Pardonner pour être pardonnés ?

Un des sujets qui revient régulièrement dans les groupes où l’on discute de foi et de Bible, dans les visites, dans la famille ou avec les amis, les collègues… c’est la question du pardon. Pas le pardon reçu en Christ, non, le pardon que Jésus nous invite à offrir à notre tour, comme une des actions bonnes que Dieu a préparées d’avance pour ceux qui rejoignent sa famille.

J’ai l’impression que pardonner à l’autre est toujours un défi, tout simplement parce que derrière l’offense, il y a une blessure, une trahison, une déception, une perte… et à chaque fois ! A chaque fois c’est nouveau ! Pardonner à votre collègue qui vous a humilié en réunion, ce n’est pas plus facile sous prétexte que vous avez pardonné à votre neveu d’avoir piqué dans votre porte-monnaie ! J’imagine (j’espère !) qu’avec la maturité spirituelle, on trouve le chemin du pardon plus facilement, mais d’après ce que j’entends, le pardon reste un défi quasi universel jusqu’à la fin.



Malheureusement, on ne peut pas éviter ce défi parce qu’il est au cœur du message de Jésus : le pardon de Dieu, d’abord, et cette invitation à aimer notre prochain, aimer malgré l’offense, donc pardonner.

Je vous invite à creuser cette question du pardon avec un passage de la prière du Notre Père, prière que Jésus enseigne à ses disciples, non pas pour qu’ils la répètent à la lettre, mais pour donner un exemple, une direction, un modèle. Ce modèle nous invite à nous centrer dans la prière d’abord sur Dieu et ses projets, et ensuite sur nos besoins. Dans ces besoins, le pain/les besoins matériels, le pardon, la protection face au mal extérieur et intérieur. Je ne sais pas pour vous, mais la partie sur le pardon m’a toujours un peu mise mal à l’aise :

Matthieu 6.12 Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.

(littéralement : 12 remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous l’avons fait pour nos débiteurs – pour ceux qui ont suivi le cycle de prédications sur les sens de la mort de Jésus sur la croix, où j’ai parlé notamment du pardon de Dieu comme rachat de nos dettes pour nous conduire vers la liberté)

Le « comme » est terrible ! Jésus a l’air de dire qu’il y a une espèce de correspondance entre le pardon que nous donnons et le pardon que nous recevrons de Dieu. On aurait envie de remplacer par « pardonne-nous pour que nous pardonnions, ainsi nous pardonnerons… » pendant un temps, je remplaçais même par « et aide-nous à » ! Tout, mais pas « comme » !

En plus, Jésus en rajoute une couche :

14 Si vous pardonnez aux gens leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera, à vous aussi, 15 mais si vous ne pardonnez pas aux gens, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes.

Au moins c’est clair ! Notez que c’est le seul point de la prière sur lequel Jésus fait un commentaire… Et là, c’est dans l’Evangile de Matthieu, mais dans l’Evangile de Luc qui propose une variante de ce modèle de prière, on retrouve aussi le « comme » et le petit commentaire.

C’est problématique, au moins pour deux raisons :

  • Notre pardon étant lent, très très progressif et partiel, j’espère bien que le pardon de Dieu est de meilleure qualité !
  • Et théologiquement, comment Jésus peut-il dire ça, alors même que tout son message met l’accent sur l’initiative de Dieu dans le pardon ? Sur l’amour que lui-même montre, de la part de Dieu, à tous ceux qui l’approchent ? Comment peut-il dire d’un côté : « venez à Dieu comme vous êtes, en toute simplicité ; même si vous perdus, errants, archi-nuls, même si vous avez tout raté, même si vous vous sentez indigents, revenez vers Dieu et il vous accueillera les bras ouverts parce qu’il vous aime » et d’un autre côté « Dieu vous pardonne comme vous pardonnez à votre prochain » donnant l’impression qu’il faut mériter le pardon que Dieu nous offre, qu’il faut montrer patte blanche ?

Si on regarde le contexte de cette prière, on peut trouver un élément de réponse : Jésus ne fait pas ici un discours sur le salut, sur le regard que Dieu porte sur le pécheur et sur l’invitation à nous tourner vers lui pour vivre une vie transformée. Il donne simplement à ses disciples un modèle de prière quotidienne (donne-nous notre pain de ce jour), une prière adaptée aux défis de la vie ordinaire : faire confiance à Dieu pour nos besoins matériels, vivre de son pardon face à nos échecs récurrents, et être protégé du mal sur le chemin qui nous attend. Ce n’est pas parce qu’un jour, on a compris que Dieu nous offrait son pardon et qu’il nous aimait qu’on n’a plus besoin de son pardon ! Dans le cadre de cette relation avec Dieu renouée grâce au Christ, il y a un pardon quotidien à recevoir pour nos défaillances quotidiennes.

Et c’est de ce pardon-là, pas du salut, mais de la grâce au quotidien, que Jésus parle, en le rendant inséparable du pardon que nous sommes prêts à accorder à ceux qui nous entourent. En insistant sur cette correspondance, Jésus nous montre que pardonner aux autres est incontournable si l’on veut vivre avec Dieu. Incontournable.

Pardonner aux autres, un incontournable de la vie chrétienne

Pourquoi le pardon que nous donnons est-il si important pour Dieu que notre relation privée avec lui en dépende ?

D’abord, comme nous, Dieu ne supporte pas l’hypocrisie. Compter sur la générosité de Dieu alors qu’on garde notre cœur fermé et amer, ce n’est pas cohérent. Demander à Dieu un bouquet alors que soi-même on n’est pas prêt à faire une fleur à l’autre, c’est un peu se moquer du monde, et de Dieu.

Il y a un autre passage où Jésus évoque le pardon, sous la forme de l’histoire du serviteur d’un roi (parabole du serviteur impitoyable, Matthieu 18). Le serviteur a une dette de plusieurs milliards, impossible à rembourser – il implore le roi, et le roi, ému de compassion (il représente Dieu dans l’histoire), efface la dette. Le serviteur repart libre, et il croise en chemin un de ses collègues qui lui doit l’équivalent de 3-4000 euros : il le saisit à la gorge, le menace… l’autre l’implore mais rien n’y fait. Le roi l’apprend, et s’emporte face au premier serviteur, dont l’incohérence montre qu’il n’a rien compris.

Parce que, être cohérent devant Dieu, ce n’est pas pour faire joli ou pour avoir bonne réputation ou pour prouver à Dieu qu’il a bien parié sur le bon cheval – ce n’est pas une question de performance, c’est une question de compréhension. Lorsque je reçois le pardon de Dieu, est-ce que j’en mesure le coût ?

Si je refuse à mon tour de pardonner, quel message j’envoie ? que l’offense de mon prochain envers moi est plus grave, plus injuste, plus impardonnable que la mienne envers Dieu ?

Certes, Dieu est parfait, mais le pardon qu’il nous offre n’est pas une évidence, je dirais même qu’il n’est pas facile – Dieu est scandalisé devant le mal, le mal décuplé et le mal en germe, il connaît nos mesquineries nauséabondes, et pourtant, et pourtant son amour surmonte la montagne de déchets que nous nous trimballons. Le pardon de Dieu n’est tellement pas facile qu’il a envoyé son Fils, qui est mort pour nous. Mort. Oui, pardonner à l’autre c’est faire un sacrifice, mais on ne meurt pas, nous ! Jésus, lui, est mort pour garantir notre salut.

Alors on comprend mieux pourquoi pardonner aux autres est si incontournable aux yeux de Dieu : c’est le signe qu’on a perçu un peu de l’immensité de sa démarche, et qu’on est prêt à l’imiter à notre petit niveau.

Le contour du pardon

Or, qu’est-ce que pardonner signifie, concrètement ? Parce que nos difficultés à pardonner viennent en partie de nos préjugés sur le pardon.

Jésus utilise régulièrement l’image de la dette qu’on remet, de l’ardoise qu’on efface. Remettre une dette, c’est renoncer à exiger le paiement, renoncer à exiger la réparation, renoncer à la vengeance. C’est renoncer au ressentiment qui ressasse la dette encore et encore comme un point de blocage dans la relation. Pardonner, c’est lâcher, en fait.

Cela étant, pardonner, ce n’est pas : autoriser ce qui s’est passé, comme si on le validait ou qu’on le cautionnait (à aucun moment, Dieu qui nous pardonne ne cautionne nos horreurs) ; ce n’est pas minimiser, relativiser (oh ce n’est pas si grave… si Dieu pardonne au meurtrier, vous croyez qu’il considère que la mort de la victime n’a pas de poids ?) ; ce n’est pas non plus se plonger dans un déni naïf et imprudent pour repartir tête baissée dans la gueule du loup ! (Dieu qui nous pardonne nous invite à changer de vie, pas à répéter sans cesse le même schéma destructeur !)

Ainsi, le pardon a pour objectif la réconciliation. On efface l’obstacle de la relation pour faire la paix et se retrouver dans une relation à nouveau fluide. Dieu nous invite à des relations avec autrui riches et paisibles, saines et constructives.

Ca c’est l’objectif du pardon, mais ce n’est pas toujours possible, et il est essentiel d’être réaliste quand on parle de pardon. Jésus nous commande de pardonner, il ne nous commande pas de nous réconcilier là où ce n’est pas possible. La réconciliation, c’est un but, mais ce n’est pas automatique. Parfois il faut du temps pour redonner sa confiance. Parfois la relation a définitivement changé et on continue mais autrement, sans revenir « comme avant ». Et parfois, pour se protéger et pour protéger l’autre de lui-même, il vaut mieux rester à distance. Exemple : vous avez un collègue qui vous a piqué des sous dans votre portefeuille, peut-être que vous évitez de laisser votre sac sans surveillance devant lui… Vous êtes en couple avec quelqu’un de violent qui vous met en danger, vous et vos enfants (homme ou femme, les deux situations existent) : même si vous pardonnez, il faut vous protéger ! tant que l’autre n’est pas capable de se maîtriser, il faut prendre de la distance ! Ca peut être un supérieur qui vous harcèle, ou un voisin qui prend toujours mal ce que vous dites : même si vous choisissez de pardonner, vous pouvez prendre de la distance tant qu’une relation saine et paisible n’est pas possible.

En chemin vers le pardon

Quelques remarques avant de conclure.

Le pardon, c’est à la fois une décision à prendre, un choix à faire, et en même temps c’est un processus qui prend du temps pour s’accomplir pleinement. Ce n’est pas parce qu’on a décidé de pardonner que d’un coup, on ne ressent plus rien de négatif quand on voit l’offenseur ou quand on repense à l’offense. Le pardon c’est un cap qu’on se donne et auquel on choisit de se tenir. C’est là que Jésus nous met la pression : quel cap on veut donner à notre vie ? Le cap de la grâce ou le cap du ressentiment ?

Et puis, Jésus n’empêche pas de demander de l’aide à Dieu ! Son modèle de prière est court, il ne couvre pas tout : bien sûr que Dieu est prêt à nous donner les ressources pour vivre comme lui ! il faut lui demander… mais lui demander, c’est déjà avoir fait le choix d’aller vers le pardon.

Cette vie marquée par le pardon nous conduit vers la grâce et la liberté. Oui, la liberté. Recevoir régulièrement le pardon de Dieu ôte de nos épaules le poids de la culpabilité, de la honte, de toutes nos valises… pardonner à l’autre nous conduit aussi vers la liberté : la liberté de ne plus nous définir d’abord comme victime, de ne plus voir en nous seulement la blessure qu’on porte, qu’on gratte et qu’on infecte parfois à force de rancœur et de revendication. C’est important de reconnaître l’ampleur des blessures… mais le but c’est d’en guérir, pas de s’y emprisonner !

 Dieu nous appelle à la liberté, la liberté dans la vérité et l’amour. C’est un chemin, un processus, l’apprentissage de toute une vie, et pour avancer sur ce chemin jour après jour, nous avons tellement besoin de Dieu, expert en pardon, expert en grâce, pour nous apprendre à aimer comme lui, jour après jour.




La croix comme lieu de réconciliation (Les sens de la Croix 2/4)

Jésus vient annoncer la venue du royaume de Dieu – il est lui-même le Roi qui s’approche de nous dans notre humanité. Dans notre foi chrétienne, nous croyons que son chemin pour nous rejoindre passe par sa mort sur la croix, comme en un point nécessaire. Comment sa mort sur la croix permet-elle que nous soyons connectés, re-connectés, à Dieu ?

La semaine dernière, nous avons commencé une série sur les sens principaux de la mort de Jésus sur la croix, en commençant par la notion de sacrifice : Jésus se charge de notre culpabilité, à notre place, afin que nous soyons déchargés, déclarés innocents, justifiés – et le NT entremêle l’image du sacrifice et l’image du procès où Jésus se laisse condamner à notre place pour que notre casier judiciaire devant Dieu redevienne vierge. Aujourd’hui, nous nous penchons plutôt sur l’aspect de Réconciliation qu’accomplit Jésus sur la croix.



Lecture biblique : lettre aux Romains 5.1-11

1 Ainsi, nous avons été reconnus justes par la foi et nous sommes maintenant en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ. 

2 Par Jésus nous avons, par la foi, eu accès à la grâce de Dieu en laquelle nous demeurons fermement. Et nous mettons notre fierté dans l’espoir d’avoir part à la gloire de Dieu. 

3 Bien plus, nous mettons notre fierté même dans nos détresses, car nous savons que la détresse produit la persévérance, 4 que la persévérance produit le courage dans l’épreuve et que le courage produit l’espérance. 5 Cette espérance ne nous déçoit pas, car Dieu a répandu son amour dans nos cœurs par l’Esprit saint qu’il nous a donné.

6 En effet, quand nous étions encore sans force, le Christ est mort pour les pécheurs au moment favorable. 7 Déjà qu’on accepterait difficilement de mourir pour quelqu’un de droit ! Quelqu’un aurait peut-être le courage de mourir pour une personne de bien. 8 Mais Dieu nous a prouvé à quel point il nous aime : le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs. 

9 Par le don de sa vie, nous sommes maintenant reconnus justes ; à plus forte raison serons-nous sauvés par lui de la colère de Dieu. 10 Nous étions les ennemis de Dieu, mais il nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils. À plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés avec lui, serons-nous sauvés par la vie de son Fils. 

11 Il y a plus encore : nous mettons notre fierté en Dieu par notre Seigneur Jésus Christ, grâce auquel nous sommes maintenant réconciliés avec Dieu.

La paix avec Dieu

[v.1,11] Qu’est-ce que vous mettez derrière la notion de « paix » ? Peut-être un repos intérieur, l’absence de sollicitations/sur-sollicitations, le moment où enfin on souffle, l’absence d’inquiétude, le fait d’être certain (j’ai pris cette décision et je suis en paix), l’absence de conflits ou la résolution d’un conflit… Nous sommes en paix avec Dieu. Comment le comprendre ? dans l’Antiquité, la paix, c’est d’abord l’absence de conflits, de tensions.

Grâce au Christ, et à sa mort sur la Croix, nous sommes maintenant en paix avec Dieu, réconciliés (v.11). Sous-entendu, nous étions en conflit avec lui ! Le conflit peut prendre différentes formes, mais d’après la Bible, il vient de ce que nous avons tourné le dos à Dieu. Être « ennemis » de Dieu, c’est un grand mot ! Cela semble agressif, comme si on essayait de l’attaquer. Vous ne vous reconnaissez peut-être pas dans cette image !

Mais pensez à votre vie courante : un collègue qui vous ignore au quotidien, qui ne répond pas à votre « bonjour », qui signe à votre place les courriers recommandés pour vous, qui repasse derrière vous pour réécrire vos rapports – vous vous sentez insultés, non ? Même s’il ne vous dit rien ! Même s’il ne vous touche pas !

Sans même parler d’aller à l’encontre de ce que Dieu désire (et on l’a tous fait !), la simple indifférence au Dieu créateur (il est plus qu’un collègue !…) est une insulte. Donc oui, par action et par omission, l’humanité est de fait ennemie de Dieu. Et elle suscite sa colère, comme ce collègue qui nous met en rogne.

La semaine passée, avec l’image du sacrifice ou du procès, on parlait plutôt de notre culpabilité, de nos taches à effacer – quand on évoque la réconciliation, on prend en compte la réaction de Dieu à notre culpabilité, sa colère devant l’injustice. L’injustice sous toutes ses formes, pas seulement mépriser Dieu, mais aussi nos dysfonctionnements dans notre rapport à l’autre, dans notre société, dans notre rapport à d’autres peuples, dans notre rapport à la nature. Comme Dieu est le Créateur, le Souverain sur tout ce qui existe, ce que nous faisons à l’un ou à l’autre, voire à nous-mêmes, cela touche Dieu – et tous nos dysfonctionnements, toutes nos injustices le choquent !

Mais Dieu ne reste pas dans sa colère : il choisit de faire la paix avec nous, littéralement. C’est lui qui vient, en tant qu’homme, en la personne de Jésus et il meurt, alors que c’est nous qui méritions de disparaître. Ainsi, puisque les injustices sont payées (même si la réparation est en cours), la colère de Dieu s’apaise, le conflit s’éteint. Et c’est à partir de là que la connexion avec Dieu peut se rétablir, que nous pouvons entrer dans une paix positive, une relation paisible.

Dans les spiritualités contemporaines, spiritualités New Age plus ou moins diluées, on mise sur cette connexion à un Être transcendant, à une « énergie » qui nous dépasse. C’est une préoccupation tout à fait valable : le désir d’être connecté aux autres et à l’Autre. D’après ce que je comprends, dans les représentations courantes de ces spiritualités (je ne suis pas une spécialiste), certains se connectent par la méditation, la gratitude, les gestes etc. Mais il manque une étape ! Cette « énergie » n’est-elle pas perturbée par nos dysfonctionnements internes et externes ? Comment notre connexion peut-elle ne pas être brouillée ? Imaginer que dans notre état et dans l’état de notre monde, il suffit d’appuyer sur un bouton pour être connecté à cette énergie positive, c’est au mieux illusoire, au pire hypocrite. Alors dans certains courants, il faut s’astreindre, se purifier : mais si je fais partie du problème, du brouillage, comment pourrais-je arriver moi-même à une solution ? C’est illusoire ! Vu nos déconnexions, pour se reconnecter, il faut bien une intervention spéciale, qui ne vient pas de nous ! La Bible affirme que c’est l’Autre, Dieu, qui prend en charge cette intervention en allant sur la Croix en la personne de Jésus, pour payer le coût des injustices et de leurs réparations – par lui, la paix peut être rétablie.

Une relation riche

Et quelle paix ! Paul détaille les privilèges de notre relation restaurée avec Dieu : nous avons accès à lui (nous avons nos entrées ! nous sommes VIP !), nous sommes fermement établis dans sa grâce (nous y sommes campés, installés, nous y avons fait notre résidence principale, la grâce de Dieu c’est notre adresse !), nous avons reçu son amour dans notre cœur (« répandu » : ce n’est pas un goutte-à-goutte, c’est un torrent qui se répand, c’est l’Esprit de Dieu lui-même qui assure la connexion très haut débit avec Dieu). Nous sommes « à l’aise » avec Dieu, nous sommes ses proches, ses intimes, ses amis.

En hébreu, le mot « paix » se dit « shalom » et derrière ce mot shalom, il y a l’absence de conflit, mais aussi la prospérité, l’épanouissement, la croissance, la joie… Quand Paul, d’arrière-plan juif, dit « nous sommes en paix avec Dieu », il pense à la fois à la réconciliation nécessaire, et à toute la richesse de la relation que Dieu veut vivre avec nous, nous qu’il appelle son peuple, ses enfants, ses héritiers.

Une relation à toute épreuve

Alors si nous sommes les enfants que Dieu aime, que penser de nos difficultés de vie ? [v.3-4] Paul n’est pas naïf : il sait que, une fois réconciliés avec Dieu, nos difficultés ne disparaissent pas pour autant. Mais c’est un problème spirituellement : pourquoi ceux que Dieu aime souffrent-ils ? Quand ce sont des difficultés parce que d’autres rejettent notre foi, on peut éventuellement comprendre : le Christ a été rejeté alors qu’il n’était qu’amour, justice et vérité, donc en le suivant, on court le même risque. Mais que faire des difficultés inutiles, insensées : une maladie, un accident, un cataclysme ? N’allons-nous pas interpréter ces épreuves comme un signe que nous ne sommes pas si proches de Dieu que ça ? Que nous ne sommes pas vraiment dans sa grâce ? qu’il nous aime moins que d’autres ?

Même si nous sommes chrétiens, même si nous avons pleinement accès à Dieu aujourd’hui, nous ne goûtons aujourd’hui qu’une partie de cette plénitude, qu’une partie de sa bénédiction, en attendant que les travaux de réparation de notre monde, payés d’avance par le Christ sur la croix, soient terminés. Ainsi, puisque nous sommes encore dans un monde qui souffre, comme d’autres les chrétiens rencontrent des souffrances injustes – et Paul invite à changer de regard : les épreuves ne sont pas un désaveu de la part de Dieu, mais un signe de notre monde encore en souffrance, et dans ces difficultés, nous pouvons approfondir notre relation avec Dieu. Comme les vrais amis qui se révèlent dans la difficulté (sans qu’on recherche la difficulté !), l’amitié avec Dieu se révèle et s’approfondit lorsqu’on est sous tension, dans l’espérance.

          Cette espérance nous permet de tenir. Mais, Paul pose la question, certains pourraient pâlir devant l’espérance, devant la perspective de se retrouver face-à-face avec Dieu. Au jugement dernier : est-ce que notre foi en Christ suffira ? est-ce que la croix couvrira tout ? Alors je pense qu’on a tous vu des tableaux assez effrayants de ce jugement dernier. Sans aller dans le baroque, je pense qu’au minimum on peut imaginer que le jour où nous serons dans la pleine lumière de Dieu, comme un énorme projecteur braqué sur nous, même si nous sommes convaincus de l’amour de Dieu, nous serons aussi impressionnés par sa majesté, sa beauté, sa pureté, sa justice – comment alors ne pas se sentir indignes de Dieu ? ce que nous tolérons aujourd’hui, ce que nous nous empressons d’oublier ou ce que nous ne voyons même pas, tout cela apparaîtra – et on ne peut qu’en être gênés, en avoir honte !

Pourtant, Paul l’affirme : si la mort du Christ a couvert nos injustices quand nous étions les ennemis de Dieu, à combien plus forte raison maintenant que nous sommes ses amis, l’amour du Christ couvrira notre honte ! qui peut le plus, peut le moins ! Nous pouvons être sûrs de son pardon et de son amour, aujourd’hui et jusque dans l’éternité en passant par ce moment impressionnant où nous serons face à la justice de Dieu.

          Vivre la réconciliation aujourd’hui

          Si nous croyons que Jésus nous a réconciliés avec Dieu, alors nous avons la plus ferme des assurances – c’est de là que Paul tire sa paix, sa joie, son espérance infaillibles. Le Christ nous a acquis l’amour de Dieu, et personne ne peut porter atteinte à la paix qu’il a établie – il la tient dans ses mains de ressuscité.

Donc soyons sûrs, pas de nous, de lui ! soyons sûrs, pas arrogants, mais fiers, marchons la tête haute, fermement établis dans la grâce de Dieu en Christ ! Emparons-nous, jour après jour, de ce privilège : nous avons accès à Dieu, nous sommes ses enfants bien-aimés, ses proches, ses amis.