Que ta volonté soit faite! (priez sans cesse 2/3)

Nous abordons la 2e semaine de notre campagne de rentrée, sur le thème de la prière, avec le Notre Père, cette prière que Jésus enseigne à ses disciples. Jésus leur livre, non pas une prière à réciter telle quelle (d’ailleurs personne n’est décrit dans le Nouveau Testament comme priant littéralement cette prière) mais plutôt un modèle, comme un patron de couture à décliner en fonction des circonstances.

Lecture biblique Matthieu 6.9-13



9 Vous donc, priez ainsi :

“Notre Père qui es dans les cieux,

Que ton nom soit sanctifié (c’est-à-dire : chacun reconnaisse qui tu es)

10  que ton règne vienne ;

que ta volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux.

11 Donne-nous aujourd’hui le pain dont nous avons besoin.

12 Pardonne-nous nos torts,

comme nous pardonnons nous aussi à ceux qui nous ont fait du tort.

13 Et ne nous laisse pas entrer dans l’épreuve,

mais délivre-nous du Mauvais.”

  1. Priorité à la volonté de Dieu (les objectifs)

Si on regarde juste la prière dans sa globalité, ce qui saute aux yeux c’est d’abord l’ordre dans cette prière : on commence par les affaires de Dieu, et on termine par les nôtres. Cette priorité est renforcée par l’insistance de Jésus : que ton (nom), que ton (règne), que ta (volonté) [diapo où souligné] – il est centré sur Dieu.

Bien sûr, la prière permet de se confier à Dieu, mais le mouvement que conseille Jésus, c’est d’apprendre à nous décentrer pour remettre Dieu au cœur de nos priorités, au centre de notre champ de vision. Priorité à lui, à ses projets, à sa volonté !

Vous allez me dire, peu de croyants qui font la démarche de prier cherchent volontairement à contrecarrer la volonté de Dieu… « Oh seigneur s’il te plaît sois injuste, et aide-moi à faire le mal, à détruire des vies » ou alors : « s’il te plaît, surtout ne fais rien ! croise-toi les bras, je te parle de la situation, mais surtout tu ne t’impliques pas ! » C’est rare, ce genre de prières ! En général, quand on prie, on espère que Dieu va agir, et a priori on espère être en phase avec lui !

La prière que décrit Jésus ne conteste pas notre respect de Dieu, de sa volonté ou de sa puissance, mais elle vient nous interpeller sur notre ordre de priorité. Certes, nous acceptons que Dieu agisse selon sa propre volonté, mais dans quel ordre ? quelle articulation entre ses projets et les nôtres ? qu’est-ce qui vient en premier ?

Trop souvent nous confondons notre volonté avec celle de Dieu, et nous formulons notre projet en lui demandant ensuite de nous bénir. Nous sommes dans nos réflexions, nos idées, nos envies – et, comme après coup, nous disons : ah au fait, j’espère que ça te va ! tu veux bien bénir mon projet, et montrer ton amour et ta puissance, me donner la force, sur ce chemin extrêmement précis que je viens de te présenter ? regarde, tout est prêt, tu n’as plus qu’à bénir !

Ça peut être pour un projet professionnel, projet d’études, ou un projet de couple, ou même quelque chose de petit : j’ai envie de faire ça, alors aide-moi, protège-moi, donne-moi la force.

On a tout préparé, et on a juste besoin que Dieu nous donne un coup de main, si possible rapidement.

Eventuellement, si on est spirituel, on va dire : si tu n’es pas d’accord, montre-moi.

Sauf qu’on ne l’a pas consulté avant.

Bien des situations dans notre quotidien suivent cet ordre, et dans l’église aussi, ça arrive, et aussi dans l’Histoire de l’Eglise (avec majuscules), où bien des scandales ont commencé comme ça, avec la volonté humaine qui passe en premier et qui s’impose en quelque sorte, même avec les meilleures intentions…

          Jésus invite au contraire à nous mettre en position d’écoute. A ne pas arriver dans la prière avec des propositions étroites et verrouillées, mais à être prêt à écouter, à bouger, à se laisser inspirer par Dieu. Plus que ça : à nous décentrer, à mettre en premier ses priorités. Ce n’est pas à lui de me suivre ! C’est à moi de le suivre, sur son chemin.

Imaginez que vous partiez faire une expédition en haute montagne. Vous engagez un guide réputé, en lui demandant de vous conduire au plus beau sommet. Vous ne passez pas devant lui quand même ? Vous le suivez, non ?

Alors, est-ce légitime de faire passer la volonté de Dieu, et non la mienne, en premier ? Ca dépend de qui est Dieu. Si Dieu est un tyran autoritaire qui veut faire du mal, non. Mais dans ce cas, on ne va pas le chercher, on prie pas ! On fait profil bas, ou éventuellement, on le flatte énormément pour l’apaiser et qu’il nous laisse tranquilles… Si on prie Dieu, c’est qu’on pense qu’on peut lui faire confiance, qu’il est juste, et bon, et sain(t), droit, honnête. Du coup, si Dieu est une si bonne personne, pourquoi on se méfierait de sa volonté ou de ses intentions ? Il n’y a pas de raison ! Pourquoi on ferait plus confiance à nous, avec toutes nos failles, qu’à lui ? Il n’y a pas de raison !

Il n’y a pas de raison, et pourtant, depuis toute notre histoire humaine collective et personnelle, nous tombons dans ce doute, cette méfiance vis-à-vis de Dieu, que le serpent avait su insuffler à Eve et Adam : « vous êtes sûrs que Dieu veut votre bien ?… »

On revient à ce problème de la confiance : faire confiance à Dieu pour assurer nos arrières, c’est bien, mais si nous lui faisons vraiment confiance, nous acceptons que ce soit lui qui passe en premier et qu’il nous guide…

2. Ta volonté ou ma volonté : les moyens

La confiance, c’est facile d’en parler, mais c’est toujours un défi à mettre en pratique. J’en veux pour preuve que Jésus lui-même a expérimenté cette lutte. Les Evangiles nous donnent peu d’exemples de contenu des prières personnelles de Jésus : avec une exception : sa prière au jardin de Gethsémané, la nuit où il va être arrêté, puis inculpé à tort et mis à mort le lendemain. C’est la dernière ligne droite avant la Croix : dans les Evangiles, on voit que Jésus se prépare très tôt à mourir, et à chaque fois il confirme ce chemin vers la Croix, mais là, c’est la dernière ligne droite. Je vous lis juste le contenu de la prière de Jésus par rapport à cette question de la volonté de Dieu (Matthieu 26.36-46).

36 Jésus arriva avec ses disciples à un endroit appelé Gethsémani et il leur dit : « Asseyez-vous ici, pendant que je vais là-bas pour prier. » 

[…] 39 Il alla un peu plus loin, se jeta face contre terre et pria en disant : « Mon Père, si c’est possible, éloigne de moi cette coupe de douleur. Toutefois, non pas comme moi je veux, mais comme toi tu veux. » 

40 Il revint ensuite […]

42 Il s’éloigna une deuxième fois et pria en disant : « Mon Père, si cette coupe ne peut pas être enlevée sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! » 

43 Il revint encore auprès de ses disciples […]

44 Jésus les quitta de nouveau, s’éloigna et pria pour la troisième fois en répétant les mêmes paroles. 

45 Puis il revint auprès des disciples et leur dit : « […] Maintenant, l’heure est venue et le Fils de l’homme est livré entre les mains des pécheurs. »

Jésus voit la souffrance qui l’attend, la mort, et la colère de Dieu qui se profile à l’horizon comme la foudre prête à tomber sur lui à notre place, à cause de nos lourdeurs, de nos perturbations, de notre péché.

Devant ce trou noir, Jésus ne peut pas prier à la légère « que ta volonté soit faite » ! C’est trop dur ! Alors il exprime à Dieu ses craintes, ses résistances. Et peu à peu, il se recentre sur la volonté de Dieu, et on sent qu’il passe de l’angoisse à la détermination. Mais ça prend du temps ! Même pour Jésus ! Même pour lui, qui sait très bien, depuis des années, ce qui l’attend.

S’aligner sur la volonté de Dieu, ça prend du temps, ça demande du dialogue avec Dieu – un dialogue où on peut exprimer nos envies, nos besoins, nos craintes, nos blocages. Un dialogue dans l’intimité avec Dieu où on lui laisse la place de nous montrer, de nous montrer qu’on peut lui faire confiance et qu’on peut le suivre.

          Qu’est-ce qui coûte à Jésus ? Jésus n’a-t-il pas le même objectif que Dieu, sauver le monde ?  SI, bien sûr !!! Mais ce qui coince, ce sont les moyens… passer par la mort, la nuit, la souffrance, pour arriver à la justice, à la paix, à la vie.

Parfois nous sommes prêts à adopter les objectifs de Dieu, la ligne générale de sa volonté, mais ce sont les moyens qu’il utilise qui nous posent problème. Parce qu’ils nous paraissent contre-intuitifs : Dieu ne fonctionne pas comme nous ! Et même si on est d’accord sur la destination, ce n’est pas si évident de le suivre sur des chemins qu’on ne comprend pas.

Quand je me suis mariée, un gros sujet de la vie commune est arrivé sur le tapis : le ménage et la vaisselle… Et mon mari plein de sagesse de me dire : « écoute, si je fais, je fais comme je veux, sinon c’est toi qui fais ! » Oooh le lâcher-prise 😉

Quand on prie Dieu « que ta volonté soit faite », on prie pour que ses objectifs se réalisent, de la manière qu’il désire !

Pour reprendre l’image du guide en haute montagne : si vous arrivez à un croisement, ce n’est pas forcément la route la plus large qu’il faut suivre pour arriver au sommet choisi – et vous n’allez pas commencer à contester l’itinéraire choisi par le guide ! Vous lui faites confiance ! Vous vous doutez bien que s’il ne choisit pas la route la plus facile, ce n’est pas par sadisme, mais parce que soit c’est une impasse, soit c’est un détour, soit ça mène à une autre destination. Et vous suivez le guide, parce que vous avez confiance en sa sagesse ET en sa capacité à vous aider sur ce chemin étroit et abrupt. Vous avez confiance qu’il saura vous conseiller sur les passages techniques et éventuellement vous tenir physiquement si c’est dangereux.

Prier « que ta volonté soit faite », c’est vraiment apprendre à faire confiance à Dieu pour l’objectif ET pour les moyens, pour la destination ET pour l’itinéraire. Et c’est précédé par cette affirmation : notre Père dans les cieux (toi qui nous aimes comme tes enfants) et c’est suivi par cette demande : accorde-nous les forces, la grâce, la protection dont nous avons besoin sur cette route.

3. Apprendre l’obéissance du fils

Jésus ne décrit pas le moyen de connaître la volonté de Dieu, mais son exemple nous enseigne : il passe beaucoup de temps à lire et méditer les Ecritures, il se familiarise avec et il s’approprie les valeurs de Dieu, ses principes, son projet… Et puis Jésus passe du temps dans une prière de dialogue avec Dieu – comme on l’a vu avec Gethsémané. Il se frotte à Dieu ! et il se laisse travailler, façonner, toucher, convaincre… Ce n’est pas l’obéissance d’un esclave qui renie sa volonté et exécute servilement les ordres reçus, c’est l’obéissance d’un fils qui discute avec son Père et qui se laisse convaincre par sa sagesse, et qui finit par aligner sa volonté, son énergie, sur la volonté du Père pour s’associer à ses projets.

Prier « que ta volonté soit faite », ce n’est pas abandonner sa liberté, c’est choisir de faire confiance à l’Etre le plus fiable du monde, celui qui brille par sa puissance, sa sagesse et sa bonté !

Alors à quoi peut ressembler cette obéissance ?

A une réorientation : parfois Dieu nous appelle à aller sur le chemin que nous n’aurions pas choisi (par goût ou par habitude).

A une rupture ou à un renoncement : parfois Dieu nous appelle à rejeter certains modes de vie, à sortir du compromis ou du déni, à sortir de l’impasse pour revenir sur son itinéraire.

Ou encore à un lâcher-prise : parfois il nous appelle juste à arrêter de prévoir, contrôler, anticiper – et accepter de le suivre aujourd’hui même si on ne sait pas où il nous mène.

Dans tous les cas, très souvent, l’enjeu ce sera cette question : « tu me fais confiance ou pas ? »

Jésus nous invite sur ce chemin de la confiance, sur lequel il nous a précédés. Il ne nous livre pas cette prière de haut, comme si on était nuls de ne pas savoir prier – ce fut sa pratique, sa discipline, d’apprendre à mettre la volonté de Dieu en premier, d’apprendre à faire confiance au Père et à le suivre : parce qu’il savait que quand la volonté de Dieu se réalise, c’est infiniment plus vivifiant, fécond et bénéfique que lorsque ce sont nos petits projets qui sortent de notre petite tête. Alors que Jésus lui-même, lui qui est passé par le pire et qui en est ressorti vivant, victorieux, nous aide par son esprit, à apprendre cette confiance envers Dieu et à chercher sa volonté d’abord.




“Priez sans cesse” (priez sans cesse 1/3)

La rentrée, c’est souvent la période des bonnes résolutions après le rythme différent de l’été : on s’y remet ! Pour cette rentrée, comme nous en avons l’habitude depuis quelques années, je vous propose de suivre ensemble un livret de lectures bibliques sur la prière, pour nourrir et approfondir notre relation avec Dieu.

Et pour inaugurer cette série, j’aimerais m’attarder ce matin sur le titre de ce livret, qui s’appuie sur un verset biblique : l’apôtre Paul écrit aux chrétiens de l’église de Thessalonique et leur dit : « priez sans cesse » (1 Thessaloniciens 5.17).



Alors, je ne sais pas ce que cette exhortation vous évoque, mais elle est impressionnante. Absolue ! qu’est-ce qu’on met, derrière ces mots ? qu’est-ce que l’apôtre Paul entend par « sans cesse » ? faudrait-il s’enfermer dans un couvent et passer sa vie dans une chapelle ? ne marcher toujours que les mains serrées ? ou nommer Dieu dans toutes nos phrases, en citant le plus de versets bibliques possible, pour être connecté à Dieu à 100% ?

Un copain pendant mes études de théologie avait témoigné qu’il avait décidé de se lever 1h plus tôt tous les matins pour prier (vers 5h30) : ce n’est pas « sans cesse » mais c’est déjà mieux ! Son défi m’a impressionnée et je m’y suis mise. Les défis, même absolus, c’est motivant ! ça donne envie d’aller plus loin. Donc pendant 6 mois, lever à 5h30 : j’ai vécu des moments extraordinaires avec Dieu, mais comme je ne suis pas trop du matin, au bout de quelque temps j’étais lessivée, et j’ai dû arrêter parce que je ne tenais pas. Bon, en discutant avec lui, un peu honteuse, j’ai appris que lui avait tenu un mois… !

C’est le problème avec ce genre d’expression absolue : c’est motivant, on sent que la Bible nous met au défi, mais le défi paraît tellement haut que finalement on retombe, non sans culpabilité et découragement. Peut-être même que certains finissent par se dire : la prière, c’est pas pour moi !

          En effet, quand on entend ce genre d’expression, on tombe vite dans le quantitatif, mais il nous faut creuser le sens de ces mots : « prier » et « sans cesse » parce que ce n’est pas si évident que Dieu nous demande de vivre les mains constamment levées vers le ciel.

L’apôtre Paul a l’habitude d’encourager les chrétiens à prier, mais cette exhortation, on ne la trouve qu’une fois sous cette forme, et du coup ça vaut la peine de lire le contexte immédiat puisqu’il s’exprime de façon spécifique, dans cette lettre. Nous sommes à la fin de la lettre, au moment où Paul a fini de traiter les gros sujets, il leur adresse donc toute une série de recommandations, de conseils, un peu à la façon des parents le jour de la rentrée : « et surtout, tu écoutes bien la maîtresse ! » ou alors « et tu m’appelles avant de prendre le bus, et tu n’oublies pas d’aller déposer la fiche à la vie scolaire… »

Lecture biblique : 1 Thess 5.16-18

16 Soyez toujours joyeux, 

17 priez sans cesse, 

18 soyez reconnaissants en toute circonstance.

Voilà ce que Dieu demande de vous, dans votre vie avec Jésus Christ.

  1. La radicalité de la prière

Premièrement, on voit que Paul est absolu pour tout : la joie, la prière, la reconnaissance. C’est radical. J’y reviendrai.

Si on élargit encore un peu le contexte, on se rend compte que Paul évoque ce côté absolu lorsqu’il parle de sa propre pratique de la prière. Je vous donne deux exemples :

Colossiens 1.3 nous prions toujours pour vous

1 Thessaloniciens 2.13 C’est pourquoi nous remercions sans cesse Dieu de ce qu’en recevant la parole de Dieu, que nous vous avons fait entendre, vous l’avez reçue, […] comme la parole de Dieu, qui agit en vous qui croyez.

Pourtant, on le sait, Paul a prêché, prié pour d’autres… et il a fait plein d’autres choses !

Le « sans cesse », « toujours », ne peut donc pas désigner un continuum constant [geste] : on comprend bien, d’après les exemples de Paul, qu’il s’agit de persévérance dans le temps et de régularité dans la prière.

          Revenons à notre trio joie-prière-reconnaissance. Être toujours reconnaissant, ce n’est pas forcément dire « merci » dans toutes les phrases ! et être toujours joyeux, ce n’est pas dire « je suis content je suis content je suis content » ou sourire constamment ! D’ailleurs, Paul, ou Jésus, ou même Dieu, ont des moments de tristesse, de colère, de déception…

On comprend bien qu’il s’agit plutôt d’une manière d’être, d’une posture de base : être de tempérament joyeux, cultiver la gratitude… ça passe par des moments et des actions, mais derrière ces moments et ces actions, il y a cette posture de base, comme un paramètre par défaut.

          Le côté absolu (« toujours », « sans cesse ») reprend donc toute sa force si on quitte le domaine d’une action à maintenir constamment et qu’on se focalise sur le caractère, le tempérament, la posture intérieure, le lifestyle comme disent les influenceurs. Ce côté absolu, au-delà de ce qu’on peut faire, renvoie à ce qu’on peut être. Comme si la gratitude, la joie, la prière faisaient tellement partie de notre vie, de notre tissu quotidien, qu’elles en deviennent des traits de caractère.

          Il y a quand même une différence… Je peux être joyeuse, être reconnaissante, mais je prie. Je vais prier ou j’ai prié. Dans notre pratique personnelle ou communautaire, il y a bien des moments où l’on prie, et d’autres où l’on ne prie pas du coup ! Comment la prière pourrait-elle être plus qu’une action ponctuelle, même répétée, et faire partie de notre être, de notre posture, de notre identité ?

Une clef possible, ce serait de voir la prière comme un dialogue, ou plus précisément, une voie de communication ouverte avec Dieu. Comme un appel téléphonique avec les deux téléphones connectés. Vous savez dans les très longs appels, il y a des moments sérieux, des remarques spontanées, des interruptions parce qu’Untel est rentré dans la pièce ou qu’on doit noter quelque chose, et même des moments de silence… Alors humainement, on n’appelle personne 24/24, 7/7 (ce serait pathologique !) mais Dieu est sur un autre niveau, et il est capable d’être pleinement là avec moi, avec vous, avec chacun. On pourrait imaginer qu’on a deux téléphones : un constamment en ligne, avec Dieu, et l’autre pour l’usage régulier.

Dans un livre de spiritualité, j’ai lu récemment : « la joie [en Dieu] est la musique de fond de notre vie. » Est-ce que ce serait possible d’envisager la prière ainsi ? qu’elle devienne le bruit de fond, la musique d’ambiance de notre vie ? Cet arrière-plan dans lequel tout le reste s’insère et se déploie ?

Dieu est constamment présent avec nous : sans cesse, toujours. Prier sans cesse, c’est peut-être simplement vivre ce lien avec lui, vivre ce lien constant, vivre dans sa présence. Si Dieu est toujours là, avec nous, pourquoi vivre comme si nous étions seuls ? Même si nous ne le voyons pas physiquement, il est présent ! Prier sans cesse, c’est peut-être regarder à lui comme on regarderait à un compagnon sur notre route, comme cette jeune femme sur la photo qui regarde à ses côtés.

Cela étant dit, la prière passe aussi par des moments ! Tout comme la joie et la reconnaissance ! Cette posture de base, ces traits de caractère, cette musique de fond, ça passe aussi par des moments et des actions ponctuels et concrets.

Comment pourrait-on dire de vous que vous êtes quelqu’un de reconnaissant si vous ne dites jamais merci ? ou que vous êtes quelqu’un de joyeux si vous êtes toujours renfermé ou que vous râlez une fois sur deux ?

Les moments de prière explicite, visible, audible, marquée, découlent de cette connexion avec Dieu.

Et ils viennent renforcer cette connexion, comme une habitude qui se met en place pour devenir un trait de caractère. Parce que depuis tout à l’heure je parle d’une connexion avec Dieu qui est appelée à être constante, et je le disais en début de culte : Dieu, lui, est toujours là, au bout du fil, présent, impliqué, mais nous, nous avons besoin de nous éduquer à la vie dans la présence de Dieu. Nous sommes tellement habitués à compter sur nous-mêmes, à réfléchir par nous-mêmes, à s’inquiéter par nous-mêmes, que nous avons besoin de moments dédiés pour nous pousser à nous ancrer dans la présence de Dieu et sa grâce. C’est une sorte de discipline. Avec cette idée de se former, de grandir, pas d’essayer et d’échouer, mais de vivre de mieux en mieux cette connexion avec Dieu.

Ainsi dans un seul mot, la prière, il y a en réalité toute une palette d’expériences. Comme derrière le mot « parler », il y a toute une palette derrière « parler » : on peut parler à quelqu’un pour lui raconter notre quotidien, lui parler pour lui demander de passer le sel, lui parler longuement pour faire le point sur une situation, lui parler pour lui dire nos rêves, ou notre amour, lui parler aussi pour lui demander conseil (ah il faut que je lui en parle, qu’elle me dise ce qu’elle en pense !). Je crois que la prière, c’est cette communication, ce dialogue, cette parole avec Celui qui est toujours là, à côté, et avec qui on peut prendre le temps de l’échange, de l’écoute, de la confidence, et puis parfois simplement adresser une remarque, une demande rapide, une réflexion : « T’as vu comme c’est beau ! Ca, ça me fait un peu peur, aide-moi à faire face s’il te plaît ! » ou dans une réunion un peu tendue : « ah Seigneur, dirige-moi ! »

Et même dans le silence : lorsqu’on est avec quelqu’un, même si on ne se parle pas, on voit l’autre, on le regarde, on communique… Même le silence peut s’habiter d’assurance que Dieu est là où je suis par son Esprit.

Dans ce sens, on comprend mieux le trio joie-prière-reconnaissance. Si je m’exerce à vivre de plus en plus en connexion avec Dieu, cela conduira régulièrement à la reconnaissance : en reconnaissant qu’il est là, lumière au milieu des ténèbres, fidèle et aimant, alors que je ne mérite en rien sa bonté et sa grâce, comment ne pas être dans la reconnaissance ? Et si nous sommes dans la reconnaissance, ne serons-nous pas aussi dans la joie ? la joie de nous savoir aimés, accompagnés, inspirés ?

Alors nous sommes tous en chemin, en marche, sur des routes plus ou moins sombres ou lumineuses, mais où que nous allions, Dieu est là, solide comme un roc, attentif comme un berger envers son troupeau ou un père avec ses enfants. Peu importe ce que nous traversons, nous sommes invités à vivre les grands et les petits moments avec lui.




Négociations avec Dieu (4/5) Prier avec authenticité et humilité

Petite question : entre ce parpaing et ce pack d’eau, qu’est-ce qui est lourd ?

Les deux ! le parpaing est plus lourd, presque trois fois plus que le pack d’eau, mais selon votre force physique, votre âge, votre santé, même 9kg d’eau à porter, ça peut être compliqué !

Pour la prédication, je continue ma série de juillet sur la prière comme espace de discussion avec Dieu, et parfois de négociation…

Un des aspects de la prière, c’est de prier pour soi-même. Mais ce n’est pas toujours facile de savoir ce qui est juste, en termes d’attitude, si on peut demander ou pas, jusqu’où… On peut avoir tendance à se dire qu’il ne faut pas trop se plaindre, qu’il faut relativiser : si nous mangeons à notre faim, que nous avons un toit sur la tête, que nous avons une relative sécurité et une liberté de mouvement – c’est déjà beaucoup plus que bien des populations, d’ici à l’autre bout de la terre. Alors si nous avons un problème avec un voisin mesquin, des soucis de santé ou d’argent, si notre collègue est un peu lourd ou que nos retrouvailles en famille s’annoncent compliquées, on peut se dire que ce n’est pas grand-chose. Nous n’avons qu’un pack d’eau à porter, alors que d’autres traînent des parpaings.



C’est important en effet d’être conscient de nos privilèges et de ne pas se focaliser uniquement sur ce qui ne va pas ! En même temps, si vous partez en randonnée, le parpaing va vite vous accabler, et le pack d’eau aussi ! sauf qu’il mettra plus de temps à vous user… On peut relativiser, mais pas trop, parce que ce qu’on porte devient lourd et peut nous bloquer sur la route, même si c’est moins lourd que d’autres charges.

Alors que faire avec ce qui nous accable ? Je vous propose de lire l’histoire d’Anne, dont nous avons lu le chant tout à l’heure, il y a environ 3000 ans donc, Anne la maman du prophète Samuel qui fera la transition en Israël entre un régime politique souple, avec des dirigeants choisis spontanément, et l’instauration de la royauté en Israël, un système beaucoup plus cadré.

Lecture biblique : 1 Samuel 1

1 Il y avait un homme de Ramataïm-Tsophim, de la région montagneuse d’Ephraïm, nommé Elqana, fils de Yeroham, fils d’Elihou, fils de Tohou, fils de Tsouph, Ephratite, 2 qui avait deux femmes. Le nom de l’une était Anne et le nom de la seconde Peninna ; Peninna avait des enfants, mais Anne n’en avait pas. 

3 Chaque année, cet homme montait de sa ville à Silo, pour se prosterner devant le SEIGNEUR (YHWH) des Armées et pour lui offrir des sacrifices.

Là se trouvaient les deux fils d’Eli, Hophni et Phinéas, prêtres du SEIGNEUR.

4 Le jour où Elqana offrait son sacrifice, il donnait des parts à sa femme Peninna, ainsi qu’à tous les fils et filles de celle-ci. 5 Mais il donnait à Anne une part d’honneur ; car il aimait Anne, bien que le SEIGNEUR l’eût rendue stérile. 6 Sa rivale ne cessait de la contrarier, parce que le SEIGNEUR l’avait rendue stérile. 7 D’année en année il faisait ainsi, et chaque fois qu’Anne montait à la maison du SEIGNEUR Peninna la contrariait de la même manière. Alors elle pleurait et elle ne mangeait pas. 8 Elqana, son mari, lui disait : « Anne, pourquoi pleures-tu ? Pourquoi ne manges-tu pas ? Pourquoi ton cœur est-il triste ? Est-ce que je ne vaux pas mieux pour toi que dix fils ? »

Anne est dans la douleur, parce qu’elle n’a pas d’enfants. A l’époque, en plus de la tristesse face au manque d’enfants, la stérilité est considérée comme un échec personnel, social (on n’assure pas la suite) et même spirituel, car on se dit que la stérilité est entre les mains de Dieu, et que si Dieu a rendu une personne stérile, c’est qu’elle le mérite d’une façon ou d’une autre. C’est ainsi que Peninna, la rivale, appuie sur la stérilité comme sur un désaveu de Dieu, comme si Dieu avait mis Anne de côté. Etonnamment, l’amour d’Elqana pour Anne veut surmonter ça. Et on voit toutes les attentions qu’il lui porte, toute la tendresse qu’il a pour elle, son souci de la libérer de ce poids : pas besoin d’enfants, il l’aime comme elle est !

La douleur de la stérilité, la malveillance mesquine de Peninna (peut-être jalouse d’être moins aimée, mais c’est une autre question !), et puis l’usure du temps s’accumulent sur Anne comme un pack d’eau qui s’alourdit d’année en année.

9 Après qu’ils eurent mangé et bu à Silo, Anne se leva. Eli, le prêtre, était assis sur son siège, près du montant de la porte du temple du SEIGNEUR. 

10 Elle, amère, se mit à prier le SEIGNEUR et à pleurer abondamment. 

11 Elle fit un vœu, en disant : « SEIGNEUR (YHWH) des Armées, si tu daignes regarder mon affliction, si tu te souviens de moi et ne m’oublies pas, si tu me donnes une descendance, à moi qui suis ta servante, je le donnerai au SEIGNEUR pour tous les jours de sa vie, et le rasoir ne passera pas sur sa tête. »

L’histoire met en valeur la piété de la famille, et de Anne en particulier. Elle va prier, par elle-même, pour exprimer à Dieu ce qu’elle vit : sa douleur, son amertume, sa tristesse etc. Et elle se livre en toute authenticité devant Dieu.

Et vient cette prière assez exemplaire : Anne exprime sa demande en toute humilité. Elle n’exige pas, elle ne pose pas d’ultimatum, elle reste dans une posture de servante devant Dieu – et en même temps, elle dit ses doutes (si tu te souviens de moi…).

Alors, elle fait quand même un vœu, qui pourrait ressembler à une négociation : si tu fais ça pour moi, je fais ça pour toi. La pratique des vœux est assez courante dans l’Antiquité : ce qui est remarquable, c’est qu’elle va loin, puisqu’elle ne promet pas seulement de bien prendre soin de l’enfant ou de bien dire merci, mais elle promet de dédier cet enfant à Dieu et de le confier au service du Temple. Ce qu’elle reçoit, elle promet de le redonner aussitôt.

12 Comme sa prière se prolongeait devant le SEIGNEUR, Eli observait sa bouche. 13 Anne parlait dans son cœur ; seules ses lèvres remuaient, mais on n’entendait pas sa voix. Eli pensa qu’elle était ivre. 14 Il lui dit : « Jusqu’à quand resteras-tu ivre ? Va cuver ton vin ! » 

15 Anne répondit : « Mon seigneur, je ne suis pas une femme entêtée, et je n’ai bu ni vin ni boisson alcoolisée ; je me répandais devant le SEIGNEUR. 16 Ne me prends pas, moi, ta servante, pour une femme sans morale, car c’est l’excès de ma douleur et de ma contrariété qui m’a fait parler jusqu’ici. »

17 Eli répondit : « Va en paix ; que le Dieu d’Israël te donne ce que tu lui as demandé ! »

18 Elle dit : « Je suis ta servante ; que je trouve toujours grâce à tes yeux ! » Puis elle repartit. Elle mangea, et son visage ne fut plus le même. 

19 Ils se levèrent de bon matin et, après s’être prosternés devant le SEIGNEUR, ils rentrèrent chez eux, à Rama. 

L’échange avec le prêtre commençait mal : il la surveille d’un mauvais œil, la juge de façon péremptoire, et la vire sans demander d’explications.

Et Anne se défend, toujours avec humilité, en dévoilant la sincérité de sa foi, l’intimité de ce qu’elle vit avec Dieu. Elle persévère.

La réponse bienveillante d’Eli va fonctionner pour Anne comme un signe que Dieu lui-même l’accueille. Elle qui était arrivée amère repart le visage changé : il ne s’est rien passé encore ! mais elle fait confiance à cette parole de bénédiction.

Elqana eut des relations avec sa femme Anne, et le SEIGNEUR se souvint d’elle.

20 A la fin de l’année, elle était enceinte ; elle mit au monde un fils, qu’elle appela du nom de Samuel — car, dit-elle, c’est au SEIGNEUR que je l’ai demandé.

21 Le mari, Elqana, monta ensuite, avec toute sa famille, pour offrir au SEIGNEUR le sacrifice annuel, ainsi que son vœu. 22 Mais Anne ne monta pas. Car elle avait dit à son mari : « Lorsque le garçon sera sevré, je l’amènerai, afin qu’il paraisse devant le SEIGNEUR et qu’il reste là pour toujours. » 23 Elqana, son mari, lui dit : « Fais comme il te plaira ; reste ici jusqu’à ce que tu l’aies sevré. Que le SEIGNEUR réalise seulement sa parole ! » Ainsi la femme resta ; elle allaita son fils, jusqu’à ce qu’elle l’eût sevré.

24 Quand elle l’eut sevré, elle le fit monter avec elle et prit un taureau de trois ans, un épha (40 litres) de farine et une outre de vin. Elle l’amena à la maison du SEIGNEUR, à Silo : le jeune était encore tout jeune. 

25 Ils immolèrent le taureau et amenèrent le garçon à Eli. 

26 Anne dit : « Pardon, mon seigneur ! Par ta vie, je suis cette femme qui se tenait ici, avec toi, pour prier le SEIGNEUR. 27 C’était pour ce garçon que je priais, et le SEIGNEUR m’a donné ce que je lui demandais. 28 A mon tour, je le cède à la demande du SEIGNEUR : il sera demandé pour le SEIGNEUR tous les jours de sa vie. » Sur quoi ils se prosternèrent, là, devant le SEIGNEUR.

Dieu a répondu : les naissances miraculeuses sont assez fréquentes dans le texte biblique, surtout quand elles ouvrent l’histoire de personnes prépondérantes (les ancêtres des 12 tribus d’Israël, p. ex., Samuel… jusqu’à Jésus). Dieu qui comble la femme stérile, c’est comme les fleurs dans le désert, c’est le signe que rien n’arrête Dieu et qu’il fait triompher la vie même quand ce n’est pas possible pour nous.

          Du côté d’Anne, il y a un petit suspense : est-ce qu’elle va faire ce qu’elle a promis ? Une fois l’enfant dans les bras, est-ce qu’elle pourra le laisser à Dieu ? C’est un déchirement ! En fait, Anne attend juste que l’enfant soit sevré (à l’époque on allaite jusqu’à 3-4 ans) puis elle honore sa promesse, avec reconnaissance.  

A la fin du texte, il y a un jeu de mots : le bébé qu’elle a demandé, elle le cède à la demande du Seigneur. Alors que c’est elle, qui était à l’initiative de cette promesse ! Avec ce don à Dieu, c’est comme si la finalité de ce qu’elle a demandé, ce n’était pas elle, mais Dieu. Dans sa prière, Anne est à la fois tout à fait authentique dans l’expression de ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent, ce dont elle manque, et centrée sur Dieu. Dans la plus viscérale de ses demandes, elle n’oublie pas Dieu, au contraire elle le place en plein milieu. Un grand merci aurait suffi ! Elle va beaucoup plus loin. Vous connaissez cette formule : « tout ce qui est à moi est à toi » – c’est comme si elle disait : « tout ce qui est à moi est à Dieu ». Ce que je te demande, que ce soit bon pour moi, et pour toi Seigneur. Cette bénédiction, qu’elle serve aussi à Dieu et à ses projets.

Rendre à Dieu ce qu’on a reçu : mathématiquement, l’opération semble inutile, comme si on revenait à zéro. Mais Anne, au-delà de son fils, a tellement reçu : quelques années déjà avec Samuel, une restauration par rapport à sa rivale mesquine/ la honte disparaît (on comprend mieux pourquoi elle parlait des adversaires dans son chant) et puis, et surtout, le signe tangible que le Seigneur écoute (c’est le sens du nom Samuel) et répond. A travers cette naissance, c’est sa foi qui est fortifiée, encouragée. Elle sait désormais, physiquement, que Dieu relève, redresse, remet debout celui qui lui fait confiance.

C’est tellement encourageant de voir Dieu répondre ainsi, porter ainsi attention à une femme harcelée qui pourtant n’était pas en danger de vie ou de mort. Dieu porte son attention sur ce qui nous accable, ce qui nous empêche d’avancer que ce soient des parpaings ou des packs d’eau – et nous pouvons nous répandre devant lui sans embarras.

Un indice de cette importance que Dieu nous donne, c’est la place de cette histoire : quelques versets auraient suffi pour parler du miracle, mais le récit se concentre, pendant un chapitre et demi, sur l’intériorité de cette femme, ses obstacles, sa persévérance, ses réflexions – c’est important !

Evidemment, devant un tel miracle se pose la question : que se passe-t-il quand Dieu n’exauce pas ? face à la stérilité ou en général. Est-ce que la foi de celui qui prie n’était pas sincère ? ou la personne pas assez importante ?

Très rapidement :

D’abord, cette histoire est un exemple vécu, pas une règle (quand on prie avec foi, on reçoit ce qu’on a demandé !). L’apôtre Paul, par exemple, un homme de foi, a demandé à Dieu d’être soulagé d’une épine dans la chair, et par trois fois, Dieu lui a répondu : ma grâce te suffit. L’exaucement de nos demandes n’est pas le seul indice à prendre en compte.

Ensuite, dans le cas d’Anne, on a une rencontre entre le besoin d’une femme et le projet de Dieu de lancer un renouveau. La naissance miraculeuse marque en quelque sorte le destin de Samuel qui sera un acteur incontournable dans la nouvelle étape que Dieu propose à son peuple. Toutes nos demandes ne sont pas alignées sur les projets que Dieu fait.

Et puis, il y a la réalité de la souffrance dans un monde abîmé. On voudrait que Dieu corrige tous nos malheurs aujourd’hui, et qu’il redresse tout ce qui est tordu. Or la réponse de Dieu est globale, et elle est en cours : il a posé le signe qu’il nous entend et veut nous bénir, nous restaurer, nous relever en venant lui-même, en Jésus, porter le poids de nos souffrances sur la croix. Il en a triomphé : sa vie surgit même dans la mort, il est ressuscité. Et… affaire à suivre ! La restauration complète est en cours de déploiement : les difficultés demeurent, mais le projet de Dieu avance.  

Ce qui reste vrai, en tout cas, que nous recevions ce que nous avons demandé ou pas :

1/ Dieu entend ce que nous épanchons devant lui, ce n’est jamais trop petit ou trop insignifiant

2/ Dieu désire nous relever, nous remettre debout, même si ce n’est pas toujours comme on l’a demandé. Pour reprendre l’image du pack d’eau : parfois il l’enlève, parfois il nous donne un chariot à roulettes pour le transporter plus facilement. Mais dans tous les cas, il veut intervenir et nous remettre debout. Alors n’hésitons pas à nous confier à Dieu, à nous livrer devant lui, tels que nous sommes – il agira !




Négociations avec Dieu (2/5): Prendre Dieu au sérieux

Quelle est notre marge de manœuvre face à Dieu ? face à sa volonté ? Si Dieu est Dieu, puisque Dieu est Dieu, ce qu’il veut doit s’accomplir tel quel, non ? Ce qu’il décrète a bien plus de force que les lois humaines : qu’est-ce qui pourrait le remettre en cause ? Notre soumission légitime à Dieu parfois nous conduit à la résignation, au découragement, au « à quoi bon ? » Quelle est notre place, la place de notre prière dans les projets de Dieu ? Pour répondre un peu à cette question, j’aimerais remonter à environ -1500 avant Jésus-Christ, pour nous retrouver dans le désert à l’Est de l’Egypte, avec Moïse et le peuple d’Israël.



Notre dernier culte, célébré le 9 juillet à l’EEL Toulouse

Quelques mots de contexte : Dieu s’est engagé à bénir la descendance d’Abraham, qu’on appelle peuple d’Israël, et projette de leur donner un pays pour leur donner un cadre favorable dans lequel ils pourront apprendre à vivre avec Dieu – ils recevront sa bénédiction, mais ils seront aussi un témoignage pour les peuples qui les entourent. Ce projet met du temps à s’accomplir : pendant plusieurs siècles, les Israélites ont été tenus esclaves en Egypte, jusqu’à ce que Dieu les libère à grand renfort de miracles (les 10 plaies d’Egypte). Il les conduit hors d’Egypte, par l’intermédiaire du prophète Moïse, vers le pays de Canaan, de l’autre côté du désert. Pendant des mois, Dieu montre sa présence quotidienne. Face aux obstacles, aux dangers, aux manques, il abreuve, nourrit, protège, etc. Ils arrivent enfin aux portes de Canaan : douze espions partent explorer le pays promis. A leur retour, 10 d’entre eux sont trop impressionnés et déconseillent au peuple d’aller plus loin. Les deux autres, Caleb et Josué, essaient de remotiver le peuple à faire confiance à Dieu, mais rien n’y fait : le peuple préfère retourner d’où il vient, en Egypte, même si la situation là-bas était terrible. Devant cette énième révolte contre Dieu, Moïse et Aaron sont prosternés en prière.

Lecture biblique : Nombres 14.10-25

10 Tout le peuple parlait de lancer des pierres [sur Caleb et Josué, Moïse…] pour les tuer, mais soudain la gloire du Seigneur se manifesta aux yeux des Israélites, sur la tente de la rencontre.

11 Le Seigneur dit à Moïse : « Ce peuple cessera-t-il un jour de me rejeter ? Refusera-t-il toujours de me faire confiance, malgré tous les signes que je lui ai donnés de ma puissance ? 12 Je vais le frapper de la peste et l’exterminer, puis je ferai naître de toi un peuple plus puissant et plus nombreux qu’Israël. » 

Au milieu de ce qui ressemble à une émeute, l’apparition lumineuse de Dieu arrête tout.

Depuis trois mois que Dieu les a fait sortir d’Egypte, on ne compte plus les révoltes, les murmures, les récriminations et les plaintes contre Dieu. Mais là, la limite a été atteinte! Devant l’incapacité chronique du peuple à lui faire confiance, Dieu se tourne vers son fidèle serviteur avec un plan B : on arrête les frais avec ces gens-là, et on repart à zéro avec Moïse. Dans un sens, Dieu resterait fidèle à ses promesses à Abraham, puisque Moïse est un de ses lointains descendants.

La proposition est alléchante : Moïse se retrouverait grand patriarche, grand ancien d’un peuple nouveau. Une proposition d’autant plus alléchante que c’est souvent Moïse qui prend lorsque le peuple veut en découdre avec Dieu.

Derrière cette proposition, se révèle l’agacement de Dieu : il n’en peut plus de ce manque de confiance récurrent entre le peuple et lui. Imaginez-vous dans une relation où l’autre remet sans cesse en question vos choix, doute de vos intentions et de vos compétences : sans confiance, la relation devient vite toxique, et puis on ne peut rien construire s’il n’y a pas de base commune.

Face à Dieu, c’est d’autant plus injuste qu’il a accompli des miracles tous plus extraordinaires les uns que les autres. Des miracles qui ont deux buts, un peu comme le double effet kiss cool :

  • A court terme : répondre au problème, soulager, fortifier, etc.
  • A long terme : au travers des miracles, montrer quel type de Dieu il est – présent, attentif, patient – et extrêmement compétent !

A travers ce qu’il fait, Dieu révèle qui il est : un Dieu fort, aimant, fidèle. C’est comme les cadeaux : quand quelqu’un vous fait un cadeau, il y a l’objet en lui-même, et tout ce que l’objet révèle de ce que l’autre pense de vous, de son affection, sa reconnaissance, etc.

Pourtant le peuple d’Israël a comme relégué les actes de Dieu dans le passé, sans en tirer les leçons sur ce qu’il est et ce qu’il veut faire pour eux. Je le dis sans mépris, car ça nous arrive tellement souvent : Dieu intervient pour nous, mais à l’obstacle suivant, c’est comme s’il fallait reprendre à zéro ! Or à travers ce que Dieu fait, il veut nous apprendre qui il est : fiable et fidèle…  

          Moïse ne se laisse pourtant pas tenter par la proposition de Dieu :

13 Moïse répondit au Seigneur : « Les Égyptiens ont su que, par ta force, tu avais fait sortir ce peuple de chez eux. 14 Ils l’ont raconté aux habitants de ce pays. Ceux-ci ont donc appris que toi, le Seigneur, tu accompagnes ton peuple, que tu te manifestes à lui face à face ; ils ont appris que c’est toi qui le protèges, puisque tu marches devant lui, le jour dans une colonne de nuée, la nuit dans une colonne de feu. 

15 Si maintenant tu extermines ton peuple d’un seul coup, les populations qui ont entendu parler de tout ce que tu as fait vont dire : 16 “Le Seigneur n’a pas été capable de conduire ce peuple dans le pays qu’il lui avait promis ; c’est pourquoi il l’a massacré dans le désert.” 

17 Alors je t’en supplie, Seigneur, déploie ta puissance. Agis selon ce que tu nous as affirmé : 18 “Je suis le Seigneur, lent à la colère et d’une immense bonté ; je supporte les péchés, les désobéissances. Mais je ne tiens pas le coupable pour innocent. J’interviens contre celui qui a péché et contre ses descendants, jusqu’à la troisième ou la quatrième génération.” 

19 Seigneur, pardonne encore le péché de ton peuple, selon ta grande fidélité, comme tu n’as cessé de lui pardonner depuis qu’il est sorti d’Égypte. »

La semaine dernière, nous étions avec Abraham qui intercédait pour quelques justes au milieu d’une société toxique. Cette fois-ci, Moïse ne prie pas pour des justes, mais pour des injustes ! pour un peuple qui est prêt à balayer Dieu d’un revers de main au moindre obstacle.

Moïse ici ne fait pas appel à la justice de Dieu, mais à sa compassion. Avec deux arguments fondamentaux : la réputation de Dieu et la parole qu’il a donnée. Deux façons d’aborder l’honneur de Dieu.

D’abord, Moïse évoque la réputation de Dieu auprès des peuples étrangers qui ont entendu ce qu’il avait fait, et qui risquent de ne pas prendre Dieu au sérieux si Dieu ne va pas au bout avec Israël. Autrement dit : « qu’est-ce qu’on va dire de toi, Seigneur ? »

Selon notre génération ou notre culture, cet argument de la réputation peut nous toucher différemment. Mais pour certains, il sonne avec étrangeté dans un contexte psycho-social où on nous invite à nous libérer du regard des autres (tout en nous exposant plus que jamais au regard des autres via les médias et les réseaux !), à nous assumer tels que nous sommes, à sortir des attentes et des stéréotypes. Dieu manquerait-il de confiance en lui, d’estime de soi, au point d’avoir besoin de l’approbation de créatures inférieures ? Ne peut-il pas vivre libre, détaché des opinions des uns et des autres ?

Pour mieux comprendre, faisons un détour par notre fonctionnement humain. Être en relation avec quelqu’un, c’est vivre sous son regard, un regard qui reflète son point de vue sur ce que nous sommes et qui crée la base de notre relation : l’envie d’aller plus loin ou pas. Une personne que je regarde comme ennuyeuse, ou menteuse, ou capricieuse, ou manipulatrice, ou profiteuse – il y a peu de chances pour qu’elle devienne ma meilleure amie ! Nos regards entrecroisés conditionnent la relation. Ce qui est sûrement excessif, c’est d’accorder de l’importance au regard de personnes avec qui nous n’avons pas de relation. Ainsi, il est légitime d’accorder de la valeur au regard et donc à l’opinion que portent sur moi les personnes qui ont de la valeur pour moi. Vous me suivez ?

Si on l’applique à Dieu : Dieu est Dieu, il n’a pas besoin de nous pour exister ou pour se sentir bien – il est au-dessus de tout ! dans une autre sphère ! Et pourtant, du jour où il a décidé de créer l’être humain pour être en relation avec nous, une relation d’amour et d’amitié, du jour où il nous a accordé de la valeur, il a donné de la valeur à notre regard sur lui. Le thème de la réputation, de son honneur, de sa gloire, renvoie indirectement au poids que Dieu nous donne dans sa vie : nous ne sommes pas des moucherons qu’il balaye de la main, nous sommes ceux qu’il veut aimer et avec qui il veut construire. 

          Le deuxième argument est assez proche : au nom de la parole donnée, Moïse appelle Dieu à aller au bout de ce qu’il a commencé.

Et le cœur de ces promesses, c’est la patience et la fidélité de Dieu envers son peuple. « Tu as dit que tu serais fidèle ! Tu l’as déjà été ! Sois cohérent… » Et Moïse de citer la façon dont Dieu lui-même s’est révélé à lui, comme un Dieu lent à la colère et riche en bonté.

Une remarque : Moïse demande à Dieu de déployer sa grande puissance – et quelle est cette puissance ? sa patience et sa fidélité, son pardon renouvelé. Sa grâce !

Comme Abraham la semaine dernière, Moïse prouve dans son argumentation à quel point il prend Dieu au sérieux. A quel point il prend au sérieux sa parole, ses promesses, ce qu’il a déjà révélé de lui-même par ses actes. Et dans cette argumentation audacieuse, Moïse montre en fait une confiance en Dieu inébranlable – justement cette confiance que le peuple n’arrive pas à donner. Ultimement, c’est cette confiance qui caractérise la foi : pas seulement croire que Dieu existe, qu’il a inventé un monde extraordinaire, mais croire qu’il est bon, et lui faire confiance, croire ses paroles, et s’attendre à ce qu’il fasse ce qu’il a dit.

La posture de Moïse est essentielle dans cette prière : il n’est pas centré sur lui, mais sur les intérêts du peuple et sur les intérêts de Dieu – comme s’il lui disait : « ne te laisse pas dévier par ce peuple de bons à rien, mais reste qui tu es, et montre-toi ! tu es plus grand que leur médiocrité ! » Et Moïse n’exige pas quelque chose de précis, seulement que Dieu fasse grâce – il a confiance !

20 Le Seigneur répondit : « Je lui pardonne, comme tu le demandes. 21 Cependant, aussi vrai que je suis vivant et que ma gloire remplit toute la terre, j’affirme 22-23 que personne de cette génération n’entrera dans ce pays. Ils ont vu ma gloire, et tous les actes puissants que j’ai accomplis en Égypte et dans le désert ; malgré cela ils n’ont pas cessé de me mettre à l’épreuve en me désobéissant. C’est pourquoi aucun d’eux ne verra le pays que j’ai promis à leurs ancêtres, puisqu’ils m’ont tous rejeté. 

24 Mais mon serviteur Caleb a été animé d’un autre esprit et m’est resté fidèle ; je le ferai entrer dans le pays qu’il a exploré, et je donnerai cette région à ses descendants. 25 – Les Amalécites et les Cananéens occupent actuellement les vallées de cette région. – Demain donc, vous ferez demi-tour et vous repartirez par le désert dans la direction de la mer des Roseaux. »

          Dieu accède à la demande de Moïse, et épargne le peuple, en tout cas pour l’instant. C’est le début des 40 ans d’errance dans le désert, le temps qu’une nouvelle génération se lève et entre dans le pays promis. Dieu trouve là un équilibre entre le pardon, la grâce, et la sanction devant un comportement insolent et injuste chez le peuple.

          Pour revenir à la prière, cet échange entre Dieu et Moïse doit nous encourager ! Nous encourager à prier, à échanger avec Dieu, à prendre au sérieux ses promesses malgré les circonstances défavorables.

Je parlais récemment avec un instituteur qui commence à avoir de l’expérience, et on évoquait le fait qu’en début de carrière, on a tendance à tout anticiper, tout préparer de A à Z – et le moindre imprévu nous fait dérailler. Avec l’expérience et une meilleure maîtrise des sujets, on peut s’adapter à la situation, aux questions, aux besoins, et on sait qu’il y a plusieurs chemins pour arriver quelque part. C’est la même chose dans nos déplacements : quand on ne connaît pas une ville, on prend toujours le même itinéraire – mais quand on connait bien la ville, on sait qu’il existe plusieurs chemins pour arriver au même endroit.

Dieu est un expert en sagesse et en puissance, et comme tous les experts, il maîtrise le sujet de ce qui est juste et bon : il a un plan A, mais il peut aussi passer à un plan B, ou C, ou D, selon la situation, tout en atteignant ses objectifs !  Il y a donc de la place pour notre prière, pour nos demandes, nos intercessions, nos questions…

Nous pouvons demander à Dieu, l’implorer, pour qu’il révèle sa grâce puissante dans notre vie et celle des autres – en nous appuyant sur ce qu’il est et sur ce qu’il a fait : en Christ, nous avons une base bien plus solide encore que l’expérience du peuple d’Israël. En Christ, Dieu lui-même est devenu un homme, il a lui-même porté dans son corps et son identité son engagement envers nous, son engagement à accomplir la justice et à révéler sa grâce. Bien plus, il donne son Esprit à ceux qui lui font confiance : Dieu s’engage de tout son être – prenons au sérieux ses promesses !