Etre sage face à l’insensé

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La façon dont Jésus communique est percutante, car il est plein de sagesse – malgré sa trentaine d’années – une sagesse qui ne ressemble pas à celle des autres, et qui pointe directement vers Dieu. C’est une des raisons qui attirent tant de monde à lui, à son époque comme aujourd’hui, et jusqu’à aujourd’hui, bien des non-chrétiens reconnaissent la profondeur et l’intérêt des paroles de Jésus, même sans en accepter toute la portée.

Cette sagesse, nous sommes nous aussi invités à la vivre, en particulier dans nos échanges avec les autres et dans nos relations. Dans l’Ancien Testament, le livre des Proverbes juifs regroupe ainsi une flopée de proverbes à déguster goutte à goutte, pour laisser la sagesse de Dieu nous inspirer. Même s’il y a une couleur locale indéniable (les proverbes en question sont écrits environ 900 av. J-C., au Proche Orient – et c’est parfois très savoureux, imagé et plein d’humour), ces proverbes touchent en fait à des principes universels qu’on retrouve dans notre quotidien : le rapport au travail, à l’argent, au pouvoir, l’éducation, la justice sociale, et, très souvent, notre façon de communiquer, de parler, d’être en relation.

Parmi ces proverbes sur la relation et la façon de s’exprimer, j’en ai choisi un un peu énigmatique car il paraît se contredire : comme tout proverbe, ces courtes phrases sont là pour piquer la réflexion et inviter à grandir en sagesse.

Lecture biblique : Proverbes 26.4-5

4 Ne réponds pas à l’insensé selon sa folie
de peur que tu ne lui ressembles toi aussi.

5 Réponds à l’insensé selon sa folie
de peur qu’il ne s’imagine être sage.

Alors, il faut répondre ou pas ? Avant de voir quel conseil nous donne vraiment le proverbe, il faut quand même définir qui est l’insensé à qui répondre (ou pas).

Qui est l’insensé ?

Si vous lisez le livre des Proverbes, vous verrez qu’on trouve régulièrement des oppositions binaires : le riche/ le pauvre ; le paresseux/ le travailleur ; l’honnête/ le menteur ; le lâche/ le courageux etc. et le binôme le plus fréquent, parce qu’il est le plus global, c’est le sage versus l’insensé.

L’insensé, littéralement, c’est celui qui manque de bon sens, le sot, le stupide – et là, on ne parle pas de potentiel intellectuel, mais de sagesse pratique, de savoir-être, de mode de vie, de comportement. Tout le monde peut se tromper ! Mais l’insensé se retrouve régulièrement dans des difficultés qu’il aurait pu éviter, soit en prenant le temps de réfléchir aux conséquences de ses actes, soit en tirant des leçons de ses erreurs passés. La cigale qui chante tout l’été et se lamente de n’avoir rien dans ses greniers l’hiver ; celui qui part en randonnée sur un coup de tête, sans carte et sans eau ; celle qui ne fait que râler et se demande pourquoi personne ne vient lui parler ; celui à qui il arrive toujours des problèmes, mais quand on voit son comportement, c’est évident que ça ne pouvait pas marcher… L’insensé est plus que celui ou celle qui fait des erreurs de temps en temps : c’est la personne chez qui l’erreur se répète et s’installe. Il y a évidemment différentes formes et différents degrés d’avancement dans l’errance.

Donc voici l’insensé, qui s’oppose au sage. Or, le sage, dans l’Ancien Testament, ce n’est pas un vieux barbu qui a roulé sa bosse sur la Terre entière, ce n’est pas une scientifique qui reçoit le Prix Nobel, comme une expertise, en arts martiaux la ceinture noire 8e dan, le plus haut des niveaux. Le sage, c’est celui qui cherche la sagesse de Dieu et qui se met à son écoute. Donc l’insensé, c’est celui qui se ferme à la sagesse de Dieu, qu’il soit hors du peuple ou dans le peuple : les proverbes juifs sont écrits pour des Juifs !

On peut donc être croyant, chrétien, et en même temps borné, obtus, arrogant, campé sur ses positions sans aucune remise en question – vis-à-vis des autres et parfois vis-à-vis de Dieu. Encore une fois, cela nous arrive à tous, mais l’insensé, quel que soit son degré de foi, c’est celui qui s’enferme dans un certain schéma. Un exemple : ça vous arrive de traîner pour faire quelque chose, mais vous n’êtes pas tous paresseux !

Donc pour terminer sur l’insensé : il peut être croyant ou pas, plus ou moins insensé, et j’ajouterais qu’on peut aussi être insensé dans certains domaines, sur certains sujets où, pour x ou y raison, on est enfermé dans un schéma de pensée stérile voire destructeur. Evidemment, ça veut dire que vous et moi pouvons être insensés quand on touche à certaines cordes – et c’est bien pour cela que nous avons tous besoin de la sagesse de Dieu dans tous les domaines !

Ne réponds pas… réponds… ou l’art de répondre sans imiter

Alors comment réagir avec sagesse face à l’insensé ? Parmi tous les conseils que le livre des Proverbes donne (notamment le fait de ne pas trop écouter l’insensé), celui-ci nous interpelle à cause de sa forme paradoxale : ne réponds pas mais réponds. Réponds mais sans répondre. A vrai dire, le proverbe ne donne pas de contenu bien précis à son conseil, il pointe plutôt deux écueils, deux fossés qui encadrent le chemin de la sagesse.

La situation initiale, c’est que l’insensé nous a parlé, ou nous a communiqué quelque chose : par écrit, par mail, dans son attitude,… Je vais me concentrer sur la parole, mais évidemment, ça peut s’appliquer plus largement à la dynamique de relation en général. Ce qui vous dit que vous avez affaire à un insensé, c’est cette impression que vous n’arriverez à rien, que vous ne pouvez pas discuter.

1er fossé : entrer dans la surenchère. Partir comme une fusée dans la direction de l’insensé et finalement l’imiter dans notre façon de faire, comme dans la cour d’école « c’est celui qui dit qui est ! ». Chez les adultes ( !), c’est répondre à des préjugés par des préjugés, à des arguments sans preuves par des arguments sans preuve, à du chantage par du chantage, à un ton qui monte par… un ton qui monte ! C’est rester au même niveau que l’insensé et faire soi-même ce qu’on lui reproche ! En général, parce qu’on se laisse entraîner par nos émotions ou notre conviction… L’exigence de la sagesse, c’est de ne pas répondre au mal par le mal, ni à la bêtise par la bêtise.

2e fossé, inverse : se taire. Laisser faire. Attendre que ça passe en faisant le dos rond. C’est une sorte de fuite. Mais du coup, on laisse l’insensé penser qu’il a remporté l’argument, qu’il a raison.

En soi, est-ce bien grave ? Cela dépend bien sûr des enjeux ! Si c’est pour une marque de biscotte, peut-être qu’on peut laisser couler… Mais il y a des cas graves, pour l’insensé lui-même si rien ne s’oppose à ce qu’il continue de penser ou d’agir ainsi. Du coup, ça peut être grave pour l’entourage, qui va continuer de subir.

Dans ces deux écueils, on retrouve deux tendances qui nous marquent plus ou moins dans la relation : certains, très attachés à la vérité, répondront à l’insensé, sans parfois veiller à la forme et pour de nobles raisons tomberont dans le premier écueil. D’autres, attachés à la paix dans la relation, veilleront à ne pas faire plus de vagues qu’il n’y en a, au risque de laisser proliférer la folie de l’insensé. Le sage ne s’exprime pas n’importe comment au nom de son zèle pour la vérité, et il n’accepte pas tout non plus, au nom de l’amour, de la paix ou de la tolérance.

Avant de voir comment répondre avec sagesse, précisons l’objectif : il s’agit de poser en face du discours de l’insensé un discours sage, qui tient la route. Cela ne veut pas forcément dire que l’insensé sera convaincu et qu’il adoptera soudainement votre point de vue étincelant de bon sens… Mais même s’il n’en ressort pas convaincu, il est nécessaire que vous apportiez une parole de vérité, ne serait-ce que comme un petit panneau indicateur sur sa route.

Un exemple : un conducteur de voiture roule à 80 km/h sur une route. Il se fait flasher. S’il n’y avait pas de panneau qui indique une limite à 50 km/h, comment peut-on lui reprocher sa vitesse ? Par contre, s’il a vu les panneaux et n’en a pas tenu compte, c’est sa responsabilité, pas celle des autorités. Pour rester dans cette image, l’insensé roule vers vous à 80 km/h. Si vous ne dites rien, il continuera. Si vous vous exprimez en rappelant la limitation en vigueur, peut-être ralentira-t-il. On ne sait jamais à l’avance si l’attitude de l’autre est passagère, ancrée mais influençable, ou complètement bornée… Dans le doute, il nous faut répondre !

 

L’exemple du Christ, sagesse de Dieu

Répondre sans répondre, sans imiter l’insensé. C’est l’attitude du Christ face aux accusateurs de la femme adultère, c’est son attitude dans bien des rencontres où il ne fuit pas la discussion mais prend l’enjeu sous un autre angle. Mais plus que sa façon de parler, c’est sa mission que l’on peut caractériser ainsi. Face à notre folie (car devant Dieu, nous sommes complètement fous), que fait Dieu ? est-ce qu’il répond du tac au tac ? Est-ce qu’il laisse couler ? Non ! Il répond à notre folie, à notre folle errance, à notre péché qui nous désoriente de l’intérieur. Il ne nous renvoie pas notre péché à la figure, mais il ne laisse pas couler non plus. Sa technique ? Il prend sur lui, et nous montre notre folie sans pour autant nous en faire payer le prix. Le Christ incarne cette sagesse, lui, Dieu fait homme qui vient mourir sur le Croix pour faire triompher la justice sans écraser l’injuste, pour faire triompher la vérité sans écraser l’insensé.

Nous n’avons pas à mourir sur la croix, mais si nous voulons laisser sa justice transformer notre vie, sa sagesse doit nous influencer – pour notre bien et celui de notre entourage : rappelez-vous combien la sagesse du Christ est reconnue !

Et concrètement ?

Alors concrètement, à quoi ça ressemble ? Il faudrait une vie pour répondre ! Cela dépend, évidemment, des situations !

Quelques pistes, cependant, que je m’adresse aussi à moi-même :

  • Courage. Nos attitudes de lâcheté dans la relation sont souvent liées à la crainte des représailles, du conflit, de la fatigue usante de discussions folles, ou de l’inutilité de l’échange. Donc il faut du courage, mais pas une attitude agressive qui au nom du courage écrase l’autre : « ah, moi, je dis les choses ». Courage et maîtrise de soi, tact. Alors certains devront travailler à la maîtrise de soi, tandis que d’autres devront s’entraîner au courage… Et ce sont bien des processus d’apprentissage, avec toutes les erreurs de parcours qui s’imposent, mais qui ne disqualifient pas la nécessité d’apprendre : vous préférez vivre comme un insensé ?
  • J’ai dit que notre réaction devait bien sûr s’adapter aux différentes situations, et pour cela il faut du discernement.
  • A minima, il me semble que la première étape peut être plus ou moins toujours la même, c’est prendre du recul – pas partir ou reculer ! Mais faire un pas de côté intérieur pour changer littéralement de point de vue.
    • Et pour cela, il peut y avoir plusieurs façons de faire, la plus basique étant de respirer. Vous allez me dire que ce n’est pas du tout spirituel, mais je pense que Dieu créateur de notre corps et de notre esprit travaille par les deux ! Prendre une respiration, ne serait-ce que pour laisser passer la première émotion, le premier réflexe, et pouvoir choisir une autre option.
    • Technique n°2 : reformuler… « donc si je comprends bien, tu dis que… » parfois cela suffit à montrer les incohérences. Cela évite en tout cas d’entrer dans un dialogue de sourds.
    • Technique n°3, grand classique de Jésus : poser une question, chercher à en savoir plus, au moins pour comprendre le nœud du problème. Et même si vous ne comprenez pas, au moins vous restez dans la discussion, sans foncer tête baissée.

Ces « techniques » peuvent être utiles, sur le moment, mais à moyen et long terme, la technique ultime, c’est de fréquenter la Bible, de se laisser imprégner par la sagesse de Dieu, de demander à Dieu dans la prière son éclairage – sur nous-mêmes et sur les situations que nous rencontrons. Peu à peu, par son Esprit, il nous façonnera à l’image du Christ, à la sagesse si lumineuse !




A quel point la Nature nous parle-t-elle de Dieu ?

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Notre Dieu est un artiste, qui révèle l’abondance de son imagination, de sa puissance, de sa sagesse, à travers tout ce qu’il fait – dans la Nature, créée, dont on voit la beauté malgré les dérèglements, comme dans ses interventions dans notre vie. Dans la Bible, les croyants s’émerveillent de découvrir les traces d’action de Dieu – notamment à travers la Nature. Ainsi, le psaume 19 nous invite à la louange :

Les cieux proclament la gloire de Dieu,

la voûte étoilée révèle ce qu’il a fait.           (Psaume 19.2)

Dans la Bible, c’est une évidence qu’observer la Nature conduit à célébrer notre Créateur. Cependant, les auteurs bibliques s’attardent assez rarement sur ce fait : rapidement, ils passent à l’étape suivante et transmettent ce que Dieu leur a révélé personnellement.

L’apôtre Paul aborde ce lien entre création et créateur dans sa lettre aux Romains, mais sous un angle inattendu. Il vient de rappeler qu’à travers Jésus, Dieu offre son amour et son pardon à toute personne, quelle que soit sa situation ou son origine. Paul se prépare à développer la Bonne Nouvelle de l’Evangile, mais avant, il fait le point : pourquoi avons-nous besoin d’être pardonnés par Dieu ? Pourquoi faut-il que Dieu nous sauve pour que nous puissions vivre vraiment ?

Au-delà même de nos fautes quotidiennes et personnelles, Paul prend du recul et regarde pourquoi l’être humain, en général, a besoin d’être sauvé.

Lecture biblique : Romains 1.18-25

18 Du haut du ciel, Dieu révèle sa colère contre toute marque de mépris envers lui et toute injustice commise par les humains qui étouffent la vérité par le mal qu’ils commettent. 

19 Et pourtant, ce que l’on peut connaître de Dieu est clair pour eux : Dieu lui-même le leur a montré clairement. 20 En effet, depuis que Dieu a créé le monde, ses qualités invisibles, c’est-à-dire sa puissance éternelle et sa nature divine, se voient fort bien quand on considère ses œuvres. Les humains sont donc inexcusables ! 21 Ils connaissent Dieu, mais ils ne l’honorent pas et ils ne le reconnaissent pas comme Dieu. Au contraire, leurs pensées sont devenues stupides et leur cœur insensé a été plongé dans l’obscurité. 22 Ils se prétendent sages mais ils sont fous ! 23 Au lieu d’adorer la gloire du Dieu immortel, ils ont adoré des statues représentant un être humain mortel, des oiseaux, des animaux et des reptiles.

24 C’est pourquoi Dieu les a abandonnés à des actions impures, selon les désirs mauvais de leur cœur, de sorte qu’ils se conduisent d’une façon honteuse les uns avec les autres. 25 Ils échangent la vérité concernant Dieu contre le mensonge ; ils adorent et ils servent ce que Dieu a créé au lieu du créateur lui-même, qui doit être béni pour toujours ! Amen.

          Un Dieu qui se laisse deviner par ses œuvres   

Pour Paul, l’idée est simple : le Christ est sauveur de toute l’humanité, parce que tout humain a besoin d’être sauvé, c’est-à-dire pardonné pour son impiété, son manque de respect envers Dieu, et l’injustice qui en découle. Cette impiété, c’est que tous ont échoué à adorer Dieu correctement.

Cela rejoint la question qu’on se pose souvent chez les chrétiens : que se passe-t-il pour ceux qui n’ont pas entendu parler de Jésus ? Ceux à qui on n’a pas présenté l’Evangile ? Faut-il absolument qu’on leur parle du Christ ? ou est-il possible de connaître Dieu sans passer par le Christ ? C’était une question qu’on se posait beaucoup pour la mission auprès des peuples éloignés, qui s’est rapprochée avec la montée de l’athéisme en Occident, et qui prend une nouvelle forme avec l’émergence d’une spiritualité non religieuse, souvent basée sur la Nature, par laquelle certains de nos contemporains reconnaissent un Être supérieur auxquels ils se connectent de manière informelle.

En théologie classique, on distingue ainsi la révélation naturelle (comment la création révèle le créateur) et la révélation spéciale (qu’on ne peut pas déduire de la Nature et qui résulte d’une prise de parole de Dieu envers les humains).

Peut-on connaître le Créateur à partir de la Nature qu’il a créée ? oui, en théorie, mais.

Oui, en théorie, puisque la Création porte la signature d’un Dieu puissant, supérieur à notre temps et à notre espace, un Dieu sage qui a su trouver le bon dosage physique de l’atome à la galaxie pour que l’Univers fonctionne, un Dieu imaginatif, plein de couleurs et de diversité. Comme un tableau, la création porte l’empreinte du Créateur. Bien des scientifiques, d’ailleurs, croient en l’existence d’un Être ou d’une énergie supérieure, qui a conduit intelligemment la naissance et l’évolution du monde (Intelligent Design).

Donc oui, en théorie, mais… la Nature n’évoque son auteur qu’à demi-mots, de façon partielle et limitée. Comme un tableau pourrait vous révéler l’obsession du peintre pour la lumière ou pour le jaune ou pour le regard, sans pour autant vous dire grand-chose de sa personnalité : vous pouvez reconnaître un tableau de Van Gogh sans vraiment connaître l’homme, Vincent.

Certains diront peut-être : et alors ? est-ce que ça ne suffit pas de savoir qu’il y a un Créateur ?

Je renverse la question : imaginez votre père âgé, atteint d’une perte de mémoire importante. Vous allez le voir, et il ne vous reconnaît pas. Il sait qu’il a un fils, ou une fille, mais il ne se rappelle plus votre nom, votre occupation, votre vie, il a oublié les moments clefs de votre enfance, il ne sait plus quel âge vous avez. C’est la détresse de bien des proches qui accompagnent une personne qui perd la mémoire. Cette « connaissance » vous suffirait-elle ?

Allons plus loin : votre père se met maintenant à inventer certains détails – il sait qu’il a un fils ou une fille, mais il a changé le prénom, l’âge, il évoque des événements qui ne se sont jamais passés, et il a une photo sur sa table de nuit d’un illustre inconnu. Ne vous sentiriez-vous pas trahis ?

Par la Nature, nous pouvons deviner quelques traits de Dieu, mais c’est insuffisant : limiter Dieu à sa puissance, à son éternité ou à son amour des couleurs ne lui fait justice. Pire, bien souvent, à partir de ces quelques points, nous traçons un portrait qui n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’il est vraiment : plus qu’un manque de justice, c’est une trahison. Presque automatiquement, nous dessinons un portrait qui n’existe pas, mais qui nous convient : un Être paisible, dynamique (vu ce qui a été créé) mais sans personnalité, sans désir, de qui on peut dire tout et son contraire. Sans parler de justesse, est-ce même plausible que notre monde, dans sa diversité et sa beauté, que vous, dans votre diversité, votre beauté, vos passions, votre sensibilité, votre personnalité, vous ayez été créés par une « énergie » dénuée de sensibilité, de personnalité ou de passion ?

En théorie, c’est donc possible de connaître Dieu à partir de la Nature mais c’est insuffisant : il faut plus ! Il faut que Dieu nous parle, personnellement, pour que nous puissions apprendre à le connaître tel qu’il est lui, et avoir une relation avec lui. C’est un tremplin, ou un escalier, planté devant nous pour sentir l’existence de Dieu, pour partir à sa recherche, puis, quand on le connaît, on peut redescendre et étudier les détails de l’escalier. On peut retrouver après coup dans la Nature ce que Dieu nous dit de lui en Jésus: son amour, sa joie, sa vitalité, sa protection, sa vérité, sa fidélité, sa patience… Pour le croyant, contempler ou étudier la Nature nourrit ainsi la louange et l’engagement (humanitaire, écologique) afin d’honorer Dieu en soignant ses créations.

Du coup, dans les faits, personne n’honore Dieu correctement à partir de la création. Soit l’homme manque de reconnaître Dieu pour ce qu’il est, soit il invente carrément une caricature de Dieu.

 

          La responsabilité humaine

Dans son mépris de Dieu, l’humanité est sans excuse puisqu’il y a assez d’éléments pour partir à la recherche de Dieu. Devant la Nature, nous ne pouvons pas dire : « oh, je ne savais pas qu’il y avait un Dieu ! on ne m’avait pas prévenu ! »

L’humanité au sens large n’a pas juste « manqué le but » mais nous avons fauté en choisissant le mensonge. C’est l’histoire d’Adam et Eve, qui plongent tête baissée dans le mensonge du Tentateur, c’est notre histoire humaine à chaque fois que nous remplaçons Dieu par une version difforme de lui ou par carrément autre chose. Bien trop souvent, la folie humaine conduit à regarder le doigt qui indique la lune au lieu de se tourner vers la lumière, à adorer ce qui a été créé à la place de l’Artiste derrière notre monde. A l’époque de Paul, où triomphait le polythéisme, il n’était pas rare d’adorer les étoiles, ou des animaux divinisés (on se souvient du veau d’or à l’époque de Moïse). Aujourd’hui, souvent c’est plus subtil. Certains adorent la Nature pour elle-même, « Mère Nature » comme si la Nature s’était auto-créée (c’est un des points sur lesquels écologistes chrétiens ou non-chrétiens peuvent se heurter). D’autres consacrent leur vie à une personne, proche ou lointaine, qui devient le centre de leur monde. D’autres encore exaltent les capacités de l’être humain : sa force, sa beauté, son intelligence… en niant le Dieu parfait qui nous offre ces capacités pour vivre avec lui et comme lui. Comme des idiots, nous regardons le doigt au lieu de regarder la lune ! et de cette déviation mentale, spirituelle, basique découle une vie désorientée. Comment vivre droitement si nos pensées, nos valeurs, nos priorités sont déviées ?

 

          La colère de Dieu

La colère de Dieu est donc toute justifiée, devant une humanité qui le méprise et qui plonge allègrement dans la destruction de l’autre et de soi : il n’y a qu’à voir les faits divers ou les grands scandales, ou tout simplement se pencher 5 minutes sur nos tendances personnelles, notre difficulté à aimer Dieu de tout notre cœur et à aimer notre prochain…

Deux remarques sur la colère de Dieu, si impopulaire :

1) Dieu nous aime, mais lorsque nous clamons « Dieu est amour », en refusant ce qui chez Dieu nous indispose, nous forgeons une image difforme, idolâtre de Dieu. Bien plus, l’amour véritable exige la justice. Je souris souvent devant la réaction des parents ou des conjoints : une injustice commise au loin glisse sur nous, mais qu’on touche à nos enfants ou à nos proches !… là c’est une autre histoire ! Votre amour vous poussera à la colère !

Si notre amour est passionné, alors l’amour de Dieu, qui nous aime infiniment plus que ce que nous imaginons, cet amour est bien trop exigeant pour accepter que le mal pollue les êtres qu’il a créés avec tant de passion.

2) Et comment se manifeste cette colère ? Souvent nous l’imaginons comme la colère du Père Fouettard, et nous préférons le Père Noël… or Dieu, pour l’instant, exprime sa colère de manière indirecte, en livrant le monde, l’humanité, à elle-même, en nous laissant (en tant qu’humanité) aller au bout de notre folie, en nous tenant responsables de nos actes, en nous laissant subir les conséquences de ce que nous avons commencé. Il laisse le navire suivre la direction que nous lui donnons, même si nous fonçons droit dans l’iceberg ! Dieu ne nous donne pas de coups : il laisse notre cœur abîmé s’exprimer… et nous en voyons, un peu, les résultats.

Je dis un peu, parce que malgré sa colère, Dieu limite nos actes : vu l’être humain, l’horreur pourrait être beaucoup plus répandue… Et surtout Dieu appelle, personnellement, chaque passager de ce navire à la dérive, il est monté lui-même en Christ dans ce navire qui fonce vers le naufrage, pour que nous puissions en sortir et monter dans le canot de sauvetage, le canot de salut. Sur cette réalité chaotique que Paul nous force à observer, brille en Christ la lumière et l’espoir du salut, d’un monde différent, reconnecté avec Dieu, marqué par la vérité et la justice, par l’amour de Dieu et l’amour du prochain, sans faille. Nous n’y sommes pas encore, mais, embarqués sur le canot de sauvetage de la foi, nous pouvons laisser cette lumière nous réorienter peu à peu.

Conclusion

Sans le Christ, qui fait irruption dans nos dérives, comment être sauvé ? Il est notre espoir, notre phare, il est la lumière qui vient briller dans nos ténèbres et nous promettre la Vie pour toujours, dans la lumière de Dieu, dans l’amour et la justice. On peut deviner qu’il y a un Dieu sans forcément connaître l’Evangile – et bien des religions, des spiritualités, incarnent cette réalité – mais pour le connaître vraiment, pour en avoir le portrait juste, seul le Christ, Dieu lui-même venu parmi nous, peut nous conduire.

Notre espoir est en Christ : Dieu nous invite personnellement vers lui, pour le connaître et recevoir son salut, et à partager autour de nous cet espoir, afin que d’autres trouvent sa lumière.




Une relation libre avec le Dieu généreux

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La Bible nous présente parfois de petites pépites, comme par exemple cette jeune femme de l’Ancien Testament qui est très intéressante : Aksa, la fille de Caleb. Seuls 3-4 versets nous parlent d’elle, dans le livre de Josué (Josué 15.13(19), ensuite répétés dans le livre des Juges (c’est rare !). Bien souvent son histoire, si courte, passe inaperçue, alors qu’elle est riche en enseignements…

Je vais lire la version dans le livre des Juges. Le peuple d’Israël vient juste de s’installer dans le pays promis, autour de 1400 av. J.-C., sous la conduite de Josué qui a pris la suite de Moïse, avec des réussites et des déboires. Josué meurt et personne ne le remplace vraiment : il n’y a pas encore de roi à la tête du peuple. Pendant cette période qui va durer plusieurs siècles, chaque tribu s’organise, et tente de faire face aux difficultés rencontrées. C’est une période brouillon, assez sombre, remplie de batailles avec d’autres peuples ennemis locaux ou voisins. Sombre aussi parce que le peuple échoue à rester connecté au Dieu qui l’a sauvé et conduit jusqu’ici ; et leurs écarts répétés vont influencer leur façon d’être en société, révélant de façon flagrante que plus on s’éloigne du Dieu juste et bon, plus les relations humaines se détériorent.

L’histoire d’Aksa se trouve au tout début de cette période, lors de l’installation des Israélites dans la terre promise, lorsque la situation est encore encourageante. Son père, Caleb, de la tribu de Juda, un vieux de la vieille, le dernier vivant à avoir expérimenté les événements de l’Exode, la libération d’Israël hors d’Egypte, donc Caleb remarque que sa tribu peine à aller au bout de son installation, et laisse certaines villes aux mains des ennemis. Et voici comment il décide de motiver sa tribu à aller au bout du projet :

Lecture biblique : Juges 1.12-15

12 Caleb dit : Je donnerai ma fille Aksa pour femme à celui qui battra Qiriath-Sépher et la prendra. 

13 Otniel, fils de Qenaz, frère cadet de Caleb, la prit ; Caleb lui donna pour femme sa fille Aksa. 

14 A son arrivée, elle l’incita à demander un champ à son père. 

Elle sauta de son âne, et Caleb lui dit : Qu’est-ce que tu as ? 

15 Elle lui répondit : Accorde-moi une faveur, car tu m’as donné une terre aride ; donne-moi aussi des sources d’eau.

 Alors Caleb lui donna les sources d’en haut et les sources d’en bas.

 

Aksa et Caleb : une relation de confiance

L’anecdote aurait pu s’arrêter au v.13 : on aurait su qu’Otniel, neveu de Caleb, était le héros qui avait remporté la dernière bataille, et cela aurait suffi pour permettre au lecteur de comprendre pourquoi, plus tard, Dieu allait appeler Otniel à être juge, c’est-à-dire, comme le nom ne l’indique pas, ici à protéger et diriger son clan, pendant une quarantaine d’années. Donc Otniel sera le premier chef régional, et à ce titre, son lien de famille avec Caleb est un motif de respectabilité : nous, on tique à la perspective d’un mariage entre deux cousins (autres temps, autres mœurs), mais le texte souligne plutôt la filiation entre un chef respecté (Caleb) et la prochaine génération, qui reprend le flambeau de façon prometteuse.

Sur le plan de l’histoire d’Israël, cela suffit – pourtant le texte ajoute des détails, complètement inutiles d’un point de vue militaire ou historique, sans but d’expliquer une pratique ultérieure ou le nom donné à un endroit ; non, gratuitement, nous avons droit aux détails de la négociation de la dot d’Aksa ! Mais pourquoi donc ??

Quand on parle de société traditionnelle, patriarcale, comme c’était le cas pour les Juifs de l’Antiquité, et dans tout le contexte de la Bible, à la fois l’Ancien Testament centré sur Israël et le Nouveau Testament présentant Jésus et ses disciples, on sait que la place des femmes dans la société était très limitée, et on se représente volontiers les femmes passives, voire réduites au statut d’objet – on en voit l’exemple typique lorsque Caleb offre sa fille en prime de guerre au combattant héroïque : même si c’est un honneur, notre Aksa n’a pas son mot à dire !

Les détails que le texte nous donne sont d’autant plus frappants, et viennent nuancer ce tableau caricatural… Si Aksa épouse Otniel sans broncher, elle n’hésite pas à prendre position lorsqu’elle considère – avec beaucoup de bon sens – qu’une terre aride sans point d’irrigation ne va pas la mener très loin pour élever du bétail ou cultiver des champs… !

Et Aksa de prendre l’initiative pour changer cette situation. D’abord, elle essaie de convaincre son mari d’agir, mais il n’a pas l’air de l’écouter – en tout cas le texte reste silencieux. Alors elle fait tout le trajet pour retourner chez son père, dont nous ne voyons que le moment où Caleb la voit descendre de son âne, ce qui suffit à l’interpeller.

Aksa présente ensuite sa demande (ici, c’est sûrement résumé), avec un savant mélange d’audace, de confiance, et de respect : elle demande une faveur, bien consciente qu’elle a déjà reçu sa dot, et que ce qu’elle demande en plus, même si c’est nécessaire, n’est pas dans les habitudes…

Et Caleb, loin de la reprendre sur les us et coutumes (je ne t’ai pas élevée comme ça ma fille ! Fais avec !), apporte une réponse d’une générosité inattendue : non seulement il accède volontiers à sa demande, mais en plus il la double en donnant un terrain irrigué au nord, et un terrain irrigué au sud. L’erreur est doublement corrigée.

On voit dans sa réponse toute sa sollicitude paternelle, un désir d’équité, et beaucoup d’humilité puisqu’il n’hésite pas à se laisser interpeller.

Des modèles inspirants

Aksa est un modèle inspirant, jusqu’à aujourd’hui, avec sa grande liberté, sa facilité à exprimer son besoin et à oser demander une faveur – sans dépasser les bornes pour autant. Or cette liberté n’est possible que parce que son père, Caleb, a une posture accueillante et généreuse. Ce qui peut tous nous inspirer, pour nos relations hommes-femmes, mais pas seulement ! dans toutes les relations où il y a une différence ou une asymétrie : grands-petits, anciens-nouveaux, etc. C’est la posture de chacun des deux qui permet cette dynamique de confiance respectueuse.

C’est d’autant plus marquant que la période qui suit, je l’ai dit, s’assombrit à grande vitesse, à mesure que le peuple sombre dans l’idolâtrie religieuse et l’injustice sociale. Etonnamment, tout au long de ce livre, il y a beaucoup de personnages féminins, qui deviennent un peu comme des marqueurs de l’état de la société : on commence avec Aksa, libre, forte, confiante, en sécurité, soucieuse de favoriser les meilleures conditions de vie – et peu à peu ça se dégrade, avec des femmes qui finiront par être sacrifiées (pas au sens figuré !), anonymisées, victimes de violence et d’atrocités, ou alors d’autres femmes qui porteront la violence, la tromperie, avec des comportements destructeurs (pensez à Dalila par exemple qui manipule Samson pour lui ôter sa force et favoriser sa mise à mort par les Philistins).

Ici, avec Aksa et Caleb, on est encore dans la période prometteuse, lumineuse, pleine d’espoir, et les relations ont un cadre ample, flexible, où chacun peut exister pleinement sans écraser ni se faire écraser, où le respect et l’humilité côtoient l’initiative et le franc-parler.

Vous l’aurez compris, en tant que femme, j’aime énormément ce texte, mais pas seulement à cause de la liberté d’Aksa ! Si tous les pères, les maris, les frères, s’inspiraient de Caleb, notre société serait merveilleuse ! Et pas seulement les hommes : tous ceux qui ont du pouvoir, en fait – les mamans, les grands-parents, les enseignants, les juges, les patrons ou les cadres, les responsables de service, les autorités… si chacun à sa mesure, dans sa sphère, s’inspirait de Caleb, de son désir d’équité, de son humilité et de sa générosité… Ce serait extraordinaire !

          Une illustration pour notre relation avec Dieu

Dans ce portrait de Caleb, il y a plus encore ! Vous y avez peut-être pensé, on voit chez lui se dessiner le profil d’une autre personne, humble, généreuse, passionnée de justice… Dieu ! Dieu, en particulier tel qu’il se révèle à travers Jésus… Désireux de rétablir la justice dont nous nous sommes écartés, prêt à offrir bien plus que nos besoins, un Dieu plein de grâce, qui n’hésite pas, à travers Jésus, à passer par l’humiliation et la mort pour déblayer et libérer le chemin qui nous conduit à lui (Philippiens 2.5-11) – dans la surabondance de sa grâce et de son amour, il donne bien plus que deux terrains supplémentaires : il se donne lui-même pour nous permettre de recevoir en héritage la plénitude de sa paix et de son amour.

Alors, si l’attitude de Caleb oriente vers la grâce de Dieu, que peut-on voir dans l’attitude d’Aksa ? La liberté d’une enfant, pleine de confiance dans l’amour que son père lui porte, dans la justice qu’il ne manquera pas d’accomplir, dans sa générosité. Cet enfant de Dieu, libre devant son Père, c’est d’abord le Christ, le Fils par excellence, en complète harmonie avec lui. Et nous, en nous appuyant sur le Christ, Fils aîné qui partage avec nous la plénitude de son héritage, nous pouvons retrouver cette proximité avec Dieu, comme avec un Père bienveillant, juste et généreux, respectueux et accueillant. Et comme des enfants, comme Aksa, nous pouvons aller vers lui librement, avec confiance.

Et puisqu’Aksa apporte une demande à son père, son exemple peut nous inspirer dans notre façon de prier. Combien de fois limitons-nous nos prières en nous disant que notre demande est hors-cadre, qu’il nous faut accepter notre lot, sagement, en silence ? Combien de fois nous disons-nous que tel besoin n’est pas très spirituel, et que cela n’intéresse sûrement pas Dieu ? Or la Bible nous présente des croyants audacieux, qui n’hésitent pas à dire à Dieu ce qu’ils vivent et de quoi ils ont besoin. Libre ensuite à Dieu d’agir selon sa sagesse, mais nous pouvons lui présenter nos demandes simplement, clairement, avec la confiance d’Aksa envers son père : une confiance sûre de la bonté de Dieu, respectueuse (à Dieu de prendre la décision), et reconnaissante (on n’exige pas un dû, on demande une faveur imméritée).

Je me demande si ce n’est pas à ce type d’attitude que Jésus pensait lorsqu’il a parlé de la prière dans le Sermon sur la Montagne (Matthieu 7.7-11)

7 « Demandez, et on vous donnera. Cherchez, et vous trouverez. Frappez à la porte, et on vous ouvrira. 

[…] 9 Quand votre enfant vous demande du pain, qui parmi vous lui donne une pierre ? 10 Quand il vous demande du poisson, qui lui donne un serpent ? 

11 Vous, vous êtes mauvais/ imparfaits, et pourtant, vous donnez de bonnes choses à vos enfants. Alors, ceci est encore plus sûr : votre Père qui est dans les cieux donnera de bonnes choses à ceux qui les lui demandent. »

Alors que l’audace, la simplicité et la confiance d’Aksa viennent nous renouveler dans notre vie de prière avec Dieu, notre Père, qui nous accueille par Jésus-Christ. Amen

 




Sur le seuil (Une espérance qui nous transforme 4/4)

Regarder le culte ici.

Nous arrivons aujourd’hui au terme de la campagne de rentrée proposée par notre Union d’églises : « Une espérance qui transforme ». Cette quatrième semaine de méditations nous place sur le seuil, c’est-à-dire à l’entrée ou au début de quelque chose de nouveau.

Si nous recevons une espérance en Christ, et que Dieu nous transforme de l’intérieur par son Esprit, que se passe-t-il après ? dans quelle direction aller ?

Les disciples de Jésus se sont eux-mêmes trouvés sur le seuil, en particulier lorsque Jésus est revenu à la vie et est apparu par-ci par-là à différents groupes. C’était une situation temporaire, instable, et clairement, la résurrection du Christ annonçait quelque chose de plus grand : la venue du Royaume de Dieu, comme si Dieu était passé à la vitesse supérieure pour mettre en œuvre ses projets.

Ce sentiment, nous pouvons le ressentir à un niveau personnel, quand on démarre de nouvelles études ou un nouveau travail, quand on se marie, quand un enfant arrive, quand on déménage, quand on entre en retraite, etc. : on sent que c’est le début de quelque chose, et on est sur le seuil. J’ai pris des exemples plutôt positifs, mais le seuil peut aussi être anxiogène : lorsqu’on apprend une maladie, un accident, qu’on perd son travail ou un proche, ou lorsque les crises successives de notre société (faut-il les détailler ?…) nous déstabilisent. Régulièrement, dans notre vie, que ce soit encourageant ou inquiétant, nous nous retrouvons avec cette question : et maintenant ? que va-t-il se passer ?

La façon dont Jésus répond aux disciples nous apporte un éclairage.

Lecture biblique : Actes des Apôtres 1.6-8 

6 Ceux qui étaient réunis auprès de Jésus lui demandèrent : « Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le règne pour Israël ? » 

7 Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de savoir quand viendront les temps et les moments, car le Père les a fixés de sa seule autorité. 

8 Mais vous recevrez une force quand l’Esprit saint descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’au bout du monde. »

  • Le questionnement des disciples

En soi, la question des disciples semble légitime : depuis des siècles, dans la spiritualité juive nourrie par les prophéties bibliques, on attend la venue du Règne de Dieu, on attend un renouvellement profond du peuple – renouvellement lancé par la venue du Messie, l’Envoyé de Dieu, qui rétablira les bonnes bases pour vivre avec Dieu. Par leur question, les disciples montrent qu’ils ont compris que Jésus est le Messie, et que c’est par lui que Dieu va intervenir pour son peuple : c’est bon signe !

Or Jésus refuse de répondre à la question des disciples. Et il met l’accent sur l’autorité de Dieu, qui gère le déroulement de son projet comme il l’entend – après tout, il est Dieu ! Les disciples auraient tellement aimé avoir les détails, le planning, le budget ( ?), l’organigramme…

Et on est pareils ! A chaque crise, politique/ sanitaire/ écologique/ éthique, j’entends le même questionnement : « c’est bientôt la fin, non ? » Bientôt, je ne sais pas, en tout cas, on n’a jamais si près – c’est mathématique !

Cela nous rassure, d’imaginer savoir ! C’est plus facile d’envisager l’avenir quand on sait comment les choses vont se dérouler, quelles étapes nous devrons franchir. Derrière ce désir de savoir, il y a un peu le désir de contrôler la situation, ou en tout cas, de se rassurer en projetant des éléments connus sur une situation inconnue.

Mais c’est une impasse : cela ne nous regarde pas. Nous ne sommes pas chefs de projet, nous n’avons pas à nous octroyer cette place que seul peut occuper Dieu, le créateur, le roi, le sage. Et même si nous ouvrions le dossier pour consulter les plans, qu’est-ce que cela nous apporterait vraiment ? A part ce sentiment de pouvoir contrôler la situation, anticiper, ou au contraire procrastiner ?! Pour Jésus, il le dit dans les Evangiles quand il est confronté aux mêmes questions, il s’agit de vivre chaque jour comme le dernier (#Corneille), en vivant sincèrement notre foi.

Et c’est bien de foi qu’il est question : face à l’inconnu, Jésus nous demande de faire confiance à Dieu, à sa sagesse, à sa puissance. Dieu est souverain, et nous pouvons compter sur lui pour mettre en œuvre son projet en temps voulu, sans retard, sans accroc, sans erreur. Lorsque nous sommes sur le seuil, au départ d’une situation inconnue que nous ne pouvons pas maîtriser, Jésus nous invite à faire confiance à Dieu.

Je précise : ce n’est pas une confiance qui nous fait marcher les yeux fermés (quoiqu’on aurait beaucoup à apprendre des aveugles et malvoyants en termes de confiance !!), mais les yeux ouverts, fixés sur Dieu. Comme dans un brouillard : au lieu de chercher à distinguer le bord de la route, faire confiance c’est nous concentrer sur la lumière qui est devant nous, la lumière de Dieu.

 

  • Une responsabilité : être témoins du Christ là où nous allons 

Cela étant, même si Jésus répond un peu sèchement à la question des disciples, il leur donne quelques repères.

* Une responsabilité : être les partenaires de Dieu

Là où les disciples étaient dans une attente un peu passive de ce que Dieu allait faire, Jésus renverse la perspective : Dieu agit, mais avec vous, par vous ! Il ne s’agit pas d’attendre au coin du feu l’annonce qu’enfin Dieu a démarré la prochaine étape… Dieu nous envoie sur le terrain avec des tâches particulières, pour construire son Royaume. Vous connaissez ces entreprises ou ces associations qui sont basées à un endroit mais qui œuvrent ensuite sur différents territoires, en s’appuyant sur des partenaires locaux ? L’ONG du SEL, par exemple, fonctionne ainsi, avec des partenaires dans différents pays pour proposer et mettre en œuvre des projets humanitaires.

Dieu fait de nous ses partenaires locaux. Et comme le siège peut envoyer à ses partenaires des ressources financières, matérielles, humaines etc., Dieu, depuis son siège social invisible, nous envoie la meilleure ressource qui existe : son propre Esprit, infini, flexible, efficace.

Quand il parle ici à ses disciples, Jésus fait référence à un événement très précis : la Pentecôte, quelques jours plus tard, où les disciples recevront de manière spectaculaire l’Esprit de Dieu qui les inspire et les équipe pour annoncer l’espoir que le Christ apporte. Par la suite, tout croyant reçoit automatiquement l’Esprit de Dieu, qui lui permet d’être connecté à Dieu et de recevoir personnellement l’amour que Dieu nous porte à travers le Christ – ce n’est pas forcément spectaculaire, mais c’est bien réel.

Dieu nous donne ses précieuses ressources, il se donne lui-même via son Esprit, pour nous équiper dans notre mission de partenaires locaux.

* L’ouverture

L’autre point remarquable, c’est que les disciples attendaient l’action de Dieu pour leur peuple, pour Israël. Or Jésus leur révèle que le projet de Dieu, projet de justice et de paix, n’est pas limité à Israël – même si pour un temps, Dieu avait fait d’Israël son échantillon témoin. Nous sommes désormais dans la phase 2.0 du projet, et tous sont concernés par le salut universel que le Christ offre.

Alors, effectivement, les disciples vont répandre le message du Christ, et le groupe va grossir, se répandre, d’abord en Méditerranée, puis de plus en plus loin. Cette mission universelle, qui n’est pas encore terminée, nourrit l’appel des missionnaires, jusqu’à aujourd’hui, pour rejoindre les peuples qui n’ont pas encore reçu cette bonne nouvelle du salut en Christ.

Mais on aurait tort de ne voir cette mission qu’en termes géographiques : nos frontières ne sont pas forcément des frontières politiques. Sur quels territoires, sur quels terrains, les gens ont-ils besoin de découvrir cet espoir que le Christ nous offre ? La France est une belle terre de mission… Entre une tribu amazonienne et une salle des profs à Tournefeuille, je ne sais pas où l’annonce de l’Evangile est la plus percutante… ! C’est  aussi sur nos lieux de travail, en classe, dans nos engagements associatifs, avec ceux que nous côtoyons au quotidien (voisins, aides à domicile, amis…), sur internet aussi, que Dieu nous envoie comme partenaires locaux, pour être témoins du Christ.

* Témoins du Christ

Justement, être témoins. C’est un mot chargé de représentations, de pression voire de culpabilité, dans le monde chrétien. Comment être témoin ?

A l’origine, comme en français, le témoin c’est celui qui a vu quelque chose et qui en parle. Bien sûr, on n’est pas seulement témoins en mots, mais aussi par notre attitude, nos actions, nos choix de vie. Cela étant, dire notre foi apporte un éclairage incontournable à ce que nous pouvons communiquer globalement.

Ainsi, le témoignage s’enracine dans l’expérience personnelle : il ne s’agit pas forcément de faire des grands discours ou d’avoir tout compris, mais de raconter ce qu’on a vu, entendu, expérimenté. Tous, si nous vivons quelque chose avec Dieu, nous pouvons être témoins de ce vécu spirituel, sans nous poser en grands évangélistes qui vont convertir les foules…

Pour ma part, j’ai remarqué que c’était difficile de simplement parler de ce que je vis avec des personnes qui ne partagent pas ma foi, comme si j’étais gênée d’évoquer ce sujet hautement tabou qu’est la spiritualité. Bien sûr, prier en amont aide, parce que nous nous rendons disponibles à ce que Dieu peut communiquer à travers nous. Mais il faut aussi apprendre à surmonter notre pudeur presque honteuse, bien française, pour oser dire les choses comme elles sont. Je me suis rendu compte que, quand je parle d’un événement personnel à ma famille ou mes amis, si pour ne pas les mettre mal à l’aise, je ne dis pas ce que Dieu a fait (p. ex. en me donnant paix, discernement, courage, compassion, etc.), en fait je laisse de côté le plus important, et je ne dis pas la vérité.

Être témoins, c’est partager et dire simplement ce que nous vivons avec le Christ, sans écraser l’autre, sans se cacher non plus – en priant que Dieu utilise notre intervention, et celle de ses autres partenaires locaux, pour que sa lumière touche toujours plus de personnes.

 

Lorsque nous sommes sur le seuil, nous voudrions des réponses, être rassurés en connaissant le plan d’action et l’itinéraire choisi. Mais Jésus nous demande de faire confiance à Dieu en fixant nos yeux sur lui, et de vivre aujourd’hui, là où nous sommes, à notre échelle, notre partenariat avec lui, avec confiance et sincérité – Dieu s’occupe du reste !




Transfigurés pour honorer Dieu (Une espérance qui nous transforme 3/4)

Voir le culte ici.

Nous continuons ce matin le parcours de méditations proposé par notre Union d’églises sur le thème : la foi, une espérance qui nous transforme. La semaine dernière, Dieu était comparé à un potier, qui nous façonne et qui nous restaure comme un artiste restaure une œuvre abîmée pour lui rendre sa beauté d’origine.

Aujourd’hui, nous nous centrons un peu plus sur ce processus de transformation. Marc nous a cité 3 exemples de personnes transformées par leur relation avec Jésus. Regarder à ces témoins nous inspire, mais cela peut aussi nous décontenancer : nous ne sommes pas pêcheurs ou collecteurs d’impôts en Galilée, ni théologien en Syrie ! Que retenir de leur parcours qui puisse nous inspirer dans notre contexte personnel, dans notre culture, notre société, nos responsabilités diverses ? Paul nous mâche le travail en résumant ce processus de transformation en quelques versets, vers la fin de sa lettre aux chrétiens de Rome.

Paul a longuement rappelé le cœur de la foi chrétienne : le pardon de Dieu, immérité, offert à tous, pour offrir un nouveau départ, la promesse d’une vie nouvelle, indestructible parce que nourrie de son Esprit. Il en arrive maintenant aux conséquences : à quoi ressemble une vie reconnectée à Dieu ? Il y consacre plusieurs chapitres, en s’attardant sur des domaines particuliers (dans l’église, face aux autorités, en situation de conflit, etc.) mais les tout premiers versets, que nous allons lire maintenant, résument le principe général que Paul va décliner ensuite.

Lecture biblique : Lettre de Paul aux Romains 12.1-3

1 Frères et sœurs, puisque Dieu a ainsi manifesté sa bonté (ses compassions) pour nous, je vous exhorte à offrir votre corps en sacrifice vivant, qui appartient à Dieu (saint) et qui lui est agréable. C’est là le véritable culte conforme à la parole de Dieu. 

2 Ne vous conformez pas aux habitudes de ce monde, mais laissez-vous transformer par le renouvellement de votre mentalité. Vous discernerez alors ce que Dieu veut : ce qui est bien, ce qui lui est agréable et ce qui est parfait.

3 À cause du don que Dieu m’a accordé dans sa bonté (compassion), je le dis à chacun de vous : ne vous prenez pas pour plus que vous n’êtes, mais ayez une idée juste de vous-même, chacun selon la part de foi que Dieu lui a donnée. 

Paul exhorte – il n’invite pas, il supplie ! – ceux qui aiment le Christ à vivre autrement, et comme je le disais, il parlera ensuite de situations précises. D’abord, je vais lever quelques ambiguïtés, parce que Paul veut marquer les esprits, et du coup il utilise des mots forts, parfois en changeant le sens.

Verset 1 : notre vie comme un culte

Commençons par le commencement : c’est à cause des compassions de Dieu que nous sommes appelés à changer. La compassion de Dieu, c’est sa capacité à nous aimer quand nous n’en sommes pas dignes, sa tendresse, sa patience, son pardon – révélé dans le don de sa vie pour nous en Christ, qui a pris sur lui toutes nos indignités pour qu’on n’en parle plus, qu’elles ne pèsent plus sur nous et sur notre relation avec Dieu. Ces indignités, elles l’ont écrasé jusqu’à la mort, mais il est revenu à la vie, ouvrant la promesse d’un nouveau départ avec Dieu, pour une vie indestructible. Parce que Dieu nous a aimés et s’est donné pour nous en Christ, alors nous sommes appelés à nous donner à lui. Ce n’est pas dans l’autre sens : on ne change pas pour plaire à Dieu, mais parce que Dieu nous aime.

En réponse à l’amour de Dieu, nous sommes invités à nous offrir comme un sacrifice vivant. Un sacrifice, vivant ? Oui, si Jésus se donne pour nous donner la vie, ce n’est pas pour qu’on se tue ou qu’on se mortifie ! Jésus fait tout pour nous faire entrer dans la joie, la liberté, la beauté de la vie avec Dieu. Paul parle de sacrifice parce qu’à son époque, c’était le cœur de la religion, qu’on soit Juif ou polythéiste. La façon de bien faire le sacrifice, le bon protocole, pour être sûr de plaire au dieu. Toute la dimension du culte, son rituel, ses participants, était extrêmement codifiée – pour être sûr de bien faire. Pensez par exemple à ceux qui nettoient les blocs d’opération dans les hôpitaux : c’est extrêmement codifié, parce que l’enjeu est essentiel ! Si Dieu est Dieu, on veut faire de son mieux ! Et puis on a peur de lui, il est puissant, donc il vaut mieux bien faire.

On trouvait différentes sortes de sacrifices : pour demander pardon, pour remercier, pour faire un cadeau, par amour. On pouvait offrir une bête, ou de la farine, de l’huile, du vin, des gâteaux… En gros, on prenait ce qu’on avait de précieux pour le donner à Dieu.

De quel sacrifice Paul parle-t-il pour nous ? Le sacrifice pour demander pardon, pour réparer, pour payer les dettes, c’est Jésus qui l’a accompli, en troquant sa justice contre nos injustices : efficacité parfaite, garantie, une fois pour toutes, pour toute personne qui lui fait confiance. Donc si on garde l’image du sacrifice, il nous reste l’offrande, qu’on donne en remerciement, en cadeau.

Qu’offrir en cadeau à Dieu ? Paul cite notre corps – étrange ! Nous sommes tellement plus que notre corps ! En fait, notre corps c’est la partie de nous qui agit, qui est ancrée dans la réalité, que l’on voit, entend, touche, et qui a un impact sur les autres. C’est nos paroles, nos écrits, nos postures, notre regard, nos actions, nos choix, nos votes… C’est nous dans ce que nous avons de plus concret, de présent dans le monde, en relation avec l’autre : une façon de dire que Dieu désire bien plus qu’un petit merci de temps en temps dans un coin de notre tête. Pour répondre à son amour total, nous sommes exhortés à offrir toute notre vie comme un cadeau à Dieu, dans ses grands moments, comme dans les instants ordinaires. Et c’est ça le vrai culte, la vraie façon d’honorer Dieu.

Les Protestants, en quittant le catholicisme, ont changé le nom du rassemblement du dimanche : au lieu de parler de messe, on a parlé de culte. Pourquoi pas ! Mais ça donne l’impression que le culte, c’est-à-dire le moment où on honore Dieu, c’est le dimanche matin, dans un bâtiment, avec un certain nombre de personnes, des chants, des prières, des réflexions sur l’Ecriture. Ce moment de rassemblement fait partie du culte, oui, puisque nous honorons Dieu en le célébrant et nous mettant à son écoute ensemble – mais c’est juste un aspect ! LE culte, c’est notre vie. Au travail, au lycée, au sport, à la maison, dans les transports, sur les réseaux, avec les voisins, dans les magasins, voilà où se déroule LE culte : notre vie, 7 jours sur 7, 24h sur 24, toute notre vie confiée à Dieu parce que lui nous a aimés de tout son cœur.

Versets 2-3 : un quotidien transformé

Et ce culte, cette offrande qui honore Dieu, ce témoignage vivant de notre reconnaissance pour son amour vertigineux, c’est un quotidien transformé, un quotidien qui reflète ce que Dieu aime.

Dans ce processus, il y a deux phases : une part de rejet, et une part d’adhésion. On arrête certaines choses pour en faire de nouvelles. Et Paul oppose deux grandes directions : les habitudes d’un monde qui ne fait plus place à Dieu, et ce que Dieu propose comme bon, beau, agréable et parfait. L’idée ici, c’est de résister aux pressions de la société (hier comme aujourd’hui) pour tirer notre inspiration de Dieu, si on veut refléter ce que Dieu aime.

Être transformé, ça vient de metamorpheo en grec, qui a donné métamorphose en français : une transformation profonde, qui ne veut pas dire qu’on devient quelqu’un d’autre mais qu’on s’exprime sous une autre forme, plus aboutie, plus belle – l’image courante, c’est celle de la chenille qui devient papillon. Et c’est le verbe qui est utilisé pour parler de la transfiguration de Jésus, sur la montagne avec ses disciples, quand il devient tellement lumineux qu’il ressemble à un ange. Laissez-vous, laissons-nous, transfigurer… illuminer (dans le bon sens), inspirer par la pureté de Dieu…

Et pour que notre corps, visible, soit transfiguré, cela commence dans notre intériorité, notre mentalité, nos façons de pensées, nos motivations, nos valeurs : le moteur invisible qui nous fait aller dans telle ou telle direction. Si notre intériorité ne change pas, la transformation n’est qu’extérieure et artificielle, comme un mur humide qu’on repeint sans l’avoir assaini : c’est beau quelque temps, mais ça ne dure pas. Si nous voulons que notre vie visible reflète la lumière de Dieu, il faut que cette lumière se répande dans notre intériorité et l’assainisse.

C’est essentiel de le rappeler, de peur qu’on imagine que le monde et ses tentations sont la cause de tous nos maux : oui, il y a des dysfonctionnements dans la société, mais la tentation n’est néfaste que parce que j’y cède. Jésus a été tenté, a fréquenté toutes sortes de milieux, sans jamais céder au mal – il avait un cœur pur. Inversement, si notre cœur est abîmé, même la situation la plus innocente peut dégénérer.

Je reçois beaucoup d’une anecdote de la vie de saint Jérôme : chrétien citadin du 4e siècle ap. J.-C., il est connu pour avoir traduit en latin l’Ancien Testament. Il était moine, c’était un érudit incroyable. Et SJ raconte que le pire moment de tentation dans sa vie, ce n’était pas à Rome au milieu des excès de la vie païenne, ce n’était pas dans la vie communautaire où les susceptibilités s’entrechoquent, c’est dans sa période ermite, lorsqu’il a vécu seul, à l’écart de tout : là, il a ressenti profondément le vertige de son cœur abîmé et déformé.

Evidemment, entre un cœur abîmé et un monde abîmé, la rencontre est explosive. D’autant plus que « le monde », oubliant Dieu, nous invite à laisser libre cours à notre cœur sans contrainte, à notre recherche de profit, à notre quête de jouissance à tout prix, à nos droits au détriment des autres, à notre course en avant du plus, plus, plus qui écrase et les autres et nous.

Dieu nous invite, non pas à changer le monde à la force de nos bras, mais à laisser Dieu réparer et transfigurer notre cœur pour que nous avancions différemment dans ce monde abîmé en y répandant sa lumière.

Marcher dans le monde, sans être empêtré dans les marasmes du monde… Il ne s’agit pas de devenir ascètes ou ermites (St Jérôme a prouvé que se retirer du monde ne suffit pas !), mais de vivre avec discernement, pour choisir ce qui est bon, agréable à Dieu, bienfaisant, beau, juste, vrai, pacifique, constructif.

Evidemment, à chaque époque et dans chaque culture, il y a des éléments contraires à ce que Dieu, et d’autres alignés sur ses projets. Par exemple, aujourd’hui, que peut-on voir autour de nous qui soit aligné sur Dieu ?

Je vous propose quelques éléments de mon point de vue, peut-être que vous ne serez pas d’accord… je vois du bon dans certaines valeurs promues aujourd’hui : la solidarité, le respect de l’environnement, la lutte contre le racisme ou l’exclusion, l’intention de voir la valeur des personnes hors normes ; dans les sciences : l’exigence d’une certaine rigueur de pensée, les progrès techniques lorsqu’ils sont utilisés pour construire et guérir ; dans les pédagogies, plus inclusives ; dans l’art, quand il nous connecte à ce qu’il y a de beau, d’authentique, de profond, dans l’humanité.

Dieu nous propose ainsi une éthique en construction. C’est plus facile de mettre des règles, rigides, valables partout et tout le temps pour tout le monde en disant « ça c’est bien, et ça c’est mal »… Mais Dieu n’est pas rigide et uniforme : il s’adapte à nous par amour, et il nous demande de nous adapter, par amour, à l’autre. Certaines choses autour sont bonnes, d’autres assurément mauvaises (on n’assassine pas, point) mais au milieu, il y a des choses neutres qui peuvent basculer d’un côté ou de l’autre, comme l’intelligence artificielle, ou des situations tellement abîmées qu’on doit choisir la moins mauvaise solution (p. ex. les personnes qui ont menti pour protéger des Juifs pendant la 2WW : il fallait discerner où est la priorité).

Si on avait un mode d’emploi à suivre, ce serait facile, et ce serait entre nos mains. Mais Dieu, en nous proposant une éthique de sagesse et d’amour, nous fait toucher du doigt que ce n’est pas si simple, et que nous sommes obligés de dépendre de lui. Si lui ne nous inspire pas, ne renouvelle pas constamment notre façon de voir les choses par sa Parole et son Esprit, nous sommes perdus !

Donc dans notre transformation, il y a une part de décision : être prêt à se laisser travailler, à rejeter ce qui ne plaît pas à Dieu, à résister aux tentations, ET il y a une immense part de confiance, de dépendance, de disponibilité envers Dieu pour qu’il nous montre le chemin, aujourd’hui, là où nous sommes.

Et le verset 3 ? Il fait la transition vers la suite, au sujet des relations dans l’église, mais je l’ai gardé parce que l’avertissement est tellement pertinent : personne ne peut imaginer qu’il maîtrise la vie chrétienne, qu’il a atteint le niveau de bonté qui reflète la bonté de Dieu – qui que nous soyons, quel que soit notre parcours, nous avons tous infiniment besoin que Dieu nous transfigure, que sa lumière inonde notre cœur assombri et se répande généreusement autour de nous.