Un Dieu tendre et fidèle… comme une mère

Lecture biblique : Esaïe 49.14-16

Nous sommes dans le contexte de l’exil à Babylone. Le peuple de Juda est loin de son pays, déporté loin du pays de la promesse. Il y a forcément chez eux un sentiment d’abandon, de désespoir : Dieu a jugé son peuple, il l’a abandonné.

Mais Dieu répond par le biais de son prophète et veut rassurer son peuple. Non, il ne l’a ni oublié ni abandonné. Et pour l’exprimer, il utilise un langage imagé très fort… et surprenant. Il compare Dieu à une mère allaitant son bébé, une mère qui ne peut oublier son enfant. « Même si elle l’oubliait, moi je ne t’oublierai jamais. »

Dieu est aussi notre mère !

Arrêtons-nous sur cette métaphore étonnante de Dieu sous la forme d’une mère. Quand on y pense, c’est surprenant… pour un Dieu qu’on a l’habitude d’appeler Père !

L’image traditionnelle de Dieu, ce serait plutôt celle d’un vieillard à la barbe blanche… Toute caricaturale qu’elle soit, elle peut véhiculer l’idée de sagesse et d’éternité. Mais à en croire Esaïe, l’image d’une mère allaitant son bébé est tout aussi pertinente pour évoquer Dieu.

Ca me fait penser au roman, bestseller paru il y a quelques années, de Paul Young : « La Cabane ». Dans ce livre, un homme rencontre Dieu dans une cabane, ou plutôt la Trinité, sous une forme corporelle inhabituelle : le Père est une femme afro-américaine, le Fils un homme du Moyen-Orient et le Saint-Esprit une petite femme asiatique. C’est un roman, pas un ouvrage théologique… Et même si ce n’est pas un chef d’oeuvre de la littérature, j’ai bien aimé ce livre qui apporte une lumière originale sur la question de la Trinité. N’en déplaise à tous ceux qui ont tiré à boulets rouges sur son auteur, accusé d’hérésie !

En tout cas, il y a quand même quelques textes dans la Bible, dont celui d’Esaïe, qui troublent l’image traditionnelle, et paternaliste, de Dieu. Et c’est tant mieux ! Dieu n’est pas, à proprement parlé, masculin ou féminin. Ou alors, d’une certaine façon, il est les deux. N’oublions pas que dans la Genèse, c’est en tant qu’homme et femme que l’être humain a été créé à l’image de Dieu…

Dieu est toujours plus grand, plus complexe que ce que nous pouvons en dire. Tout ce que nous pouvons savoir sur Dieu est forcément partiel. Comment pourrait-il en être autrement d’un être infini ? Permettez-moi de vous le dire : vous ne savez rien ! Vous n’avez rien compris… ou si peu ! Mais c’est normal… moi aussi !

Laissons-nous donc simplement interpeller par cette métaphore de Dieu comme une mère. Elle souligne deux attributs de Dieu : la tendresse et la fidélité.

La tendresse de Dieu

« Est-ce qu’une femme oublie
le bébé qu’elle allaite ?
Est-ce qu’elle cesse de montrer sa tendresse
à l’enfant qu’elle a por
té ? »

L’amour de Dieu est comparé à la tendresse d’une mère pour son enfant. Une image incroyablement intime. Et de fait, quand la Bible parle de manière imagée de l’amour de Dieu, elle prend des métaphores très intimes : l’amour d’un père ou d’une mère pour ses enfants ou l’amour d’un mari pour sa femme…

Notre compréhension de l’amour de Dieu ne doit pas se contenter de bons sentiments, pour le « bon Dieu » qui-aime-tout-le-monde-et-qui-pardonne-à-tout-le-monde. Dans l’histoire biblique, l’amour de Dieu s’est manifesté dans des actes concrets : la promesse d’une descendance à Abraham, la sortie d’Egypte des Hébreux, l’entrée dans le pays promis, le retour après l’exil et, bien-sûr, la venue du Fils de Dieu sur terre.

L’amour de Dieu pour nous est un amour vrai et authentique, qui ouvre sur une relation personnelle et intime avec lui. L’amour de Dieu est protéiforme. Ici, c’est son aspect tendre qui est souligné. Voilà qui donne l’image d’un Dieu réconfortant, consolateur, rassurant. L’image nous pousse à une intimité avec Dieu. A nous mettre dans la position du bébé qui allaite dans les bras de sa mère : le bonheur absolu pour un bébé !

La fidélité de Dieu

« Même si elle l’oubliait,
moi je ne t’oublierai jamais.
Vois, j’ai écrit ton nom
sur la paume de mes mains.
Je pense sans arrêt à tes murs de dé
fense. »

Dans des conditions normales, une mère n’abandonne pas son enfant, elle ne l’oublie jamais. Malheureusement, on sait que cela peut arriver… Alors Dieu va plus loin. Il envisage même cette possibilité pour dire que lui, ne le fera jamais. La fidélité de Dieu est sans faille.

Le peuple de Juda était pourtant en droit de se le demander. Rappelons qu’ils sont en exil, déportés du pays que Dieu leur avait promis. Bon, ils en étaient responsables, de par leur infidélité à Dieu. Et dans l’affirmation du verset 14, il n’y a pas forcément de reproche. Peut-être simplement un constat amer : « Le SEIGNEUR m’a abandonnée, mon maître m’a oubliée. » Sous-entendu : « on l’a bien mérité ! »

Mais Dieu n’est pas de cet avis. Il a encore des projets en réserve pour son peuple, parce que même s’ils sont infidèles, lui reste fidèle. Et à l’image du peuple d’Israël dans la Bible, nos vies sont faites aussi d’infidélités, d’oublis du Seigneur et de mauvais choix avec des conséquences parfois néfastes. Nous aussi nous pouvons nous dire parfois : « Le SEIGNEUR m’a abandonné, mon maître m’a oublié. » Et même ajouter : « je l’ai bien mérité ! »

Mais la promesse demeure : « Je ne t’oublierai jamais ». D’autant qu’elle a été renouvelée par Jésus : la parabole dite de l’enfant prodigue ne dit pas autre chose !

Si Dieu est fidèle, c’est parce qu’il nous aime. Comme le père de l’enfant prodigue, comme la mère qui s’occupe de son bébé. C’est parce qu’il s’est engagé par alliance avec nous. Le baptême est un signe que Jésus nous a laissé pour être signe de cette alliance. Un signe que nous posons au début de notre vie chrétienne, pour ne pas oublier. Pour se souvenir aussi que Dieu n’oubliera jamais. Témoin de notre engagement, il s’engage à nos côtés.

Conclusion

En guise de conclusion, je terminerai avec une exhortation :

Ne vous enfermez pas dans vos certitudes sur Dieu et laissez-vous surprendre par lui, à travers la Bible. Recherchez sa présence comme le bébé recherche la présence de sa mère, et vivez de sa tendresse et sa fidélité.




Vivre à l’image de Dieu

Je vous invite à méditer ce matin un des textes du jour, dans le livre du lévitique, ch.19. Le livre du Lévitique ne fait pas partie des passages que nous lisons le plus souvent… En effet, il rassemble pour l’essentiel des lois que Dieu a données au peuple d’Israël après les avoir fait sortir d’Egypte, des lois qui concernent en grande partie le rituel, les sacrifices et la vie des prêtres. Du coup, pour nous chrétiens, comme ce système de temple et de sacrifices a été aboli, ces lois paraissent un peu lointaines. Cependant, il y a aussi dans ce livre un certain nombre de lois concernant le peuple et les règles à suivre pour vivre ensemble d’une manière qui plaise à Dieu. En cela, le lévitique, comme tout livre biblique, nous révèle ce que Dieu aime, quelles sont ses valeurs et du coup, son caractère. Au cœur de cet ensemble de lois et de commandements, c’est le Dieu de la vie qui parle à son peuple, et dans ces paroles que Dieu adresse aux croyants, nous trouvons des vérités permanentes qui se prolongent dans l’Evangile et qui nous éclairent encore aujourd’hui.

Le chapitre que nous méditerons ce matin est particulièrement important, car il est cité de nombreuses fois par Jésus et par les apôtres. Je ne vais pas tout lire, car il est un peu long, mais je tiendrai compte de l’ensemble du passage dans la méditation.

Lecture : Lévitique 1-5, 9-18, 32-37

La sainteté : être image de Dieu

Cet ensemble de lois, suivi d’autres commandements dans les chapitres suivants, découle d’une exigence que Dieu formule au tout début de son discours : Soyez saints (v.2). Au cœur de ce que Dieu demande à son peuple se trouve la sainteté. Toutes les lois qui suivent sont des concrétisations de cet appel à la sainteté si chère à Dieu.

Les croyants sont appelés à être saints, et cet appel retentit dans toute la Bible, autant dans l’Ancien Testament que dans l’évangile, puisque Jésus, dans le sermon sur la montagne, n’hésite pas à dire aux disciples : soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait. La référence de Jésus au texte du Lévitique est évidente.

Comment être saint, comment devenir parfait ? Vous l’avez peut-être remarqué, Dieu motive son exigence ainsi : soyez saints parce que je suis saint. Par ailleurs, il y a comme un refrain dans notre texte : faites ceci, faites cela, parce que je suis Dieu, je suis votre Seigneur. La source de notre sainteté est en Dieu seul. Le modèle, la motivation, le but de la sainteté : c’est Dieu.

Dans la Bible, la sainteté vient de Dieu seul. La seule personne au monde à être sainte, c’est Dieu, créateur du monde, maître de l’univers, lui dont la justice et la bonté ne connaissent aucune faille. Aucun être, rien ni personne ne peuvent prétendre à posséder ou à obtenir cette qualité par eux-mêmes : le seul à être saint, c’est Dieu. La sainteté, c’est sa marque de fabrique, sa signature.

Si Dieu seul est saint, est-ce que nous pouvons y arriver, nous, misérables petits humains, faibles, limités et un peu tordus ? C’est là que le sens du mot « saint » nous échappe parfois : dans la Bible, Dieu est saint, certes, mais est saint tout ce qui lui appartient. Tout ce qui est proche de Dieu, tout ce qui est exposé à sa sainteté pour ainsi dire, finit par recevoir son éclat particulier, sa signature. Être saint, c’est appartenir à Dieu, faire partie de son cercle de proches, et porter son emblème, ses valeurs, ses projets, ses goûts. Etre saint, pour le dire autrement, c’est s’exposer à Dieu au point de lui ressembler peu à peu, de devenir, en quelque sorte, son image. Ca vous rappelle peut-être quelque chose : à la création, Dieu crée l’homme à son image, à sa ressemblance, pour que l’homme représente Dieu dans la création, qu’il transmette à son tour ce qu’il reçoit de Dieu.

La sainteté, c’est appartenir à Dieu. Mais elle ne se décroche pas par des efforts, par des techniques de renoncement à soi, par des sourires figés en toute circonstance ou au terme d’un parcours sans faute : la sainteté, aucun homme ne peut l’obtenir de lui-même. C’est un don. Dieu le dit à la fin de notre texte : c’est moi le Seigneur, votre Dieu, qui vous ai rachetés d’Egypte. C’est moi qui suis venu vous chercher pour vous rapprocher de moi, pour vous adopter, et je vous offre cette chance d’être mes fils et mes filles, portant mon emblème sur la terre.

Cette adoption de Dieu qui nous permet d’être proches de lui et de retrouver notre vocation à être images de Dieu sur la terre, cette adoption est concrétisée en partie lorsqu’Israël est libéré d’Egypte à grands renforts de miracles, mais elle est pleinement réalisée lorsque Dieu nous adopte en Jésus-Christ, nous libérant du mal et de l’orgueil qui nous séparaient de Dieu. En Christ, nous devenons fils et filles de Dieu, nous sommes invités à vivre dans l’intimité de Dieu, et à retrouver notre vocation à être saints, à être des représentants du Dieu vivant.

La sainteté, un style de vie

Justement, comment la sainteté se met-elle en œuvre dans notre vie ? Le texte que nous avons lu dresse un tableau foisonnant qui mélange joyeusement tous les domaines de la vie. A première lecture, on a même l’impression que ces lois vont dans tous les sens et qu’il manque un peu de cohérence. Ainsi, dans ce seul chapitre, on trouve des commandements qui règlent le domaine rituel (quand et comment faire des sacrifices), le domaine spirituel (le respect du sabbat – jour de repos où l’on prend du temps pour Dieu –, le refus des idoles et le rejet des pratiques païennes), le domaine des relations (en famille : avec les parents et les enfants, au travail avec les ouvriers, les conflits au sein du peuple, l’attitude à avoir envers les personnes affaiblies /sourds, aveugles, personnes âgées/ et envers les défavorisés – pauvres ou immigrés), il y a même des commandements pour la culture des arbres fruitiers ou pour le tissage des vêtements !

Sans rentrer dans le détail de chaque commandement qu’il serait intéressant d’étudier en soi, je vous propose de rester à un niveau général et de nous pencher sur la dynamique globale du texte. Il me semble que cet ensemble de lois nous montre un principe fondamental, qui a dû révolutionner la mentalité des Israélites et qui remet aussi en question nos préjugés : la sainteté se vit en toutes circonstances. C’est un style de vie, une attitude globale qui se décline de telle ou telle manière selon les situations particulières, mais qui concerne toutes les situations.

La sainteté à laquelle Dieu appelle les croyants ne se limite pas à un lieu (le temple), à un moment (le sabbat) ou à un groupe (les prêtres), mais elle doit caractériser toute la vie de la communauté, partout et tout le temps. Alors c’est vrai que dans l’Ancien Testament Dieu donne des repères pour commencer : il faut être au minimum saint au temple, lors du sabbat ou quand on est prêtre, parce qu’ils sont tournés vers Dieu. Cependant, vous voyez que la sainteté ne se cantonne pas à ces lieux, à des moments ou à des groupes, mais que tout le peuple est en réalité appelé à vivre de manière sainte en toutes circonstances.

Les lois que Dieu énonce ne constituent pas un parcours bien défini pour devenir plus saint, des tâches qu’il faudrait accomplir pour décrocher un titre et arriver sur le podium ! C’est Dieu qui prend l’initiative de nous rapprocher de lui, de nous rendre saints par contagion, et ces lois sont plutôt des pistes concrètes pour vivre cette ressemblance avec Dieu. La sainteté se reçoit d’abord dans notre relation avec Dieu, et transforme ensuite notre vie tous azimuts : dans notre manière de travailler, d’être en famille, de rendre un culte à Dieu, dans notre entourage, dans la société, dans la politique même. La sainteté, c’est d’être proches de Dieu qui nous remet en phase avec notre vocation à être ses représentants, et ensuite ça se concrétise de mille et une manières dans notre quotidien.

Consécration, justice et amour

Etre saint, c’est ressembler à Dieu, c’est vivre à son image, c’est adopter ses valeurs comme style de vie. Soit, mais quels principes généraux suivre pour ressembler à Dieu, concrètement? Le texte que nous avons lu donne quelques pistes.

La première étape, c’est la consécration. Se consacrer à Dieu, c’est décider de le prendre pour modèle, tel qu’il se révèle dans sa Parole et en Jésus-Christ, son Fils devenu homme. Se consacrer à Dieu, c’est mettre Dieu au centre de notre vie : nourrir notre relation avec lui, puiser en lui notre force, notre espérance, notre vision du monde. C’était le sens du sabbat à respecter, jour hebdomadaire où le croyant se rappelle que sans Dieu il ne peut pas vivre, et qui se tourne vers lui pour se mettre à son écoute et se replacer devant lui. A nous de trouver des moments pour nous tourner vers Dieu et nous exposer à lui pour apprendre à lui ressembler.

Se consacrer à Dieu c’est aussi renoncer à ce qui compromet notre relation avec lui, comme par exemple le fait de mélanger des croyances issues de différentes religions pour se faire sa propre spiritualité. Dans ce cas-là, on n’est plus en relation avec Dieu, on ne cherche plus à le connaître lui, tel qu’il est, mais on plaque sur lui ce qui nous arrange. Chercher le Dieu saint, c’est la première étape de la sainteté : vivre de plus en plus près de lui, se laisser enseigner par lui et se laisser transformer à son image.

Ensuite, il me semble que deux grands principes caractérisent les mises en œuvre de la sainteté. D’abord, le croyant qui ressemble à Dieu est appelé à être juste. La justice s’exprime dans notre texte de multiples manières : dans l’honnêteté commerçante (sans tricher sur les poids – factures p.ex.), dans le refus de la corruption (faux témoignages, pots de vin), dans le refus de profiter du faible (se moquer du sourd, l’aveugle, retarder le salaire de l’ouvrier intérimaire, les enfants, les personnes âgées), dans le refus aussi des préjugés et des partis pris. Je trouve ce commandement étonnant, au v.15 : ne favorisez pas les gens puissants, c’est-à-dire ne vous laissez pas corrompre. Mais, ne favorisez pas non plus les pauvres : jugez l’affaire sans parti pris. Ce commandement me fait réfléchir, surtout dans une société qui a tendance à vite juger, à distribuer les sentences en fonction des apparences. Dieu nous appelle à être justes, sages, à chercher la vérité en toute clarté, en toute honnêteté.

L’autre caractéristique, qui va de pair avec la justice, c’est l’amour. L’amour, commandement unique du christ qui nous appelle à aimer comme il nous a aimés, l’amour du prochain auquel Jésus et les apôtres nous invitent si souvent, l’amour de l’autre vient de ce chapitre (cf. Mt 22). Et ce chapitre est le seul à mentionner l’amour de l’autre dans tout le livre du Lévitique, et il le fait deux fois, v.18 tu aimeras ton prochain comme toi-même, et v.34 tu aimeras l’étranger comme toi-même. L’amour, dans la Bible, ce n’est pas un sentiment qu’on ressent un peu malgré soi, qui va et qui vient, en fonction des goûts ou des atomes crochus, mais c’est une attitude qu’on choisit d’avoir. Dieu nous appelle à aimer celui qui nous ressemble, notre prochain, et à aimer celui qui nous est étranger, qui nous effraie, qui nous remet en question.

Comment Dieu définit-il l’amour ici ? v.17 Refuser d’envenimer les conflits avec le prochain, refuser de se laisser guider par la colère ou l’amertume, mais, malgré la colère ou la souffrance, œuvrer à la réconciliation en allant le voir pour exposer le problème et trouver une solution. Aimer l’autre, c’est aussi lui venir en aide, avec générosité – p. ex. dans l’ancien temps, c’était laisser au pauvre ou à l’immigré de quoi manger en récupérant les restes des récoltes.

Dieu nous appelle à être à son image : justes, mais en arrondissant les angles, en faisant le premier pas, en favorisant activement le bien et la paix. Non pas une justice campée sur ses principes qui reste loin, mais une justice qui se met en 4 pour aider chacun, quelle que soit sa position sociale, ses origines, ses compétences, ses relations, pour aider chacun à avancer et à progresser.

Ces deux principes, justice et amour, tournent nos yeux vers le Christ, lui qui a révélé pleinement la justice de Dieu, sa colère face au mal, lui qui a révélé pleinement l’amour de Dieu, dépassant sa colère, lui qui était parfait et qui a délibérément endossé notre culpabilité face à Dieu, prenant l’initiative pour que nous soyons pardonnés et vivants, réconciliés avec Dieu pour recevoir de lui la vraie vie. Par Jésus-Christ, nous sommes rapprochés de Dieu pour toujours, reconnectés à lui dans son Esprit, réintégrés dans cette relation avec Dieu qui nous rend capables de répondre à notre vocation : être images de Dieu sur la terre, transmettre ce que nous voyons en lui, une justice éclatante de vérité, et un amour débordant.

 




Ceci n’est pas un jeûne !

Lecture biblique : Esaïe 58.1-10

En relisant ce texte, j’ai pensé à ce tableau du peintre belge surréaliste René Magritte :

« Ceci n’est pas une pipe ! »

On pourrait dire un peu la même chose ici : « Ceci n’est pas un jeûne ». Et c’est étonnant… Parce que tout à l’air d’être un jeûne. Tous les jours, le peuple consulte le Seigneur. « Ils ressemblent à un peuple qui respecte la justice et qui n’abandonne pas la loi de son Dieu. » (v.2)

Et pourtant, le Seigneur dit :
« Pencher la tête comme un roseau,
mettre un habit de deuil,
se coucher dans la poussière,
est-ce que vous appelez cela un jeûne,
un jour qui me pla
ît ? » (v.5)

Ah bon ? Qu’est-ce que jeûner, sinon s’abstenir de manger pour prier ? Bref, courber la tête comme un roseau… Et quand Esaïe décrit le jeûne qui plaît à Dieu, à partir du verset 6, l’étonnement se poursuit : il ne fait mention ni du fait de s’abstenir de nourriture, ni même de prier !

Ceci n’est pas un jeûne…

Deux problèmes

Il y a donc quelque chose qui cloche… Malgré les apparences, le jeûne que le peuple d’Israël pratiquait n’était pas perçu comme tel par le Seigneur. Quel est donc le problème ?

Une vision utilitaire du jeûne et de la piété

On trouve un premier indice dans les paroles que le prophète met dans la bouche du peuple lui-même et qui sonnent comme des reproches adressés au Seigneur :
« Pourquoi jeûner si tu ne le vois pas ?
Pourquoi nous faire petits si tu ne le remarques pas ? » (
v.3)

En d’autres termes, à quoi ça sert de jeûner, si on n’obtient pas du Seigneur ce qu’on attend de lui ?

C’est une vision utilitaire du jeûne, et de la pratique religieuse en général. Le jeûne devient presque une grève de la faim, un moyen de pression sur Dieu. Il faut que notre pratique religieuse nous apporte quelque chose, qu’elle soit rentable. A quoi ça sert, le jeûne ? A quoi ça sert, de prier ? Mais on ne prie pas parce que ce serait utile… on prie d’abord pour être en relation avec le Dieu qui nous a créé et qui nous a sauvé !

Cette logique utilitaire, de rentabilité, de performance, fait curieusement écho à notre société occidentale moderne.

Et nous baignons dans cette mentalité. Pas sûr du tout que nous en soyons indemnes… Il ne fait pas de doute qu’une optique consumériste pollue notre foi. On papillonne d’église en église, parce que la prédication n’est pas assez ceci ou la louange pas assez cela. On n’est pas contents parce qu’on ne pense qu’à ce qu’une Église nous apporte sans se demander ce que nous pouvons lui apporter. On évalue nos activités avec les seules logiques d’efficacité et de performance, en oubliant un peu facilement la gratuité et le don de soi.

Une rupture entre la pratique religieuse et la vie quotidienne

Et ce n’est pas tout, il y a un autre problème : le jeûne était déconnecté de la vie quotidienne. Sans sourciller, le peuple jeûnait tout en se montrant dur envers leurs ouvriers ou en se disputant violemment avec les autres.

C’est comme si la piété pouvait être déconnectée de la vie de tous les jours. Comme si la pratique religieuse était tout ce qui intéressait le Seigneur. Comme s’il suffisait de prier correctement, ou mieux encore, de jeûner, pour que le Seigneur ferme les yeux sur les pratiques contestable du reste de notre vie. Vous pouvez être violent, injuste, infâme au quotidien mais si vous jeûnez, si vous allez à l’Église le dimanche, si vous priez en public, alors tout va bien…

Ce n’est évidemment pas la vision de notre texte. Le verdict est clair :
« Ce n’est pas en jeûnant de cette manière
que vous ferez entendre votre voix là-haut. » (
v.4)

Une solution : le jeûne qui plaît à Dieu

Alors, finalement, qu’est-ce que Dieu attend vraiment ?

« Voici le jeûne qui me plaît:
libérer les gens enchaînés injustement,
enlever le joug qui pèse sur eux,
rendre la liberté à ceux qu’on écrase,
bref, supprimer tout ce qui les rend esclaves.
C’est partager ton pain avec celui qui a faim,
loger les pauvres qui n’ont pas de maison,
habiller ceux qui n’ont pas de vêtements.
C’est ne pas te détourner de ce
lui qui est ton frère. » (v.6-7)

Ni prière, ni pratique religieuse. Le jeûne qui lui plaît, c’est le partage, la solidarité. Ça n’exclut aucunement la prière, bien-sûr. Mais une prière qui est prélude à l’action et pas coupée du reste de notre vie.

C’est le contraire d’un jeûne utilitaire, centré sur soi, ses attentes et ses besoins. C’est un jeûne qui ouvre sur les autres, les besoins de notre prochain, de celui qui est prisonnier, qui a faim ou qui est nu. Le jeûne qui plaît à Dieu, c’est celui qui nous décentre de nous-mêmes pour nous ouvrir sur notre frère et notre soeur.

Le jeûne, c’est le renoncement

Il reste une question : pourquoi Esaïe appelle-t-il cela un jeûne ? Est-ce simplement une façon d’évoquer ce qui doit accompagner la pratique du jeûne ou y a-t-il autre chose ? Est-ce que la pratique active du partage et de la solidarité serait aussi une forme de jeûne ?

Jeûner, ce n’est pas simplement sauter un ou deux repas… C’est se priver de quelque chose, pour se placer en toute humilité devant Dieu. C’est ainsi se faire petit devant le Seigneur pour reconnaître notre dépendance de lui. Au coeur du jeûne, il y a le renoncement. Or, justement, le partage et la solidarité sont une expression de ce renoncement. Parce qu’ils nous décentrent de nous-mêmes et nous ouvrent à notre prochain.

On est aux antipodes d’une logique utilitaire et consumériste. Dans notre société matérialiste, la notion de jeûne prend une ampleur particulière. Et ce texte d’Esaïe nous interpelle bien plus qu’une simple invitation à sauter un repas de temps en temps pour prier. De quoi sommes-nous prêts à nous priver pour nous ouvrir à Dieu et aux autres ?

L’exemple suprême de ce renoncement, évidemment, c’est Jésus-Christ. Ces paroles de l’épître de Paul aux Philippiens peuvent être rappelées ici :

« Ne cherchez pas votre intérêt à vous, mais cherchez l’intérêt des autres.
Entre vous, conduisez-vous comme des gens unis au Christ Jésus.
Lui, il est l’égal de Dieu, parce qu’il est Dieu depuis toujours. Pourtant, cette égalité, il n’a pas cherché à la garder à tout prix pour lui. Mais tout ce qu’il avait, il l’a laissé. Il s’est fait serviteur, il est devenu comme les hommes, et tous voyaient que c’était bien un homme. Il s’est fait plus petit encore: il a obéi jusqu’à la mort, et il est mort sur une croix ! » (Philippiens 2.4-8)

Non seulement il a renoncé à la gloire céleste mais il a renoncé à sa vie, il s’est fait notre serviteur jusqu’à sa mort sur la croix.

Conclusion

Ceci n’est pas un jeûne ! Malgré l’apparence de la piété, le peuple d’Israël auquel le prophète s’adresse ne pratiquait pas le jeûne qui plaît à Dieu. Il faut se méfier des contrefaçons…

D’une certaine façon, on peut se priver de nourriture pour prier et ne pas vraiment jeûner. De même, on peut manger, ne pas prier et pourtant, d’une certaine façon, jeûner. C’est vrai dans la mesure où jeûner, c’est avant tout se priver de quelque chose pour se  écentrer de soi-même, se faire petit devant Dieu et serviteur de notre prochain.

Du coup, l’interpellation d’Esaïe nous laisse avec cette question : De quoi sommes-nous prêts à nous priver pour nous ouvrir à Dieu et aux autres ?




Pour un témoignage vrai et réfléchi


Lecture biblique : 1 Pierre 3.15-17

Cette lettre de Pierre est écrite dans un contexte hostile : les premiers lecteurs de l’épître subissaient la persécution à cause de leur foi. Ça donne un relief particulier à ces paroles. Quand il s’agit de rendre compte de leur espérance, pour les premiers lecteurs de l’épître, c’était devant les tribunaux ! Notre contexte est différent, mais nous sommes aussi confrontés à une certaine hostilité parfois, des réactions qui peuvent nous mettre dans des situations inconfortables.

Et nous sommes forcément amenés à nous interroger sur notre témoignage en tant que chrétien. Que dire ? Quand ? Comment ? Ce texte va nous donner quelques clés…

Le coeur et l’esprit

Tout commence dans le coeur mais on ne doit pas en rester là. Un témoignage équilibré repose sur une foi équilibrée, qui se nourrit du coeur et de l’esprit.

Dans le coeur

Tout commence dans le coeur ! La traduction du verset 15 en français n’est pas très aisée. La version « Parole de Vie », recourt à une périphrase : « Reconnaissez dans vos coeurs que le Christ seul est saint, il est votre Seigneur. ». Mais la formule originelle est plus lapidaire, et surtout elle bouleverse l’ordre de la phrase pour mettre en évidence le mot Seigneur, en début de phrase. Littéralement, ça donne : « Seigneur, le Christ, sanctifiez dans votre coeur »

On est obligé de le formuler différemment en français… Mais l’insistance tombe bien sur le Christ reconnu comme Seigneur dans notre coeur. On pourrait traduire : « Sanctifiez dans votre coeur le Christ Seigneur. »

Ça reste encore une formule très « patois de Canaan »… Il faut la décrypter. Sanctifier, c’est consacrer, réserver la place qui est due. Et le coeur, c’est nous-mêmes, en particulier notre volonté, non pas tellement nos émotions mais le siège de nos décisions. Il s’agit donc de réserver au Christ la place centrale qui doit lui revenir dans notre vie. C’est lui le Seigneur, le maître de notre vie. Nos décisions, nos projets, nos intentions, lui sont soumis.

Il ne peut pas y avoir de témoignage efficace sans une communion personnelle avec le Christ. C’est essentiel, tant au niveau du contenu du témoignage que nous serons appelés à donner qu’au niveau de l’attitude, la façon d’apporter ce témoignage.

C’est un rappel salutaire que toutes les techniques oratoires, les trucs et astuces pour être un bon témoin efficace ne servent à rien sans une consécration personnelle au Seigneur. Être témoin de l’Évangile, ce n’est pas seulement être un VRP de l’Évangile, où il suffirait d’utiliser des techniques de vente pour que ça fonctionne ! On ne vend pas un produit quand on témoigne de l’Évangile. On transmet on message de vie dont on a fait soi-même l’expérience.

Dans l’esprit

Tout commence dans le coeur… Mais ça ne doit pas en rester là ! Pour que notre foi grandisse et s’affermisse, pour que notre témoignage soit efficace, il faut que le coeur soit relié à l’esprit. Une foi équilibrée est autant ancrée dans le coeur que dans l’esprit.

En effet, il s’agit d’être prêt à rendre compte de notre espérance, ou donner des explications comme le traduit « Parole de Vie ». Le terme grec, apologia, est utilisé pour désigner la défense qu’on est appelé à donner en réponse à une attaque. Il implique une argumentation solide. Le terme a donné le mot apologétique qui désigne en théologie la défense de la foi, et implique une argumentation solide et cohérente, faisant appel à des arguments rationnels.

Il s’agit donc d’être prêt à donner une telle réponse… Il faut s’y préparer. Nous avons besoin de réfléchir notre foi. On ne peut pas se contenter de dire : « Je suis devenu chrétien, c’est super ! » C’est un peu court… Les gens attendent d’autres réponses… Pourquoi est-ce que vous croyez ? Qu’est-ce qui vous prouve que Dieu existe ? Que Jésus est ressuscité ? Pourquoi vous auriez raison et pas les autres religions ? Etc…

Quelle place accordons-nous, dans notre vie de chrétien, à l’approfondissement de notre foi ? Quel temps consacrons-nous à la lecture de la Bible et d’ouvrage chrétiens, à la fréquentation d’études bibliques, à la participation à des séminaires ou des formations bibliques et théologiques ?

La douceur et la crainte

La douceur devant les hommes est en contraste avec leur hostilité possible. La crainte devant Dieu rappelle qu’on est à la fois témoin devant les hommes et devant Dieu.

La douceur

Être prêt, c’est bien. Mais il faut encore faire attention à la façon dont nous portons notre témoignage. Pierre qualifie l’attitude requise par deux termes : la douceur et la crainte.

La douceur tranche avec le contexte d’hostilité. Il s’agit de répondre à des attaques, mais de le faire avec douceur. Et ce n’est pas une faiblesse mais une force, parce qu’elle naît de la paix de Dieu. La douceur implique le respect de l’autre, le refus de vouloir passer en force, d’user d’agressivité et d’intrusion.

Il est sans doute utile de souligner qu’ici comme ailleurs sans doute, le témoignage est de l’ordre de la réponse. Ce n’est pas un témoignage qui s’impose par la force, c’est un témoignage qui répond aux questions. Des questions suscitées par notre attitude, notre façon de vivre. Des questions qui surgissent naturellement de nos relations avec notre prochain. Il ne s’agit pas alors de contredire nos paroles par nos actes, ou inversement. C’est sans doute cela, la « conscience pure » dont parle Pierre ici…

La crainte

Quant au respect, c’est le mot grec phobos qui est utilisé. Celui qu’on traduit souvent par « crainte » et qui traduit notre attitude de respect devant Dieu. Si la douceur concernait notre attitude devant les hommes, le respect pourrait bien concerner notre attitude devant Dieu. Et dans ce cas, il vaut mieux sans doute le traduire par « crainte ».

La crainte de Dieu, faut-il le rappeler, n’est pas la peur bleue d’un Dieu tyrannique. C’est le profond respect que Dieu inspire quand on a conscience de qui il est… et de ce que nous sommes devant lui. Elle ne nous fait pas fuir Dieu, elle ne fait que renforcer notre émerveillement devant son amour et sa grâce !

En tout cas, la mention de la crainte en lien avec le témoignage est très intéressante. Elle permet de dire que notre témoignage nous place non seulement devant notre prochain mais aussi devant Dieu. Il ne s’agit donc pas simplement de nous interroger sur l’efficacité de notre témoignage auprès des hommes, mais aussi du respect de Dieu qu’il manifeste. Dans le témoignage, la fin ne justifie pas les moyens !

Un témoignage fidèle, raisonnable, réfléchi, et dit dans la douceur, respecte le Seigneur. Parce qu’il reflète sa nature patiente et bienveillante. Par contre, il y a des témoignages agressifs, malhonnêtes, irréfléchis, manipulateurs, qui ne respectent pas le Seigneur. Nous devons aussi réfléchir et rester vigilant quant à notre façon de témoigner de l’Évangile, tant individuellement qu’en Église !

Conclusion

Ce texte ne nous présente pas une méthode infaillible pour un témoignage efficace. De toute façon, ça n’existe pas… Il rappelle quelques principes de base incontournables.

A commencer par le fait que nous sommes appelés à le rendre avec le coeur et l’esprit. Avec le coeur pour qu’il soit authentique et vrai, fondé sur notre communion avec le Christ. Avec l’esprit pour qu’il soit pertinent et qu’il honore le Seigneur.

Car si nous sommes appelés à être témoins de l’Évangile devant les hommes, nous le sommes aussi, de fait, devant Dieu. Notre témoignage doit à la fois être pertinent pour notre prochain et être à la gloire de Dieu.

Voilà pourquoi nous devons nous y préparer, sérieusement. Dans la prière et dans la réflexion.




Être sel & lumière du monde – Le témoignage (Partie I)

Lecture biblique : Matthieu 5.13-16

Dans notre réflexion sur les éléments essentiels de l’Église, nous nous penchons maintenant sur le thème du témoignage, avec deux prédications complémentaires.

Si vous deviez changer le monde, comment vous y prendriez-vous ? Quel moyen vous semblerait le plus approprié pour apporter au monde joie, espérance, paix ? pour éradiquer guerres, pauvreté, orgueil ?

Nous croyons en un Dieu qui apporte le salut au monde, qui fait germer la liberté dans le désert de l’esclavage, qui fait fleurir l’espoir au milieu des détresses, qui fait jaillir la vie du sein de la mort. Ce Dieu nous a envoyé son Fils, Jésus-Christ, qui est le salut dont le monde a tant besoin. Pourtant, comme le message sur le baptême de Jésus nous l’a rappelé la semaine dernière, ce Messie n’arrive pas de manière triomphaliste, mais il vient en serviteur, cheminant parmi les hommes. Il est le changement que nous attendons, mais il vient humblement, discrètement, changeant les cœurs plutôt que plantant des drapeaux.

Ce Jésus-Christ se tourne maintenant vers ses disciples, dès le début de son ministère, et leur adresse quelques paroles, rassemblées dans le sermon sur la montagne, où il donne les caractéristiques du disciple : quelles sont ses valeurs, son attitude vis-à-vis des autres, vis-à-vis de Dieu. Parmi ces caractéristiques se trouve la vocation des disciples à être sel et lumière dans le monde, autrement dit, à être porteurs de cette bonne nouvelle qui consiste en ce que Dieu s’est approché des hommes, non pour les détruire, mais pour les sauver par amour.

Deux métaphores pour une double vocation

Le Christ utilise deux images pour illustrer cette mission d’agents de salut : le sel et la lumière. Deux images présentées de manière parallèle : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. Deux affirmations parallèles suivies chacune d’une nuance, d’un avertissement : le sel ne doit pas perdre son goût, la lumière ne doit pas être cachée, sinon ils ne servent à rien.

Attardons-nous quelques instants sur le sens de ces images. Peut-être d’abord la plus évidente : la lumière. La lumière c’est, pour éviter toute lapalissade, ce qui éclaire, ce qui combat l’obscurité, ce qui apporte la vie, la sécurité, la connaissance, et c’est globalement synonyme du salut dans la Bible. Dans la vie courante, la lumière est indispensable.

Jésus utilise en particulier l’image de la lampe de la maison, une lampe à huile qu’on allumait dans la pièce principale et qui éclairait toute la maisonnée, jusqu’à ce qu’on l’éteigne pour dormir, grâce à un boisseau, une sorte de seau qui servait à contenir les grains de céréales. Quand on allume une lampe à huile, ce n’est évidemment pas pour l’éteindre, mais pour qu’elle éclaire. Cette idée de visibilité se retrouve avec l’image de la ville sur la montagne, dont le rapport avec la lumière n’est pas forcément évident au premier abord ! Une ville établie en hauteur est évidemment particulièrement visible. Ces deux images font donc ressortir la notion de visibilité : les chrétiens doivent être vus comme chrétiens dans le monde. Ils doivent être repérables, comme cette ville en hauteur, comme cette lampe dans la pièce obscure.

Avec cette image de la lumière, Jésus évoque au moins deux aspects de notre témoignage : apporter un éclairage positif, et pour ce faire, être repérables.

Voyons le sel, cet autre élément incontournable de la vie quotidienne. Nous sommes le sel de la terre. Dès l’antiquité, le sel a deux usages principaux : il sert de condiment contre la fadeur des plats, et aussi de conservateur, pour garder le poisson, la viande… Il sert de conservateur car il a cette propriété de purifier, de lutter contre la putréfaction, la dégradation des choses. Jésus ne précise pas en quoi nous sommes le sel de la terre, et nous n’avons pas forcément besoin de choisir !

Techniquement, le sel ne peut pas perdre son sel, sa salinité, mais, à l’époque en Israël, on utilisait une poudre récoltée dans la Mer morte, qui était composée de plusieurs oligo-éléments, dont du sel. Il se trouve qu’au bout d’un certain temps, le sel fuyait le mélange : il ne perdait pas sa propre qualité mais il se séparait du mélange, et il ne restait qu’une poudre blanche, dont je n’ose imaginer le goût, et qui évidemment ne servait plus à rien.

Si on va plus loin, à l’époque de Jésus, le sel était aussi synonyme de sagesse, et le verbe utilisé dans l’original fait référence au fait de perdre son goût ou de devenir fou, insensé. Les chrétiens sont donc appelés à être sel dans ce monde : est-ce que Jésus ne nous décrirait pas comme des petits grains de sagesse dans un monde fou, petits grains à peine visibles, en petite quantité, mais qui peuvent tout changer dans le monde qui les entoure.

Avec ces deux images parallèles, Jésus définit l’influence des chrétiens dans le monde. D’un côté, avec le sel, les chrétiens ont un rôle piquant, en lutte contre la fadeur, la dégradation, la folie. D’un autre côté, avec la lumière, se dessine un rôle plus constructif, en apportant lumière & réconfort.

Quelle relation avec le monde ?

L’enjeu derrière ces deux images, c’est le rapport que nous avons avec le monde qui nous entoure, avec ceux qui nous côtoient.

Jésus emploie deux images qui insistent sur la différence entre les disciples, sel et lumière, et le monde qui les reçoit. L’influence des disciples comme agents du salut de Dieu repose sur leur spécificité. Le sel remplit son rôle s’il est salé, la lumière si elle éclaire. Vous imaginez bien qu’une poudre sans sel ou qu’une lampe de poche éteinte ne remplissent pas leur rôle, et pourraient tout aussi bien être absentes. La vocation des disciples à transmettre le salut repose sur leur caractéristique distinctive de chrétiens. L’évangile, le salut de Dieu, doit faire la différence dans notre vie, non pas seulement pour nous, mais aussi pour interpeler ceux qui nous entourent afin qu’ils reçoivent, à leur tour, ce salut que nous avons en Jésus-Christ. Nous sommes donc appelés à veiller sur ce qui fait notre originalité, et à rechercher la non-conformité au monde. Si le sel a un goût de carotte, quelle est sa valeur ajoutée ? Si la lumière est noire dans la nuit, à quoi bon ? Pour remplir notre vocation, nous sommes appelés à être différents.

Différents, oui, séparés, non ! C’est là un des grands défis du témoignage auquel nous appelle Jésus. Pour utiliser une autre de ses expressions, nous ne sommes plus du monde, nous sommes maintenant de nouvelles créatures, et c’est justement cette différence, ce changement, qui est attractif ! Combien parmi nous sont venus à rencontrer Dieu parce qu’un proche vivait autrement ? Toutefois, ce n’est pas parce que nous ne sommes plus comme ceux qui ne connaissent pas Dieu que nous devons leur tourner le dos et rejoindre une petite communauté bien fermée dans le désert, rejoindre le club très select de privilégiés qui ont rencontré le Seigneur et qui ont pu échapper à ce monde qui ne tourne pas rond, Dieu merci ! de même que notre sauveur a cheminé avec les hommes pour offrir au plus grand nombre la chance de rencontrer un Dieu d’amour, de même nous sommes appelés à demeurer auprès de ceux qui nous entourent pour leur montrer que ce Dieu d’amour est là, et qu’il les attend.

Quelle responsabilité ! Nous devons être différents, mais que cette différence apporte quelque chose dans notre monde. Si le sel reste dans son placard, ou que la lampe de poche, même allumée, reste dans son tiroir, ils ont beau avoir leur goût et leur lumière, leur propriétaire sera sûrement très heureux de voir qu’ils n’ont pas de défaut, mais enfin, ils ne sont pas beaucoup plus utiles que la poudre sans goût et la lumière noire !

Nous sommes appelés à être présents dans le monde, visibles, non-conformes, à être avec les autres sans être comme les autres. Notre témoignage, personnel ou communautaire, c’est de rendre visible le salut de Dieu dans un monde qui en a besoin.

C’est vraiment un équilibre délicat, être différent mais rester présent, montrer un décalage tout en maintenant une relation : ni conformité, ni rupture. C’est difficile, je crois, parce qu’on a tendance à aller vers ceux qui nous ressemblent, qui partagent nos convictions – qui se ressemble s’assemble, vous connaissez le dicton. Qui plus est, une relation où règne la différence peut faire réfléchir, convaincre l’autre (dans le meilleur des cas) mais aussi parfois, être source de souffrance : souffrance de l’incompréhension – dans les deux sens, malentendus divers, désaccords, voire conflit ou rejet de la part de notre entourage.

Jésus ne nous laisse pas vraiment le choix : le salut que nous avons reçu, ce sel qui nous caractérise maintenant, cette lumière qui nous illumine, c’est notre chance, mais c’est aussi la chance des autres. Nous avons pour vocation, autant que possible, de nous mettre au service du monde, de ne pas nous laisser décourager au point de nous cacher ou de nous enfuir, mais de rester, présents et différents, parce que Dieu nous appelle à être ces agents de propagation du salut. Pour sauver le monde il ne s’y prend pas comme nous le ferions, il donne des exemples à ce monde, des exemples de changement, de pardon, de paix, de joie, des exemples de ce salut qu’il veut continuer à répandre.

Un appel à être à l’image du christ

Quel est le chemin pour être ces exemples visibles d’une vie différente ? Une des pistes, c’est le lien entre les bonnes œuvres et la personne que nous sommes ; si on utilise une autre expression du sermon sur la montagne, le christ nous appelle à porter de beaux fruits, comme conséquence des arbres en bonne santé que nous sommes devenus. C’est toute notre personne qui est un témoignage, nos paroles, nos actes, nos omissions, nos choix, nos expressions de visage, tout ce qui est visible est un témoignage.

J’ai une amie à qui je pense toujours quand j’entends « vous êtes la lumière du monde ». Elle est plus âgée que moi, et je l’ai rencontrée lors d’un voyage, mais elle m’avait une impression un peu terne. Quelques années après, je la revois, et on échange des nouvelles. Ce n’était plus la même. Elle était rayonnante, joyeuse, visible ! En fait, cette femme, divorcée, avait gardé de l’amertume vis-à-vis de son ex-mari. Au bout de 20 ans de séparation, suite à un travail personnel lié à sa foi, elle a fini par lui pardonner et par se réconcilier avec lui. L’impact de cette réconciliation marquée par l’évangile a largement dépassé le cercle familial : elle m’a raconté que ses collègues n’en revenaient pas, et lui demandaient ce qu’elle avait pris pour changer autant !

Le sel et la lumière que nous pouvons apporter au monde ne sont pas des vernis superficiels, une apparence, mais la manifestation extérieure d’un salut qui se répand intérieurement dans notre vie avant de se répandre autour de nous. Si nous sommes le sel de la terre, c’est dans la mesure où la sagesse de Dieu nous caractérise, où nous sommes façonnés par ses valeurs et ses priorités. Si nous sommes lumière du monde, c’est dans la mesure où nous reflétons celui qui est la lumière, notre sauveur et seigneur Jésus-Christ. Nous sommes appelés à cultiver notre identité nouvelle, celle d’enfants de Dieu, de frères du christ, d’hommes et de femmes remplis d’un souffle nouveau. Immergeons-nous dans la sagesse de Dieu, plongeons-nous dans sa lumière, laissons-la irradier tout notre être, et les gens verront que Dieu sauve. Quand nous refusons de médire d’un collègue, quand nous restons honnêtes dans une situation qui pourtant nous désavantage, quand même simplement nous disons que nous sommes pris le dimanche matin ! Quand nous sourions à notre adversaire sportif, quand nous sommes en paix, quand nous accordons de la valeur à tout être humain, quel qu’il soit.

Dieu travaille en nous par son esprit, et par lui, nous produisons des œuvres typiques du Christ : l’humilité dans un monde orgueilleux, l’équité dans un monde égoïste, l’espérance dans un monde désenchanté.

Conclusion

Dieu utilise plusieurs moyens pour changer le monde et pour lui infuser sa vie, pour le remplir de son salut. Il y a sa parole, criante de vérité, il y a son esprit, qui souffle là où personne ne l’attend, et il y a nous. Dans ce tableau, ce qui étonne c’est nous, bien imparfaits, apprenant nous-mêmes à faire le tour de l’évangile, répondant tant que bien que mal aux défis que représentent la vie nouvelle en christ. Pourtant c’est nous que Dieu désigne comme sel et lumière, comme porteurs de sa parole, comme porteurs de sa lumière. C’est par nous, dans notre expérience quotidienne avec Dieu, dans notre vie communautaire, dans chaque petit pas, c’est là que rayonne le salut de Dieu. Restons à l’écoute du christ, nourrissons-nous de sa parole, aimons-nous les uns les autres : en servant notre Dieu nous servirons aussi notre prochain, et nous donnerons le témoignage d’une vie remplie de la liberté, de l’espérance, et de la joie qui viennent de notre Seigneur.