Que ta volonté soit faite! (priez sans cesse 2/3)

Nous abordons la 2e semaine de notre campagne de rentrée, sur le thème de la prière, avec le Notre Père, cette prière que Jésus enseigne à ses disciples. Jésus leur livre, non pas une prière à réciter telle quelle (d’ailleurs personne n’est décrit dans le Nouveau Testament comme priant littéralement cette prière) mais plutôt un modèle, comme un patron de couture à décliner en fonction des circonstances.

Lecture biblique Matthieu 6.9-13



9 Vous donc, priez ainsi :

“Notre Père qui es dans les cieux,

Que ton nom soit sanctifié (c’est-à-dire : chacun reconnaisse qui tu es)

10  que ton règne vienne ;

que ta volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux.

11 Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin.

12 Pardonne-nous nos torts,

comme nous pardonnons nous aussi à ceux qui nous ont fait du tort.

13 Et ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve,

mais délivre-nous du Mauvais.”

  1. Priorité à la volonté de Dieu (les objectifs)

Si on regarde juste la prière dans sa globalité, ce qui saute aux yeux c’est d’abord l’ordre dans cette prière : on commence par les affaires de Dieu, et on termine par les nôtres. Cette priorité est renforcée par l’insistance de Jésus : que ton (nom), que ton (règne), que ta (volonté) [diapo où souligné] – il est centré sur Dieu.

Bien sûr, la prière permet de se confier à Dieu, mais le mouvement que conseille Jésus, c’est d’apprendre à nous décentrer pour remettre Dieu au cœur de nos priorités, au centre de notre champ de vision. Priorité à lui, à ses projets, à sa volonté !

Vous allez me dire, peu de croyants qui font la démarche de prier cherchent volontairement à contrecarrer la volonté de Dieu… « Oh seigneur s’il te plaît sois injuste, et aide-moi à faire le mal, à détruire des vies » ou alors : « s’il te plaît, surtout ne fais rien ! croise-toi les bras, je te parle de la situation, mais surtout tu ne t’impliques pas ! » C’est rare, ce genre de prières ! En général, quand on prie, on espère que Dieu va agir, et a priori on espère être en phase avec lui !

La prière que décrit Jésus ne conteste pas notre respect de Dieu, de sa volonté ou de sa puissance, mais elle vient nous interpeller sur notre ordre de priorité. Certes, nous acceptons que Dieu agisse selon sa propre volonté, mais dans quel ordre ? quelle articulation entre ses projets et les nôtres ? qu’est-ce qui vient en premier ?

Trop souvent nous confondons notre volonté avec celle de Dieu, et nous formulons notre projet en lui demandant ensuite de nous bénir. Nous sommes dans nos réflexions, nos idées, nos envies – et, comme après coup, nous disons : ah au fait, j’espère que ça te va ! tu veux bien bénir mon projet, et montrer ton amour et ta puissance, me donner la force, sur ce chemin extrêmement précis que je viens de te présenter ? regarde, tout est prêt, tu n’as plus qu’à bénir !

Ça peut être pour un projet professionnel, projet d’études, ou un projet de couple, ou même quelque chose de petit : j’ai envie de faire ça, alors aide-moi, protège-moi, donne-moi la force.

On a tout préparé, et on a juste besoin que Dieu nous donne un coup de main, si possible rapidement.

Eventuellement, si on est spirituel, on va dire : si tu n’es pas d’accord, montre-moi.

Sauf qu’on ne l’a pas consulté avant.

Bien des situations dans notre quotidien suivent cet ordre, et dans l’église aussi, ça arrive, et aussi dans l’Histoire de l’Eglise (avec majuscules), où bien des scandales ont commencé comme ça, avec la volonté humaine qui passe en premier et qui s’impose en quelque sorte, même avec les meilleures intentions…

          Jésus invite au contraire à nous mettre en position d’écoute. A ne pas arriver dans la prière avec des propositions étroites et verrouillées, mais à être prêt à écouter, à bouger, à se laisser inspirer par Dieu. Plus que ça : à nous décentrer, à mettre en premier ses priorités. Ce n’est pas à lui de me suivre ! C’est à moi de le suivre, sur son chemin.

Imaginez que vous partiez faire une expédition en haute montagne. Vous engagez un guide réputé, en lui demandant de vous conduire au plus beau sommet. Vous ne passez pas devant lui quand même ? Vous le suivez, non ?

Alors, est-ce légitime de faire passer la volonté de Dieu, et non la mienne, en premier ? Ca dépend de qui est Dieu. Si Dieu est un tyran autoritaire qui veut faire du mal, non. Mais dans ce cas, on ne va pas le chercher, on prie pas ! On fait profil bas, ou éventuellement, on le flatte énormément pour l’apaiser et qu’il nous laisse tranquilles… Si on prie Dieu, c’est qu’on pense qu’on peut lui faire confiance, qu’il est juste, et bon, et sain(t), droit, honnête. Du coup, si Dieu est une si bonne personne, pourquoi on se méfierait de sa volonté ou de ses intentions ? Il n’y a pas de raison ! Pourquoi on ferait plus confiance à nous, avec toutes nos failles, qu’à lui ? Il n’y a pas de raison !

Il n’y a pas de raison, et pourtant, depuis toute notre histoire humaine collective et personnelle, nous tombons dans ce doute, cette méfiance vis-à-vis de Dieu, que le serpent avait su insuffler à Eve et Adam : « vous êtes sûrs que Dieu veut votre bien ?… »

On revient à ce problème de la confiance : faire confiance à Dieu pour assurer nos arrières, c’est bien, mais si nous lui faisons vraiment confiance, nous acceptons que ce soit lui qui passe en premier et qu’il nous guide…

2. Ta volonté ou ma volonté : les moyens

La confiance, c’est facile d’en parler, mais c’est toujours un défi à mettre en pratique. J’en veux pour preuve que Jésus lui-même a expérimenté cette lutte. Les Evangiles nous donnent peu d’exemples de contenu des prières personnelles de Jésus : avec une exception : sa prière au jardin de Gethsémané, la nuit où il va être arrêté, puis inculpé à tort et mis à mort le lendemain. C’est la dernière ligne droite avant la Croix : dans les Evangiles, on voit que Jésus se prépare très tôt à mourir, et à chaque fois il confirme ce chemin vers la Croix, mais là, c’est la dernière ligne droite. Je vous lis juste le contenu de la prière de Jésus par rapport à cette question de la volonté de Dieu (Matthieu 26.36-46).

36 Jésus arriva avec ses disciples à un endroit appelé Gethsémani et il leur dit : « Asseyez-vous ici, pendant que je vais là-bas pour prier. » 

[…] 39 Il alla un peu plus loin, se jeta face contre terre et pria en disant : « Mon Père, si c’est possible, éloigne de moi cette coupe de douleur. Toutefois, non pas comme moi je veux, mais comme toi tu veux. » 

40 Il revint ensuite […]

42 Il s’éloigna une deuxième fois et pria en disant : « Mon Père, si cette coupe ne peut pas être enlevée sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » 

43 Il revint encore auprès de ses disciples […]

44 Jésus les quitta de nouveau, s’éloigna et pria pour la troisième fois en répétant les mêmes paroles. 

45 Puis il revint auprès des disciples et leur dit : « […] Maintenant, l’heure est venue et le Fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs. »

Jésus voit la souffrance qui l’attend, la mort, et la colère de Dieu qui se profile à l’horizon comme la foudre prête à tomber sur lui à notre place, à cause de nos lourdeurs, de nos perturbations, de notre péché.

Devant ce trou noir, Jésus ne peut pas prier à la légère « que ta volonté soit faite » ! C’est trop dur ! Alors il exprime à Dieu ses craintes, ses résistances. Et peu à peu, il se recentre sur la volonté de Dieu, et on sent qu’il passe de l’angoisse à la détermination. Mais ça prend du temps ! Même pour Jésus ! Même pour lui, qui sait très bien, depuis des années, ce qui l’attend.

S’aligner sur la volonté de Dieu, ça prend du temps, ça demande du dialogue avec Dieu – un dialogue où on peut exprimer nos envies, nos besoins, nos craintes, nos blocages. Un dialogue dans l’intimité avec Dieu où on lui laisse la place de nous montrer, de nous montrer qu’on peut lui faire confiance et qu’on peut le suivre.

          Qu’est-ce qui coûte à Jésus ? Jésus n’a-t-il pas le même objectif que Dieu, sauver le monde ?  SI, bien sûr !!! Mais ce qui coince, ce sont les moyens… passer par la mort, la nuit, la souffrance, pour arriver à la justice, à la paix, à la vie.

Parfois nous sommes prêts à adopter les objectifs de Dieu, la ligne générale de sa volonté, mais ce sont les moyens qu’il utilise qui nous posent problème. Parce qu’ils nous paraissent contre-intuitifs : Dieu ne fonctionne pas comme nous ! Et même si on est d’accord sur la destination, ce n’est pas si évident de le suivre sur des chemins qu’on ne comprend pas.

Quand je me suis mariée, un gros sujet de la vie commune est arrivé sur le tapis : le ménage et la vaisselle… Et mon mari plein de sagesse de me dire : « écoute, si je fais, je fais comme je veux, sinon c’est toi qui fais ! » Oooh le lâcher-prise 😉

Quand on prie Dieu « que ta volonté soit faite », on prie pour que ses objectifs se réalisent, de la manière qu’il désire !

Pour reprendre l’image du guide en haute montagne : si vous arrivez à un croisement, ce n’est pas forcément la route la plus large qu’il faut suivre pour arriver au sommet choisi – et vous n’allez pas commencer à contester l’itinéraire choisi par le guide ! Vous lui faites confiance ! Vous vous doutez bien que s’il ne choisit pas la route la plus facile, ce n’est pas par sadisme, mais parce que soit c’est une impasse, soit c’est un détour, soit ça mène à une autre destination. Et vous suivez le guide, parce que vous avez confiance en sa sagesse ET en sa capacité à vous aider sur ce chemin étroit et abrupt. Vous avez confiance qu’il saura vous conseiller sur les passages techniques et éventuellement vous tenir physiquement si c’est dangereux.

Prier « que ta volonté soit faite », c’est vraiment apprendre à faire confiance à Dieu pour l’objectif ET pour les moyens, pour la destination ET pour l’itinéraire. Et c’est précédé par cette affirmation : notre Père dans les cieux (toi qui nous aimes comme tes enfants) et c’est suivi par cette demande : accorde-nous les forces, la grâce, la protection dont nous avons besoin sur cette route.

3. Apprendre l’obéissance du fils

Jésus ne décrit pas le moyen de connaître la volonté de Dieu, mais son exemple nous enseigne : il passe beaucoup de temps à lire et méditer les Ecritures, il se familiarise avec et il s’approprie les valeurs de Dieu, ses principes, son projet… Et puis Jésus passe du temps dans une prière de dialogue avec Dieu – comme on l’a vu avec Gethsémané. Il se frotte à Dieu ! et il se laisse travailler, façonner, toucher, convaincre… Ce n’est pas l’obéissance d’un esclave qui renie sa volonté et exécute servilement les ordres reçus, c’est l’obéissance d’un fils qui discute avec son Père et qui se laisse convaincre par sa sagesse, et qui finit par aligner sa volonté, son énergie, sur la volonté du Père pour s’associer à ses projets.

Prier « que ta volonté soit faite », ce n’est pas abandonner sa liberté, c’est choisir de faire confiance à l’Etre le plus fiable du monde, celui qui brille par sa puissance, sa sagesse et sa bonté !

Alors à quoi peut ressembler cette obéissance ?

A une réorientation : parfois Dieu nous appelle à aller sur le chemin que nous n’aurions pas choisi (par goût ou par habitude).

A une rupture ou à un renoncement : parfois Dieu nous appelle à rejeter certains modes de vie, à sortir du compromis ou du déni, à sortir de l’impasse pour revenir sur son itinéraire.

Ou encore à un lâcher-prise : parfois il nous appelle juste à arrêter de prévoir, contrôler, anticiper – et accepter de le suivre aujourd’hui même si on ne sait pas où il nous mène.

Dans tous les cas, très souvent, l’enjeu ce sera cette question : « tu me fais confiance ou pas ? »

Jésus nous invite sur ce chemin de la confiance, sur lequel il nous a précédés. Il ne nous livre pas cette prière de haut, comme si on était nuls de ne pas savoir prier – ce fut sa pratique, sa discipline, d’apprendre à mettre la volonté de Dieu en premier, d’apprendre à faire confiance au Père et à le suivre : parce qu’il savait que quand la volonté de Dieu se réalise, c’est infiniment plus vivifiant, fécond et bénéfique que lorsque ce sont nos petits projets qui sortent de notre petite tête. Alors que Jésus lui-même, lui qui est passé par le pire et qui en est ressorti vivant, victorieux, nous aide par son esprit, à apprendre cette confiance envers Dieu et à chercher sa volonté d’abord.




Négociations avec Dieu (2/5): Prendre Dieu au sérieux

Quelle est notre marge de manœuvre face à Dieu ? face à sa volonté ? Si Dieu est Dieu, puisque Dieu est Dieu, ce qu’il veut doit s’accomplir tel quel, non ? Ce qu’il décrète a bien plus de force que les lois humaines : qu’est-ce qui pourrait le remettre en cause ? Notre soumission légitime à Dieu parfois nous conduit à la résignation, au découragement, au « à quoi bon ? » Quelle est notre place, la place de notre prière dans les projets de Dieu ? Pour répondre un peu à cette question, j’aimerais remonter à environ -1500 avant Jésus-Christ, pour nous retrouver dans le désert à l’Est de l’Egypte, avec Moïse et le peuple d’Israël.



Notre dernier culte, célébré le 9 juillet à l’EEL Toulouse

Quelques mots de contexte : Dieu s’est engagé à bénir la descendance d’Abraham, qu’on appelle peuple d’Israël, et projette de leur donner un pays pour leur donner un cadre favorable dans lequel ils pourront apprendre à vivre avec Dieu – ils recevront sa bénédiction, mais ils seront aussi un témoignage pour les peuples qui les entourent. Ce projet met du temps à s’accomplir : pendant plusieurs siècles, les Israélites ont été tenus esclaves en Egypte, jusqu’à ce que Dieu les libère à grand renfort de miracles (les 10 plaies d’Egypte). Il les conduit hors d’Egypte, par l’intermédiaire du prophète Moïse, vers le pays de Canaan, de l’autre côté du désert. Pendant des mois, Dieu montre sa présence quotidienne. Face aux obstacles, aux dangers, aux manques, il abreuve, nourrit, protège, etc. Ils arrivent enfin aux portes de Canaan : douze espions partent explorer le pays promis. A leur retour, 10 d’entre eux sont trop impressionnés et déconseillent au peuple d’aller plus loin. Les deux autres, Caleb et Josué, essaient de remotiver le peuple à faire confiance à Dieu, mais rien n’y fait : le peuple préfère retourner d’où il vient, en Egypte, même si la situation là-bas était terrible. Devant cette énième révolte contre Dieu, Moïse et Aaron sont prosternés en prière.

Lecture biblique : Nombres 14.10-25

10 Tout le peuple parlait de lancer des pierres [sur Caleb et Josué, Moïse…] pour les tuer, mais soudain la gloire du Seigneur se manifesta aux yeux des Israélites, sur la tente de la rencontre.

11 Le Seigneur dit à Moïse : « Ce peuple cessera-t-il un jour de me rejeter ? Refusera-t-il toujours de me faire confiance, malgré tous les signes que je lui ai donnés de ma puissance ? 12 Je vais le frapper de la peste et l’exterminer, puis je ferai naître de toi un peuple plus puissant et plus nombreux qu’Israël. » 

Au milieu de ce qui ressemble à une émeute, l’apparition lumineuse de Dieu arrête tout.

Depuis trois mois que Dieu les a fait sortir d’Egypte, on ne compte plus les révoltes, les murmures, les récriminations et les plaintes contre Dieu. Mais là, la limite a été atteinte! Devant l’incapacité chronique du peuple à lui faire confiance, Dieu se tourne vers son fidèle serviteur avec un plan B : on arrête les frais avec ces gens-là, et on repart à zéro avec Moïse. Dans un sens, Dieu resterait fidèle à ses promesses à Abraham, puisque Moïse est un de ses lointains descendants.

La proposition est alléchante : Moïse se retrouverait grand patriarche, grand ancien d’un peuple nouveau. Une proposition d’autant plus alléchante que c’est souvent Moïse qui prend lorsque le peuple veut en découdre avec Dieu.

Derrière cette proposition, se révèle l’agacement de Dieu : il n’en peut plus de ce manque de confiance récurrent entre le peuple et lui. Imaginez-vous dans une relation où l’autre remet sans cesse en question vos choix, doute de vos intentions et de vos compétences : sans confiance, la relation devient vite toxique, et puis on ne peut rien construire s’il n’y a pas de base commune.

Face à Dieu, c’est d’autant plus injuste qu’il a accompli des miracles tous plus extraordinaires les uns que les autres. Des miracles qui ont deux buts, un peu comme le double effet kiss cool :

  • A court terme : répondre au problème, soulager, fortifier, etc.
  • A long terme : au travers des miracles, montrer quel type de Dieu il est – présent, attentif, patient – et extrêmement compétent !

A travers ce qu’il fait, Dieu révèle qui il est : un Dieu fort, aimant, fidèle. C’est comme les cadeaux : quand quelqu’un vous fait un cadeau, il y a l’objet en lui-même, et tout ce que l’objet révèle de ce que l’autre pense de vous, de son affection, sa reconnaissance, etc.

Pourtant le peuple d’Israël a comme relégué les actes de Dieu dans le passé, sans en tirer les leçons sur ce qu’il est et ce qu’il veut faire pour eux. Je le dis sans mépris, car ça nous arrive tellement souvent : Dieu intervient pour nous, mais à l’obstacle suivant, c’est comme s’il fallait reprendre à zéro ! Or à travers ce que Dieu fait, il veut nous apprendre qui il est : fiable et fidèle…  

          Moïse ne se laisse pourtant pas tenter par la proposition de Dieu :

13 Moïse répondit au Seigneur : « Les Égyptiens ont su que, par ta force, tu avais fait sortir ce peuple de chez eux. 14 Ils l’ont raconté aux habitants de ce pays. Ceux-ci ont donc appris que toi, le Seigneur, tu accompagnes ton peuple, que tu te manifestes à lui face à face ; ils ont appris que c’est toi qui le protèges, puisque tu marches devant lui, le jour dans une colonne de nuée, la nuit dans une colonne de feu. 

15 Si maintenant tu extermines ton peuple d’un seul coup, les populations qui ont entendu parler de tout ce que tu as fait vont dire : 16 “Le Seigneur n’a pas été capable de conduire ce peuple dans le pays qu’il lui avait promis ; c’est pourquoi il l’a massacré dans le désert.” 

17 Alors je t’en supplie, Seigneur, déploie ta puissance. Agis selon ce que tu nous as affirmé : 18 “Je suis le Seigneur, lent à la colère et d’une immense bonté ; je supporte les péchés, les désobéissances. Mais je ne tiens pas le coupable pour innocent. J’interviens contre celui qui a péché et contre ses descendants, jusqu’à la troisième ou la quatrième génération.” 

19 Seigneur, pardonne encore le péché de ton peuple, selon ta grande fidélité, comme tu n’as cessé de lui pardonner depuis qu’il est sorti d’Égypte. »

La semaine dernière, nous étions avec Abraham qui intercédait pour quelques justes au milieu d’une société toxique. Cette fois-ci, Moïse ne prie pas pour des justes, mais pour des injustes ! pour un peuple qui est prêt à balayer Dieu d’un revers de main au moindre obstacle.

Moïse ici ne fait pas appel à la justice de Dieu, mais à sa compassion. Avec deux arguments fondamentaux : la réputation de Dieu et la parole qu’il a donnée. Deux façons d’aborder l’honneur de Dieu.

D’abord, Moïse évoque la réputation de Dieu auprès des peuples étrangers qui ont entendu ce qu’il avait fait, et qui risquent de ne pas prendre Dieu au sérieux si Dieu ne va pas au bout avec Israël. Autrement dit : « qu’est-ce qu’on va dire de toi, Seigneur ? »

Selon notre génération ou notre culture, cet argument de la réputation peut nous toucher différemment. Mais pour certains, il sonne avec étrangeté dans un contexte psycho-social où on nous invite à nous libérer du regard des autres (tout en nous exposant plus que jamais au regard des autres via les médias et les réseaux !), à nous assumer tels que nous sommes, à sortir des attentes et des stéréotypes. Dieu manquerait-il de confiance en lui, d’estime de soi, au point d’avoir besoin de l’approbation de créatures inférieures ? Ne peut-il pas vivre libre, détaché des opinions des uns et des autres ?

Pour mieux comprendre, faisons un détour par notre fonctionnement humain. Être en relation avec quelqu’un, c’est vivre sous son regard, un regard qui reflète son point de vue sur ce que nous sommes et qui crée la base de notre relation : l’envie d’aller plus loin ou pas. Une personne que je regarde comme ennuyeuse, ou menteuse, ou capricieuse, ou manipulatrice, ou profiteuse – il y a peu de chances pour qu’elle devienne ma meilleure amie ! Nos regards entrecroisés conditionnent la relation. Ce qui est sûrement excessif, c’est d’accorder de l’importance au regard de personnes avec qui nous n’avons pas de relation. Ainsi, il est légitime d’accorder de la valeur au regard et donc à l’opinion que portent sur moi les personnes qui ont de la valeur pour moi. Vous me suivez ?

Si on l’applique à Dieu : Dieu est Dieu, il n’a pas besoin de nous pour exister ou pour se sentir bien – il est au-dessus de tout ! dans une autre sphère ! Et pourtant, du jour où il a décidé de créer l’être humain pour être en relation avec nous, une relation d’amour et d’amitié, du jour où il nous a accordé de la valeur, il a donné de la valeur à notre regard sur lui. Le thème de la réputation, de son honneur, de sa gloire, renvoie indirectement au poids que Dieu nous donne dans sa vie : nous ne sommes pas des moucherons qu’il balaye de la main, nous sommes ceux qu’il veut aimer et avec qui il veut construire. 

          Le deuxième argument est assez proche : au nom de la parole donnée, Moïse appelle Dieu à aller au bout de ce qu’il a commencé.

Et le cœur de ces promesses, c’est la patience et la fidélité de Dieu envers son peuple. « Tu as dit que tu serais fidèle ! Tu l’as déjà été ! Sois cohérent… » Et Moïse de citer la façon dont Dieu lui-même s’est révélé à lui, comme un Dieu lent à la colère et riche en bonté.

Une remarque : Moïse demande à Dieu de déployer sa grande puissance – et quelle est cette puissance ? sa patience et sa fidélité, son pardon renouvelé. Sa grâce !

Comme Abraham la semaine dernière, Moïse prouve dans son argumentation à quel point il prend Dieu au sérieux. A quel point il prend au sérieux sa parole, ses promesses, ce qu’il a déjà révélé de lui-même par ses actes. Et dans cette argumentation audacieuse, Moïse montre en fait une confiance en Dieu inébranlable – justement cette confiance que le peuple n’arrive pas à donner. Ultimement, c’est cette confiance qui caractérise la foi : pas seulement croire que Dieu existe, qu’il a inventé un monde extraordinaire, mais croire qu’il est bon, et lui faire confiance, croire ses paroles, et s’attendre à ce qu’il fasse ce qu’il a dit.

La posture de Moïse est essentielle dans cette prière : il n’est pas centré sur lui, mais sur les intérêts du peuple et sur les intérêts de Dieu – comme s’il lui disait : « ne te laisse pas dévier par ce peuple de bons à rien, mais reste qui tu es, et montre-toi ! tu es plus grand que leur médiocrité ! » Et Moïse n’exige pas quelque chose de précis, seulement que Dieu fasse grâce – il a confiance !

20 Le Seigneur répondit : « Je lui pardonne, comme tu le demandes. 21 Cependant, aussi vrai que je suis vivant et que ma gloire remplit toute la terre, j’affirme 22-23 que personne de cette génération n’entrera dans ce pays. Ils ont vu ma gloire, et tous les actes puissants que j’ai accomplis en Égypte et dans le désert ; malgré cela ils n’ont pas cessé de me mettre à l’épreuve en me désobéissant. C’est pourquoi aucun d’eux ne verra le pays que j’ai promis à leurs ancêtres, puisqu’ils m’ont tous rejeté. 

24 Mais mon serviteur Caleb a été animé d’un autre esprit et m’est resté fidèle ; je le ferai entrer dans le pays qu’il a exploré, et je donnerai cette région à ses descendants. 25 – Les Amalécites et les Cananéens occupent actuellement les vallées de cette région. – Demain donc, vous ferez demi-tour et vous repartirez par le désert dans la direction de la mer des Roseaux. »

          Dieu accède à la demande de Moïse, et épargne le peuple, en tout cas pour l’instant. C’est le début des 40 ans d’errance dans le désert, le temps qu’une nouvelle génération se lève et entre dans le pays promis. Dieu trouve là un équilibre entre le pardon, la grâce, et la sanction devant un comportement insolent et injuste chez le peuple.

          Pour revenir à la prière, cet échange entre Dieu et Moïse doit nous encourager ! Nous encourager à prier, à échanger avec Dieu, à prendre au sérieux ses promesses malgré les circonstances défavorables.

Je parlais récemment avec un instituteur qui commence à avoir de l’expérience, et on évoquait le fait qu’en début de carrière, on a tendance à tout anticiper, tout préparer de A à Z – et le moindre imprévu nous fait dérailler. Avec l’expérience et une meilleure maîtrise des sujets, on peut s’adapter à la situation, aux questions, aux besoins, et on sait qu’il y a plusieurs chemins pour arriver quelque part. C’est la même chose dans nos déplacements : quand on ne connaît pas une ville, on prend toujours le même itinéraire – mais quand on connait bien la ville, on sait qu’il existe plusieurs chemins pour arriver au même endroit.

Dieu est un expert en sagesse et en puissance, et comme tous les experts, il maîtrise le sujet de ce qui est juste et bon : il a un plan A, mais il peut aussi passer à un plan B, ou C, ou D, selon la situation, tout en atteignant ses objectifs !  Il y a donc de la place pour notre prière, pour nos demandes, nos intercessions, nos questions…

Nous pouvons demander à Dieu, l’implorer, pour qu’il révèle sa grâce puissante dans notre vie et celle des autres – en nous appuyant sur ce qu’il est et sur ce qu’il a fait : en Christ, nous avons une base bien plus solide encore que l’expérience du peuple d’Israël. En Christ, Dieu lui-même est devenu un homme, il a lui-même porté dans son corps et son identité son engagement envers nous, son engagement à accomplir la justice et à révéler sa grâce. Bien plus, il donne son Esprit à ceux qui lui font confiance : Dieu s’engage de tout son être – prenons au sérieux ses promesses !