Vous êtes le corps du Christ (8/8) – Un témoignage évident

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Nous terminons aujourd’hui notre série tirée des questions posées à l’apôtre Paul lors de notre WE de rentrée, avec la question du rayonnement. Il est vrai que Paul parle peu des questions de mission, d’évangélisation, ou de service « social » aux non-chrétiens. On trouve beaucoup plus d’exemples pour réfléchir au rayonnement en contemplant l’exemple du Christ, qui allait sans cesse vers de nouvelles foules, répondant aux besoins de ceux qu’il rencontrait, des besoins tant spirituels, que relationnels, émotionnels ou physiques. Jésus prenait l’initiative d’aller vers les autres, pour leur offrir un salut global. Malgré tout, même si Paul ne met pas l’accent sur cette problématique, il l’évoque indirectement, par exemple dans le début de la 1e lettre aux Thessaloniciens.

Lecture biblique: 1 Thessaloniciens 1.1-10

1 Moi, Paul, avec Silas et Timothée, j’écris à l’Église de Thessalonique qui appartient à Dieu le Père et au Seigneur Jésus-Christ. Que Dieu vous bénisse et vous donne la paix !

2 Sans cesse, nous remercions Dieu pour vous tous et nous disons vos noms dans nos prières. 3 Devant Dieu notre Père, nous nous souvenons toujours de vous. Oui, votre foi est active, votre amour vous fait agir, et votre espérance en notre Seigneur Jésus-Christ est solide. 4 Frères et sœurs chrétiens, nous le savons, Dieu vous aime et il vous a choisis pour être à lui.5 En effet, la Bonne Nouvelle que nous vous avons annoncée n’est pas arrivée chez vous seulement en paroles, mais aussi avec la puissance et l’aide de l’Esprit Saint. De plus, nous étions sûrs de ce que nous disions. En effet, vous savez comment nous avons vécu parmi vous pour votre bien.6 Et vous, vous avez suivi notre exemple et celui du Seigneur : vous avez reçu la Parole dans de grandes souffrances, avec la joie donnée par l’Esprit Saint. 7 Ainsi, vous êtes devenus un modèle pour tous ceux qui croient, en Macédoine et en Akaïe. 8 En effet, c’est de chez vous que la parole du Seigneur est partie pour se faire entendre en Macédoine et en Akaïe. De plus, on sait partout que vous croyez en Dieu, nous n’avons donc pas besoin d’en parler.9 Les gens racontent en parlant de nous comment vous nous avez reçus chez vous et comment vous vous êtes tournés vers Dieu. Vous avez laissé les faux dieux, pour servir le Dieu vivant et vrai 10 et pour attendre que son Fils vienne des cieux. Ce Fils, c’est Jésus que Dieu a réveillé de la mort et qui nous délivre du jugement de Dieu, qui est proche.

Paul commence sa lettre par les formules d’usage : lui et ses collaborateurs saluent l’église de Thessalonique, qu’ils ont fondée lors du 2e voyage missionnaire de Paul dans le bassin méditerranéen, et Paul rappelle ce qui l’unit à cette église : p. ex. l’accueil qu’il a reçu chez les Thessaloniciens quand il leur a annoncé l’Évangile, leur joie, malgré les difficultés et l’opposition de certains groupes religieux. Il se rappelle que l’Esprit de Dieu était présent dans ces moments-là, appuyant les prédications, faisant son chemin dans les cœurs, suscitant une conviction chez les Thessaloniciens : Jésus sauve ! Et dans la façon que Paul a de parler de cette église, nous pouvons trouver quelques pistes quant au rayonnement de notre communauté.

  • Un témoignage… évident

Ce qui frappe, dans ce texte, c’est l’évidence. « Nous n’avons pas besoin de parler de votre foi, tout le monde en est au courant » (v.8) La foi des Thessaloniciens est une évidence, pour tout le monde. Des communautés se sont formées en Macédoine, en Achaïe, et même au-delà, sous l’influence des chrétiens de Thessalonique. La Grèce s’est couverte d’église, notamment parce que la foi, l’amour, l’espérance, étaient aussi visibles dans cette église que le nez au milieu de la figure, ou des fruits sur un arbre. Cette église rayonne : il n’y a pas besoin de se poser la question ou de faire une enquête – elle rayonne de foi, d’espérance et d’amour. C’est évident qu’elle est pleine de vitalité, qu’elle est saine, centrée sur le Christ, et missionnaire, tournée vers les autres.

Quel est le secret de ce rayonnement ? Il est peu probable que les Thessaloniciens aient organisé des événements d’évangélisation (quoique), mais il semblerait qu’ils soient entrés dans deux dynamiques. Premièrement, le soutien aux missionnaires, l’accueil de gens comme Paul, qui ont un ministère d’évangéliste – tous ne sont pas forcément appelés à aller parler sur la place du Capitole (de Toulouse), comme Paul aimait à le faire (à Athènes, etc.), mais tous peuvent agir en coulisses, l’accueillir, pourvoir à ses besoins, s’associer à ses démarches… Deuxièmement, Paul met l’accent sur leur conversion complète, leur abandon total d’une vie sans Dieu pour se centrer sur le Christ, qui devient le cœur de leur vie, la référence, la norme, le but de toutes leurs actions. Et il est clair qu’une vie focalisée sur le Christ, et sur rien d’autre interpelle les gens autour : si vous montrez que l’argent, la réussite, la popularité ou même votre propre personne n’est pas au centre de votre vie, mais que c’est Dieu, les gens seront interpelés. Sûrement que les Thessaloniciens, différents, expliquaient pourquoi ils avaient changé, sur leur lieu de travail, en famille, lors de voyages, dans les auberges, les rencontres inopinées.

Cela dit, Paul ne donne pas de détails. L’église rayonne : on ne sait pas comment, mais on voit cette lumière qui vient du Christ. Comme Paul ne donne pas de détails, on a l’impression qu’il n’y a pas de recettes pour partager ce que nous avons reçu. L’Evangile peut être vécu et annoncé de mille façons différentes, en fonction des opportunités, de la culture, des dons des uns et des autres… Ce qui compte, c’est que ce qui nous fait vivre soit évident aux yeux de tous. Notez qu’il ne s’agit pas de convertir les gens ! Mais que notre foi soit évidente : certains seront touchés, d’autres non, mais tous sauront que c’est Jésus-Christ, le centre de notre vie.

  • Un témoignage concret

Alors c’est bien d’avoir la foi, mais le risque, reconnaissons-le, est bien souvent de nous en tenir aux  (belles) paroles. Ce n’est d’ailleurs pas forcément par hypocrisie, mais peut-être parce que nous ne savons pas comment faire pour mettre en œuvre concrètement, notre foi, notre amour, notre espérance ?

C’est vrai qu’il est courant de considérer la foi en Jésus comme une croyance qui se rajoute à nos pensées, pour nous rassurer, nous apaiser, et c’est souvent perçu comme ça par notre entourage. Mais la foi n’est pas une opinion, c’est une rencontre. Une rencontre personnelle avec le Christ, une rencontre qui a changé notre vie, qui donne un nouveau sens, un nouveau but, de nouvelles valeurs. Cette rencontre n’est pas l’ajout d’un dossier dans notre disque dur : elle change le disque dur ! Elle change le système d’exploitation ! Et cela a nécessairement un impact sur la manière dont nous pensons, dont nous ressentons les choses, et, du coup, sur notre façon d’agir.

Alors comment ? Je l’ai dit, Paul ne donne pas de recette. Cela étant, il insiste sur les fruits, sur ce que produit notre rencontre avec le Christ. Il y a une part qui nous échappe dans la croissance de ces fruits : c’est l’œuvre de l’Esprit de Dieu en nous, qui heureusement prépare le chemin de l’intérieur, nous éclaire, nous réoriente. Mais il y a aussi une part qui nous appartient. Si vous avez un arbre fruitier chez vous, vous ne tirez pas sur les bourgeons pour faire pousser les fleurs (ça ne vous appartient pas) mais vous ne restez pas sans rien fait : vous coupez les branches trop nombreuses, vous veillez à la nature du sol, éventuellement vous mettez un peu d’engrais, et de quoi protéger l’arbre de ses prédateurs.

De la même façon, pour notre vie, pour nos fruits, même si la sève de l’Esprit de Dieu agit en nous, nous avons la responsabilité de nous impliquer dans le processus. D’abord par la prière – Seigneur, fais pousser les fruits ! Ensuite en sautant le pas : vous voulez mettre en œuvre votre amour, votre foi ? Engagez-vous ! Impliquez-vous, c’est le seul moyen ! Car on apprend en faisant, on aime en aimant, on croit en faisant confiance… Engagez-vous ! Pas forcément dans l’église, pas forcément dans une activité spectaculaire, mais faites un pas vers les autres, même si c’est un petit pas, faites-le – p. ex., un petit défi pour vivre plus d’amour : chaque dimanche à l’église, saluez une personne que vous ne connaissez pas, ou invitez une personne seule pour le café. Ou demandez des nouvelles de ce voisin que vous n’aimez pas trop, de ce collègue, priez pour lui, intéressez-vous à lui. Ou pour le témoignage, le lundi à 9h, quand on vous demande comment vous avez passé le WE, une simple petite phrase : « eh bien, je suis allé au culte, et ça m’a apporté ça ». Il ne s’agit pas de saouler les gens, mais de concrétiser dans notre quotidien ce qui nous fait vibrer : la vie avec Dieu.

  • Un témoignage orienté

Pourquoi chercher à grandir ? Pourquoi chercher à mettre en pratique ce que nous vivons dans notre âme ? Pour être crédibles, oui. Cohérents. Témoins des merveilles qui découlent de notre rencontre avec le Christ, oui. Pour progresser, oui. Mais aussi parce que nous avons un but, une espérance. Nous attendons le retour du Christ ressuscité.

Bien souvent on imagine que l’espérance chrétienne, cette espérance d’un monde juste, pacifique, rempli d’amour et de joie, nous détourne des réalités présentes. C’est ce que disait Marx : la religion est l’opium du peuple. La religion détourne les gens du présent en leur faisant miroiter un avenir idyllique, pour leur faire supporter une vie douloureuse sans qu’ils ne se rebellent. Et nous lui avons souvent donné raison, malheureusement.

Cependant, ce n’est absolument pas la perspective biblique ! Pour Jésus, Paul et tous les apôtres, si nous savons où nous allons, même si c’est très loin, plus loin que l’horizon, si nous savons où nous allons, notre chemin change dès le prochain pas que nous faisons. C’est logique : si vous voulez aller à Pau en voiture, vous n’allez pas rester à tourner autour de la rocade, ni prendre la direction d’Albi ! Vous prenez l’autoroute vers Tarbes, ou vous passez par Auch, mais dans tous les cas, vous prenez une décision dès la sortie de Toulouse.

L’espérance que nous donne le Christ donne un but, un sens à notre vie (littéralement), qui oriente dès aujourd’hui notre quotidien. Il ne s’agit pas de gagner quelque chose – nous avons tout en Christ ! Mais de laisser la vie de Dieu inspirer notre existence. Laisser les projets de Dieu orienter nos projets.

Et si vous avez bien suivi, c’est forcément concret ! Si nous attendons un monde juste, eh bien nous recherchons la justice dès aujourd’hui, parce que c’est dans cette direction que nous allons. Si nous attendons la paix, nous saisissons aujourd’hui l’occasion de pardonner. Si nous attendons l’amour, nous prenons soin aujourd’hui de nos prochains – ceux qui nous entourent, ou des « lointains » que nous faisons entrer dans nos vies, comme les enfants que l’on parraine ou les étrangers que l’on rencontre.

Nous vivons aujourd’hui à la lumière de demain, par la foi. Nous visons tout à la lumière de la demain : la politique, le travail/ ou le chômage, les amitiés, la famille, le couple : tout peut prendre sens avec l’espérance que Jésus nous donne.

Conclusion

Alors n’hésitons pas à contempler ce que Dieu nous promet : que ces promesses nous renouvellent dans notre foi, inspirent nos décisions, nos projets et nos choix, et qu’à chaque pas, nous apprenions à vivre  un peu plus comme le Christ, grâce à l’Esprit, dans l’amour et la vérité. Que l’espérance de demain se concrétise dans notre aujourd’hui, avec de plus en plus d’évidence, pas pour être des extra-terrestres, mais pour être porteurs de vie, de sens, et d’espérance.

Nous sommes le corps du Christ. Chacun, ensemble, l’image de ce que Dieu a accompli – il nous a libérés, de ce que Dieu fait – il nous transforme, de ce que Dieu va faire – et c’est indescriptible.




Vous êtes le corps du Christ ! (6) Paul et les femmes

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11 Que la femme écoute l’instruction en silence, avec une entière soumission.

12 Je ne permets pas à la femme d’enseigner, ni de prendre de l’autorité sur l’homme; mais elle doit demeurer dans le silence. (1 Timothée 2.11-12 Version Segond)

Cette phrase de l’apôtre Paul, tirée de sa première lettre à Timothée, appuyée par quelques autres versets qui vont dans le même sens, a eu un impact énorme sur la place des femmes dans l’église. Au weekend d’Eglise, quelqu’un a demandé à l’apôtre Paul quelle était sa position sur les femmes, question qui revient souvent. Sans faire une longue conférence, j’essaierai ce matin d’apporter un élément de réponse non pas avec un des textes « féministes » de Paul, car il y en a aussi, mais avec un texte qui paraît bien défavorable aux femmes. Je le lirai dans la version Semeur, qui me paraît traduire au mieux les nuances du texte. Dans les versets qui précèdent, Paul parle de la nécessité de prier pour tous afin de favoriser l’annonce de l’Évangile, et continue d’en parler avant d’élargir à l’enseignement.

Lecture 1 Timothée 2.8-15 (Bible du Semeur)

C’est pourquoi je veux qu’en tout lieu les hommes prient en élevant vers le ciel des mains pures, sans colère ni esprit de dispute.Je veux que les femmes agissent de même, en s’habillant décemment, avec discrétion et simplicité. Qu’elles ne se parent pas d’une coiffure recherchée, d’or, de perles ou de toilettes somptueuses, 10 mais plutôt d’œuvres bonnes, comme il convient à des femmes qui déclarent vivre pour Dieu.
11 Que la femme reçoive l’instruction dans un esprit de paix et de parfaite soumission.12 Je ne permets pas à une femme d’enseigner en prenant autorité sur l’homme. Qu’elle garde plutôt une attitude paisible.
13 En effet, Adam fut créé le premier, Eve ensuite.14 Ce n’est pas Adam qui a été détourné de la vérité, c’est la femme, et elle a désobéi au commandement de Dieu,15 mais elle sera sauvée grâce à sa descendance. Quant aux femmes, elles seront sauvées si elles persévèrent dans la foi, dans l’amour, et dans une vie sainte en gardant en tout le sens de la mesure.

Il est essentiel, comme toujours, de remettre le texte dans son contexte : Paul s’adresse à son disciple, Timothée, alors responsable à l’église Éphèse, une église bousculée entre autres par des enseignants qui déforment l’Évangile. Il est probable qu’à Éphèse, certaines femmes, riches et influentes, aient relayé ces messages hérétiques, peut-être avec un féminisme exalté et excessif. Cela étant, Paul ne s’adresse pas seulement aux femmes qui exagèrent, mais à toutes les femmes, de manière générale, ce qui nous oblige à voir ce que le texte voulait dire des femmes à l’époque et ce qu’il nous transmet aujourd’hui.

Parmi vous, certains n’ont sûrement jamais entendu ce texte, et remarquent peut-être le décalage entre le texte, la pratique d’église et le discours de notre culture. D’autres connaissent ce texte, l’ont peut-être étudié voire ont forgé des convictions fortes sur la place de la femme. D’autres encore peuvent avoir souffert, ici ou dans d’autres assemblées, de la manière dont ce texte était appliqué dans l’église. Et peut-être que pour une majorité, ce texte suscite surtout des questions : comment le comprendre ? Paul était-il misogyne ? et Dieu ? Alors c’est vrai que ce n’est pas une question de vie ou de mort, mais elle est importance car elle révèle notre attitude face au texte biblique : comment lire les textes qui sont décalés de la culture actuelle ? Est-ce qu’on les applique purement et simplement, toujours et partout de la même manière ? Est-ce qu’on les disqualifie, au nom du progrès ? Est-ce qu’on les évite, comme les textes de guerre, de violence, de jugement, etc., se faisant ainsi une Bible à la carte, bien adaptée à notre XXIe siècle ? Ou est-ce qu’on essaie de voir comment toute la Bible, dans ses passages faciles et difficiles, nous révèle le caractère et les projets de Dieu ?

1)   Pour tous, l’appel à la sainteté

On oublie parfois que Paul traite d’abord ici de la prière, qu’il décrit selon la façon habituelle de l’Antiquité : debout, les mains levées, à voix haute. Il demande à ce que la prière soit cohérente avec le reste de notre personne et de notre vie : en gros, il appelle à la sainteté.

Pour les hommes, il insiste sur le calme intérieur : prier sans colère, sans amertume ou rancune, sans intention mauvaise, dans un contexte apaisé, au nom de l’Évangile qui apporte paix et réconciliation. Pour les femmes, Paul avertit contre une vanité superficielle (certaines femmes mettaient des heures à élaborer des coiffures sophistiquées), une apparence souvent excessive et choquante, notamment dans l’étalage de richesse, parce que Dieu accorde plus d’importance au cœur qu’à l’apparence : aux femmes donc d’être agréables, mais dans la sobriété et la modestie, en privilégiant les vraies richesses – la foi, qui se manifeste concrètement par des actions de justice, de bonté, de fraternité…

Faut-il déduire de cette distinction le cliché que les hommes sont tous des sanguins violents, et les femmes, des coquettes futiles ? Pas forcément ! A l’époque de Paul, pour parler de morale, on s’adressait spécifiquement aux hommes, aux femmes, aux parents, aux enfants, aux maîtres, aux esclaves : Paul reprend les codes de son époque. Mais, bien sûr, de tous temps, hommes et femmes sont concernés à la fois par le problème des disputes et de la colère, et par des fausses priorités superficielles. Quand certaines montrent leurs bijoux, certains arborent leur voiture ou leur montre… La relation avec Dieu nous amène tous à chercher un cœur pur, apaisé, et tourné vers l’essentiel.

De même, quand Paul invite les femmes à se coiffer d’œuvres bonnes, à persévérer dans la foi, l’amour et la sainteté, à vivre dans la sobriété, nul doute que les hommes sont aussi visés ! Même si Paul insiste sur des traits plus courants chez les femmes ou les hommes, au fond, tous sont appelés à la même sainteté.

2)   La liberté et le respect de l’ordre

Venons-en à la place des femmes dans le culte. J’aimerais d’abord rappeler ce que Paul ne prend pas la peine d’évoquer parce que c’est évident pour lui : dans le peuple de Dieu, tous ont la même valeur, tous reçoivent le même salut en Jésus-Christ, au moyen de la foi – hommes et femmes, Juifs et non-Juifs, maîtres et esclaves… tous ! (Galates 3.28) Tous ont leur place dans le corps du Christ qu’est l’Église, et tous reçoivent des dons pour servir Dieu et les autres. D’autres textes montrent que la femme pouvait assister à toutes les manifestations religieuses, pouvait prier à haute voix, prophétiser (c’est-à-dire : exhorter, témoigner, transmettre une parole de Dieu pour aujourd’hui) et même se former (c’est d’ailleurs tout le sujet des versets 11-12 : l’attitude des femmes quand elles reçoivent un enseignement). Tout cela, pour l’époque, est révolutionnaire.

Cependant, il reste deux questions.

La première : quel est ce fameux silence que les femmes doivent respecter pendant l’enseignement ? La Bible du Semeur traduit gentiment: en paix, avec tranquillité. Il s’agit sûrement, non pas d’un silence total, mais du silence que vous-mêmes respectez en ce moment : une attitude calme, studieuse, respectueuse – ce qui est tout à fait logique. Paul n’invite pas, à l’inverse, les hommes à chahuter ! D’ailleurs il reprend vertement les Corinthiens qui vivent le culte dans la cacophonie. Non, recevoir un enseignement sur Dieu demande à ce que chacun soit calme et respectueux, disponible pour mieux comprendre Dieu.

Mais alors pourquoi Paul mentionne-t-il particulièrement les femmes ? C’est lié à la seconde question : que la femme n’enseigne pas et ne prenne pas autorité sur les hommes. Je vais y revenir mais j’aimerais qu’on se concentre sur l’argumentation de Paul : il fait référence aux premiers chapitres du livre de la Genèse, qui raconte la création du monde et la faute des premiers humains qui ont entraîné toute l’humanité dans le mal.

Premier argument (v.13) : l’homme a été créé avant la femme. Cet ordre temporel attribue à l’homme une autorité spécifique. Cela étant, dans la Genèse, le récit n’insiste pas sur cet ordre, il tire même plutôt du côté de l’égalité en affirmant que l’homme ET la femme sont images de Dieu – ce qui était aussi révolutionnaire. Paul ailleurs a déjà utilisé cet argument de l’ordre dans la création, et l’a relativisé : certes, l’homme a été créé avant la femme, mais tout homme naît d’une femme, donc il y a une sorte de compensation (1 Co 11.7-12). L’ordre dans la création est un élément à prendre en compte pour définir le rapport homme-femme, mais pas le seul : il y a aussi l’égalité.

Deuxième argument (v.14) : la femme a été la première à transgresser le commandement de Dieu – et c’est par elle que tous les problèmes ont commencé. Mais Paul souligne aussitôt le salut est venu sous la forme d’un enfant, le Christ, né d’une femme – et d’ailleurs seulement d’une femme, Marie. Cet ordre aussi est relativisé : là où la faute de la première femme entachait toutes les femmes, Dieu a choisi de faire advenir le salut par le biais d’une femme, comme pour effacer cette honte attachée aux femmes, si bien qu’on ne peut plus en tenir compte. C’est un encouragement extraordinaire : si la première et la pire de toutes les fautes du monde a été effacée par la grâce de Dieu, alors quelle faute résistera à son pardon ? Quelle honte entravera la liberté de celui ou celle que Dieu aime ? Dieu dans sa grâce oublie le passé et fait toute chose nouvelle.

Dans le salut, comme dans la création, homme et femme reçoivent la même considération de la part de Dieu. Cela dit, la liberté et l’égalité n’excluent pas un certain ordre. Si cet ordre est et a été bien souvent caricaturé dans une violente oppression des femmes, l’égalité peut aussi être caricaturée, lorsque nous nions toute distinction entre homme et femme, comme si nos différences n’avaient pas d’importance. Dieu nous appelle à trouver dans l’église une façon de vivre ensemble qui fasse honneur à la liberté commune que nous offre l’amour du Christ, et à nos différences intrinsèques, en dehors de ces caricatures.

3)   Enseignement et autorité

Quel impact cela a-t-il alors sur l’enseignement, l’autorité et la femme?

A l’époque de Paul, aucune femme n’enseigne en public – même s’il y a certaines femmes qui forment des hommes en privé, comme Priscille p. ex., elles n’ont pas de poste à haute responsabilité : par rapport à la culture ambiante, il serait donc choquant, inconvenant, que les femmes enseignent dans l’église. De plus, le Nouveau Testament n’existe pas encore, il est en cours de rédaction. Du coup, celui qui enseigne fixe la doctrine avec une autorité incontestable. Dans ce contexte-là, l’ordre entre l’homme et la femme se traduit par le fait que la femme n’enseigne pas et n’occupe pas seule une position d’autorité. Dans notre contexte occidental, où chacun a accès au texte biblique et où la société accorde plus de place aux femmes, ce principe du respect de l’ordre homme-femme peut se concrétiser autrement, par exemple avec un exercice collégial de l’autorité dans l’église, portée par le conseil et le/la pasteur.

Avant de conclure, j’aimerais d’ailleurs insister sur cette question de l’autorité. Il est frappant, dans la Bible, de voir que très souvent résonne l’appel à se soumettre : se soumettre à Dieu, aux autres, les uns aux autres etc. C’est l’invitation à reconnaître volontairement l’autorité de l’autre et à se mettre au service, par amour, en imitant le Christ qui est venu nous servir, par amour. Par contre, il y a rarement (jamais ?) l’appel à prendre autorité, et quand la Bible s’adresse aux responsables, c’est toujours sous l’angle du service, du respect, de l’humilité, et jamais de la domination ou du pouvoir. Le refus de Paul d’avoir une femme prenant autorité sur les hommes n’est pas un appel à ce que l’homme prenne autorité sur l’assemblée lorsqu’il prêche ! Ce n’est pas un appel à un pasteur autoritaire, ou à un conseil autoritaire, qui dominerait l’église et la conduirait malgré elle dans telle direction. Dans le Nouveau Testament, l’autorité est d’abord liée à la Parole biblique fidèlement transmise, elle est vécue dans l’humilité et le service, et exercée de manière collégiale (p. ex. chez nous, c’est la coopération entre pasteur et conseil). Toute autorité est déléguée par le Christ, qui seul est la tête de son corps, et se vit dans la soumission à Dieu et le service du prochain.

Conclusion

Ces phrases de Paul sont loin d’être évidentes, mais puisque nous croyons que Dieu a inspiré ce texte, nous devons l’étudier sérieusement. Nous ne devons pas mettre ce texte, ou un autre, à la trappe sous prétexte qu’il est difficile ou dérangeant, mais à l’inverse, nous ne devons pas non plus nous satisfaire d’explications rapides et surfaites. On voit trop souvent les gens se jeter des versets à la figure, comme si leur sens était une évidence. Non, respecter la Parole de Dieu, c’est la lire dans sa totalité mais avec profondeur : n’est pas fidèle celui qui est superficiel !

Cela dit, l’étude de ce texte nous interpelle : sur notre façon d’être ensemble, dans l’église, sur notre façon de vivre la liberté commune, l’égalité, tout en respectant les différences que Dieu a créées. Il nous interpelle aussi sur notre rapport à la société : d’où vient la norme de nos valeurs ? des coutumes antiques ? des coutumes contemporaines ? ou du discours biblique, qui nous demande courage et créativité pour trouver de meilleures façons de vivre avec Dieu ? Créativité parce que la vérité, la justice, la paix et l’égalité ne se reflètent que faiblement dans nos sociétés. Courage, parce qu’il nous faut abandonner nos habitudes, nos présupposés, pour que Dieu nous montre ce qu’est vraiment la liberté dans l’amour. Et là, nous découvrirons la grâce infinie, infiniment généreuse de Dieu, qui renverse tout obstacle, toute faute, toute honte, pour faire de chacun de nous ses enfants, en Jésus-Christ.




Vous êtes le corps du Christ (4) La communauté d’abord !

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Lecture biblique:  Colossiens 3.12-15

Nous sommes en plein milieu d’un développement : Paul a commencé sa lettre aux chrétiens de Colosses avec un panorama de l’œuvre du Christ, qui montre l’impact de tout ce que le Christ a accompli. Non seulement Jésus nous a sauvés, mais en plus il a posé les bases d’un monde nouveau – dont nous attendons la venue. Ce renouvellement concerne le monde, mais commence déjà en nous, lorsque nous entrons dans une relation avec Dieu par la foi en Jésus ; Paul dit au v.10 : « Comme si vous aviez mis un vêtement neuf, vous êtes devenus une personne nouvelle. Cette personne se renouvelle sans cesse, et ressemble de plus en plus à son Créateur. » Tout un programme… Et Paul essaie de donner des pistes concrètes pour expliquer ce que cette transformation veut dire. D’un côté, il y a tout ce qui disparaît peu à peu de nous, et de l’autre, tout ce qui apparaît sous l’influence de l’Esprit de Dieu. Dans ce qui disparaît : l’égoïsme, la colère, l’immoralité, la méchanceté, la violence, le mensonge… Dans ce qui apparaît : la compassion, la bonté, l’humilité, la douceur, la patience, l’amour, la paix, la gratitude… Toute ressemblance avec le fruit de l’Esprit dans la lettre aux Galates ou le passage sur l’amour en 1 Co 13 n’est évidemment pas fortuite…

1)   La communauté d’abord

Ce qui ressort de toutes ces qualités en germe, en pousse, c’est que ce sont toutes des qualités liées aux relations. Paul aurait pu citer des qualités liées aux mérites personnels : la pureté, la sagesse, le zèle… d’ailleurs, à d’autres endroits, Paul l’évoque aussi. Mais là, dans cette lettre, il met l’accent d’abord sur la communauté et sur les liens qui la tissent. Reprenons l’image du corps, si appropriée pour parler de l’église que ce n’est presque plus une image : si Paul était médecin et devait établir un premier diagnostic de votre santé, il n’irait pas regarder votre tension, ou votre taux de cholestérol (je vais me faire gronder par les médecins) mais les connexions entre les différentes parties de votre corps. Il évaluerait la qualité des connexions entre vos bras et votre cerveau, entre votre foie et votre intestin, entre vos veines et vos muscles… Le premier indicateur de votre vitalité qu’il irait regarder, c’est la qualité des connexions entre les membres de votre corps.

Quand Paul parle de santé spirituelle, de vitalité, de transformation en devenir, c’est sur les relations qu’il se concentre d’abord. Bien sûr, il parle aussi du reste, d’intégrité, de justice, de pureté, mais les qualités relationnelles occupent une place primordiale dans la transformation que Dieu opère en nous. C’est-à-dire que si tous les organes fonctionnent bien mais qu’il n’y a pas de bonne relation entre eux, le corps est en mauvaise santé. L’inverse est vrai aussi, mais nous avons plus souvent tendance à oublier la qualité des connexions et à nous concentrer sur notre santé, à nous, petit organe. Or Paul met l’accent sur la qualité de nos relations.

D’ailleurs, la lettre a d’abord été écrite pour la communauté. Même si la plupart des enseignements peuvent être appliqués à l’individu, Paul s’adressait d’abord à l’assemblée, comme moi ce matin, il écrivait avec ce groupe-là en tête. Et la lettre était, non pas lue par des individus, dans le secret de leur chambre, mais écoutée par une assemblée réunie. L’assemblée prenait donc d’abord ces paroles pour le groupe, et pas pour les individus, même si évidemment, ça ne s’exclut pas.

Alors comment Paul décrit-il ces fameuses qualités qui entretiennent de bonnes connexions entre les membres ? Tendresse & pitié… Il ne s’agit pas de tendresse à l’eau de rose, ou de pitié condescendante, mais d’empathie. Paul utilise ici l’expression entrailles de miséricorde : laissez-vous prendre aux tripes ! ou, prenez les autres à cœur ! ne vous enfermez pas dans une bulle d’indépendance zen, mais impliquez-vous dans les relations. Et dans ces relations, soyez… humbles, doux, patients.  Lâcher du lest, faciliter les échanges, ne pas toujours chercher à avoir raison ou à faire valoir votre point de vue, mais considérer les besoins des autres, et leur donner autant d’importance qu’aux vôtres. Considérez que les besoins du foie sont aussi importants que ceux de la main, du nez ou du ventricule droit de votre cœur ! Cette liste n’est pas un ensemble de règles morales à cocher, mais l’expression d’une impulsion intérieure – l’amour. Nous n’avons pas à faire semblant, mais à laisser Dieu transformer notre cœur pour nous rendre semblables à lui, dans tout notre être. En effet, toutes ces qualités sont finalement le portrait de Dieu tel qu’il s’est révélé au travers du Christ : ému par nos faiblesses et notre détresse, il a mis nos intérêts en premier, il s’est donné lui-même pour rendre notre salut, et notre bonheur, possibles.

2)   Réalisme et souplesse

Ressembler au Christ, rien que ça ! Voilà notre objectif ! Mais nous sommes contraints de constater que peu d’entre nous sont déjà au terme du processus ! Pour la grande majorité, nous sommes quelque part sur le chemin et il n’est pas rare de s’entrechoquer les uns les autres ! Paul est très réaliste : l’église n’est pas une communauté de gens parfaits, ou qui ont tout compris !  C’est une communauté rassemblée par le même amour de Dieu, qui vise un même but : vivre et répandre cet amour.

Du coup, dans l’église, il peut y avoir – et il y a ! – des accrochages. Parfois ce n’est pas très grave : un malentendu sur une tâche à accomplir, sur un horaire, sur un planning, mais parfois ça l’est ! Une remarque irréfléchie qui blesse durablement, une fixation sur tel objectif qui nous fait perdre de vue les autres, une difficulté énorme à se comprendre à cause de personnalités ou de vécus opposés… Et d’autres choses qui nous déçoivent, nous dégoutent voire nous traumatisent et nous donneraient bien envie de claquer la porte. D’autant qu’en bons protestants, nous avons le départ facile ! Malheureusement, bien de nouvelles églises naissent de divisions…

Paul est réaliste : même si Dieu nous rassemble dans le même corps, les connexions sont loin d’être toujours fluides… Et les membres, d’être sain(t)s ! D’où l’insistance de Paul sur le fait de se supporter, et de se pardonner les uns aux autres. Supportez-vous ! à la fois soutenez-vous, et supportez-vous ! supportez, avec patience et douceur, en vous rappelant que vous n’êtes pas meilleurs, supportez l’autre ! D’ailleurs, supporter et pardonner ce n’est pas la même chose ! on pardonne à celui qui nous a blessé, mais on supporte celui qu’on ne comprend pas ! on supporte par exemple celui qui fait ses premiers pas dans tel service et rencontre des difficultés… D’où la patience ! la douceur, qui met de l’huile dans les rouages, et arrondit les angles ! Et l’humilité… Pour pardonner les fautes et supporter les échecs, en vue de la paix.

Est-ce qu’il faut tout supporter ? Non ! Mais, même si nous arrivons à la conclusion que telle situation ne peut plus durer, et que nous pensons devoir aller trouver la personne ou un groupe, c’est avec empathie, douceur, patience et humilité que Dieu nous demande de le faire, avec amour, en cherchant le bien de l’autre autant que le mien, en acceptant qu’il soit aussi long à la détente que moi, en visant sa progression plus que ma tranquillité. C’est vrai que parfois, le dialogue restera bloqué et qu’il faudra peut-être se résoudre à partir parce que c’est insoutenable. Mais, dans la grande majorité des cas, il nous faut chercher la paix et la réconciliation. De toute façon, toujours tout essayer en faveur de la paix, et la plupart du temps, chacun en ressortira grandi et la situation redeviendra vivable, voire agréable.

Car la paix que le Christ nous offre n’est pas l’émotion zen que je ressens lorsque tout le monde me laisse tranquille ! Ce n’est pas non plus une paix de façade, comme un encéphalogramme plat qu’aucun pic de colère ne vient troubler, mais la solidarité et la fraternité qui dépassent les conflits, la réconciliation qui vient rassembler ceux qui s’étaient éloignés. Voilà la paix que le Christ nous appelle à vivre, car c’est cette paix-là qu’il est venu établir. Une paix fondée sur le pardon, car alors que nous étions en conflit avec Dieu, il a choisi de nous pardonner en Christ. Et dans sa grâce, il nous comble de son amour sans que nous ne le méritions. Ou pour le dire autrement, Dieu, dans sa patience, nous supporte sur le long chemin de transformation qui est le nôtre. Dieu nous supporte et nous pardonne, lui qui est parfait ; il se laisse émouvoir et nous manifeste sa tendresse, sa douceur, nous conduisant là où nous pouvons aller, même si tout ne se règle pas d’un coup ; il se montre humble, en Jésus, lorsqu’il devient, par amour pour nous, petit enfant, maître itinérant, paria accusé à tort et cloué sur une croix.

Conclusion

Quel est le rôle de la gratitude dans tout cela ? pourquoi toujours dire merci ? C’est peut-être la clef. Parce que cela nous rappelle d’où nous venons, ce que Dieu a fait pour nous, combien il nous a pardonné, combien il nous supporte jour après jour (parce qu’il sait que notre transformation prend du temps), combien il nous aime. Et c’est d’ailleurs avec ça que le texte commence : Dieu vous a choisis, il veut que vous lui apparteniez et il vous aime ; donc, aimez… Se plonger dans l’amour de Dieu pour nous, c’est la meilleure école et la meilleure motivation pour aimer à notre tour. C’est même la meilleure habitude à développer, en particulier quand l’autre me pose problème : regarder à Dieu, à son amour illimité, à son pardon qui se renouvelle mille fois par jour… Cela remet tout en perspective !

C’est en nous baignant toujours davantage dans l’amour de Dieu que nous pourrons être transformés à son image et offrir aux autres la même grâce que celle que nous avons reçue.




“Vous êtes le corps du Christ!” (2) Pour une spiritualité équilibrée

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Lecture biblique: 1 Corinthiens 14.1-5 et 15-19 

Paul a beaucoup parlé du rôle et de la nature de l’église à la communauté de Corinthe, qui était pour le moins bouillonnante voire chaotique. Sûrement qu’on y trouvait à la fois le meilleur et le pire. Des expériences de Dieu très intenses et spectaculaires, mais aussi (et c’est ce que nous connaissons le mieux puisque Paul s’attache surtout à évoquer ce qui ne va pas) l’indifférence, l’orgueil, l’égoïsme qui défigurent la communauté par des rivalités, des conflits, du désordre… Face aux difficultés de cette communauté, Paul reprend comme un refrain cet ingrédient incontournable de la foi en Jésus-Christ, qu’est l’amour pour les autres. Il en parle au chapitre 13, comme de la plus remarquable et désirable performance spirituelle, rappelant que sans l’amour le reste est vide. Maintenant, Paul applique au culte ce qu’il vient de dire sur l’amour. Si l’amour pour les autres est ce qu’il y a de plus important, comme l’a commandé le Christ, quel impact cela a-t-il, notamment, sur notre façon de vivre le culte, et plus largement, la spiritualité en communauté ?

  • Le culte, un temps pour partager… 

On devine dans le texte que les cultes à Corinthe étaient désordonnés. Chacun faisait ce qu’il voulait, et le culte était loin d’être édifiant – même si certains vivaient d’intenses moments avec Dieu, et en ressortaient nourris, grandis, enthousiasmés. Dans cette adoration, les Corinthiens privilégiaient une forme en particulier, le « parler en langues », une façon de prier ou chanter avec des sons qui ne correspondent à aucune langue existante, et dans laquelle le croyant exprime son adoration à Dieu de façon très personnelle – dans une grande intimité avec Dieu, un peu mystique. C’est ce que Paul appelle prier, ou chanter, avec le cœur. En soi, cette forme est bonne et valable – Paul d’ailleurs priait de cette façon-là régulièrement, et de nos jours, encore beaucoup prient ainsi.

Le problème, c’est que le parler en langues n’a pas forcément sa place au culte communautaire. En effet, le culte a pour but de rencontrer Dieu, oui, mais en communauté, avec les autres. Du coup, Paul évoque une autre forme d’expression spirituelle : la prophétie. Il ne s’agit pas forcément de prédire l’avenir, c’est même rarement le cas, mais de s’approprier pour aujourd’hui les vérités éternelles de la foi : comment les Écritures saintes qui révèlent Dieu viennent-elles nous parler aujourd’hui ? Cela prend en compte p.ex. la prédication, mais aussi toutes les paroles que nous échangeons : prières, exhortations… – tout ce qui rend la parole de Dieu actuelle pour notre vie, pour moi mais aussi pour les autres. Comme elle est censée être compréhensible par tous, la prophétie est plus appropriée pour le culte que le parler en langues, parce qu’elle prend en compte la communauté, alors que le parler en langues touche seulement à l’individu – sauf si la prière ensuite est traduite pour que les autres puissent s’y associer. Mais dans ce cas-là, si on cherche à être compris, pourquoi ne pas prier directement de manière intelligible ?

Au-delà de la question de telle ou telle forme de prière, l’enjeu, c’est notre attitude lors du culte, à l’église : que venons-nous chercher ? un havre de paix ? une respiration dans la semaine ? une réflexion à méditer les prochains jours ? un moment de louange exaltant qui dynamise notre foi ? Ce ne sont pas de mauvaises raisons de venir au culte, mais ce ne sont pas les seules ! ce ne sont même pas les plus importantes. Le culte, selon la Bible, est d’abord une rencontre avec Dieu et avec les autres, et si je vis le culte pour moi seul, je rate tout l’intérêt de l’église, qui est de vivre l’amour de Dieu ensemble.

  • Une spiritualité équilibrée, en privé et en communauté

Si l’on ne vient pas au culte uniquement pour ce que nous allons y recevoir, mais pour vivre une rencontre avec Dieu et avec les autres, cela implique que chacun nourrisse sa vie spirituelle en dehors du culte. Paul cite sa propre expérience : quand il est seul, il vit des temps d’une extraordinaire intimité avec Dieu – dans le parler en langues, par des visions aussi…, mais quand il est en communauté, il ne cherche pas la même chose. ***

Cela paraît évident, mais parfois nous attendons du culte qu’il réponde à nos besoins, qu’il nous transporte vers Dieu, mais du coup, nous sommes parfois déçus ! parce que les chants ne nous plaisaient pas, que la prédication ne concernait pas notre situation, que nous aurions voulu tel silence, ou tel rythme, ou tel style… cela génère frustration, amertume, voire un peu de colère envers cette église qui ne répond pas à nos attentes.

Mais venir au culte, c’est comme aller manger chez des amis. Si vous jeûnez depuis une semaine, vous arrivez affamé, un peu énervé, clairement carencé, et vous sautez sur le buffet d’apéritif, vous trépignez pendant que les autres parlent, n’attendant qu’une chose : le plat principal. Et voici qu’arrive un plat que vous n’aimez pas trop… Et ainsi de suite – en rentrant, vous tempêtez contre vos amis, qui ne savent pas recevoir, qui perdent du temps, etc. En réalité, quand on va chez des amis, certes on a faim, mais raisonnablement, et on n’y va pas d’abord pour se nourrir ! on y va pour passer un bon moment ensemble, pour prendre des nouvelles, pour se confier, se soutenir ou débattre de sujets intéressants.

Venir à l’église est un peu pareil : on vient, oui, avec des attentes légitimes, mais on ne vient pas que pour soi, car le culte n’est pas pour assouvir les besoins de chacun individuellement, mais pour faire grandir l’ensemble. Cela suppose que nous avons d’autres occasions de laisser Dieu nous nourrir, dans des temps personnels de prière, de méditation biblique, de réflexion sur ce que Dieu est pour moi. Par exemple, telle personne se sentira vraiment proche de Dieu au travers de longs moments de chants, ou de musique – telle autre, en marchant dans la nature, ou dans un profond silence, ou encore en servant des repas à des personnes en besoin. Si l’on cherchait à tout faire pour tous, le culte serait vite indigeste. En fait, dans la communauté, au travers des différentes rencontres, on vise d’abord le partage : s’encourager, se consoler, et s’instruire les uns les autres. Et paradoxalement, on ne peut vraiment profiter des temps en communauté que si on soigne sa vie personnelle avec Dieu, de la  même façon qu’on profitera du repas entre amis si on a correctement mangé à midi.

Dans la solitude, nous expérimentons, de façon parfois extraordinaire, la communion avec Dieu le tout Autre qui se fait proche, le Créateur transcendant qui me tend la main – cette exaltation, on la vit assez rarement en groupe ; et ce n’est pas grave, ce n’est pas cela que nous venons chercher au culte. Parce que, ensemble, on vit autre chose, on expérimente une autre réalité de Dieu, tout aussi sublime : la relation. Dieu aime partager, et cela se reflète dans les relations avec les autres, la communion, l’amour, le service mutuel : quand on prie à deux ou trois, ou même à 200, qu’on partage ensemble, qu’on agit, on goûte alors à cette dimension d’un Dieu multiple, varié, qui s’épanouit dans l’échange et le partage – et cela on ne peut le vivre qu’avec les autres.

Conclusion

Pour vivre pleinement notre foi, nous avons besoin des temps communautaires, et de temps où nous sommes seuls avec Dieu. Mais avec quel équilibre ? J’aimerais prendre pour conclure l’image de la vie de couple. Aucun couple ne fait tout ensemble, mais à l’inverse un couple qui ne ferait rien ensemble ne serait plus vraiment un couple, mais deux individus cohabitant sous le même toit. Cela étant, chaque couple a son propre système : certains passent trois quarts de leur temps ensemble, d’autres un quart, sans que cela n’empêche d’être un couple fort, uni, solidaire, et amoureux. Cette souplesse s’applique à notre implication dans l’église : que vous veniez seulement le dimanche ou cinq fois dans la semaine, c’est selon ce qui vous convient ! Ce qui compte, c’est que vous ne viviez pas avec Dieu à moitié – soit que en communauté, avec le risque de s’affamer et de paradoxalement tomber dans le piège de l’égocentrisme en venant chercher ce dont moi j’ai absolument besoin ; soit que tout seul, en se privant alors de l’expérience de la relation, par laquelle Dieu se révèle à nous, lorsque nous nous instruisons les uns les autres, que nous nous encourageons les uns les autres et que nous nous consolons les uns les autres. Alors cherchons Dieu dans l’intimité de la solitude comme dans les relations, afin qu’il se révèle à nous dans la richesse de ce qu’il est.




Faire l’expérience de Dieu

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Lecture biblique: 1 Jean 1.1-4

Il n’en revient toujours pas. Même là, devant son bureau, après des années, des décennies, il n’en revient pas. Il l’a vu ! Entendu, touché, avec ses mains ! vu avec ses yeux ! Il l’a vu ! et il n’en revient toujours pas… malgré le temps passé depuis le départ de Jésus, malgré des années de prédications, d’implantation d’églises, de persécutions aussi, Jean est encore bouleversé par cette bonne nouvelle : la vie (la vie !), l’éternité, Dieu, l’inexprimable, l’indéfinissable, l’invisible, est entré dans le monde, et il l’a entendu, vu, touché !

Jean a expérimenté Dieu, et ça a bouleversé sa vie.

Après tant d’années, au moment de parler du Christ, Jean ressent toujours le même enthousiasme, la même joie, la même effervescence – comme tous ceux qui ont rencontré Jésus et ont compris qu’il était « plus », plus qu’un homme, plus qu’un prophète, plus qu’un sage : dès le début, Marie, Elizabeth et l’enfant dans son ventre qui tressaille d’allégresse, Joseph, les bergers et les mages, Anne la prophétesse et le vieux Siméon ; et aussi plus tard les premiers disciples (tel André à son frère Simon : Nous avons trouvé le Messie !) ou la femme samaritaine, qui court dire à tout le village qu’elle a rencontré au puits celui qui donne la vie… et les apôtres, les premiers chrétiens : la liste de ceux que l’expérience de Dieu a bouleversés est longue…

On pourrait croire que cette joie s’atténue avec le temps, que c’était l’excitation du moment, la nouveauté, le buzz, mais Jean, des décennies plus tard, loin d’être blasé, est toujours aussi bouleversé quand il parle de Jésus.

  • Témoin de l’indescriptible

Jean est bouleversé parce qu’il a été témoin de l’indescriptible : ce qui était dès le commencement, dès avant le monde, avant les étoiles et les dinosaures… ce qui était avec Dieu, ce qui est Dieu depuis toujours, ce qui est la vie – comment le décrire ? – est entré dans nos vies, dans notre tissu humain. Cela s’est manifesté, s’est présenté à nos sens. Cela est rentré dans les réalités du quotidien, irruption de l’éternel dans le temporel – Dieu n’est pas abstrait, au-dessus, loin : il s’est fait concret, chair et sang, proche, à notre hauteur…

Je dis cela, parce que Jean dit « cela » (ce que nous avons vu etc. et non pas « celui »), car en Jésus il y a plus qu’une personne humaine, il y a de l’indéfinissable, de l’éternel. Devant le Christ, homme et bien plus qu’un homme, nos cadres de pensée explosent, nos mots touchent leurs limites : l’infini est entré dans le fini, le créateur s’est fait créature, le peintre s’est fait tableau – il y a de quoi être bouleversé !

C’est impensable, et pourtant c’est réel : Jean est là pour en témoigner. Avec d’autres, il a vu le Christ marcher sur les eaux, guérir les lépreux, arrêter la tempête, multiplier les pains et transformer l’eau en vin, il l’a vu mort et vivant à nouveau, traverser les murs et s’élever dans les airs.

Ces expériences contredisent le bon sens et bousculent la logique, et pourtant elles sont là, réelles, étalées sur 3 ans, devant des centaines de témoins de toutes origines – ces expériences concrètes, Jean est bien obligé de les croire ! Et la seule explication, la seule qui tienne, c’est celle que Jésus a donné de lui-même : fils des hommes, il est aussi fils de Dieu. En lui, Dieu s’est fait homme – il est entré dans nos vies.

  • Une expérience qui se partage

On comprend bien que Jean soit bouillonnant : il a touché Dieu ! Et cela le bouleverse tellement que malgré les difficultés et le risque de persécution, Jean ne peut que proclamer, annoncer, partager ce dont il a été témoin. L’expérience de rencontrer Dieu en Jésus était si forte – est si forte ! parce que maintenant que Jésus n’est plus sur terre, Dieu ne s’est pas éloigné, Jean n’est pas abandonné mais il vit la présence de Dieu tous les jours, par la foi.

Cette expérience, Jean ne peut pas la garder pour lui – il a prêché, il a implanté des églises, et il continue, inlassablement, de transmettre ce message qui fait vivre : Dieu est accessible, il est entré dans nos vies.

La vie avec Dieu ne se garde pas pour nous, mais elle nous lance dans une dynamique, vers les autres. Autrement dit, un chrétien est forcément témoin.

C’est souvent un sujet de culpabilité pour nous, pour moi en tout cas, car on a souvent du mal à parler de cette bonne nouvelle qu’est Jésus, par peur de dire des bêtises, de passer pour un illuminé ou encore de récolter mépris et moqueries. Parfois on pense aussi que c’est une question privée.

Mais si on revient à l’essentiel, à l’énormité qu’est le Christ, cet homme à qui j’ai donné ma vie parce que je pense qu’il est Dieu, alors il vaut la peine que je partage avec d’autres cette extraordinaire nouvelle. Faire et refaire l’expérience de Dieu, par la foi, seul ou avec d’autres, en nous replongeant dans la Bible, en mettant à part du temps pour prier – comme une priorité dans nos agendas bien chargés -, en décryptant la présence de Dieu dans notre quotidien… redécouvrir Dieu dans notre vie. Nous avons tous besoin, régulièrement, de revenir à Dieu, pour être tellement remplis de sa vie et de sa présence que ça déborde – peu importe comment, par des gestes, des paroles, une attitude, mais que ça déborde.

Mais Jean donne l’impression que ça marche aussi dans l’autre sens : témoigner, à rendre compte de notre foi, de notre expérience, sans jugement ni dogmatisme, simplement ce que nous vivons avec Dieu, va nous aider à reprendre conscience de la puissance de Dieu dans notre vie. Raconter pour mieux expérimenter. Vous savez, c’est comme les couples : quand on raconte ou qu’on se redit son histoire, comment on est tombé amoureux, la fameuse demande en mariage, comment on a surmonté telle épreuve, notre amour en est renforcé, fortifié, renouvelé. Avec Dieu c’est pareil : en partageant ce que nous avons reçu, la valeur du don de Dieu se dévoile à nouveau.

Ainsi, se rapprocher de Dieu nous lance dans une dynamique de témoignage et de partage, mais partager nous rapproche aussi de Dieu : le mouvement se nourrit lui-même et nous permet d’entrer plus profondément dans la joie de Dieu.

  • De la joie à la joie

En effet, Jésus fait entrer Dieu dans nos vies pour nous faire entrer dans la joie de Dieu, qui existe depuis toujours et pour toujours.

Prenons un peu de recul : Dieu, dès le commencement, était heureux, épanoui, réjoui, il était bien. Et puis l’amour a débordé, Dieu a voulu associer d’autres à sa joie – car la joie ne se garde pas pour soi. Et il a créé le monde, pour faire entrer d’autres êtres dans sa joie. Après la création, Dieu se repose et partage sa joie avec le monde nouveau-né. Oui mais voilà, une brèche a fissuré cette harmonie, et l’homme s’est engouffré dedans, perdant tout. En Jésus, Dieu comble cette brèche et tend à nouveau la main pour ramener l’humanité et le monde dans sa joie parfaite. Il va très loin, puisqu’il scelle en lui-même, en son identité, l’alliance entre l’homme et lui – plus jamais l’homme ne pourra se dissocier de Dieu, car Dieu, en Jésus-Christ, a revêtu l’humanité, pour toujours, pour une joie éternelle.

C’est ce mouvement que suit Jean : sa joie de connaître le Christ déborde jusqu’aux autres, pour que lui et eux soient dans la même joie, la joie d’expérimenter le Dieu qui fait vivre. Certes, aujourd’hui, la joie n’est pas encore complète, il reste tant de souffrances et de difficultés, mais Dieu promet d’établir un monde entièrement gouverné par sa justice et sa paix. Pour l’instant, nous pouvons déjà vivre l’amour de Dieu qui déborde et nous tourne vers les autres – et c’est là qu’intervient l’église : nous vivons la présence de Dieu en présence des autres, nous vivons la joie de Dieu en la partageant avec d’autres. Nous vivons un avant-goût de cette joie éternelle que nous éprouverons ensemble, avec Dieu, et avec les autres.

Conclusion

Jésus, Emmanuel – Dieu avec nous, est né il y a bien 2000 ans. Il a fait exploser nos cadres, bouleversé nos vies, pour nous remplir de sa vie, une vie généreuse, joyeuse, qui déborde et inclut les autres. Que « Dieu avec nous » nous rende « avec Dieu » et « avec les autres », pour que nous fassions l’expérience, avec toujours de plus de force, de l’indescriptible amour de Dieu pour nous, qui est entré dans nos vies pour nous faire entrer dans sa joie.