6 Allez plutôt vers les moutons perdus du peuple d’Israël. 

7 En chemin, proclamez et dites : “Le royaume des cieux est tout proche !” 

Bien plus tard, après sa résurrection, Jésus enverra ses disciples annoncer la bonne nouvelle du salut à toutes les nations – mais la première étape, c’est son peuple. C’est la priorité du moment, et Jésus ne veut pas se laisser dévier hors de sa trajectoire. La mission est trop importante.

Ce qui est étrange, c’est que Jésus est déjà venu en aide à un étranger non-Juif, le centurion romain (Mt 8). Donc on se demande pourquoi il ne peut pas faire une autre exception. Cette femme en détresse ne le touche-t-elle pas ?

25 Mais la femme vint se prosterner devant lui et dit : « Seigneur, aide-moi ! » 

          Mais la femme s’approche, peut-être que Jésus s’était arrêté pour répondre aux disciples. Elle profite de l’ouverture et renouvelle son appel à l’aide.

26 Jésus répondit : « Ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. »

          Il aurait presque mieux valu que Jésus se taise ! Sa réponse est pire que le silence : maintenant il l’insulte ! Le sous-entendu est clair : la grâce de Dieu est pour les enfants d’Israël, les autres c’est des chiens. On frôle le racisme…

Alors certains cherchent à arrondir les angles en soulignant que Jésus utilise un diminutif : les petits chiens, peut-être les chiens domestiques, et non pas « les chiens d’étrangers » ! Sauf que dans la Palestine antique, la réalité de l’animal domestique est assez différente de la nôtre… N’imaginons pas le caniche bichonné à côté des enfants sur la photo de famille… Même un chien domestiqué pour la ferme reste de toute façon un animal, sans commune valeur avec les enfants de la maison.

En fait, Jésus ne fait que reformuler (de façon blessante) ce qu’il vient de dire aux disciples : il y a des priorités. 

27 « Seigneur, c’est vrai, dit-elle. Pourtant même les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » 

          Cette femme est incroyable ! Elle encaisse ! Elle ravale sa fierté, elle accepte l’insulte, et même elle rentre dans le raisonnement : « ok, ne donne pas le pain, mais qu’est-ce que tu fais des miettes ? »

Dans cette répartie, elle montre évidemment de la persévérance mais aussi une finesse d’esprit remarquable : elle le comprend ! Et même, une foi en Jésus impressionnante, car en parlant des miettes, elle dit deux choses :

  1. Il y en a assez pour tout le monde ! Même en gardant la priorité de la mission, la grâce déborde : il y en a assez pour accomplir la mission et pour bénir au-delà, plus largement.
  2. Même une miette suffit. Même une petite intervention de Jésus est efficace.

28 Alors Jésus lui répondit : « Oh ! que ta foi est grande ! Que tout se passe pour toi comme tu le veux. » Et sa fille fut guérie à ce moment même.

          Evidemment, Jésus est impressionné. La foi de cette femme contraste terriblement avec l’incrédulité de son propre peuple, qui refuse de croire alors que Jésus se donne à fond. Jésus accède donc à sa demande, à distance. Dans l’évangile, ça n’arrive que deux fois, deux fois avec des étrangers : le centurion romain et la femme cananéenne. Et dans les deux cas, Jésus va souligner leur grande foi, une expression qu’il n’utilise que deux fois, pour ces deux païens.

Que retirer de cette rencontre qui commençait si mal ?

Une diversité de parcours, la centralité de la foi

    D’abord, ce récit anticipe sur la deuxième étape de la mission du Christ, celle que les disciples auront en charge, celle que nous avons en charge : annoncer que l’amour et la grâce de Dieu sont pour tous et que seule la foi suffit !

    Dans ce partage, nous sommes invités à discerner comme Jésus la foi sincère de l’autre, même s’il n’a pas nos codes et ne suit pas notre parcours. L’essentiel, c’est la foi en Christ. Le reste, notre culture, nos spiritualités, nos structures, même nos dogmes : c’est important, mais c’est secondaire – ce qui est premier, central, essentiel, c’est la foi en Christ.

    Un Dieu qui change d’avis ?

    Une des questions que cette rencontre soulève, c’est : Est-ce que Jésus a changé d’avis ? est-ce que Dieu peut changer d’avis ? L’implication étant : est-ce que par ma prière, je peux pousser Dieu dans une autre direction ? Est-ce que si je prie assez fort ou assez longtemps, j’arriverai à le « retourner » jusqu’à ce qu’il cède ? La prière devient alors un bras de fer.

    En fait, si on regarde bien, Jésus n’est pas allé sur une voie qu’il n’avait pas choisie : jusqu’à sa résurrection, il restera effectivement concentré sur Israël. L’ouverture universelle se vivra ensuite. Il fait simplement ici une exception qui ne change pas sa trajectoire. Ce qui est rassurant ! Il n’est pas ballotté au gré des demandes des uns et des autres, il suit son projet !

    Une question que je me pose cependant, c’est : est-ce qu’il s’adapte et fait une exception « imprévue » ou est-ce qu’il « testait » cette femme, en sachant à l’avance ce qui allait se passer ? Il nous manque le ton de voix que Jésus a employé !

    J’en ai déjà parlé avec la prière de Moïse : Dieu est capable de créer des itinéraires bis tout en gardant la même direction. Par nos prières, par notre persévérance, nous recevons parfois un itinéraire bis qui ne change pas fondamentalement son grand projet, mais qui nous permet d’avancer différemment. Vraisemblablement, Dieu ne fera pas le contraire de ce qu’il a prévu, mais il peut aller un peu plus à gauche ou à droite… Cela nous encourage à oser prier, oser demander, avec humilité certes mais avec persévérance.

    Faire face au silence

    Et justement, un des obstacles à notre persévérance dans la prière c’est le silence ou le refus apparent. Notez quand même qu’à aucun moment Jésus n’a refusé d’aider cette femme ! Tout du long, il apporte des objections, il souligne les obstacles, mais il ne donne pas un « non » explicite. Et la femme s’engouffre dans l’embrasure de cette porte que Jésus pousse sans la fermer complètement.

    Et je me dis que trop souvent, entre humains et avec Dieu, nous interprétons beaucoup trop vite l’absence de « oui » comme un « non » définitif. Nous voudrions une réponse immédiate, mais parfois Dieu temporise par le silence ou en nous montrant les objections : ce n’est pas forcément un refus, mais peut-être une invitation à continuer, à creuser, à épurer et à fortifier notre prière.

    Une spécialiste de spiritualité, Linda Oyer, a utilisé dans une conférence une réflexion qui m’a beaucoup nourrie : quand Dieu se tait, il nous invite à continuer à parler. Un peu comme un psy qui écoute, et dit « mais encore ?… » Même ses objections peuvent nous obliger à affiner notre réflexion, notre demande, notre prière.

    Pour la femme cananéenne, elle est passée d’une demande à un guérisseur réputé à la confession que par cet homme, la grâce est généreuse, abondante, ouverte à tous.

    Alors ce qu’on peut retirer de toute cette série de prédications, c’est l’encouragement à oser prier, à ne pas nous décourager mais à persévérer dans le temps. Si c’est un vrai dialogue, nous pouvons être influencés par Dieu, bien sûr, comprendre et évoluer, mais les exemples de ces cinq prières montrent que Dieu aussi est à notre écoute. A un autre niveau, certes, mais avec plus d’accueil et de souplesse que nous ne pouvons l’imaginer. Alors aujourd’hui ou à l’avenir, soyons encouragés à parler avec Dieu, à nous confier en lui, à nous épancher devant lui. Ne baissons pas les bras mais gardons-les levés dans la prière : Dieu répond – peut-être plus tard, peut-être autrement, mais il écoute et il répond.




    Négociations avec Dieu (4/5) Prier avec authenticité et humilité

    Petite question : entre ce parpaing et ce pack d’eau, qu’est-ce qui est lourd ?

    Les deux ! le parpaing est plus lourd, presque trois fois plus que le pack d’eau, mais selon votre force physique, votre âge, votre santé, même 9kg d’eau à porter, ça peut être compliqué !

    Pour la prédication, je continue ma série de juillet sur la prière comme espace de discussion avec Dieu, et parfois de négociation…

    Un des aspects de la prière, c’est de prier pour soi-même. Mais ce n’est pas toujours facile de savoir ce qui est juste, en termes d’attitude, si on peut demander ou pas, jusqu’où… On peut avoir tendance à se dire qu’il ne faut pas trop se plaindre, qu’il faut relativiser : si nous mangeons à notre faim, que nous avons un toit sur la tête, que nous avons une relative sécurité et une liberté de mouvement – c’est déjà beaucoup plus que bien des populations, d’ici à l’autre bout de la terre. Alors si nous avons un problème avec un voisin mesquin, des soucis de santé ou d’argent, si notre collègue est un peu lourd ou que nos retrouvailles en famille s’annoncent compliquées, on peut se dire que ce n’est pas grand-chose. Nous n’avons qu’un pack d’eau à porter, alors que d’autres traînent des parpaings.



    C’est important en effet d’être conscient de nos privilèges et de ne pas se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas ! En même temps, si vous partez en randonnée, le parpaing va vite vous accabler, et le pack d’eau aussi ! sauf qu’il mettra plus de temps à vous user… On peut relativiser, mais pas trop, parce que ce qu’on porte devient lourd et peut nous bloquer sur la route, même si c’est moins lourd que d’autres charges.

    Alors que faire avec ce qui nous accable ? Je vous propose de lire l’histoire d’Anne, dont nous avons lu le chant tout à l’heure, il y a environ 3000 ans donc, Anne la maman du prophète Samuel qui fera la transition en Israël entre un régime politique souple, avec des dirigeants choisis spontanément, et l’instauration de la royauté en Israël, un système beaucoup plus cadré.

    Lecture biblique : 1 Samuel 1

    1 Il y avait un homme de Ramataïm-Tsophim, de la région montagneuse d’Ephraïm, nommé Elqana, fils de Yeroham, fils d’Elihou, fils de Tohou, fils de Tsouph, Ephratite, 2 qui avait deux femmes. Le nom de l’une était Anne et le nom de la seconde Peninna ; Peninna avait des enfants, mais Anne n’en avait pas. 

    3 Chaque année, cet homme montait de sa ville à Silo, pour se prosterner devant le SEIGNEUR (YHWH) des Armées et pour lui offrir des sacrifices.

    Là se trouvaient les deux fils d’Eli, Hophni et Phinéas, prêtres du SEIGNEUR.

    4 Le jour où Elqana offrait son sacrifice, il donnait des parts à sa femme Peninna, ainsi qu’à tous les fils et filles de celle-ci. 5 Mais il donnait à Anne une part d’honneur ; car il aimait Anne, bien que le SEIGNEUR l’eût rendue stérile. 6 Sa rivale ne cessait de la contrarier, parce que le SEIGNEUR l’avait rendue stérile. 7 D’année en année il faisait ainsi, et chaque fois qu’Anne montait à la maison du SEIGNEUR Peninna la contrariait de la même manière. Alors elle pleurait et elle ne mangeait pas. 8 Elqana, son mari, lui disait : « Anne, pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ne manges-tu pas ? Pourquoi ton cœur est-il triste ? Est-ce que je ne vaux pas mieux pour toi que dix fils ? »

    Anne est dans la douleur, parce qu’elle n’a pas d’enfants. A l’époque, en plus de la tristesse face au manque d’enfants, la stérilité est considérée comme un échec personnel, social (on n’assure pas la suite) et même spirituel, car on se dit que la stérilité est entre les mains de Dieu, et que si Dieu a rendu une personne stérile, c’est qu’elle le mérite d’une façon ou d’une autre. C’est ainsi que Peninna, la rivale, appuie sur la stérilité comme sur un désaveu de Dieu, comme si Dieu avait mis Anne de côté. Etonnamment, l’amour d’Elqana pour Anne veut surmonter ça. Et on voit toutes les attentions qu’il lui porte, toute la tendresse qu’il a pour elle, son souci de la libérer de ce poids : pas besoin d’enfants, il l’aime comme elle est !

    La douleur de la stérilité, la malveillance mesquine de Peninna (peut-être jalouse d’être moins aimée, mais c’est une autre question !), et puis l’usure du temps s’accumulent sur Anne comme un pack d’eau qui s’alourdit d’année en année.

    9 Après qu’ils eurent mangé et bu à Silo, Anne se leva. Eli, le prêtre, était assis sur son siège, près du montant de la porte du temple du SEIGNEUR. 

    10 Elle, amère, se mit à prier le SEIGNEUR et à pleurer abondamment. 

    11 Elle fit un vœu, en disant : « SEIGNEUR (YHWH) des Armées, si tu daignes regarder mon affliction, si tu te souviens de moi et ne m’oublies pas, si tu me donnes une descendance, à moi qui suis ta servante, je le donnerai au SEIGNEUR pour tous les jours de sa vie, et le rasoir ne passera pas sur sa tête. »

    L’histoire met en valeur la piété de la famille, et de Anne en particulier. Elle va prier, par elle-même, pour exprimer à Dieu ce qu’elle vit : sa douleur, son amertume, sa tristesse etc. Et elle se livre en toute authenticité devant Dieu.

    Et vient cette prière assez exemplaire : Anne exprime sa demande en toute humilité. Elle n’exige pas, elle ne pose pas d’ultimatum, elle reste dans une posture de servante devant Dieu – et en même temps, elle dit ses doutes (si tu te souviens de moi…).

    Alors, elle fait quand même un vœu, qui pourrait ressembler à une négociation : si tu fais ça pour moi, je fais ça pour toi. La pratique des vœux est assez courante dans l’Antiquité : ce qui est remarquable, c’est qu’elle va loin, puisqu’elle ne promet pas seulement de bien prendre soin de l’enfant ou de bien dire merci, mais elle promet de dédier cet enfant à Dieu et de le confier au service du Temple. Ce qu’elle reçoit, elle promet de le redonner aussitôt.

    12 Comme sa prière se prolongeait devant le SEIGNEUR, Eli observait sa bouche. 13 Anne parlait dans son cœur ; seules ses lèvres remuaient, mais on n’entendait pas sa voix. Eli pensa qu’elle était ivre. 14 Il lui dit : « Jusqu’à quand resteras-tu ivre ? Va cuver ton vin ! » 

    15 Anne répondit : « Mon seigneur, je ne suis pas une femme entêtée, et je n’ai bu ni vin ni boisson alcoolisée ; je me répandais devant le SEIGNEUR. 16 Ne me prends pas, moi, ta servante, pour une femme sans morale, car c’est l’excès de ma douleur et de ma contrariété qui m’a fait parler jusqu’ici. »

    17 Eli répondit : « Va en paix ; que le Dieu d’Israël te donne ce que tu lui as demandé ! »

    18 Elle dit : « Je suis ta servante ; que je trouve toujours grâce à tes yeux ! » Puis elle repartit. Elle mangea, et son visage ne fut plus le même. 

    19 Ils se levèrent de bon matin et, après s’être prosternés devant le SEIGNEUR, ils rentrèrent chez eux, à Rama. 

    L’échange avec le prêtre commençait mal : il la surveille d’un mauvais œil, la juge de façon péremptoire, et la vire sans demander d’explications.

    Et Anne se défend, toujours avec humilité, en dévoilant la sincérité de sa foi, l’intimité de ce qu’elle vit avec Dieu. Elle persévère.

    La réponse bienveillante d’Eli va fonctionner pour Anne comme un signe que Dieu lui-même l’accueille. Elle qui était arrivée amère repart le visage changé : il ne s’est rien passé encore ! mais elle fait confiance à cette parole de bénédiction.

    Elqana eut des relations avec sa femme Anne, et le SEIGNEUR se souvint d’elle.

    20 A la fin de l’année, elle était enceinte ; elle mit au monde un fils, qu’elle appela du nom de Samuel — car, dit-elle, c’est au SEIGNEUR que je l’ai demandé.

    21 Le mari, Elqana, monta ensuite, avec toute sa famille, pour offrir au SEIGNEUR le sacrifice annuel, ainsi que son vœu. 22 Mais Anne ne monta pas. Car elle avait dit à son mari : « Lorsque le garçon sera sevré, je l’amènerai, afin qu’il paraisse devant le SEIGNEUR et qu’il reste là pour toujours. » 23 Elqana, son mari, lui dit : « Fais comme il te plaira ; reste ici jusqu’à ce que tu l’aies sevré. Que le SEIGNEUR réalise seulement sa parole ! » Ainsi la femme resta ; elle allaita son fils, jusqu’à ce qu’elle l’eût sevré.

    24 Quand elle l’eut sevré, elle le fit monter avec elle et prit un taureau de trois ans, un épha (40 litres) de farine et une outre de vin. Elle l’amena à la maison du SEIGNEUR, à Silo : le jeune était encore tout jeune. 

    25 Ils immolèrent le taureau et amenèrent le garçon à Eli. 

    26 Anne dit : « Pardon, mon seigneur ! Par ta vie, je suis cette femme qui se tenait ici, avec toi, pour prier le SEIGNEUR. 27 C’était pour ce garçon que je priais, et le SEIGNEUR m’a donné ce que je lui demandais. 28 A mon tour, je le cède à la demande du SEIGNEUR : il sera demandé pour le SEIGNEUR tous les jours de sa vie. » Sur quoi ils se prosternèrent, là, devant le SEIGNEUR.

    Dieu a répondu : les naissances miraculeuses sont assez fréquentes dans le texte biblique, surtout quand elles ouvrent l’histoire de personnes prépondérantes (les ancêtres des 12 tribus d’Israël, p. ex., Samuel… jusqu’à Jésus). Dieu qui comble la femme stérile, c’est comme les fleurs dans le désert, c’est le signe que rien n’arrête Dieu et qu’il fait triompher la vie même quand ce n’est pas possible pour nous.

              Du côté d’Anne, il y a un petit suspense : est-ce qu’elle va faire ce qu’elle a promis ? Une fois l’enfant dans les bras, est-ce qu’elle pourra le laisser à Dieu ? C’est un déchirement ! En fait, Anne attend juste que l’enfant soit sevré (à l’époque on allaite jusqu’à 3-4 ans) puis elle honore sa promesse, avec reconnaissance.  

    A la fin du texte, il y a un jeu de mots : le bébé qu’elle a demandé, elle le cède à la demande du Seigneur. Alors que c’est elle, qui était à l’initiative de cette promesse ! Avec ce don à Dieu, c’est comme si la finalité de ce qu’elle a demandé, ce n’était pas elle, mais Dieu. Dans sa prière, Anne est à la fois tout à fait authentique dans l’expression de ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent, ce dont elle manque, et centrée sur Dieu. Dans la plus viscérale de ses demandes, elle n’oublie pas Dieu, au contraire elle le place en plein milieu. Un grand merci aurait suffi ! Elle va beaucoup plus loin. Vous connaissez cette formule : « tout ce qui est à moi est à toi » – c’est comme si elle disait : « tout ce qui est à moi est à Dieu ». Ce que je te demande, que ce soit bon pour moi, et pour toi Seigneur. Cette bénédiction, qu’elle serve aussi à Dieu et à ses projets.

    Rendre à Dieu ce qu’on a reçu : mathématiquement, l’opération semble inutile, comme si on revenait à zéro. Mais Anne, au-delà de son fils, a tellement reçu : quelques années déjà avec Samuel, une restauration par rapport à sa rivale mesquine/ la honte disparaît (on comprend mieux pourquoi elle parlait des adversaires dans son chant) et puis, et surtout, le signe tangible que le Seigneur écoute (c’est le sens du nom Samuel) et répond. A travers cette naissance, c’est sa foi qui est fortifiée, encouragée. Elle sait désormais, physiquement, que Dieu relève, redresse, remet debout celui qui lui fait confiance.

    C’est tellement encourageant de voir Dieu répondre ainsi, porter ainsi attention à une femme harcelée qui pourtant n’était pas en danger de vie ou de mort. Dieu porte son attention sur ce qui nous accable, ce qui nous empêche d’avancer que ce soient des parpaings ou des packs d’eau – et nous pouvons nous répandre devant lui sans embarras.

    Un indice de cette importance que Dieu nous donne, c’est la place de cette histoire : quelques versets auraient suffi pour parler du miracle, mais le récit se concentre, pendant un chapitre et demi, sur l’intériorité de cette femme, ses obstacles, sa persévérance, ses réflexions – c’est important !

    Evidemment, devant un tel miracle se pose la question : que se passe-t-il quand Dieu n’exauce pas ? face à la stérilité ou en général. Est-ce que la foi de celui qui prie n’était pas sincère ? ou la personne pas assez importante ?

    Très rapidement :

    D’abord, cette histoire est un exemple vécu, pas une règle (quand on prie avec foi, on reçoit ce qu’on a demandé !). L’apôtre Paul, par exemple, un homme de foi, a demandé à Dieu d’être soulagé d’une épine dans la chair, et par trois fois, Dieu lui a répondu : ma grâce te suffit. L’exaucement de nos demandes n’est pas le seul indice à prendre en compte.

    Ensuite, dans le cas d’Anne, on a une rencontre entre le besoin d’une femme et le projet de Dieu de lancer un renouveau. La naissance miraculeuse marque en quelque sorte le destin de Samuel qui sera un acteur incontournable dans la nouvelle étape que Dieu propose à son peuple. Toutes nos demandes ne sont pas alignées sur les projets que Dieu fait.

    Et puis, il y a la réalité de la souffrance dans un monde abîmé. On voudrait que Dieu corrige tous nos malheurs aujourd’hui, et qu’il redresse tout ce qui est tordu. Or la réponse de Dieu est globale, et elle est en cours : il a posé le signe qu’il nous entend et veut nous bénir, nous restaurer, nous relever en venant lui-même, en Jésus, porter le poids de nos souffrances sur la croix. Il en a triomphé : sa vie surgit même dans la mort, il est ressuscité. Et… affaire à suivre ! La restauration complète est en cours de déploiement : les difficultés demeurent, mais le projet de Dieu avance.  

    Ce qui reste vrai, en tout cas, que nous recevions ce que nous avons demandé ou pas :

    1/ Dieu entend ce que nous épanchons devant lui, ce n’est jamais trop petit ou trop insignifiant

    2/ Dieu désire nous relever, nous remettre debout, même si ce n’est pas toujours comme on l’a demandé. Pour reprendre l’image du pack d’eau : parfois il l’enlève, parfois il nous donne un chariot à roulettes pour le transporter plus facilement. Mais dans tous les cas, il veut intervenir et nous remettre debout. Alors n’hésitons pas à nous confier à Dieu, à nous livrer devant lui, tels que nous sommes – il agira !




    Négociations avec Dieu (3/5) Quand les doutes s’invitent dans la prière

    Pour la prédication, je continue ma série de juillet sur la prière comme espace de discussion avec Dieu, et parfois de négociation… Nous avons évoqué Abraham, le patriarche du peuple d’Israël, et Moïse, celui qui, des siècles plus tard, conduit le peuple hors de l’esclavage en Egypte pour l’emmener dans le pays que Dieu a promis, un lieu d’abondance où le peuple pourra expérimenter la joie de la vie avec Dieu.

    Ces deux-là ont prié, négocié avec Dieu, en s’appuyant sur le caractère de Dieu : sa justice, sa bonté, sa fidélité… Ces prières se fondaient sur une base solide : le caractère de Dieu. Et Dieu a répondu favorablement. Mais qu’en est-il lorsque nos prières ont un fondement douteux, qu’elles ne sont pas très justes ? Comment Dieu les accueille-t-il ?



    Je vous propose un exemple, avec l’histoire de Gédéon, un jeune homme que Dieu choisit pour délivrer son peuple de l’oppression. Nous sommes dans le livre des Juges, qui retrace une période sombre de quelques siècles entre Moïse et David (premier grand roi d’Israël), entre 1400 et 1100 avant JC (environ).

    Le peuple d’Israël est arrivé au pays promis, mais très vite, il regarde ailleurs et se laisse influencer par les religions des peuples voisins. Peu à peu se forme un mélange spirituel qui déforme sa relation avec Dieu. Le livre des Juges décrit cette relation en crise, avec toutes les difficultés qui en découlent.

    Une conséquence majeure, c’est que Dieu arrête de les protéger contre leurs ennemis. Le peuple est entré dans un cercle vicieux : il tourne le dos à Dieu, Dieu prend du recul, le peuple se retrouve écrasé par des ennemis, au bout de quelques décennies il n’en peut plus et crie vers Dieu, qui a pitié et qui choisit quelqu’un pour les délivrer, un sauveur, un « juge » (d’où le titre). Et ça se répète, et ça s’empire : à mesure que le temps avance, la base de la relation entre le peuple et Dieu est de plus en plus étroite, confuse, déformée, jusqu’à ce qu’on arrive à du grand n’importe quoi à la fin du livre. Dieu est toujours considéré comme LA solution de secours, mais il est de moins en moins connu en tant que personne, dans sa spécificité, et la confusion règne.

    L’histoire de Gédéon arrive à peu près au milieu du livre. Comme d’habitude, le peuple s’est détourné de Dieu et se retrouve confronté aux Madianites, habitants de Madiân, qui se livrent à des razzia régulières : ils déciment les champs, les élevages, etc. Le peuple est libre, mais affamé car il n’est pas de taille à se défendre. Désespéré, il se tourne vers Dieu et demande son aide. Dieu envoie d’abord un prophète pour leur rappeler que s’il n’est pas à leurs côtés pour les protéger, c’est d’abord parce qu’eux-mêmes l’ont mis de côté et sont allés chercher d’autres dieux. Malgré tout, Dieu choisit de les libérer de cette épreuve, avec l’aide de Gédéon.

    Lecture biblique : Juges 6

    11 L’ange du Seigneur vint au village d’Ofra. Il s’assit sous le chêne de Yoach, un homme du clan d’Abiézer. Gédéon, fils de Yoach, était en train de battre le blé dans le pressoir à raisin, pour ne pas être vu des Madianites. 

    12 L’ange du Seigneur lui apparut et lui dit : « Le Seigneur est avec toi, vaillant combattant ! » 

    13 Gédéon répondit : « Pardon, mon seigneur ! Si le Seigneur est avec nous, pourquoi tous ces malheurs nous sont-ils arrivés ? Où sont donc toutes ces actions extraordinaires dont nous parlaient nos pères quand ils nous racontaient que le Seigneur les avait fait sortir d’Égypte ? En réalité, le Seigneur nous a abandonnés, il nous a livrés aux Madianites ! » 

    Il y a un décalage entre la réalité de ce jeune homme, qui se cache pour battre le blé, terrifié par les ennemis, une réalité de survie, sombre, et puis l’appel de Dieu, son projet, beaucoup plus positif : « Bonjour, vaillant combattant ! » En fait c’est un décalage entre deux points de vue : ce qui est, visible, et ce qui sera/ ce que Dieu pré-voit.

    Gédéon réagit fortement à cette salutation, non pas avec gratitude (oh merci, on a tellement besoin que le Seigneur intervienne !) ou même une question (comme Marie la mère de Jésus qui répondra à l’ange : mais comment pourrais-je enfanter, moi qui ne vis pas avec un homme ?). Il répond avec cynisme : si le Seigneur veut intervenir, c’est un peu tard, non ? Et puis, c’est de sa faute, tout ce qui se passe !

    En théorie, on ne répondrait pas ainsi à Dieu, mais dans la pratique, c’est courant, qu’on soit croyant ou pas d’ailleurs ! La souffrance et le scandale devant le mal conduisent souvent à mettre en doute la présence et/ou la puissance et/ou la bonté de Dieu.

    On voit que Gédéon est absorbé par sa souffrance. Petit problème, il a « oublié » toute la responsabilité du peuple qui a mis Dieu de côté. C’est un petit peu facile de mettre quelqu’un à la porte, et de râler ensuite parce qu’il n’est pas là ou qu’il ne prend pas les rênes de la situation ! C’était l’argument de la jeune Américaine que citait Didier la semaine dernière : devant la souffrance, souvent causée par nos propres pulsions, on accuse Dieu, en « oubliant » qu’on l’a d’abord mis de côté.

    14 Le Seigneur se tourna vers lui et lui dit : « Avec la force que tu as, va sauver Israël des Madianites. C’est moi qui t’envoie. » – 

    Dieu ne réagit pas, ne se lance pas dans une argumentation de qui a raison/ qui a tort. Il continue simplement sur sa lancée.

    15 « Je t’en prie, Seigneur, répondit Gédéon, comment pourrais-je sauver Israël ? Mon clan est le plus faible de la tribu de Manassé et moi, je suis le plus jeune de ma famille. » 

    16 Le Seigneur déclara : « Je serai avec toi, c’est pourquoi tu battras les Madianites tous ensemble. » 

    Deuxième objection, plus classique : Gédéon ne se sent pas à la hauteur. Pourquoi Dieu choisit-il un petit inconnu pour cette œuvre de salut ?

    Pour la 3e fois, la réponse du Seigneur c’est : « Je serai avec toi » ! C’est son seul argument : je serai avec toi.

    Cette réponse est intéressante : face à nos doutes, nos souffrances, nos déceptions, Dieu perçoit cette crainte (que Gédéon a exprimée) d’être abandonnés, laissés seuls face à l’adversité. Où est Dieu dans tout ça ? Et la réponse de Dieu : je serai avec toi, je suis avec toi. Car c’est lui qui donne le sens, la paix, son amour – dans l’épreuve ou la facilité. Le salut, c’est vivre avec Dieu, aujourd’hui et pour toujours. C’est son amour qui peut illuminer et remplir le quotidien, quoi qu’il arrive.

    17 Gédéon reprit : « Si tu m’accordes ta faveur, donne-moi un signe que c’est bien toi, le Seigneur, qui me parles. 18 Ne t’en va pas avant que je sois revenu avec l’offrande que je désire te présenter. »

    Le Seigneur répondit : « Je resterai ici jusqu’à ton retour. »

    19 Gédéon alla préparer un chevreau ainsi que des pains sans levain confectionnés avec trente kilos de farine. Il mit la viande dans une corbeille et le jus dans un pot, il les apporta sous le chêne et les présenta à l’ange de Dieu. 

    20 L’ange lui dit : « Pose la viande et les pains sur ce rocher, puis verse le jus par-dessus. » Gédéon obéit. 

    21 L’ange du Seigneur étendit la main et, avec l’extrémité du bâton qu’il tenait, il toucha la viande et les pains. Le feu jaillit du rocher et brûla totalement la viande et les pains. Puis l’ange disparut. 

    22 Gédéon comprit alors que c’était l’ange du Seigneur et il s’écria : « Ah, Seigneur Dieu ! J’ai vraiment vu ton ange face à face ! » 

    23 Mais le Seigneur lui dit : « Sois en paix, n’aie pas peur, tu ne mourras pas. »

    Le signe qui prouve à Gédéon que c’est bien vrai, cet appel, c’est l’offrande consumée immédiatement. Ce feu surnaturel montre à Gédéon que derrière le messager, c’est Dieu lui-même qui parlait avec lui. On pourrait penser qu’il devait s’en douter un peu, sinon il n’aurait pas offert de sacrifice, mais le choc de voir Dieu à l’œuvre le déstabilise.

    Dans les Ecritures juives, la figure de l’ange du Seigneur est d’ailleurs très ambiguë, très différente des créatures angéliques. C’est un messager à forme humaine, souvent interchangeable avec Dieu lui-même, qui préfigure un peu la venue du Christ, homme et Dieu.

    Après cette confirmation, Gédéon va remplir sa première mission : il détruit les symboles païens présents dans sa famille et dans le village, comme un signe d’engagement à remettre Dieu (seul) au centre. Puis commence la deuxième mission, pour libérer le peuple de l’oppression.

    33 Les Madianites, les Amalécites et les nomades de l’orient se rassemblèrent, traversèrent le Jourdain et installèrent leur camp dans la plaine de Jizréel. 

    34 Mais l’Esprit du Seigneur revêtit Gédéon. Celui-ci sonna de la trompette pour appeler les guerriers du clan d’Abiézer à le suivre. 35 Il envoya des messagers dans tout le territoire de Manassé pour appeler les hommes de la tribu à le suivre également. Il envoya encore des messagers dans les tribus d’Asser, de Zabulon et de Neftali, dont les combattants vinrent se joindre à lui.

    36 Gédéon dit à Dieu : « Si tu veux te servir de moi pour délivrer Israël comme tu l’as dit, 37 eh bien, j’étendrai une toison de laine à l’endroit où l’on bat le blé. Si, durant la nuit, la rosée se dépose seulement sur la toison et que le sol tout autour reste sec, je saurai que tu te serviras de moi pour délivrer Israël comme tu l’as affirmé. » 

    38 Et c’est ce qui arriva. Le lendemain matin, Gédéon pressa la toison et il en fit sortir assez de rosée pour remplir d’eau un bol. 

    39 Il dit à Dieu : « Ne te mets pas en colère contre moi, si je te demande encore quelque chose. Je voudrais faire un dernier test avec la toison : il faudrait, cette fois, que la toison seule soit sèche et qu’il y ait de la rosée sur le sol tout autour ! » 

    40 C’est ce que Dieu fit cette nuit-là : seule la toison resta sèche et le sol tout autour se couvrit de rosée.

    Tout se met en place pour la bataille, mais au milieu des préparatifs, Gédéon a besoin de garanties pour aller plus loin. En toute logique, ces garanties sont inutiles. Dieu a déjà confirmé son appel en consumant l’offrande, il l’a revêtu de son Esprit (pas au sens de la Pentecôte, mais il l’a revêtu de sa puissance et il l’accompagne), et puis les tribus répondent favorablement à l’appel d’un jeune inconnu. Directement et indirectement, Dieu montre son soutien à Gédéon.

    Mais ça ne lui suffit pas. Ah il nous ressemble tellement ! Même quand Dieu est à l’œuvre, ne réclamons-nous pas souvent plus de garanties pour avancer ? Abraham a suivi Dieu du tac au tac, mais bien souvent nous sommes du côté de Gédéon, à demander plutôt 3 garanties qu’une seule. Manque de confiance en nous, crainte ou confusion devant l’avenir, manque de confiance en Dieu…

    Dieu aurait pu s’agacer devant ces doutes, comme devant les objections précédentes, et pourtant il joue le jeu. A fond ! Regardez la toison mouillée : en l’essorant, c’est une bolée d’eau qui sort, pas juste quelques gouttes. Devant les fragilités de Gédéon, ses craintes, ses doutes et ses arguments fallacieux, Dieu ne se formalise pas, il ne se justifie pas, mais il le rejoint avec patience pour le faire avancer.

    Gédéon est loin d’être un modèle de foi, et pourtant, il nous encourage. Ou plutôt la façon dont Dieu agit avec lui nous encourage. Avec nos fragilités, nos égocentrismes, nos angles morts et nos dénis, Dieu nous accueille. Même quand on prie « mal ».

    Le cas de Gédéon nous invite à prier simplement, tels que nous sommes. A oser dire à Dieu ce que nous vivons, ce que nous pensons, ce que nous voulons, ce que nous craignons. Même si ce n’est pas très juste, même si c’est inutile, même si nous n’avons pas la bonne posture ! Dieu, dans sa patience et sa grâce, nous accueille tels que nous sommes, là où nous en sommes, pour nous faire avancer et entrer dans ses projets. C’est le sens de l’Evangile : Dieu qui devient un homme, Jésus, pour s’approcher de l’humanité dans sa fragilité et ses angles morts, jusque dans son péché, et qui supporte tout, même le pire, même la mort, parce qu’il veut être avec nous, et que nous soyons avec lui, chaque jour et pour toujours.




    Négociations avec Dieu (2/5): Prendre Dieu au sérieux

    Quelle est notre marge de manœuvre face à Dieu ? face à sa volonté ? Si Dieu est Dieu, puisque Dieu est Dieu, ce qu’il veut doit s’accomplir tel quel, non ? Ce qu’il décrète a bien plus de force que les lois humaines : qu’est-ce qui pourrait le remettre en cause ? Notre soumission légitime à Dieu parfois nous conduit à la résignation, au découragement, au « à quoi bon ? » Quelle est notre place, la place de notre prière dans les projets de Dieu ? Pour répondre un peu à cette question, j’aimerais remonter à environ -1500 avant Jésus-Christ, pour nous retrouver dans le désert à l’Est de l’Egypte, avec Moïse et le peuple d’Israël.



    Notre dernier culte, célébré le 9 juillet à l’EEL Toulouse

    Quelques mots de contexte : Dieu s’est engagé à bénir la descendance d’Abraham, qu’on appelle peuple d’Israël, et projette de leur donner un pays pour leur donner un cadre favorable dans lequel ils pourront apprendre à vivre avec Dieu – ils recevront sa bénédiction, mais ils seront aussi un témoignage pour les peuples qui les entourent. Ce projet met du temps à s’accomplir : pendant plusieurs siècles, les Israélites ont été tenus esclaves en Egypte, jusqu’à ce que Dieu les libère à grand renfort de miracles (les 10 plaies d’Egypte). Il les conduit hors d’Egypte, par l’intermédiaire du prophète Moïse, vers le pays de Canaan, de l’autre côté du désert. Pendant des mois, Dieu montre sa présence quotidienne. Face aux obstacles, aux dangers, aux manques, il abreuve, nourrit, protège, etc. Ils arrivent enfin aux portes de Canaan : douze espions partent explorer le pays promis. A leur retour, 10 d’entre eux sont trop impressionnés et déconseillent au peuple d’aller plus loin. Les deux autres, Caleb et Josué, essaient de remotiver le peuple à faire confiance à Dieu, mais rien n’y fait : le peuple préfère retourner d’où il vient, en Egypte, même si la situation là-bas était terrible. Devant cette énième révolte contre Dieu, Moïse et Aaron sont prosternés en prière.

    Lecture biblique : Nombres 14.10-25

    10 Tout le peuple parlait de lancer des pierres [sur Caleb et Josué, Moïse…] pour les tuer, mais soudain la gloire du Seigneur se manifesta aux yeux des Israélites, sur la tente de la rencontre.

    11 Le Seigneur dit à Moïse : « Ce peuple cessera-t-il un jour de me rejeter ? Refusera-t-il toujours de me faire confiance, malgré tous les signes que je lui ai donnés de ma puissance ? 12 Je vais le frapper de la peste et l’exterminer, puis je ferai naître de toi un peuple plus puissant et plus nombreux qu’Israël. » 

    Au milieu de ce qui ressemble à une émeute, l’apparition lumineuse de Dieu arrête tout.

    Depuis trois mois que Dieu les a fait sortir d’Egypte, on ne compte plus les révoltes, les murmures, les récriminations et les plaintes contre Dieu. Mais là, la limite a été atteinte! Devant l’incapacité chronique du peuple à lui faire confiance, Dieu se tourne vers son fidèle serviteur avec un plan B : on arrête les frais avec ces gens-là, et on repart à zéro avec Moïse. Dans un sens, Dieu resterait fidèle à ses promesses à Abraham, puisque Moïse est un de ses lointains descendants.

    La proposition est alléchante : Moïse se retrouverait grand patriarche, grand ancien d’un peuple nouveau. Une proposition d’autant plus alléchante que c’est souvent Moïse qui prend lorsque le peuple veut en découdre avec Dieu.

    Derrière cette proposition, se révèle l’agacement de Dieu : il n’en peut plus de ce manque de confiance récurrent entre le peuple et lui. Imaginez-vous dans une relation où l’autre remet sans cesse en question vos choix, doute de vos intentions et de vos compétences : sans confiance, la relation devient vite toxique, et puis on ne peut rien construire s’il n’y a pas de base commune.

    Face à Dieu, c’est d’autant plus injuste qu’il a accompli des miracles tous plus extraordinaires les uns que les autres. Des miracles qui ont deux buts, un peu comme le double effet kiss cool :

    • A court terme : répondre au problème, soulager, fortifier, etc.
    • A long terme : au travers des miracles, montrer quel type de Dieu il est – présent, attentif, patient – et extrêmement compétent !

    A travers ce qu’il fait, Dieu révèle qui il est : un Dieu fort, aimant, fidèle. C’est comme les cadeaux : quand quelqu’un vous fait un cadeau, il y a l’objet en lui-même, et tout ce que l’objet révèle de ce que l’autre pense de vous, de son affection, sa reconnaissance, etc.

    Pourtant le peuple d’Israël a comme relégué les actes de Dieu dans le passé, sans en tirer les leçons sur ce qu’il est et ce qu’il veut faire pour eux. Je le dis sans mépris, car ça nous arrive tellement souvent : Dieu intervient pour nous, mais à l’obstacle suivant, c’est comme s’il fallait reprendre à zéro ! Or à travers ce que Dieu fait, il veut nous apprendre qui il est : fiable et fidèle…  

              Moïse ne se laisse pourtant pas tenter par la proposition de Dieu :

    13 Moïse répondit au Seigneur : « Les Égyptiens ont su que, par ta force, tu avais fait sortir ce peuple de chez eux. 14 Ils l’ont raconté aux habitants de ce pays. Ceux-ci ont donc appris que toi, le Seigneur, tu accompagnes ton peuple, que tu te manifestes à lui face à face ; ils ont appris que c’est toi qui le protèges, puisque tu marches devant lui, le jour dans une colonne de nuée, la nuit dans une colonne de feu. 

    15 Si maintenant tu extermines ton peuple d’un seul coup, les populations qui ont entendu parler de tout ce que tu as fait vont dire : 16 “Le Seigneur n’a pas été capable de conduire ce peuple dans le pays qu’il lui avait promis ; c’est pourquoi il l’a massacré dans le désert.” 

    17 Alors je t’en supplie, Seigneur, déploie ta puissance. Agis selon ce que tu nous as affirmé : 18 “Je suis le Seigneur, lent à la colère et d’une immense bonté ; je supporte les péchés, les désobéissances. Mais je ne tiens pas le coupable pour innocent. J’interviens contre celui qui a péché et contre ses descendants, jusqu’à la troisième ou la quatrième génération.” 

    19 Seigneur, pardonne encore le péché de ton peuple, selon ta grande fidélité, comme tu n’as cessé de lui pardonner depuis qu’il est sorti d’Égypte. »

    La semaine dernière, nous étions avec Abraham qui intercédait pour quelques justes au milieu d’une société toxique. Cette fois-ci, Moïse ne prie pas pour des justes, mais pour des injustes ! pour un peuple qui est prêt à balayer Dieu d’un revers de main au moindre obstacle.

    Moïse ici ne fait pas appel à la justice de Dieu, mais à sa compassion. Avec deux arguments fondamentaux : la réputation de Dieu et la parole qu’il a donnée. Deux façons d’aborder l’honneur de Dieu.

    D’abord, Moïse évoque la réputation de Dieu auprès des peuples étrangers qui ont entendu ce qu’il avait fait, et qui risquent de ne pas prendre Dieu au sérieux si Dieu ne va pas au bout avec Israël. Autrement dit : « qu’est-ce qu’on va dire de toi, Seigneur ? »

    Selon notre génération ou notre culture, cet argument de la réputation peut nous toucher différemment. Mais pour certains, il sonne avec étrangeté dans un contexte psycho-social où on nous invite à nous libérer du regard des autres (tout en nous exposant plus que jamais au regard des autres via les médias et les réseaux !), à nous assumer tels que nous sommes, à sortir des attentes et des stéréotypes. Dieu manquerait-il de confiance en lui, d’estime de soi, au point d’avoir besoin de l’approbation de créatures inférieures ? Ne peut-il pas vivre libre, détaché des opinions des uns et des autres ?

    Pour mieux comprendre, faisons un détour par notre fonctionnement humain. Être en relation avec quelqu’un, c’est vivre sous son regard, un regard qui reflète son point de vue sur ce que nous sommes et qui crée la base de notre relation : l’envie d’aller plus loin ou pas. Une personne que je regarde comme ennuyeuse, ou menteuse, ou capricieuse, ou manipulatrice, ou profiteuse – il y a peu de chances pour qu’elle devienne ma meilleure amie ! Nos regards entrecroisés conditionnent la relation. Ce qui est sûrement excessif, c’est d’accorder de l’importance au regard de personnes avec qui nous n’avons pas de relation. Ainsi, il est légitime d’accorder de la valeur au regard et donc à l’opinion que portent sur moi les personnes qui ont de la valeur pour moi. Vous me suivez ?

    Si on l’applique à Dieu : Dieu est Dieu, il n’a pas besoin de nous pour exister ou pour se sentir bien – il est au-dessus de tout ! dans une autre sphère ! Et pourtant, du jour où il a décidé de créer l’être humain pour être en relation avec nous, une relation d’amour et d’amitié, du jour où il nous a accordé de la valeur, il a donné de la valeur à notre regard sur lui. Le thème de la réputation, de son honneur, de sa gloire, renvoie indirectement au poids que Dieu nous donne dans sa vie : nous ne sommes pas des moucherons qu’il balaye de la main, nous sommes ceux qu’il veut aimer et avec qui il veut construire. 

              Le deuxième argument est assez proche : au nom de la parole donnée, Moïse appelle Dieu à aller au bout de ce qu’il a commencé.

    Et le cœur de ces promesses, c’est la patience et la fidélité de Dieu envers son peuple. « Tu as dit que tu serais fidèle ! Tu l’as déjà été ! Sois cohérent… » Et Moïse de citer la façon dont Dieu lui-même s’est révélé à lui, comme un Dieu lent à la colère et riche en bonté.

    Une remarque : Moïse demande à Dieu de déployer sa grande puissance – et quelle est cette puissance ? sa patience et sa fidélité, son pardon renouvelé. Sa grâce !

    Comme Abraham la semaine dernière, Moïse prouve dans son argumentation à quel point il prend Dieu au sérieux. A quel point il prend au sérieux sa parole, ses promesses, ce qu’il a déjà révélé de lui-même par ses actes. Et dans cette argumentation audacieuse, Moïse montre en fait une confiance en Dieu inébranlable – justement cette confiance que le peuple n’arrive pas à donner. Ultimement, c’est cette confiance qui caractérise la foi : pas seulement croire que Dieu existe, qu’il a inventé un monde extraordinaire, mais croire qu’il est bon, et lui faire confiance, croire ses paroles, et s’attendre à ce qu’il fasse ce qu’il a dit.

    La posture de Moïse est essentielle dans cette prière : il n’est pas centré sur lui, mais sur les intérêts du peuple et sur les intérêts de Dieu – comme s’il lui disait : « ne te laisse pas dévier par ce peuple de bons à rien, mais reste qui tu es, et montre-toi ! tu es plus grand que leur médiocrité ! » Et Moïse n’exige pas quelque chose de précis, seulement que Dieu fasse grâce – il a confiance !

    20 Le Seigneur répondit : « Je lui pardonne, comme tu le demandes. 21 Cependant, aussi vrai que je suis vivant et que ma gloire remplit toute la terre, j’affirme 22-23 que personne de cette génération n’entrera dans ce pays. Ils ont vu ma gloire, et tous les actes puissants que j’ai accomplis en Égypte et dans le désert ; malgré cela ils n’ont pas cessé de me mettre à l’épreuve en me désobéissant. C’est pourquoi aucun d’eux ne verra le pays que j’ai promis à leurs ancêtres, puisqu’ils m’ont tous rejeté. 

    24 Mais mon serviteur Caleb a été animé d’un autre esprit et m’est resté fidèle ; je le ferai entrer dans le pays qu’il a exploré, et je donnerai cette région à ses descendants. 25 – Les Amalécites et les Cananéens occupent actuellement les vallées de cette région. – Demain donc, vous ferez demi-tour et vous repartirez par le désert dans la direction de la mer des Roseaux. »

              Dieu accède à la demande de Moïse, et épargne le peuple, en tout cas pour l’instant. C’est le début des 40 ans d’errance dans le désert, le temps qu’une nouvelle génération se lève et entre dans le pays promis. Dieu trouve là un équilibre entre le pardon, la grâce, et la sanction devant un comportement insolent et injuste chez le peuple.

              Pour revenir à la prière, cet échange entre Dieu et Moïse doit nous encourager ! Nous encourager à prier, à échanger avec Dieu, à prendre au sérieux ses promesses malgré les circonstances défavorables.

    Je parlais récemment avec un instituteur qui commence à avoir de l’expérience, et on évoquait le fait qu’en début de carrière, on a tendance à tout anticiper, tout préparer de A à Z – et le moindre imprévu nous fait dérailler. Avec l’expérience et une meilleure maîtrise des sujets, on peut s’adapter à la situation, aux questions, aux besoins, et on sait qu’il y a plusieurs chemins pour arriver quelque part. C’est la même chose dans nos déplacements : quand on ne connaît pas une ville, on prend toujours le même itinéraire – mais quand on connait bien la ville, on sait qu’il existe plusieurs chemins pour arriver au même endroit.

    Dieu est un expert en sagesse et en puissance, et comme tous les experts, il maîtrise le sujet de ce qui est juste et bon : il a un plan A, mais il peut aussi passer à un plan B, ou C, ou D, selon la situation, tout en atteignant ses objectifs !  Il y a donc de la place pour notre prière, pour nos demandes, nos intercessions, nos questions…

    Nous pouvons demander à Dieu, l’implorer, pour qu’il révèle sa grâce puissante dans notre vie et celle des autres – en nous appuyant sur ce qu’il est et sur ce qu’il a fait : en Christ, nous avons une base bien plus solide encore que l’expérience du peuple d’Israël. En Christ, Dieu lui-même est devenu un homme, il a lui-même porté dans son corps et son identité son engagement envers nous, son engagement à accomplir la justice et à révéler sa grâce. Bien plus, il donne son Esprit à ceux qui lui font confiance : Dieu s’engage de tout son être – prenons au sérieux ses promesses !