Le bon berger

Lecture biblique : Jean 10.1-21

Nous sommes dans un des passages-clefs de l’évangile de jean, un de ces discours où Jésus révèle son identité et sa mission en utilisant l’expression « je suis… le pain de vie, la lumière du monde, le chemin la vérité la vie, le cep etc. » Chacun de ces « je suis » dans l’évangile de jean sert à mettre en valeur une des caractéristiques de Jésus. Dans ce discours imagé, qui évoque la situation pastorale (au sens propre !) d’un berger et de son troupeau, quel aspect de son identité Jésus veut-il mettre en valeur ?

Texte & contexte

Les paroles « je suis le bon berger » viennent immédiatement en tête. Pourtant, quand on regarde le texte de plus près, on se rend compte que Jésus s’exprime de manière bien étrange, et il n’est pas très étonnant que ceux qui l’entourent, disciples et foules, ne comprennent pas Jésus. Reprenons un peu le discours de Jésus. D’abord, Jésus fait une sorte de rappel du fonctionnement de la bergerie : dans l’enclos se trouvent les brebis, avec un gardien qui les surveille, et le berger qui vient chercher les brebis. Evidemment, l’enclos n’est jamais à l’abri du vol, et Jésus évoque donc les brigands qui tentent parfois de voler les brebis en passant par le mur. Et Jésus s’arrête là.

Pourquoi ? il a commencé avec solennité (amen amen je vous le dis, v.1) donc on s’attend à ce que ça soit important, mais il n’a pas l’air de faire un enseignement spirituel – et d’ailleurs personne ne comprend. Devant l’étonnement de son auditoire, Jésus prend sur lui d’expliquer le sens de ce qu’il vient de dire, et on comprend peu à peu qu’il utilise une situation bien connue de son entourage pour donner des indices sur sa propre identité. Dans cette explication, Jésus ne se contente pas d’éclaircir ce qu’il a dit, mais il prolonge certains aspects, et extrapole à partir de la situation évoquée pour en souligner les enseignements spirituels.

En utilisant l’image du berger, Jésus fait référence aux textes prophétiques d’Israël, qui décrivent le peuple de Dieu avec entre autres l’image du troupeau conduit par son berger, une réalité que les Juifs connaissent bien. Cependant, le texte biblique présente des subtilités : on y trouve un berger – Dieu – et des bergers, avec un petit b, pourrait-on dire. Ces bergers, délégués par Dieu, ont pour mission de prendre soin du troupeau pour le grand berger, ce sont les responsables du peuple, les chefs religieux, les anciens, ceux qui ont reçu vocation de s’occuper du peuple de Dieu pour lui.

Dans l’histoire d’Israël, les responsables sont souvent défaillants : non seulement ils ne guident pas le troupeau dans la bonne direction – le chemin de la fidélité à Dieu –, non seulement ils ne prennent pas soin du troupeau, mais en plus ils se retournent contre le peuple, en l’utilisant pour leurs propres intérêts. Le prophète Ezéchiel va même jusqu’à les accuser de dépouiller le peuple, de le priver de ce dont il a besoin pour s’enrichir eux-mêmes. A l’époque de Jésus, les responsables du peuple ont eux aussi perdu de vue les intérêts du peuple, parfois malgré eux. Il y a bien sûr les corrompus qui écrasent les plus petits pour monter l’échelle sociale, mais je me demande s’il n’y a pas aussi ceux qui oublient qu’ils sont au service du troupeau. Les pharisiens notamment étaient convaincus de prendre soin du peuple, en faisant peser sur les croyants d’écrasants fardeaux de lois et de règles à respecter pour plaire à Dieu, privant la grande majorité des croyants d’une relation vivante avec leur Seigneur. Je me demande si les pharisiens ne seraient pas de ceux qui écrasent au lieu de servir, qui affaiblissent au lieu de relever. Face à ceux qui peinent à prendre soin du peuple de Dieu, voire qui le blessent, Jésus se présente comme le vrai berger, le bon berger, celui qui remplit parfaitement son rôle.

Les qualités du berger

Jésus est le bon berger. Tout concorde pour le désigner comme celui qui peut prendre soin du peuple de Dieu. D’abord, c’est un berger légitime, et Jésus insiste largement sur son authenticité. Il se présente au grand jour, à la porte de l’enclos, au gardien qui le reconnaît, quand il appelle ses brebis, elles viennent à lui directement, et reconnaissent en lui celui qui les conduira au pâturage en toute sécurité. Jésus est le vrai berger, celui que le Berger avec un grand B, Dieu le Père, a envoyé pour sauver son peuple. d’ailleurs, tout ce qu’il fait est en accord avec les plans de Dieu (v.18c)

Jésus est le vrai berger, légitime, authentique, mais il est aussi la porte de l’enclos. Dans ce tableau pastoral, Jésus s’octroie le don d’ubiquité et prend à la fois la place du berger et la place de la porte. Avec ces deux images du berger et de la porte qui se superposent, il me semble que Jésus nous dit plusieurs choses. D’une part, il n’est pas un berger parmi une équipe de bergers auxquels les brebis seraient habituées : même s’il pouvait y avoir plusieurs bergers, la porte est unique, il n’y a qu’un seul accès à l’enclos, et Jésus montre ainsi son rôle tout à fait unique par rapport au peuple de Dieu, un berger non seulement légitime mais aussi supérieur aux autres bergers, le seul qui puisse leur donner exactement ce dont ils ont besoin.

D’autre part, Jésus oppose deux chemins : la porte – et le mur. À la porte se présente le berger, mais les gens mal intentionnés passent par un autre chemin. Jésus dit ailleurs qu’il est le chemin qui conduit à la vie. Il y a une sorte de superposition entre le chemin et le but du chemin, une superposition entre la fin et les moyens. Aucun voleur ne passe par la porte, et aucun berger n’escalade le mur pendant la nuit. L’endroit par lequel on passe révèle l’identité et les intentions de celui qui s’approche. En quelque sorte, il pose la question : dis-moi par où tu passes, et je te dirai qui tu es.

Justement, par où Jésus passe-t-il ? Autrement dit, où veut-il aller ? v.10 : moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie, et l’aient en abondance. Comment arrive-t-il à ce but ? Par où passe-t-il ? v.11 le bon berger donne sa vie pour ses brebis. Le fait que Jésus soit prêt à tout donner, à se donner lui-même, pour le bien des croyants prouve qu’il n’agit pour son propre intérêt, mais que sa motivation, c’est l’amour pour le peuple dont il veut prendre soin. Manifestement, rien n’est plus important que le bien des hommes qu’il vient sauver. Cet amour-là est la preuve ultime que Jésus est le vrai berger.

Jésus est le berger, celui qui fait tout pour sauver son troupeau. Là il faut sortir du tableau pour revenir à la réalité, comme Jésus le fait à la fin de son discours. Un berger prend des risques pour ses brebis, mais il ne va pas volontairement à la mort, sinon à quoi sert-il ? Jésus, lui, se sacrifie volontairement pour ouvrir la porte à son peuple, pour lui ouvrir un chemin vers Dieu. Par sa mort à la croix à notre place, il efface les obstacles qui nous séparaient de Dieu, il efface la dette de notre péché et il nous réconcilie avec Dieu en nous rendant justes à ses yeux. Pourtant, la mort ne le retient pas, et le berger parfait qu’il est triomphe de cette épreuve : son amour et sa puissance le ramènent de la mort et le rétablissent dans son office de grand berger. Rien ne peut empêcher notre berger de prendre soin de nous : même le plus grand sacrifice ne le prive pas d’être avec nous pour l’éternité, d’être celui qui prend soin de nous, par amour, pour l’éternité.

Jésus n’est pas un berger ordinaire : il est le seul, l’unique, celui que Dieu envoie et qui est aussi Dieu lui-même, celui qui est à la fois un homme aux intentions pures et un Dieu qui met en œuvre le salut de son peuple.

La relation entre le berger et les brebis

Dans son discours, Jésus se présente comme le berger, le messie légitime, celui qui correspond aux critères de Dieu pour prendre soin du peuple. Toutefois, Jésus nous parle aussi du troupeau et des brebis, les croyants, qui le composent. Les brebis du Christ sont celles qui reconnaissent la voix du berger et le suivent sur le chemin de la vie, celles qui passent par la porte de l’enclos qui est le christ. Elles discernent en Jésus leur seigneur, le seul qui ait autorité sur elles. Viennent des faux messies, des faux bergers, elles refusent de les suivre mais attendent la voix du bon berger, le christ. L’élément déterminant quand on appartient au peuple de Dieu, c’est de connaître le berger, de connaître le christ, personnellement. Lui, il connaît chacun par son nom, et dans cette relation il y a de la réciprocité : le croyant est celui qui reconnaît Jésus comme le sauveur.

À l’époque de Jésus, appartenir au troupeau c’est une question de généalogie : je suis une brebis de Dieu si ma mère et mon père sont des brebis de Dieu, si je suis né dans cet enclos qu’est le peuple juif. Or, Jésus nous enseigne que ce n’est pas une question d’endroit ou de généalogie : les brebis de Dieu sont celles que le berger connaît et qui répondent à l’appel du berger, autrement dit, celles qui reconnaissent le Messie Jésus-Christ.

Deux éléments nous montrent qu’être membre de l’enclos ne suffit pas : 1) à l’époque de Jésus souvent les bergers partageaient un enclos pour plusieurs troupeaux, et peut-être que Jésus évoque la possibilité que dans l’enclos il y a des brebis qui ne lui appartiennent pas, qui ne reconnaissent pas sa voix, qui ne le suivent pas. 2) Jésus a aussi des brebis dans d’autres enclos, c’est-à-dire des croyants qui ne viennent pas de l’enclos d’Israël mais d’autres nations, jusque là sans bergers. Jésus révolutionne la conception du peuple de Dieu : il ne s’agit plus d’un lieu ou d’un groupe déterminé par des origines communes, la question n’est pas d’être au bon endroit au bon moment, mais de connaître personnellement le berger, de le suivre sur le chemin qu’il emprunte, de passer par là où lui-même passe. ce qui sauve, c’est de dire : oui, Jésus-Christ est bien le berger, mon berger, mon sauveur, mon seigneur, et je veux le suivre. C’est le seul critère pour appartenir au peuple de Dieu.

Ce critère de la foi seule a une conséquence importante : v.16 Jésus dit que son but, c’est d’avoir un seul troupeau, avec un seul berger. Ce qui unit les brebis n’est pas l’enclos d’origine, la race ou la manière de bêler, ce n’est pas non plus les prouesses de chacune ou la qualité de son lait ou de sa laine, mais uniquement le fait qu’elles suivent un même berger. Ce qui fait l’unité du peuple de Dieu, c’est son seigneur, le christ. Ce qui fait qu’on appartient au peuple de Dieu, c’est la seule conviction que Jésus est celui qui nous conduit à Dieu et qui nous sauve.

Conclusion

Permettez-moi de finir cette méditation avec une confession de foi.

Je crois que Jésus-Christ, vrai homme et vrai Dieu, est venu sur terre pour sauver les hommes par amour. Je crois qu’il est le seul à nous conduire vers Dieu : il est la porte qui s’ouvre sur le chemin de la vie. Il est le berger qui nous guide et nous accompagne dans notre marche vers Dieu. Je crois qu’il a tout accompli pour que nous soyons réconciliés avec Dieu, et qu’en lui seul repose mon salut et mon espérance. Je sais que la mort ne l’a pas retenu, mais qu’il est ressuscité, et qu’un jour tous les croyants ressusciteront avec lui pour vivre ensemble une vie abondante, une vie éternelle, dans la lumineuse présence de Dieu.




Les leçons de Babel

BabelLecture biblique : Genèse 11.1-9

L’histoire se répète… Dans les premiers chapitres de la Genèse, l’humanité a du mal à apprendre de son histoire. Mais, est-ce que ça a vraiment changé ? Le schéma du jardin d’Eden, de la révolte contre Dieu, de la volonté de se passer du Créateur, se répète. C’est Caïn qui s’arroge le droit de disposer de la vie de son frère en le tuant. C’est l’humanité entière qui s’écarte de Dieu jusqu’au déluge. Et puis c’est l’histoire de la tour de Babel où l’humanité unie pensait pouvoir s’élever jusqu’à Dieu…

La chronologie des événements de Gn 1-11 est un peu problématique. On nous dit ici que tous les hommes parlent une seule et même langue alors qu’au chapitre précédent on nous décrit les généalogies des trois fils de Noé, pères de tous les peuples de la terre, « groupés par pays selon leur langue… » (Gn 10,5). Et on nous parle ici de la ville de Babel dont il était déjà question parmi les descendants de Cham, avec Nemrod, dont la première ville de son royaume était Babel (Gn 10.10).

La question du genre littéraire de notre récit pose aussi problème. Il paraît difficile de se contenter d’une lecture au pied de la lettre. Dieu y apparaît sous des traits anthropomorphique : il descend du ciel pour venir voir ce qui se passe sur terre… comme s’il en avait besoin ! De même, la naissance en un jour de tous les langages de la terre est surprenante.

Prenons simplement le texte tel qu’il nous apparaît. Considérons-le dans le contexte des premiers chapitres de la Genèse, essentiels pour notre compréhension du monde, de l’humanité et de Dieu. Et interrogeons-nous sur le message universel qu’il contient pour nous encore.

Une tour aussi haute que le ciel

Un jour, en chemin vers l’Est, les hommes s’arrêtent. Et ils décident de construire une ville et une tour, aussi haute que le ciel. Mais quelle mouche les a piqués ? Et pourquoi cette crainte d’être dispersé dans toute la terre, qui semble être la motivation à la construction de la tour ?

Il y a ici comme un écho négatif au mandat culturel, cette mission que Dieu a donnée à l’humanité et qui a été répétée à Noé après le déluge : « Ayez des enfants, devenez nombreux, remplissez la terre. » (Gn 9.1) Notre épisode marque un coup d’arrêt à l’expansion de l’humanité sur la terre. Là-bas, à l’Est, dans le pays de Shinéar (Babylonie), l’humanité s’arrête. Elle choisit de décider elle-même de son sort, elle s’installe et veut construire sa propre protection.

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si tout ça se passe « vers l’Est ». C’est à l’Est d’Eden que Dieu avait posté les chérubins à l’entrée du jardin pour empêcher les hommes d’y revenir. C’est à l’Est que Caïn s’en est allé après son crime, loin du Seigneur. D’ailleurs, la première chose qu’on nous dit de Caïn après son exil, c’est qu’après avoir eu un enfant, il se mit à construire une ville… à laquelle il donna le nom de son fils !

Dans la Genèse, les villes ont une connotation négative. A l’origine, les hommes étaient dans un jardin. Ensuite, les patriarches seront nomades. Et quand on évoque des villes, c’est pour parler de Sodome et Gomorrhe. Les villes sont le symbole de l’humanité en rébellion contre Dieu, de leur orgueil. Et ici, les hommes construisent une ville et une très haute tour « pour se faire un nom ».

L’épisode de la tour de Babel est le signe de l’orgueil de l’humanité qui refuse son Créateur. Un projet pharaonique pour laisser une trace dans l’histoire. Une tour qui monte jusqu’au ciel pour défier le Créateur. Une ville fabriquée de leurs mains, pour leur offrir la protection, sans avoir besoin de Dieu.

Car si cette tour est si haute, ce n’est peut-être pas seulement pour le prestige… Est-ce que ça ne pourrait pas être aussi pour se protéger d’un éventuel nouveau déluge ? Alors que Dieu a promis de ne plus jamais en envoyer… Comme l’écrit Antoine Nouis, « Ils préfèrent la tour à l’arc-en-ciel : ils font plus confiance à leurs œuvres qu’à la fidélité de Dieu. » (Antoine Nouis, L’aujourd’hui de la Création)

Il est étonnant de voir combien, dans l’histoire de l’humanité, les progrès de la science et des technologies, tout en apportant des bienfaits dont nous bénéficions avec reconnaissance, alimentent aussi l’orgueil de l’homme à vouloir s’affranchir de Dieu. Des tours de Babel, les hommes en ont construites tout au long de l’histoire, pour se faire un nom, pour laisser une trace dans l’histoire, pour jouer à être Dieu et repousser les limites de la connaissance.

Ne sommes-nous pas tentés, nous aussi, de construire nos petites tours de Babel ? De nous fabriquer nos propres protections, de préférer faire confiance à nos œuvres plutôt qu’aux promesses de Dieu ?

Une seule langue pour tous

Mais Dieu résiste aux orgueilleux… et il ne laissera pas le projet des hommes s’achever. Alors il intervient. Il descend du ciel pour voir de plus près ce que les hommes sont en train de tramer… et il décide de leur mettre un gros bâton dans les roues ! Il va briser l’unité de l’humanité en brouillant leur langage. Ils ne peuvent plus communiquer entre eux, ils ne peuvent plus se coordonner et travailler ensemble. Ils sont contraint de s’arrêter et vont se disperser.

La ville et la tour ne sont pas détruites : elles restent inachevées et désertes. L’entreprise orgueilleuse des hommes reste un projet inachevé. Le récit s’achève sur l’évocation du nom de Babel, avec un jeu de mot en hébreu, rapprochant le nom Babel de la racine balal (mêler, brouiller). Pour les Babyloniens, Babylone (Babel) signifiait « la porte des dieux ». Pour la Bible dans la Genèse, elle signifie « brouillage », « confusion »…

Le brouillage des langues conduit à la dispersion… Mais cela a une conséquence positive : elle permet le redémarrage du mandat culturel que les hommes avaient abandonné. Les sanctions de Dieu ne sont pas un point final mais une occasion de redémarrer, de rétablir, de réajuster. Dieu ne juge pas pour détruire, il juge pour corriger.

C’est le témoignage de l’ensemble de la Genèse. Malgré les coups d’arrêts à cause de l’infidélité et des erreurs des hommes, le projet de Dieu se poursuit. Caïn a tué Abel mais Dieu a donné Seth à Adam et Eve. L’humanité méritait d’être détruite mais Dieu a sauvé Noé et sa famille du déluge. Les hommes voulaient s’unir pour se passer de Dieu, il les a contraints à la dispersion pour qu’ils remplissent la terre. Il en sera de même avec les patriarches : Abraham et la stérilité de sa femme Sara, Isaac et ses difficultés à trouver une femme, Jacob et ses problèmes avec Esaü, Joseph avec ses frères… Et le processus se poursuivra lors de la sortie d’Egypte, la traversée dans le désert, l’entrée en Canaan, la succession des rois, l’exil, le retour de l’exil…

Toute l’histoire biblique raconte la fidélité de Dieu à son projet malgré les infidélités, les erreurs et les fautes des humains. Et ce sont assez souvent des jugements, des épreuves, qui permettent au projet de Dieu de repartir.

Quelles sont les épreuves que Dieu envoie dans notre vie et en quoi elles nous font grandir, elle réoriente opportunément notre vie et nous remettre sur la bonne trajectoire ?

On peut même aller plus loin avec notre récit… Et si la malédiction était aussi une bénédiction ? Le brouillage des langues ne pourrait-il pas être aussi un signe que l’humanité est riche de sa diversité et non de son uniformité ? Dans la généalogie des trois fils de Noé (Genèse 10), Dieu multiplie les générations dans la diversité des peuples et des langues. La prétention unitaire de Babel nie cette diversité et préfère l’uniformité. Elle entre en contraste avec le projet de Dieu. L’uniformité est totalitaire. Le projet de Babel était totalitaire.

Le projet de Dieu n’est jamais l’uniformité mais l’unité dans la diversité. Comment pourrait-il en être autrement d’un Dieu qui lui-même est à la fois unique et multiple : un seul Dieu en trois personnes ? C’est son projet pour l’humanité, c’est son projet pour l’Église. En témoigne l’épisode de la Pentecôte, que nous allons bientôt célébrer, et qui apparaît comme l’anti-Babel : le même message de l’Évangile, annoncé dans toutes les langues !

Ce qui fait notre unité, c’est le Christ et son œuvre de salut pour tous. Ce qui fait notre richesse, c’est la diversité de nos personnalités, nos cultures, nos histoires, nos dons. Préférons toujours Pentecôte à Babel : l’unité dans la diversité plutôt que l’uniformité !

Conclusion

Cet épisode de la tour de Babel n’est finalement qu’une répétition, à l’échelle de l’humanité, de la prétention orgueilleuse qui a conduit Adam et Eve hors du jardin d’Eden.
En construisant une tour, l’humanité a voulu se construire son propre arbre de la connaissance, défier le Créateur et bâtir sa propre protection.

Il rappelle que nous ne sommes pas seulement les victimes du péché d’Adam mais que nous le répétons sans cesse. Dans notre orgueil, nous voulons bâtir nos tours de Babel, nous avons du mal à placer notre confiance dans les promesses de Dieu et nous préférons souvent nos propres forces, notre propre sagesse, nos propres œuvres.

Choisissons l’arc-en-ciel plutôt que la tour. Préférons Pentecôte à Babel. Dieu a créé la diversité dans l’humanité. Unis par son Esprit, laissons-nous guider par lui pour entrer dans ses promesses.




Morts… mais bien vivants !

pâquesLecture biblique : Colossiens 3.1-11

La résurrection du Christ est au cœur de notre foi. C’est un article de foi essentiel : « le troisième jour, il est ressuscité des morts » proclame le Symbole des Apôtres. Dans sa première épître aux Corinthiens, l’apôtre Paul souligne combien, sans elle, tout s’écroule. « Si le Christ ne s’est pas réveillé de la mort, votre foi est vide, et vous êtes encore dans vos péchés. » (1 Co 15.17). Nous proclamons donc en ce jour de Pâques que Jésus-Christ est vraiment ressuscité !

Mais il ne suffit pas de le proclamer comme un événement du passé. Proclamer le message de Pâques, c’est dire que le Christ est vivant aujourd’hui… et qu’il l’est dans notre vie. C’est le sens de ce texte de l’épître aux Colossiens. L’apôtre Paul ne se contente pas de dire que le Christ s’est réveillé de la mort, il affirme à ses lecteurs qu’ils se sont eux aussi réveillés de la mort avec le Christ.

Le message de Pâques n’est pas la simple commémoration d’un événement appartenant à l’histoire, c’est le témoignage d’une vie nouvelle en Christ, aujourd’hui. L’apôtre Paul pose la question de l’actualité de la résurrection. Mais pas tellement dans un débat sur son historicité ou non (elle ne fait pas de doute pour lui !). Plutôt quant à sa réalité dans notre vie de chrétien. Comment le Christ ressuscité est-il vivant, en vous et moi, aujourd’hui ?

Mourir et ressusciter avec le Christ

« C’est avec le Christ que vous avez été réveillés de la mort. » (v.1) Il n’y a pas de résurrection sans mort. C’était vrai pour Jésus il y a 2000 ans, c’est vrai pour nous aujourd’hui. D’ailleurs, l’apôtre le dit au verset 3 : « vous êtes passés par la mort ». Et c’est une bonne nouvelle ! Parce que c’est ce qui rend possible notre résurrection.

Le temps du verbe en grec désigne un événement passé et pourrait bien faire référence à la mort du Christ lui-même à laquelle nous sommes associés par la foi. Il en est de même d’ailleurs pour l’affirmation de notre résurrection avec le Christ… Mais en même temps, Paul laisse entendre que, bien que morts et ressuscités, il y a bien encore des choses à « faire mourir » en nous (v.5).

La réalité spirituelle est là : par la foi, nous sommes unis au Christ mort et ressuscité. Nous sommes passés par la mort avec lui et nous sommes sortis du tombeau avec lui : par lui, nous avons la vie éternelle. Là où il reste du boulot, c’est dans l’appropriation de cette réalité spirituelle, son application dans notre vie aujourd’hui…

Être chrétien, c’est mourir et ressusciter ! Et pas seulement une fois, au début de la vie chrétienne. C’est un processus qui doit marquer toute notre vie. La perspective ultime est glorieuse, à l’horizon du retour du Christ : « Quand il paraîtra, vous aussi, vous paraîtrez avec lui et vous participerez à sa gloire. » (v.4) En attendant, le chemin est encore long à parcourir…

Nous devons mourir à ce qui nous éloigne encore de Dieu et ressusciter à ce qui nous rapproche de lui. C’est le processus de renouvellement évoqué au verset 10, par lequel le croyant peut ressembler de plus en plus à son Créateur.

On ne peut pas renaître sans mourir. On ne peut pas faire l’économie de la repentance sur notre chemin de la foi. On ne peut pas avancer avec Dieu sans renoncer à ce qui nous éloigne de lui. Il s’agit de faire mourir dans notre vie ce qui est mortifère, ce qui nous éloigne de Dieu et abîme en nous l’image de notre Créateur. Concrètement, il s’agit de renoncer à certaines pratiques, de briser certaines habitudes, de lutter contre certaines envies…

Qu’est-ce que je dois faire mourir dans ma vie aujourd’hui ? Qu’est-ce qui m’éloigne encore de Dieu ? Qu’est-ce qui porte atteinte à l’image de mon Créateur ?

Mais mourir sans renaître n’offre aucun espoir. Or, Jésus-Christ s’est réveillé de la mort, et nous sommes ressuscités avec lui. Il faut donc, en parallèle, laisser se développer en nous la vie du Christ, ce qui nous rapproche de Dieu et restaure en nous l’image de notre Créateur. Notre modèle ici, c’est bien-sûr Jésus-Christ… et notre relation à lui par la foi, à travers la prière et la lecture de la Bible sera ici la clé.

Chercher les choses d’en haut

Pour entrer dans cette dynamique, il faut un changement de paradigme, une nouvelle vision du monde : passer des « choses de la terre » aux « choses d’en haut ». « Le but de votre vie est en haut et non sur la terre. » (v.2). Ce que la version Parole de Vie traduit, avec raison, par la périphrase « le but de votre vie » est en fait un verbe en grec, phroneo, qui désigne la façon de penser, de comprendre, de voir les choses. Il s’agit bien de ce qui nous pousse à agir, de ce qui est à la base de nos motivations, de nos convictions, le but de notre vie…

Or, nous nous trouvons ici dans une tension… Cette opposition entre les choses d’en haut et les choses sur la terre est une des nombreuses façons pour l’apôtre Paul de parler de la tension que vit tout chrétien. Entre la chair et l’Esprit, entre le déjà et le pas encore accompli, entre notre vieille nature et notre nature nouvelle, etc…

En haut, c’est « là où le Christ se trouve ». Certes, le Christ est au ciel, à la droite de Dieu. C’est le rappel de sa résurrection et de son ascension, l’affirmation de sa victoire et de sa souveraineté. Chercher les choses d’en haut, c’est donc rechercher le Christ souverain. C’est laisser Celui qui est assis à la droite de Dieu s’asseoir sur le trône de ma vie.

Et lorsque Paul évoque des exemples de ces « choses de la terre » qu’il faut faire mourir, il évoque principalement des comportements qui touchent à notre relation aux autres (v.5-9) : l’immoralité, l’envie, l’égoïsme, la colère, le mensonge… Et plus tard, quand il évoquera ce que pourraient être les choses d’en haut, il sera toujours dans le registre relationnel (v.12ss) : l’humilité, la patience, le pardon, et surtout, au cœur de ses exhortations, l’appel à l’amour « qui est le lien qui unit parfaitement » (v.14).

Pourquoi les relations ? Parce que c’est ce qui se voit ! Ce qui se passe dans notre cœur, dans notre relation personnelle avec Dieu, on ne le voit pas… Par contre, cela transparaîtra dans nos relations. C’est forcément le cas, en vertu du double commandement, indissociable selon Jésus, d’aimer Dieu de tout notre cœur et d’aimer notre prochain comme nous-mêmes.

Si notre façon d’être avec les autres est à l’image de celle du Christ, alors on aura bien là un signe de la présence dans notre vie du Christ vivant. A l’inverse, on est en droit de s’interroger sur la qualité de notre relation au Christ si notre relation à notre prochain est incapable de manifester l’amour, la patience, l’humilité, le pardon, l’absence de jugement…

En réalité, la qualité de notre vie spirituelle se mesure moins aux paroles prononcées le dimanche au culte qu’à la qualité de nos relations au quotidien. Le Christ vivant se manifeste au moins autant sur nos lieux de vie dans la semaine que dans la louange du dimanche matin.

Jésus n’a pas dit à ses disciples « je serai avec vous tous les dimanches jusqu’à la fin du monde »… mais bel et bien « je serai avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » ! Le Christ ressuscité est vivant dans le quotidien de nos vies.

Conclusion

Jésus-Christ est ressuscité ! C’est un fait… mais est-ce vrai dans notre vie ? A quel point le Christ vivant agit-il dans notre vie ? Celui qui est assis auprès du Père, est-il aussi assis sur le trône de notre vie ? C’est la place qu’il mérite… et c’est ainsi qu’il pourra, par un processus de petites morts et de petites résurrections, renouveler sans cesse notre cœur, et nous amener à ressembler de plus en plus à l’image de notre Créateur.

Voilà l’oeuvre du Christ vivant en nous. Car Jésus-Christ est ressuscité, et nous avons été ressuscités avec lui. En lui nous sommes morts… mais bien vivants !




Un corps qui ne doit pas perdre la tête

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Lecture biblique : Colossiens 1.15-20

Ces versets constituent un hymne à la gloire du Christ. Peut-être s’agissait-il d’un texte liturgique existant par ailleurs, que Paul aurait inséré dans sa lettre, à la suite de sa prière d’action de grâce et avant une exhortation. De toute façon, ces versets forment un tout cohérent d’une grande richesse théologique.

En examinant le texte original grec, deux parties semblent apparaître clairement. La première (v.15-18a) centrée sur l’oeuvre de création associée au Christ, la deuxième (v.18b-20) centrée sur son œuvre de réconciliation.

Au cœur de cet hymne, le verset 18 apparaît presque comme un intrus, sans lien évident avec les versets précédents : « C’est lui qui est la tête du corps, c’est-à-dire de l’Église ». Mais c’est une affirmation qui se justifie pleinement, notamment pour le propos de l’apôtre. L’Église, c’est ce qui nous relie au Christ dans cet hymne. L’Église c’est nous, l’ensemble de ceux qui appartiennent au Christ, les croyants de tous les temps et de partout. Et nous sommes le corps dont le Christ est la tête. Ce qui est dit du Christ ici nous concerne en tant que corps du Christ.

Il est l’image du Dieu invisible, c’est en lui et par lui que tout a été créé, ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, le monde matériel, le monde spirituel, l’univers entier… La tête, l’autorité, le chef de l’Église, c’est ce Christ-là ! Ça nous dit bien quelque chose de l’Église…

Et puis le Christ n’est pas seulement à l’origine de tout le monde créé, il est aussi celui par qui le monde est sauvé. Par lui, Dieu est venu parmi nous faire œuvre de réconciliation. Il est venu sauver ce monde qui s’est écarté de son Créateur. Au passage, remarquez comme Paul souligne la dimension cosmique de l’oeuvre de salut de Dieu : elle concerne l’ensemble de la création, « sur la terre et dans le ciel »… L’Église n’est, finalement, qu’une petite parcelle de cette œuvre de réconciliation.

On comprend pourquoi, par cette vision grandiose du Christ, il est essentiel que l’Église soit un corps qui ne perde pas la tête !

1. Une tête universelle

La dimension universelle du Christ et la dimension cosmique de son œuvre nous poussent à une compréhension universelle de l’Église. Dans l’Apocalypse, la vision du « peuple innombrable », sans nul doute symbole de l’Église, nous est décrit comme un peuple issu « de tous les pays, de toutes les tribus, de tous les peuples et de toutes les langues. » (Ap 7.9). Le projet de Dieu pour son Église est universel.

Cela implique, évidemment, le refus de tout replis sectaire. Comment prétendre croire à une Église universelle si nous pensons être les seuls à détenir la vérité ? Le seul fait de penser « détenir » la vérité est suspect. Du point de vue des évangiles, la vérité, c’est la personne du Christ, pas une confession de foi…

Pour avoir une vision correcte de l’Église, il faut nécessairement élargir notre regard bien au-delà de « son » Église locale ! Et pas seulement en théorie… Mais en profitant des occasions qui se présentent pour rencontrer d’autres Églises, prier avec d’autres chrétiens. C’est incohérent de dire : « Oui, je crois à l’Église universelle… mais je ne m’intéresse qu’à mon Église locale ! » L’oecuménisme, dans le sens de la communion dans la diversité de l’Église universelle n’est pas une option. Ce devrait être une composante essentielle de notre vie de chrétien.

Mais il y a aussi l’accueil de la diversité interne de l’Église, comme une expression locale de l’universalité de l’Église. Rien n’est plus contraire au projet de Dieu pour son Église qu’une communauté complètement uniforme où tout le monde marche droit, au même rythme, dans une discipline de fer. Ça, c’est l’armée. Pas l’Église…

2. La tête, c’est le chef !

La métaphore du Christ comme tête du corps affirme l’autorité suprême du Christ sur son Église. Une autorité ici magnifiée par l’ensemble de l’hymne et son évocation glorieuse de la personne du Christ.

C’est, du coup, une mise en garde contre toute autorité humaine qui voudrait un tant soit peu prendre la place de la tête… Dans l’Église, l’autorité n’appartient pas au pasteur, ou au conseil, ou aux membres les plus anciens, ou à celui qui parle le plus fort ou prie le plus longtemps. L’autorité, c’est le Christ et sa Parole. Toute autre autorité dans l’Église est relative et subordonnée au Christ. Comme il est triste que si souvent, dans les Églises, il y ait tant de jeux de pouvoirs… A force de jeux de pouvoirs, il y a des Églises qui finissent pas se couper la tête… en se coupant de l’autorité du Christ.

C’est lui, le Christ, qui est le chef ! Et ça doit se voir. Le Christ doit être omniprésent, au cœur de la vie de l’Église. Sans cette centralité du Christ, nous ne sommes plus une Église… tout au plus une association cultuelle, une amicale de chrétiens.

Comment se manifeste, concrètement, la centralité du Christ dans l’Église ? Peut-être d’abord à la place qu’il occupe dans nos motivations et nos objectifs.
Pourquoi venir au culte ou assister aux différentes réunions ? Pour rencontrer des amis ou même recharger ses batteries spirituelles ? Non.. d’abord pour rencontrer le Christ !
Pourquoi louer Dieu, chanter et prier ? Pour passer un bon moment, se faire du bien, vivre une expérience intense ? Non… pour glorifier le Christ !
Pourquoi annoncer l’Évangile ? Pour faire grandir l’Église, remplir les chaises vides, pouvoir se mesurer aux autres Églises ? Non… Pour glorifier le Christ, seul Sauveur du monde !

3. Une seule idée en tête : la réconciliation

L’accent porté, dans la deuxième moitié de notre texte, sur l’oeuvre de réconciliation du Christ a forcément une incidence sur notre compréhension de l’Église. Affirmer que le Christ est la tête de l’Église, c’est affirmer qu’il est à l’oeuvre dans son Église. Et que son objectif, la seule idée que Dieu a en tête, c’est la réconciliation. La réconciliation avec Dieu, bien-sûr, mais sans doute aussi la réconciliation les uns avec les autres.

L’Église est une communauté de rachetés, des hommes et des femmes pardonnés et déclarés justes par la mort du Christ, réconciliés avec Dieu. Une communauté d’hommes et de femmes « saints, purs et sans faute. » (v.22). Du moins aux yeux de Dieu ! Parce qu’on est assez loin de ça dans la réalité. Mais même avec nos faiblesses, nos sales caractères, nos cœurs pas toujours purs, nos motivations pas toujours saintes, nous nous présentons devant un Dieu qui nous accueille comme si nous étions saints, purs et sans faute.

Dieu ne nous voit pas tels que nous sommes vraiment mais tel que nous sommes en Christ. On pourrait dire, tel que nous serons lorsque l’oeuvre du Christ en nous sera pleinement accomplie. Il ne voit pas d’abord nos failles, nos limites et nos erreurs. Il voit notre potentiel pleinement révélé par l’oeuvre du Christ.

Du coup, je me demande : et nous ? Quel regard portons-nous les uns sur les autres ? Est-ce que nous voyons notre frères, notre sœur, tels qu’ils sont aujourd’hui ou tels qu’ils peuvent devenir en Christ ? Est-ce que nous leur donnons la chance de changer, ou plutôt d’être changés par le Christ, ou les enfermons-nous dans des cases, des chaînes, par un regard de jugement ?

Et si nous sommes une communauté de réconciliés avec Dieu, vivons-nous la réconciliation entre nous ? Ou nous accommodons-nous de vivre avec des rancœurs, des conflits, des ressentiments envers notre frère ou notre sœur ?

Conclusion

L’Église est un corps qui ne doit pas perdre la tête. Le Christ est son chef, et ça doit se voir. En ce qui concerne l’Église universelle, pas de risque : le Seigneur lui-même s’en occupe. Mais pour les Églises locales, l’exhortation doit être prise au sérieux.

D’autant que, malheureusement, l’histoire de l’Église est pleine d’exemples où les Églises ont perdu la tête, devenant un corps sans tête, ou un monstre à plusieurs têtes.

Jésus-Christ est l’unique chef de l’Église. Comment pourrait-il en être autrement :

« Il est le commencement,
celui qui, le premier, s’est levé de la mort,
pour être le premier de tous, toujours et partout. »




La mise à l’épreuve de Jésus

Lecture Biblique : Matthieu 4.1-11

Jésus vient de se faire baptiser, et si vous avez bonne mémoire (puisque nous avons médité le baptême de Jésus il y a quelques semaines), le baptême de Jésus est un moment fort, où se révèlent à la fois la pleine humanité du christ, qui suit le même chemin que les autres hommes, et sa pleine divinité, puisque le baptême du christ est une des rares occasions où la trinité se manifeste aux yeux de tous : le fils, dans l’eau, le Saint Esprit venant sur lui sous la forme d’une colombe, et la voix du Père retentissant depuis le ciel en disant : « celui-ci est mon fils bien-aimé. C’est lui que j’ai choisi avec joie ». Le baptême marque ainsi l’entrée de Jésus dans son ministère public, dans sa mission de Messie.

Ce baptême à peine terminé, Jésus se retire au désert pour une période de 40 jours. Cette retraite a plusieurs sens : Jésus jeûne, ce qui est la manière juive de marquer sa dépendance à Dieu, il médite aussi les Ecritures saintes, il vit un temps particulier d’intimité avec Dieu avant de se lancer dans sa mission. Alors, u moment où Jésus est le plus vulnérable, affaibli par plus d’un mois de jeûne, l’esprit du mal, c’est-à-dire le diable, vient le provoquer.

Par trois fois il le teste : 1° tu as faim : si tu es le messie, mange ! transforme ces pierres en pains grâce à la puissance que tu reçois de Dieu. 2° tu t’appuies sur les promesses de Dieu : demande-lui une preuve qu’il est fiable ! saute du haut du temple : puisque Dieu t’a promis de te protéger en toute circonstance, tu ne risques rien ! 3° regarde toute la terre et ses richesses : j’ai un moyen facile et rapide pour que tu en deviennes le roi : tu n’as qu’à t’agenouiller devant moi et c’est fait. Le monde entier, toute autorité, toute puissance, sont à ta portée : tu n’as qu’à dire que je suis ton Seigneur. 3 tests : vérifier sa puissance, prouver la fiabilité des promesses de Dieu, et l’appel d’un pouvoir universel.

Aux trois tentations, Jésus répond trois fois de la même manière : voici la parole de Dieu, à laquelle je veux obéir.

Voilà pour résumer un peu cet épisode de la mise à l’épreuve de Jésus.

La confirmation de l’identité du Messie

La première question qu’on peut se poser, c’est : pourquoi Jésus commence-t-il son ministère par la tentation ? par l’épreuve ? d’autant plus qu’un détail assez perturbant vient nous alerter : l’auteur précise bien que c’est l’Esprit de Dieu qui conduit Jésus au désert, expressément dans le but qu’il rencontre le diable pour être tenté. Est-ce que Dieu ne serait pas un peu sadique ? est-ce qu’il joue à ce qu’on appelle l’ascenseur émotionnel : après le baptême où il révèle la gloire et la divinité de Jésus, où il donne des signes tangibles qu’il est le Messie tant attendu, paf, juste après les hauteurs de ce moment glorieux, il le jette dans la gueule du loup. Avec ce traitement, on préfère éviter de s’attirer les faveurs de Dieu !

C’est toute la question du sens de l’épreuve-tentation qui se pose ici (le même mot dans la Bible): Dieu suscite cette mise à l’épreuve, non pas pour écraser ou blesser, mais pour tester et pousser à grandir. L’épreuve se dessine comme un carrefour : le croyant a la possibilité de tomber ou de progresser. Quand Dieu suscite l’épreuve, ce n’est pas pour faire chuter : il met à l’épreuve son Fils, comme tout croyant, dans le but de lui faire passer une nouvelle étape, de le rendre plus fort en surmontant un obstacle. Ça c’est l’optique de Dieu qui suscite la mise à l’épreuve : seulement, dans l’épreuve intervient un opposant, le diable, pour qui le but c’est clairement de faire chuter !

Dans le cas de Jésus, qui subira bien des épreuves au cours de sa vie, notamment la dernière nuit avant sa mort, cette rencontre au désert teste sa foi et sa détermination à remplir la mission voulue. Aux moments-clefs de sa vie, Jésus aura à faire face à des situations-carrefours, où il aura deux possibilités : abandonner ou continuer. Là c’est le premier moment-clef : juste après le baptême qui marque l’entrée officielle de Jésus dans sa mission de Messie, le test arrive, comme pour vérifier que Jésus est bien à sa place et qu’il est prêt pour continuer dans cette aventure.

Le lien avec le baptême est bien visible dans les paroles du tentateur : puisque, lors de son baptême, Dieu le Père a publiquement présenté Jésus comme son Fils bien-aimé, le tentateur joue sur cette corde. « si tu es bien le fils de Dieu, change les pierres ! si c’est vrai que tu es le fils de Dieu, saute ! » Cette mise à l’épreuve joue sur la confiance que Jésus a dans les paroles de Dieu lors de son baptême, paroles qui ne sont pas seulement des promesses mais qui concernent son identité propre : fils de Dieu.

Dans cette tentation, le diable rejoue la scène du péché originel avec Adam et Eve : il cherche à mettre en doute le bien-fondé de la parole de Dieu. Alors que les premiers hommes étaient tombés dans le piège, acceptant les suggestions du diable, Jésus reste sur ses gardes et décrypte les véritables intentions de son adversaire. Au lieu de se laisser manipuler, il reste ferme, solidement enraciné dans la parole de Dieu, ne laissant aucun sous-entendu mettre en doute sa confiance en Dieu. Là où Adam et Eve ont échoué, là où le peuple d’Israël, lui aussi éprouvé au désert avant d’entrer au pays promis, a échoué, Jésus réussit à progresser au lieu de tomber.

Par sa victoire sur la tentation, il démontre à la fois qu’il est vraiment humain, susceptible de chuter, mais qu’il demeure innocent. Il prouve que l’on peut être homme, fragile (il est exténué ! mort de faim !) sans pour autant être voué au péché : l’homme peut choisir le bien à chaque fois, et Jésus en est le suprême – et unique –exemple.

L’enjeu de la tentation de Jésus : la gloire avec ou sans souffrance ?

Revenons un peu sur le sens de la tentation de Jésus : en quoi les propositions du diable sont-elles un piège ? quel est l’enjeu du dialogue ?

On l’a vu, cet épisode se comprend en lien avec le baptême et cette pique de la part de l’adversaire : si tu es (vraiment) fils de Dieu… Le diable essaie de conduire Jésus à vérifier son privilège divin : a-t-il vraiment reçu la puissance de transformer les pierres en pains ? a-t-il l’assurance d’être secouru par les anges ? est-il prêt à recevoir toute autorité sur le monde ? Jésus est-il bien celui que Dieu prétend, fils de Dieu, Dieu le Fils, créateur du monde et tout-puissant ?

Devant cette provocation à utiliser les pouvoirs divins, Jésus ne rentre pas dans le panneau, il ne cède pas à l’envie de prouver sa puissance. Au contraire, il reste homme, démuni devant la faim, devant le risque de la mort, passager sur la terre plutôt que maître du monde. Il ne cède pas à ce délire de toute-puissance que le diable agite devant lui au milieu de son épuisement, à ce mirage de gloire et de pouvoir dans le désert aride qui le dessèche depuis 40 jours.

Le diable n’est pas créateur, et il n’invente rien : cette provocation, il l’avait déjà faite : à Eve puis adam : si tu es enfant de Dieu, et que Dieu veut vraiment ton bonheur, ne peux-tu pas manger de ce fruit, censé être interdit ? Adam et Eve cèdent : ils ne savent pas rester humains et se lancent dans ce délire d’être des petits dieux – ils perdront tout. Jésus, le Dieu devenu homme pour sauver tous les hommes, reste à la place qu’il a choisie. Il ne retourne pas dans ses palais glorieux à la première difficulté, mais il demeure pleinement homme, affaibli, inquiet, ayant pour seul secours les promesses de Dieu.

L’ironie, c’est que Jésus possède cette puissance : il nourrira les foules en multipliant les pains, il marchera sur l’eau, ressuscitera les morts, et en définitive il règnera sur l’univers. Cette mise à l’épreuve conduit à Jésus à réfléchir sur le chemin qui le mène à la gloire, à la victoire, au règne promis. Le chemin que lui présente le diable, c’est un chemin large, agréable, facile, pavé de petits pains et d’anges, alors que le chemin qu’a voulu Dieu est un chemin étroit, un chemin de renoncement, un chemin qui mène à la croix, à la mort, au sacrifice. Le diable fait miroiter un raccourci vers la gloire qui laisse de côté le salut des hommes par la mort du Messie innocent. Jésus ne se laisse pas tenter mais il choisit, il re-choisit, la voie étroite, la voie de l’homme, difficile et ardue, où il prendra la place des coupables, des pécheurs, des infâmes, afin de les recouvrir de justice et d’innocence, d’offrir aux égarés une place dans ce palais qu’il a abandonné.

Voilà le choix qui se dessine devant Jésus : un retour à la case départ, celle du trône glorieux de Dieu le fils, sans souffrance, sans humiliation, sans la croix, ou un chemin enténébré aux côtés des hommes souffrants, chemin que Dieu a choisi pour déboucher sur une plus grande lumière, répandue sur l’humanité.

L’enjeu de toute tentation : la relation avec Dieu

Au désert, Jésus est mis à l’épreuve : son choix de devenir homme, son choix d’endurer la peine des hommes pour leur offrir sa joie, son pardon, sa proximité avec Dieu le Père, c’est ce choix qui est testé, et Jésus persévère dans son choix, résistant ainsi à la tentation. Dans cet épisode du désert, on voit quelque chose d’unique se jouer en Jésus, le Messie, qui re-choisit d’assumer sa mission jusqu’au bout. Au travers de cette tentation si particulière se dessine le mécanisme général de la tentation, valable pour tout croyant.

On peut résumer ainsi la tentation de Jésus : Satan essaie de le conduire à sortir du chemin voulu par Dieu, à utiliser ses possibilités hors des cadres voulus par Dieu. Je crois qu’on peut en retirer quelques indices pour comprendre la tentation.

Le premier élément, c’est que le diable ne nous tente pas forcément avec des choses mauvaises en soi. Alors évidemment, si une petite voix vous dit d’aller assassiner votre voisin de palier, on est d’accord que la proposition est mauvaise, point. Mais regardez avec quoi Satan tente Jésus : des miracles, la confiance en Dieu, la vocation de Jésus à régner sur le monde. En soi ces choses ne sont pas mauvaises. Ce qui constitue un piège, c’est que le diable propose des choses en les sortant du projet global de Dieu. De très bonnes choses, détournées de leur vocation, utilisées de manière inappropriée, peuvent constituer une tentation : p. ex. le travail est une bonne chose, mais on entend parfois des gens qui deviennent accro et en viennent à négliger leur santé et leur famille. Ce peut être aussi bien l’argent, l’amour, la réussite : de belles choses, mais qui peuvent être détournées de leur usage et nous détourner ainsi du chemin de Dieu.

Le diable est si sournois qu’il va même jusqu’à citer la parole de Dieu : mais si, tu vois, c’est Dieu qui l’a dit, si tu sautes il te rattrape. La tentation n’est pas dans la parole biblique, mais dans l’intention avec laquelle elle est citée : pousser Jésus à utiliser ses privilèges comme il au lieu de faire confiance à Dieu.

Petite parenthèse : face à la tentation, nous ne pouvons pas avoir des réflexes bien huilés. En réalité, le diable peut tout utiliser, même les meilleures choses, même la parole-même de Dieu, pour nous détourner de la volonté de Dieu. On ne peut pas juste croire aux pattes blanches qu’il nous montre, mais nous sommes appelés au discernement, à peser les situations pour chercher quelle est la volonté de Dieu pour nous maintenant. Quel est le chemin que Dieu veut que je suive ? Une des façons de résister à la tentation (ce n’est pas une recette miracle) c’est de chercher à comprendre le but de telle situation, de telle capacité, de tel objet, de telle relation, comprendre le projet de Dieu qui entoure et oriente telle ou telle chose.

Pour le discernement nous sont données deux aides : le saint Esprit qui nous guide et nous éclaire, et la Parole de Dieu, méditée, fréquentée, comprise – dans sa cohérence. On a vu que le diable ne se gêne pas pour citer un verset biblique, et que sortie de son contexte, une parole peut dire tout et son contraire. C’est dans la compréhension du projet global de Dieu, de la relation entre Dieu et les hommes, que le discernement pourra s’effectuer.

Pour finir, l’épisode de la tentation au désert nous laisse voir aussi l’action discrète de Dieu, sa présence qui nous encourage : à la fin, les anges viennent et servent Jésus en lui donnant à manger. A lui qui a su respecter les temps de Dieu, à lui qui a su compter sur les promesses et la sagesse du Père, qui a su demeurer sur le chemin de la volonté de Dieu, Dieu répond fidèlement. Il n’est pas exempté du chemin choisi, mais Dieu prend soin de lui, il le garde et l’entoure de sa présence. A celui qui garde confiance en Dieu contre toute tentation, Dieu répond avec fidélité, et ce passage si particulier de la vie de Jésus nous invite à vivre, nous aussi, cette confiance sans compromis en Dieu.