Attendre le Bon Berger

https://soundcloud.com/eel-toulouse/attendre-le-bon-berger

Lecture biblique: Ezechiel 34 (extraits: v.1-7, 11-16, 23-31)

Nous continuons ce matin avec notre série de prédications de l’Avent, avec des textes de l’AT qui annoncent sous différents angles la venue du Messie. Parmi ces textes d’espérance, nous lirons aujourd’hui un oracle du prophète Ézéchiel, qui a vécu dans une des périodes les plus sombres de l’histoire d’Israël : l’exil. Après des siècles d’impiété, d’injustice et de divisions, le peuple récole ce qu’il a semé et est déporté en exil, d’abord le Nord d’Israël en Assyrie, au 8e s. av. J-C, puis le Sud en Babylonie, au 6e s. av. J-C. le peuple se retrouve dispersé, esclave et fragile, comme en Égypte quelques siècles plus tôt – c’est là qu’intervient l’oracle de Dieu : même si les compteurs sont remis à zéro, Dieu n’abandonne pas son peuple. Il renouvelle ses promesses, il rappelle son alliance et annonce la venue d’un vrai libérateur. Pour cela, il utilise une image, celle du berger. A une époque où il y avait beaucoup d’éleveurs, l’image du berger qui dirige, soigne, protège son troupeau, était vite appliquée aux gouvernants, aux leaders. Par Ézéchiel, Dieu s’adresse ainsi aux chefs d’Israël pour faire le bilan de la situation et renouveler ses promesses.              Lecture

Parlons un peu politique… Pas des primaires ni des élections présidentielles qui occupent les média français ! Non, du texte politique que nous venons de lire – dès qu’on parle de l’organisation d’un peuple, d’un groupe humain, social, on est dans la politique… Devant la catastrophe nationale que vit Israël, Dieu se lance dans un manifeste politique. Il commence par condamner les dirigeants passés – rois, gouverneurs – qui n’ont pas été à la hauteur de leur charge. Jugez un peu : égoïstes et corrompus, ils ont profité des ressources du peuple sans rien donner en retour, ils ont abandonné les pauvres et les marginaux à leur précarité, ils ont laissé toutes sortes d’influences ballotter le peuple, au point d’entraîner le pays dans les guerres, les famines, l’idolâtrie, une décadence sur tous les plans. Alors Dieu décide de reprendre les choses en main : moi, Berger, voilà ce que je ferai ! Je rassemblerai, je protègerai, j’établirai la paix et la sécurité, la justice et la liberté. Je suis le berger, dit le Dieu !

  • La venue progressive du dirigeant idéal

Dieu reprend la main, mais son règne n’est pas désincarné : il promet un berger humain, un berger, issu de la dynastie du roi David, avec qui Dieu a fait alliance autrefois, un berger qui établira le règne de Dieu et qui servira seulement les projets de Dieu. Qui fera quoi ? Ce texte ne le dit pas, il joue sur l’ambiguïté, sur ce berger divin qui œuvre par un berger humain, un berger unique qui réussira à suivre Dieu là où tous les autres rois ont échoué. C’est le dirigeant idéal, celui auquel nous osons à peine rêver ! Un berger qui établira fermement la justice, la paix, un état de proximité et d’harmonie avec Dieu, et avec les autres.

Comme beaucoup de prophéties, cet oracle s’est réalisé par paliers. 1er palier : une cinquantaine d’années plus tard, le peuple d’Israël revient sur sa terre sous la houlette du gouverneur Zorobabel, descendant de David, comme Dieu l’avait promis. Jérusalem est restaurée, le Temple aussi, et le pays revit – mais un peu seulement et pas longtemps, car bientôt le peuple sera à nouveau soumis : soit les prophéties étaient clairement exagérées, soit leur accomplissement total n’a pas encore eu lieu.

Alors le peuple juif se remet à attendre, un berger à la fois spirituel et politique – et c’est bien l’état d’esprit des Juifs lorsque Jésus entre en scène. Soumis de nouveau à une domination étrangère, romaine cette fois, ils attendent un libérateur ! un justicier ! un sauveur plus que spirituel : politique ! Et ils ont raison ! leur erreur a été de limiter l’œuvre du Berger à l’image qu’ils s’étaient créée, alors que Dieu avait un projet bien plus grand.

2e palier : Jésus survient, et reprend l’expression pour lui : je suis le bon berger (lequel ? Dieu ou le fils de David ? ou les deux ?). Il le démontre par le soin constant qu’il apporte aux foules : il guérit les blessés, il ramène les marginaux, il va chercher les pécheurs les plus endurcis. Il le démontre par son enseignement et son style : il cherche la paix, la justice, la vérité. Comme Dieu, il dénonce les chefs qui abusent de leur pouvoir – et donne, lui, un modèle de douceur : venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos…

Le royaume de Dieu se rapproche – mais il ne s’impose pas de l’extérieur : il conquiert d’abord les cœurs ! Il ne s’arrête pas aux Juifs, mais il ouvre ses portes à tous les peuples. C’est ce que les Juifs de l’époque de Jésus ont souvent raté, alors que les prophètes l’avaient aussi annoncé. D’abord Jésus ramène au Père chaque brebis en souffrance, esclave, exilée – pour lui offrir le pardon et la paix, la réconciliation et l’amour avec Dieu. Ainsi, ceux qui croient constituent le peuple de Dieu, conduit par le berger Jésus-Christ.

Jésus, fils de David et fils de Dieu, mort pour ramener les brebis à Dieu, ressuscité, monté au ciel à la droite du Père, Jésus est le Roi, le Seigneur – politique ! il est le Roi !

Sauf que règnent encore la corruption, l’égoïsme et l’indifférence, l’exploitation et la violence, les guerres et les famines… Là encore, déçu par les mêmes travers chez nos dirigeants, le peuple de Dieu se remet à attendre : que ton règne vienne, toi qui es déjà roi ! Que ton règne advienne sur la terre comme dans le monde spirituel ! Lorsque nous prions cela, nous avons une prière politique : nous attendons le règne de Dieu ! Même si nous n’en connaissons pas tous les détails, nous savons quel programme Dieu appliquera : justice, paix, vérité, solidarité, liberté.

  • L’Eglise, ambassade du ciel

Dans l’attente que Dieu manifeste son royaume sur la terre entière comme il l’a fait dans notre cœur, l’église est comme l’ambassade du ciel : elle s’efforce de vivre selon la politique de Dieu. Bien souvent, nous lisons la Bible sous un angle spirituel et individuel – mais un texte comme celui-ci change notre perspective : la foi a une dimension politique. Par la foi, nous sommes membres de la nation de Dieu, citoyens du Royaume céleste. Cela ne veut pas dire qu’il faille arrêter de s’impliquer dans la société, au contraire ! Mais le faire en citoyens du monde à venir, en gardant comme but le règne juste et pacifique de Dieu.

A l’avant-garde du Royaume, dans la mesure de nos moyens, nous annonçons qu’un autre règne est possible, en le proclamant, en le vivant. Comment l’Eglise est-elle avant-gardiste ? Reprenons l’exemple des responsables, mini-bergers délégués par le Bon Berger : qu’ils exercent leur responsabilité en imitant le Christ, avec la même générosité, la même patience, la même sollicitude. Je prêche pour nous pasteurs, bien sûr, pour le conseil, mais c’est vrai pour la plupart d’entre nous : avec nos responsabilités dans l’église (au culte, avec les enfants, les jeunes, dans un groupe…), mais aussi en famille (parents, grands-parents, frères et sœurs aînés, au sein du couple), au travail, dans une association… Plus largement, membres dans le troupeau, nous sommes appelés à nous aimer les uns les autres : à veiller les uns sur les autres, à nous servir, à nous soigner, sous la houlette de Dieu.

Conclusion

Ce texte nous alerte sur la dimension politique de la foi, de l’Eglise, de la vie chrétienne : avant d’être de telle ou telle nation, nous sommes le peuple de Dieu, manifesté en Jésus-Christ – roi déjà couronné, qui attend encore avant d’instaurer pleinement son règne, berger parfait. Comme de bons patriotes, annonçons et préparons, par nos prières, nos paroles et nos actes, le Royaume de Dieu, seul royaume où le roi fait de son peuple ses enfants, ses frères, seul royaume où le roi dirige dans l’amour et la vraie justice.




Dès le commencement, l’espérance…

https://soundcloud.com/eel-toulouse/des-le-commencement-lesperance

Lecture biblique: Genèse 3.8-19

Allumez la télévision, et regardez les informations. Les (mauvaises) nouvelles, majoritaires, distillent le malaise : injustices sociales, corruption, crimes et cruauté, dysfonctionnements divers, maladies, attentats, guerres… Que ce soit ici ou ailleurs, le monde ne tourne pas rond. Enfin, le monde. Si j’éteins la télé et que je regarde ma vie, je vois bien que ma vie ne tourne pas rond : j’y trouve les souffrances, les mensonges, les fautes – peut-être moins dramatiques, mais bien présentes. Notre vie ne tourne pas rond. Et le pire, c’est que nous le savons. Il y a un malaise, car ça ne devrait pas se passer comme ça ! Nous sommes choqués de l’injustice, scandalisés de la corruption, horrifiés devant le crime – et parfois dégoûtés de nous, de nos calculs mesquins, de notre langue acerbe, de nos trahisons ordinaires et de nos convoitises…

C’est ce malaise que vient expliquer la Genèse : de façon imagée, presque enfantine, à la manière des paraboles, la Genèse nous livre une histoire qui nous permet de comprendre l’Histoire, de comprendre notre histoire. Elle dit de manière pédagogique pourquoi on en est là : le monde a été créé bon, l’être humain très bon, mais voici, l’être humain n’a pas respecté le cadre que Dieu avait donné à sa création. Et les conséquences sont immédiates.

1)   La grande rupture

On imagine souvent que Dieu s’est empressé de juger l’homme et la femme qui avaient transgressé sa volonté. En fait non, il vient simplement à leur rencontre – mais eux se cachent. Ils ont peur. Dieu les interpelle, leur demande pourquoi ils se cachent – et ils avouent leur faute. Enfin, ils avouent… ou plutôt ils accusent ! « C’est pas moi, c’est l’autre – c’est la femme, tu sais celle que toi, Dieu, tu as créée (d’ailleurs je me demande si tu ne serais pas un peu responsable de ma faute !) ; (la femme) j’ai fait ce qu’il ne fallait pas, mais, c’est le serpent qui m’a trompée. » C’est pas moi c’est l’autre – les relations sont brisées. C’est la rupture entre l’homme et la femme, qui se pointent du doigt, mais aussi avec Dieu – on a peur, on se cache, on ment.

Dieu prononce alors un jugement, d’abord au serpent, puis à la femme et à l’homme. L’être humain est confronté aux conséquences de sa propre faute, mais il devra aussi subir l’autorité du serpent qu’il a choisi d’écouter à la place de Dieu.

La faute entraîne la rupture dans les relations créées harmonieuses. Dans le couple, l’intimité cède à la distance, au désir répond la domination, et celui qui s’expose risque bien de se prendre des coups. La joie d’être ensemble, même la joie de voir naître un enfant, se mêle d’angoisse et de peines. Dans la vie quotidienne, tout devient laborieux. Au travail aussi, lieu de responsabilité et de créativité, l’homme se prend les pieds dans les épines, se blesse dans les chardons, dans les difficultés, les dysfonctionnements, les galères… La joie cède la place à la frustration et à la souffrance.

Enfin résonne le glas : l’homme, jusqu’ici renouvelé chaque jour par la proximité avec le Dieu qui fait vivre, le Dieu créateur, s’est détourné de Dieu et perd donc les privilèges de sa relation avec lui : la mort devient l’horizon de l’existence, apportant un sentiment d’urgence, de crainte, de vanité… sans Dieu, sans la vie et la puissance et la présence de Dieu, tout perd son éclat, tout rouille, tout coince, tout blesse, tout porte à la mort. Voilà la vie renversée qu’Adam doit vivre maintenant, et nous avec – car Adam représente l’humanité, comme un roi représente son pays : lorsqu’il entre en guerre, tout le peuple est en guerre. Mais notre solidarité avec Adam va plus loin, car chacun s’est détourné de Dieu en commettant le mal.

2)   Un commencement d’espérance

Pourtant, Dieu offre un espoir, un commencement d’espérance. Premièrement, le serpent devra maintenant ramper, et il mangera la poussière. Ces images signifient que Dieu vient brider l’activité du diable : le serpent rampant s’oppose au serpent dressé et prêt à attaquer, nettement plus dangereux. Il vit encore mais il rampe, il garde du pouvoir mais limité, il ne pourra pas gagner en puissance. Deuxièmement, Dieu place la haine entre le serpent et l’humanité qui descendra d’Adam et Eve, dans une lutte à mort : l’homme cherche à écraser le serpent avec son pied, tandis que le serpent mord le pied qui le frappe, espérant instiller son venin fatal. Le serpent entrave l’homme mais ne peut pas prendre le dessus. Le bien et le mal s’annulent ; on le voit assez bien dans l’Histoire : les progrès par exemple entraînent toujours leurs lots de problèmes nouveaux, dont les solutions entraînent de nouveaux problèmes etc. Dans ce corps-à-corps, aucun vainqueur ne se dégage.

Mais la descendance porte une promesse que Dieu reprendra : la descendance d’Abraham sera source de bénédiction pour le monde, la descendance de Juda, quatrième fils de Jacob, portera la victoire, la descendance du roi David règnera pour toujours, dans un règne de justice et de paix. Ce fils d’Abraham, de Juda, de David, ce fils d’homme, c’est le Christ ! C’est Dieu devenu homme, Emmanuel, Dieu avec nous, Dieu à nos côtés, qui vient se glisser dans notre corps-à-corps avec le serpent : Jésus, sur la croix, combat à notre place, pour nous, et laisse le serpent l’infecter de son venin mortel, pour écraser définitivement la tête du mal, et mettre un point final à sa domination. La résurrection prouve que Jésus ressort vainqueur, blessé, mais vainqueur, de ce combat qui nous libère de l’emprise du serpent, mais aussi des conséquences de notre révolte : à celui qui croit en Jésus, l’accès à Dieu est restauré, la mort perd sa force, la vie est de nouveau disponible, et pour toujours. Le Christ a remplacé la malédiction par une bénédiction.

Alors c’est bien beau, cette victoire, mais qu’est-ce que ça change à notre vie ? à notre quotidien ? Pour rester dans l’actualité présidentielle, on pourrait dire que Jésus a remporté la victoire et qu’il est maintenant le nouveau président du monde, mais il ne s’est pas encore installé au palais présidentiel. Le passage de pouvoir doit encore se faire, mais le tyran a été vaincu, il règne mais plus pour très longtemps, le corps bouge encore, mais la tête est écrasée. En préparant Noël, nous n’attendons pas la naissance du vainqueur, du sauveur, mais son retour, la manifestation totale de sa victoire au monde entier, son intronisation officielle.

Et cela a un impact sur notre quotidien, parce que Dieu nous invite à prendre du recul et à voir que, derrière les événements ordinaires de notre vie, les malaises et les injustices, Jésus a vaincu. Dieu nous invite à prendre parti, à nous engager aux côtés du vainqueur : par la foi, par l’espérance dans un monde désespérant, par des actes de résistance. De même qu’il y a des irruptions du mal qui nous choquent et nous scandalisent, Dieu nous invite à vivre des irruptions du bien, à inscrire notre espérance dans les gestes et les paroles du quotidien, à laisser la victoire du Christ transfigurer notre quotidien ! Pour reprendre les cas concrets que Dieu évoquait dans son jugement : quand un mari honore sa femme et refuse d’abuser de sa force, il proclame que la malédiction est renversée et il annonce la victoire du Christ ; quand dans un couple on évite de se renvoyer à la figure la faute commise 20 ans plus tôt, on annonce la victoire du Christ ; quand au travail on facilite le travail de son collègue en rendant un document dans les temps, ou qu’on choisit l’honnêteté dans une situation ambiguë, ou qu’on refuse les calomnies de bureau, on annonce la victoire du Christ ; quand nous soutenons ceux qui souffrent, dans leur corps ou leur âme, nous annonçons le Christ. Le matin au petit-déjeuner, pendant nos réunions, pendant nos cultes et dans le métro, sur la rocade et dans les réunions de famille, chaque fois que nous choisissons la justice, la bonté, la paix, l’amour, nous proclamons que le Christ nous a libérés de l’emprise du serpent et de la mort, et nous annonçons sa victoire.




L’église de rêve

perle-huitre

Lecture biblique: Apocalypse 3.7-13 (culte de sensibilisation à la cause des chrétiens persécutés, à l’initiative de l’ONG Portes Ouvertes)

Portes Ouvertes propose à notre méditation ce matin un passage du livre de l’Apocalypse. L’Eglise est alors persécutée à la fois par d’anciens compatriotes juifs, qui refusent de reconnaître en Jésus le Messie et font tout pour détruire les chrétiens, et par des païens qui luttent contre cette foi nouvelle qui ébranle leur mode de vie. Jean, disciple de Jésus, reçoit alors toute une série de révélations, qui ont pour but d’encourager l’Eglise persécutée : Dieu y révèle l’envers du décor, les coulisses du monde, invisibles à nos yeux, mais bien réelles. Il y rappelle essentiellement sa victoire, en Jésus mort et ressuscité, victoire déjà effective mais qui sera pleinement révélée lorsque Jésus reviendra. Au début du livre, Jean reçoit une vision du Christ, victorieux, fort, plein d’autorité, et le Christ lui demande d’écrire sept lettres, à destination de sept églises. Ces lettres suivent le même schéma : Jésus se présente, il adresse des compliments et/ou des reproches à l’église, puis des exhortations et/ou avertissements et une promesse à celui qui persévèrera dans la foi. Dans la lettre destinée à l’église de Philadelphie, il manque un des éléments… je vous invite à lire.        Lecture

Qu’est-ce qui fait une grande église ? Une église impressionnante, qui en jette ? De grands et beaux bâtiments (une grande église au sens littéral) ? son enracinement dans la tradition ? un soutien à beaucoup de missionnaires, des centaines d’invités au parcours Alpha, des enfants par dizaines… ? Peut-être une église avec beaucoup d’influence, avec un pasteur renommé, invité dans les conférences internationales… ? On a tous notre représentation de l’église de rêve ; mais quelle église impressionne Dieu ? La lettre à Philadelphie nous invite à regarder avec les yeux et les valeurs de Dieu : une église qui en jette, c’est une église fidèle. Une grande église, c’est une église fidèle. Peu importe le nombre de membres, peu importe le montant du budget ou le nombre de concerts d’évangélisation, une grande église, c’est une église fidèle à Dieu.

1)   Une église de valeur dans un écrin de faiblesse

La lettre à Philadelphie est une des deux seules, sur sept, à ne recevoir aucun reproche de la part du Seigneur. Bien plus, Jésus la félicite et l’encourage, et prend même la peine de lui dire explicitement qu’il l’aime. Elle est comme une perle précieuse à ses yeux.

Pourtant, c’est une église faible, avec peu de moyens, peu d’influence, peut-être peu de membres. Sa seule œuvre connue, c’est de tenir bon face aux persécutions des concitoyens juifs qui luttent contre l’« hérésie » chrétienne. Malgré toutes les pressions, ses membres refusent de renier le Christ. Leur « œuvre », c’est de croire, envers et contre tout, dans la puissance du Christ qui sauve par amour. Leur « œuvre » c’est la foi.

L’église de Philadelphie ressemble aux églises de l’ombre dont Pascale vous parlera tout à l’heure : des églises faites d’anciens musulmans, bouddhistes, hindous, qui vivent une persécution terrible de leurs proches, au point qu’ils perdent tout, parce qu’ils ont changé de foi.

A cette église, le Christ ne demande qu’une chose : « continue ! Tu es sur la bonne voie, petite église fidèle, restes-y ! persévère, c’est tout ce que je te demande ! » Il ne demande pas plus d’activité, d’influence, ou de puissance : non, « continue » !

Dieu chérit Philadelphie, mais il aime aussi les autres églises, bien sûr ! Les églises qui rayonnent, actives, dynamiques, avec beaucoup de membres, de baptêmes… Mais dans cette lettre, Dieu attire notre attention : dans toutes les églises, grosses ou petites, fortes ou fragiles, ce qui compte c’est la fidélité. D’ailleurs, dans les lettres qui s’adressent aux autres églises, souvent bien plus impressionnantes qu’à Philadelphie, le Christ adresse deux reproches : tu as perdu ton premier amour – ton enthousiasme pour Dieu, et, tu t’es laissée embarquée dans des compromis qui altèrent la Bonne Nouvelle du salut en Jésus seul.

Chaque église a ses projets, son profil, ses talents, mais ce qui compte en deçà, pour chacune, en tout temps et en tout lieu, c’est sa loyauté au Christ.

2)   Forts dans la faiblesse

Devant la fidélité de Philadelphie, malgré sa fragilité, le Christ déploie ses promesses : lui qui est fort, plein d’autorité (il a les clefs du Royaume de Dieu, il a l’autorité suprême – personne ne peut défaire ce que le Christ a fait, personne ne peut contrecarrer les plans du Christ ressuscité et victorieux), lui qui est fort va fortifier son église. Il va ouvrir une porte devant elle, lui assurer un avenir. De fait, historiquement, l’église de Philadelphie a été le dernier bastion chrétien à tenir face aux Turcs au XIVe siècle.

Il va lui livrer ses opposants, les persécuteurs – Jean parle de synagogue de Satan parce que ce sont des Juifs qui luttent contre l’église, il aurait parlé autrement si ç’avait été des païens, des athées, des bouddhistes, des musulmans… ce qu’il vise, c’est le persécuteur ! Peut-être que la porte ouverte, c’est les persécuteurs livrés à l’église, qui reconnaissent enfin, dans cette communauté, que Dieu les aime, que Dieu sauve en Jésus-Christ.

J’ai été très impressionnée, il y a quelques mois, par le témoignage d’une jeune femme emprisonnée, qui devait être torturée pour renier sa foi au Christ. Elle a beaucoup prié pour ne pas être torturée, mais elle n’a pas pu y échapper. Pourtant, au pire de l’interrogatoire, elle a ressenti une paix et une assurance inimaginables, et elle a pu affirmer, clairement, que Jésus est son sauveur. Les gardes l’ont reconduite dans sa cellule, mais au milieu de la nuit, l’un d’eux est venu frapper à sa porte pour en savoir plus sur Jésus : depuis, il croit, sa famille croit, il est même devenu pasteur.

Peut-être que c’est aussi ce genre de porte ouverte que le Christ promet à son église : malgré la fragilité et la simplicité, son témoignage fidèle portera du fruit.

Le Christ ajoute d’autres promesses : il la gardera dans l’épreuve – il lui donnera la force de persévérer et de tenir, il veillera sur elle. Et puis, à ceux qui auront persévéré jusqu’au bout, il accordera une place de choix aux côtés de Dieu, un nom nouveau, une carte d’identité du royaume de Dieu aussi permanente qu’une colonne. Ceux qui ne dorment plus que d’un œil, harcelés par leurs proches ou leur gouvernement, ceux que tous ont rejeté, ceux qui ont tout perdu (travail, famille, maison), à cause de leur foi au Christ, ceux-là reçoivent cette promesse extraordinaire d’être des colonnes inébranlables dans la maison de Dieu, pour toujours.

Conclusion

Apocalypse, livre des révélations. Que nous révèle cette lettre ? D’abord, que l’habit ne fait pas le moine – Dieu regarde au cœur, et il se réjouit avant tout d’une foi sincère et persévérante, même si elle paraît simplette à d’autres.

Ensuite, Dieu nous invite à deux choses : d’abord soutenir les frères et sœurs ballottés par les vents – dans la prière, la rédaction de cartes postales d’encouragement, l’envoi de Bibles : tout ce qui pourra les aider à tenir jusqu’au bout. Ne méprisons pas ce que Dieu chérit, ne soyons pas éblouis par les chrétiens célèbres au détriment de nos frères et sœurs qui luttent, dans l’ombre, mais en qui Dieu voit la même valeur.

Dieu nous invite à soutenir les églises de Philadelphie d’aujourd’hui, et il nous demande aussi de nous laisser enseigner par elles. De les prendre pour modèles. Que nous aussi, nous soyons forts par la force de Dieu. Que nous aussi, avec notre puissance et nos facilités, nous soyons d’abord pleins de loyauté et de fidélité envers Dieu, que nous proclamions l’Évangile avec joie et fierté – car celui qui nous a sauvés est le sauveur, le Seigneur, qui offre une nouvelle vie à ceux qui se tournent vers lui.




Vivre avec la porte entrouverte

https://soundcloud.com/eel-toulouse/vivre-avec-la-porte

Aujourd’hui nous terminons notre série sur la lettre de Jacques, apôtre, aux premières églises. Jacques ne fait pas vraiment de conclusion classique, avec salutations et résumé, mais il termine avec des exhortations, un peu pêle-mêle, qui rappellent les thèmes déjà évoqués : par exemple, le poids de la parole, l’importance de la persévérance, ou encore le soutien aux faibles.

Lecture biblique Jacques 5.7-20

Il est là. Il est vraiment là. Il est sur le seuil. Il attend son heure, sur le pas de la porte, au seuil de notre temps, mais il est déjà là, prêt à entrer. Jésus est là, le Ressuscité, vainqueur du mal et de la mort, se tient prêt, prêt à revenir manifester au monde entier sa victoire d’il y a 2000 ans.

Prenons-nous cette affirmation au sérieux ? Comment vivons-nous à la lumière de ce « bientôt » ? Alors certes, Jacques dit que Jésus revient bientôt – et ça fait presque 2000 ans. Bientôt : cela signifie surtout que Jésus est proche, qu’il est à la porte, et qu’il peut entrer à n’importe quel moment, demain, dans 10 ans, dans 3000 ans… N’importe quand, mais peut-être ce soir ! Il est sur le seuil. A ceux qui savent que Jésus est proche, la porte est comme entr’ouverte, car nous distinguons dans l’ombre sa présence et son regard. Il est là, nous le savons.

Prenons-nous cette affirmation au sérieux ? Jacques termine sa lettre avec diverses recommandations, mais au fond, un appel retentit : persévérez ! Tenez bon, car le Christ est à la porte, et la porte est entr’ouverte… Sans reprendre tout en détail, j’aimerais ce matin souligner trois caractéristiques de cette persévérance que Jacques nous appelle à vivre.

1)   Dans la prière

Qu’est-ce que la persévérance ? il ne s’agit pas d’attendre en se tournant les pouces ou en se résignant à l’impuissance : persévérer, c’est faire œuvre d’endurance. C’est tenir bon, jusqu’au bout – comme un coureur de fond qui serre les dents et qui tient, jusqu’au dernier mètre ! Jacques s’adresse à des chrétiens en grande partie éprouvés – par l’oppression sociale, la persécution, la maladie – tentés de se décourager et de baisser les bras, ou au contraire de prendre les armes et de se révolter, cédant à la violence et la l’injustice. Jacques appelle à persévérer, comme l’agriculteur bien forcé d’attendre que les saisons passent pour pouvoir récolter ce qu’il a semé. Il ne part pas en vacances pendant trois mois ; mais il ne creuse pas non plus le sol pour tirer sur les plants de tomates ou de haricots ! Il attend, oui, mais activement, préparant le terrain, préparant sa ferme, pour le jour J. Il attend avec confiance, sachant que dans la terre, invisibles à l’œil nu, poussent tranquillement les plantes semées.

Persévérer, endurer, attendre activement, voilà l’attitude à avoir, une attitude qu’illustre très bien la prière. Que fait celui qui prie ? Il ne se résigne pas à la situation, mais il ne prend pas non plus le pouvoir : il s’en remet à Dieu. Il tend les mains vers Dieu, pour lui confier ce qu’il vit : sa vie, sa personne, ses relations, ses peines, ses joies, ses projets…

Jacques s’attarde en particulier sur la prière pour les malades. Il encourage l’église à prier avec foi pour ceux qui sont gravement malades : avec foi, avec la confiance de ceux qui savent que Jésus est sur le seuil, et qu’il peut, s’il le veut, passer sa main par la porte entrebâillée pour relever celui qui agonise. Car si Jésus est là, tout près, il peut intervenir dans notre vie. Vivre en sachant que la porte est entr’ouverte, c’est oser prier que Dieu donne, dès maintenant, comme un avant-goût de ce que nous vivrons avec lui dans l’éternité, parce que la résurrection du Christ a fait sauter les verrous de la porte et que le règne de Dieu est tout près.

Cela étant, loin de Jacques l’idée d’ordonner à Dieu de guérir, de faire ceci ou cela : non, prier avec foi, c’est prier avec la certitude que Dieu est puissant, qu’il est bon, et qu’il nous répondra – tout en recevant avec humilité et confiance la réponse que Dieu décidera de nous donner : parfois la délivrance, parfois la foi nécessaire pour supporter l’épreuve.

2)   Dans la fidélité

Lorsqu’il évoque la prière pour les malades, Jacques touche à un aspect qui vous a peut-être interpellés : la question du péché, du mal dont nous nous rendons coupables. Il ne dit pas que toute maladie vient d’une faute à expier, d’ailleurs Jésus a souvent résisté à cette interprétation, et l’histoire de Job est bien l’exemple du juste éprouvé, jusque dans son corps, sans lien avec une faute particulière.

Pourquoi évoquer alors la question du péché ? D’abord parce que parfois – mais bien sage qui saura le discerner chez l’autre – parfois, une faute cause une maladie ou empêche la guérison. Mais, plus largement, c’est un appel à la cohérence. Si je demande à Dieu de me guérir, physiquement, comment pourrais-je rester aveugle sur mes troubles intérieurs ? le corps est important, mais l’âme encore plus ! Quand je prie pour être guérie, je demande à Dieu de me relever physiquement, mais la logique veut que si je prie pour être relevée, j’accepte aussi que Dieu me relève spirituellement, que Dieu me guérisse de ma culpabilité, de mon péché, des mensonges et des amertumes qui pourrissent ma vie…

Avec persévérance, nous cherchons à vivre toujours plus comme demain, quand Jésus aura passé la porte et instauré sa justice et sa paix : ne plus juger les autres mais les soutenir, ne plus mépriser le petit mais l’élever, ne plus regarder aux richesses illusoires mais chercher ce qui dure, ce qui est beau et bon aux yeux de Dieu. Être fidèle au Christ, c’est par exemple résister à la tentation de la manipulation ou de l’hypocrisie : Jacques évoque les contrats, les serments – que votre oui soit oui ! Tenez votre parole, sans ajouter de lignes en petits caractères pour vous dédouaner quand ça vous arrange ! Ce qui paraît être un détail de la vie chrétienne, nos serments, est un appel à l’intégrité et à la sainteté : cherchez à honorer Dieu dans toute votre vie, dans les grands moments et les petits détails !

3)   Dans la communauté

Dans la prière comme dans la recherche de sainteté, la communauté est essentielle. Comme les coureurs qui vont à plusieurs pour s’encourager et se soutenir quand l’un ou l’autre faiblit, les chrétiens ont besoin les uns des autres pour s’encourager à persévérer en attendant que Jésus passe la porte.

Prenez la prière : la nécessité d’avoir une relation personnelle avec Dieu, dans l’intimité et la solitude, n’empêche pas de partager nos joies et nos peines en communauté ; c’est d’autant plus vrai quand on touche le fond et qu’on ne peut plus prier qu’avec difficulté et angoisse, car alors le soutien de la communauté est nécessaire – non pas en entier dans la chambre du malade, mais représentée par ses responsables, les membres du conseil p. ex. Toute notre vie gagne à être vécue avec les autres croyants, mais il y a des moments où c’est indispensable : quand pointent le besoin de réconciliation, la lutte contre l’amertume ou la culpabilité, l’égarement, le découragement, l’angoisse. Il ne s’agit pas de tout confier à tout le monde, mais de compter sur quelques uns, dans l’église, avec qui nous ferons équipe pour aller plus loin. Un exemple : dans les périodes de tentation, de quelque nature qu’elle soit, lutter seul est une aberration. Se confier, par contre, à quelqu’un, et prier à deux, toutes les semaines, tous les jours s’il le faut, pour résister et se fortifier, voilà  qui permet de persévérer. Dieu nous offre les moyens de tenir le bon cap, quelque soit la force des vents ou la hauteur des vagues : c’est sa Parole, la Bible, c’est la prière, c’est le soutien des autres, par lesquels Dieu agit pour nous relever.

Conclusion   

Vivre en sachant que Jésus est sur le seuil et que la porte est entr’ouverte, c’est persévérer, dans la prière – en nous confiant à Dieu, dans la fidélité – en cherchant à vivre toujours mieux en accord avec ce Dieu que nous prions, dans la communauté des croyants – où nous expérimentons concrètement l’amour et la solidarité. Debout sur le seuil, Jésus nous invite à faire un pas de plus dans la bonne direction, il nous encourage à tenir malgré les difficultés.

Jacques s’est concentré sur la part que nous avons à faire, mais à la fin de cette lettre résonne encore la promesse du début : si quelqu’un manque – de sagesse, de persévérance, de sainteté, de patience, d’amour, de solidarité… – qu’il la demande à Dieu, avec foi, en sachant que Dieu va répondre, parce qu’il est généreux et bienveillant, plein de grâce et de compassion.




Vraie et fausse sagesse

https://soundcloud.com/eel-toulouse/ne-pas-se-tromper-de-sagesse

Lecture biblique: Jacques 3.13-18

On retrouve Jacques et ses défis. Tu dis que tu as la foi ? prouve-le ! tu dis que tu es intelligent ? prouve-le ! Plus tôt, Jacques a montré que la foi, c’est plus qu’une simple conviction sur Dieu : c’est une relation avec Dieu, marquée par la confiance, qui influence la vie entière. Maintenant Jacques s’attaque à la sagesse, à l’intelligence, à la façon dont nous définissons la maturité chrétienne. De même que la relation spirituelle que nous avons avec Dieu influence et transforme notre caractère et notre comportement, de même, notre maturité de chrétiens se mesure sur le plan des connaissances tout autant que sur le plan du caractère et du comportement.

En effet, Jacques met les choses au clair : la vraie sagesse, qui vient de la relation de foi que nous avons avec Dieu, touche tous les domaines de notre vie. Il disqualifie ainsi une certaine conception de la sagesse, qui se définirait par le savoir (intellectuel) ou éventuellement le savoir-faire (compétences pratiques, expertise, expérience) mais qui négligerait le savoir-être. La sagesse, dans la Bible, c’est d’abord un savoir-être, qui touche toute notre vie.

1)      Non à une demi-sagesse

C’est sur cette base que Jacques interpelle ses interlocuteurs et particulièrement ceux qui se considèrent sages : peut-être exercent-ils des responsabilités dans l’église, peut-être ont-ils de l’expérience dans la foi, peut-être connaissent-ils les Écritures saintes sur le bout des doigts, ou sont-ils capables de former de plus jeunes chrétiens… Toujours est-il que cela ne suffit pas pour définir la maturité chrétienne. C’est comme un arbre qui grandit : il doit développer son tronc et ses branches, pour pouvoir porter du fruit, mais aussi ses racines – on dit d’ailleurs qu’il y autant de racines souterraines que de branches visibles. Ici, Jacques dénonce une sagesse à plusieurs vitesses, incohérente, qui fait les choses à moitié et se trompe en fait complètement de chemin. Suivre Dieu, c’est le suivre de tout notre cœur – en tout cas, vouloir le suivre de tout notre cœur. Jacques ne parle pas de ceux qui échouent – on est malheureusement tous dans ce cas – mais de ceux qui renoncent à essayer, de ceux qui se contentent de l’apparence de la sagesse sans la chercher de tout leur cœur : une sagesse hypocrite, qui repose sur un masque, la réputation, l’ancienneté, les connaissances, mais qui ne touche pas le cœur. Car la vraie sagesse n’est pas seulement dans la tête : comme l’arbre développe racines, branches et tronc, le sage est celui qui grandit en sagesse dans ses connaissances, dans son caractère et son comportement.

Jacques évoque un élément en particulier : le problème de l’ambition personnelle et des rivalités avec les autres. En effet, les communautés auxquelles il écrit sont traversées par des conflits de personnes qui sabotent la vie communautaire. Jacques touche donc à la racine de ces conflits : l’ambition personnelle, la jalousie, la comparaison, la rivalité. Cependant, Jacques n’est pas le seul à évoquer les problèmes de l’ego : Paul adresse les mêmes reproches aux Philippiens par exemple, en les exhortant à l’humilité, et on voit déjà les disciples demander à Jésus : qui est le plus grand ? qui sera à ta droite, Seigneur ?

Pourquoi cette question de l’ambition personnelle ? des rivalités ? de la comparaison ? du désir de pouvoir, de grandeur, de supériorité ? Peut-être parce qu’au début de la vie chrétienne, on s’attache à éviter les péchés évidents : l’addiction, une vie sexuelle déréglée, le vol, le mensonge, l’infidélité… mais ensuite il reste, et ce n’est pas le moindre, le péché caché, tapi au fond de nous, invisible aux autres mais visible à Dieu : l’orgueil qui est en nous, et qui nous pousse à chercher la première place, à nous comparer, à juger avec rancune, amertume, mépris. Ce vieil orgueil qui voulait nous faire prendre la place de Dieu, au jardin d’Eden, et qui a opposé Adam à Eve, dans l’accusation et le reproche. Cet orgueil est incompatible avec la vraie sagesse, car il influence notre comportement et le pollue : il n’y a donc pas de quoi se vanter ! Plus encore, et là je crois que Jacques nous titille dans notre mauvaise foi, le demi-sage ne doit pas justifier son manque de sagesse !

Bien sûr, nous sommes tous pleins de bonne volonté, et personne ne veut être hypocrite ou orgeuilleux ! Et pourtant, parfois, nous cédons à la tentation de la facilité, du compromis avec notre péché. Parfois nous arrêtons de lutter contre nous-mêmes, contre notre arrogance, contre nos motivations douteuses, contre ce mépris de l’autre. Et le danger, quand nous arrêtons de lutter, c’est de le justifier : « ah mais je suis comme ça ! Je me suis mis en colère contre lui, mais enfin, je ne pouvais pas le laisser parler de Dieu/de l’église/ de moi comme ça ! » Jacques répond : « tu te crois sage parce que tu as rétabli la vérité ? mais la vraie sagesse ne fait pas l’impasse du respect de l’autre. » Avec ce texte, Jacques nous empêche de réarranger la sagesse à notre sauce, selon nos points forts ou nos progrès : la sagesse au rabais ne vaut pas mieux que celle d’un incroyant ou même d’un démon !

2)      La sagesse des humbles

Quelle est alors la vraie sagesse, celle qui transforme toute la personne, esprit, cœur, et corps ?

On peut être étonné de voir que Jacques définit surtout la sagesse par la douceur et le pacifisme, dans les motivations comme dans les actions : le sage est doux, humble, pacifique, cherche la justice avant ses propres intérêts, sert les autres. C’est le modèle que propose aussi Pierre, qui décrit la vie chrétienne comme une vie marquée par l’honnêteté, la maîtrise de soi, la patience, la fidélité, l’amitié et l’amour envers les autres (2 Pierre 1.5-7). C’est ce que dit Paul : le fruit de l’Esprit de Dieu qui travaille en vous, c’est : amour, joie, paix, patience, bonté, service, confiance dans les autres, douceur, maîtrise de soi (Galates 5.22-23). Et tous ces apôtres ne font que reformuler ce que disait Jésus : heureux ceux qui se savent pauvres en eux-mêmes, les doux, les assoiffés de justice, ceux qui œuvrent à la paix, ceux qui ont le cœur pur, ceux qui sont compatissants (Matthieu 5.3-8). Voilà le portrait de l’homme sage, et qui est-il sinon le Christ lui-même, lui qui a dit : « venez à moi, car je suis doux et humble de cœur » (Matthieu 11.28-29) ? Ce portrait c’est celui de Jésus, lui-même, lui qui a renoncé à tous ses privilèges pour se faire le plus petit des hommes, pour servir, lui qui a donné sa vie pour réconcilier les hommes avec Dieu et entre eux !

Notre modèle de sagesse n’est rien moins que le Christ lui-même : c’est lui, notre vocation ! lui qui ne sépare pas la vérité de l’amour, la justice du pacifisme. En Jésus-Christ, Dieu nous a accordé le pardon et le salut – mais dans quel but ? que nous recevions cette grâce et que nous la vivions pour être de plus en plus à l’image de Dieu, pleins de grâce et de vérité, fidèles et justes, riches en bonté et lents à la colère – à l’exemple du Christ qui révélait Dieu avec perfection. En Christ, nous apprenons que la fin ne justifie jamais les moyens, que la victoire ne passe pas par le sacrifice de l’autre, mais par le sacrifice de soi, par la générosité, le service, l’abaissement, l’amour.

En regardant le Christ, qui peut se targuer d’être sage ? qui peut se vanter d’avoir compris ? qui peut se croire supérieur au plus petit d’entre nous ? Jacques nous force à redescendre de notre piédestal illusoire : en réalité nous sommes encore loin de ressembler au Christ, même les pasteurs, même les responsables, les plus anciens, ou les plus pieux, nous sommes encore loin de ressembler au Christ. Avec ce constat, Jacques nous pousse à l’honnêteté et à l’humilité, à la repentance, à scruter notre cœur pour débusquer ce qui déforme encore l’image de Dieu que nous sommes appelés à refléter.

Jacques ne veut pas que nous nous arrêtions au triste constat de ce que nous sommes, mais que nous regardions au Christ pour tendre vers lui, pour grandir vers lui, pour nous rapprocher de lui. Au début de sa lettre, il nous rappelle cette promesse : « Si quelqu’un parmi vous manque de sagesse ( !), qu’il la demande à Dieu, et Dieu lui donnera cette sagesse. En effet, Dieu donne à tous, généreusement, sans faire de reproches. » (Jacques 1.5) Dieu veut que nous lui ressemblions, et il nous donne un modèle : le Christ, il nous donne aussi l’Esprit qui nous transforme intérieurement, qui fait l’essentiel d’ailleurs du travail ! Notre part, c’est de le lui demander, de chercher de tout cœur à ressembler au Christ ! à faire de la douceur et de la paix, de la justice et de la bienveillance notre objectif de développement personnel !

Que la douceur et la paix soient notre objectif de développement personnel, mais aussi communautaire ! Qu’elles président à nos projets, à nos ambitions, à nos relations… Qu’elles nous impressionnent, plus que les discours brillants, les diplômes élaborés ou les années d’expérience. Que la douceur et la paix deviennent notre priorité, même dans les désaccords ou les tensions : que nous ne cherchions pas à faire ou à savoir avant d’être, être à l’image du Christ, qui s’est donné pour nous.

Conclusion

Jacques nous encourage à être exigeants, à chercher de toutes nos forces à grandir en Dieu – dans les mots de Paul : « Je ne veux pas dire que j’ai déjà atteint le but, ou que je suis parfait ! mais je continue à courir pour saisir le prix, parce que le Christ Jésus m’a déjà saisi. […] J’oublie la route qui est derrière moi, je suis tendu en avant et je fais la seule chose importante : courir vers le but. » (Philippiens 3.12-14)

Pourquoi ? parce que le Christ nous a fait renaître, par son Esprit, à une vie nouvelle. Il s’est donné lui-même pour nous arracher aux tentacules du mal, du péché, du mépris, de la jalousie, de la rivalité, pour faire de nous les enfants de Dieu, pour faire de nous des frères et des sœurs, témoins de l’amour de Dieu dans le monde. Alors demandons, demandons sans cesse, que Dieu nous fasse croître, petits et grands, dans sa sagesse, la sagesse du Christ.