Calme comme un nourrisson

Dans le monde frénétique, agité, qui est le nôtre, dans un quotidien trop souvent surchargé (pour les actifs multi-actifs, les étudiants, mais aussi les enfants, les ados, les retraités…), le calme et la tranquillité nous semblent être un trésor tellement précieux et si peu accessible. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, ceux qui s’ennuient ou qui se sentent désœuvrés ne sont pas forcément dans le calme et la tranquillité : il peut y avoir l’inquiétude, la tristesse, le manque… Ainsi, pour ceux qui sont dans le trop-plein comme pour ceux qui sont dans le vide, le vrai repos paisible est une denrée rare, l’ombre d’un rêve qu’on poursuit sans le saisir vraiment.



Alors je vous invite à entrer dans un deuxième psaume, une deuxième prière juive du recueil du roi David, à partir de son expérience du repos – et de ses conséquences. Ce psaume est tiré d’un sous-recueil dans les psaumes, un ensemble de prières chantées lorsque les Israélites allaient en pèlerinage jusqu’à Jérusalem – essentiellement des chants qui invitent à faire confiance à Dieu. Représentez-vous la foule de pèlerins, qui monte vers Jérusalem, vers le Temple, quelques siècles avant Jésus-Christ :

Lecture biblique Psaume 131

1 Cantique des montées. De David.

O Eternel, mon cœur ne s’enfle pas d’orgueil, mes yeux n’ont pas visé trop haut,

je ne me suis pas engagé dans des projets trop grands, trop élevés pour moi

 2 Bien au contraire : j’ai conduit mon âme au silence et au calme.

Comme un nourrisson rassasié dans les bras de sa mère,

comme un nourrisson rassasié, mon âme en moi.

 3 Israël, mets ton espérance en l’Eternel, dès maintenant et pour toujours !

          Cette prière est un peu étrange.

Déjà, David, puis ceux qui reprennent sa prière année après année, affirme son humilité. Ca paraît paradoxal, de se poser devant Dieu comme quelqu’un de humble : est-ce que ce n’est pas un peu orgueilleux ? 

Ensuite, celui qui dit cette prière prend Dieu à témoin mais ne lui demande rien, ne lui dit rien, ne le remercie pas – on a l’impression que cette prière, même elle si s’adresse officiellement à Dieu, reste centrée sur « je, je, je ». Sauf à la fin où le priant se tourne vers ceux qui l’entourent en les encourageant à faire confiance à Dieu – du coup c’est plus une exhortation qu’une prière, non ?

Et puis, il y a cette image, surprenante, du nourrisson dans les bras de sa mère. Je ne sais pas comment vous vous représentez David ou les chantres qui avancent devant la foule en récitant les psaumes… Si on prend juste David, guerrier, roi, poète, un homme d’envergure qui en impose : on ne s’attend pas à ce qu’il compare son intériorité, son âme, à ce nourrisson vulnérable dans les bras de sa mère – ça fait un peu barre chocolatée au cœur fondant, au cœur tendre, incongru dans un monde où il faut être résistant, fort, sur ses gardes. David assume son côté sensible !

L’image du nourrisson

          Que nous dit cette image, essentiellement ? C’est l’image-même du contentement : l’enfant vient d’être nourri, il est repu, détendu, rien ne lui manque. Et ce n’est pas seulement parce qu’il a mangé : il est dans les bras de sa mère (bonne fête aux mamans), ce qui évoque la sécurité, la proximité, l’intimité. Il est repu et entouré, accompagné, soutenu. Je tiens quand même à éviter les stéréotypes : il n’y a pas que les mamans qui soutiennent leur enfant, et qui savent se rendre proches des petits. En fait, il y a des mamans très dures, sèches et distantes, et des papas très tendres : mais l’image est parlante.

Pour David, cette image du contentement exprime le calme, la sécurité intérieure, la satisfaction qu’il a recherchés (et trouvés) pour son âme.

Alors il ne dit pas d’où vient ce calme, quelle est la source de son assurance, de son repos intérieur, il se compare uniquement au nourrisson, laissant notre imagination faire le dernier lien : celui qui nous nourrit, qui nous tient tout proche de lui, celui qui nous protège et nous soutient – c’est Dieu ! Dieu en qui tous sont appelés à placer leur espérance (v.3).

On est habitués à voir Dieu comme un Père, parce que c’est l’image parentale la plus courante dans la Bible, mais Dieu n’est pas sexué ! Et la Bible, pourtant écrite dans un monde d’hommes, donne quelques traces d’un côté maternel de Dieu, doux, nourricier, accueillant et réconfortant. Dieu est à la fois le Dieu tout-puissant, souverain, plein d’autorité, impressionnant, à la voix grave comme un grondement d’orage, et le Dieu tendre, proche, consolateur, qui tient dans ses bras ses enfants. Dieu a toutes les caractéristiques de parents équilibrés.

Avec ce Dieu-là David se sait en sécurité, à sa place, rassasié – cette image du nourrisson s’appuie pour l’instant sur l’expérience de la fidélité de Dieu, mais elle annonce la mission de Jésus : tout faire pour nous ramener dans les bras du Père maternel, pour que nous retrouvions notre identité d’enfants de Dieu. L’apôtre Jean présente ainsi Jésus : (Jean 1.10) La Parole [créatrice, divine] était dans le monde et le monde est venu à l’existence par elle, et pourtant le monde ne l’a pas reconnue. 

11 Elle est venue dans son propre pays, mais les siens ne l’ont pas accueillie. 

12 Cependant, à tous ceux qui l’ont reçue et qui croient en elle, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu. 13 Ils ne sont pas devenus enfants de Dieu par une naissance naturelle, par une volonté humaine ; c’est Dieu qui leur a donné une nouvelle vie.

Par la foi en Christ, Dieu le Fils devenu homme pour nous réconcilier avec Dieu, nous devenons pleinement fils et filles de Dieu, nous entrons dans le cercle des intimes, pour toujours.

          Calme et simplicité

C’est à partir de cette expérience intérieure avec Dieu que David peut rester humble, modeste, ajusté, à la bonne place – et il le dit avec satisfaction, et reconnaissance. Ce n’est pas par ses propres moyens mais c’est parce qu’il connaît sa place auprès de Dieu, qu’il peut rester à la bonne place dans le monde.

David cite un comportement en particulier : le fait de ne pas se lancer dans des projets hors de portée, faramineux, vous savez, ce genre de projet grandiose qui peut précipiter dans la faillite parce que c’est démesuré.

Dans le regard qui peut se porter trop haut, dans l’orgueil qui peut enfler le cœur, il me semble qu’il n’y a pas seulement l’ambition excessive, mais que ça peut conduire (et c’est souvent le cas) à des regards hautains portés sur les autres. Parce que derrière cette ambition effrénée, il y a le besoin de se prouver, et souvent on se prouve soit par ce qu’on accomplit, soit par comparaison avec les autres. Trente siècles plus tard, on en est toujours là : beaucoup se prouvent par ce qu’ils font (pas forcément le faire comme production/par le travail, mais les activités, les voyages, les projets, les passions), ou par ce qu’ils ont (avec toute l’influence de la société de consommation), ou par ce qu’ils montrent.

S’il y en a un qui pouvait se laisser tenter par des projets ambitieux, c’était bien David, roi d’Israël ! S’il y en a qui pouvait regarder les autres de haut, c’était bien lui ! La posture de David est d’autant plus remarquable qu’il a des occasions d’être orgueilleux, imprudent, excessif, mais il ne fonde pas son identité sur ce qu’il fait, ou sur son statut, ou sur ce qu’il a : non, c’est sa proximité avec Dieu qui lui donne son assise, sa sécurité intérieure.

Et à plusieurs niveaux. D’abord parce que Dieu est fidèle et qu’il prend soin de lui : pas besoin de paniquer devant des défis, devant les pressions pour entreprendre tel projet ou face à quelqu’un de déstabilisant. David peut rester à sa place parce qu’il sait qu’il y a quelqu’un de bien plus grand qui agit, et qui maîtrise !

David est assuré, aussi, en profondeur, parce qu’il se sait précieux aux yeux de Dieu : il ne fonde pas son estime de lui sur le regard des autres, mais sur le regard de Dieu. Il peut accepter ainsi ses limites, ce qu’il est, les difficultés.

Et puis je crois que cette notion d’être rassasié auprès de Dieu en dit long : il n’y a pas besoin de toujours plus, contrairement à ce qu’on nous fait croire. La tranquillité du nourrisson rassasié s’oppose à la frénésie d’un monde qui nous propose toujours plus d’expériences, de nouveautés.

Alors je ne pense pas que David (et la Bible, et Dieu) condamne les curieux et les entreprenants – loin de là ! – mais plutôt nos motivations pour avancer sur ces chemins-là : est-ce qu’on y joue notre identité ? si oui, on risque de faire de ce qu’on trouve sur ces chemins une idole, alors que Dieu nous invite à fonder notre identité et notre vie sur lui, sur son amour pour nous, et sur ses projets avec nous.

          Une attitude à cultiver

Je conclus avec cette étrange formulation de David au début du verset 2 : j’ai conduit mon âme au silence et au calme. Même si le repos se trouve auprès de Dieu, David a sa responsabilité – d’y aller, au moins, auprès de Dieu ! On s’imagine souvent que la paix de Dieu nous vient comme ça, qu’elle doit couler comme une évidence, sans qu’on fasse d’effort. Derrière ce verset 2, on sent pourtant une intentionnalité, une discipline même, pour chercher (et trouver) le repos auprès de Dieu. Le quotidien d’un roi, même dans l’Antiquité, ne devait pas être si éloigné du nôtre en termes de tentations, sollicitations, pressions, agressions, charge mentale… Au milieu de ce quotidien frénétique et stressant, David conduit son âme au calme que Dieu donne. Il réajuste son orientation pour se réaligner sur Dieu, sa fidélité, sa grâce…

Comment ? vu le psaume, et les autres que David a écrits, par la prière et le chant qui recentrent sur Dieu, ce qu’il fait, ce qu’il est, ce qu’il fait de nous. La louange et la prière doivent d’abord nous tourner vers Dieu, c’est parce qu’il le mérite que nous lui disons notre admiration, notre confiance, notre désir de lui laisser la première place… Nous le louons pour Lui, pas pour en retirer des bienfaits ! Mais… lorsque nous donnons à Dieu cette première place, bénéfice secondaire, nous trouvons nous aussi notre place, nous nous recentrons, et cela nous permet de voir les choses autrement.

La prière peut passer par des images, par la visualisation : où suis-je devant Dieu là maintenant ? dans quelle position ? et lui ? comment est-il envers moi ? Ca peut être une habitude régulière, mais je trouve que dans les moments les plus stressants (avant une réunion compliquée, quand on doit parler avec quelqu’un qui nous déstabilise, devant un choix difficile), ce temps de recentrage par la parole ou par l’image peuvent nous conduire vers le calme et la paix que Dieu nous donnent.

Je parlais en introduction de frénésie ou de vide : nous recentrer sur Dieu nous rassasie et remet le reste à sa place – ça ne veut pas dire que plus rien d’autre ne compte, mais que nous avons trouvé notre ancrage, notre repos, notre force en Dieu – et qui pourra nous l’enlever ? En Christ, Dieu est pour nous, proche de nous – qui pourra nous ébranler ?




La tentation

Regarder le culte ici.

Un des sujets délicats dans la vie chrétienne, et dans la vie en général, c’est  la tentation. La tentation. C’est quand nous faisons face à une proposition (de pensée, d’action…) qui fait écho en nous au point que nous nous retrouvons tiraillés entre ce que nous voudrions être ou faire dans l’idéal et ce que nous avons envie de faire sur le moment. Par exemple, on veut faire attention à sa santé, mais à l’instant T, on se dit que cette petite part de gâteau est quand même très appétissante. Ou bien, on veut réussir ses études, mais regarder un énième épisode de série sur Netflix paraît beaucoup plus attirant que se replonger dans ses fiches.

Cela dit, tout n’est pas tentation ! Quand on « se laisse tenter » par une deuxième tasse de thé, à moins d’être allergique, c’est un abus de langage ! La vraie tentation a un impact négatif si on y cède, à court ou long terme, sur nous et/ou sur notre entourage.

Mais malgré les conséquences négatives et notre volonté de bien faire, la plupart du temps, la tentation est extrêmement puissante, et nous déstabilise sans qu’on s’y attende. D’où le fait qu’on en parle difficilement, car elle révèle nos faiblesses et nos travers. Pour mieux en comprendre certains mécanismes afin de mieux les déjouer, je vous propose de nous tourner vers la première histoire de tentation dans la Bible.

Nous sommes dans le jardin d’Eden, au moment de la création : ne vous laissez pas perturber par la forme imagée du récit, Dieu a souvent aux images pour nous transmettre des vérités complexes.  Et puis, je laisse de côté tout ce qui ne concerne pas la tentation… frustrant avec un tel texte, mais on peut parler après si vous voulez !

Lecture biblique : Genèse 2.7-9, 15-17, 3.1-7

Il y a d’abord un cadre :

7 Le Seigneur Dieu prit de la poussière du sol et en façonna un être humain. Puis il lui insuffla dans les narines le souffle de vie, et cet être humain devint vivant. 

8 Ensuite le Seigneur Dieu planta un jardin au pays d’Éden, à l’orient, pour y mettre l’être humain qu’il avait façonné. 

9 Il fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect agréable et bons pour se nourrir. Il mit au centre du jardin l’arbre de la vie, et l’arbre qui donne la connaissance de ce qui est bon et de ce qui est mauvais.

Dieu est clairement le créateur, l’artiste – sa puissance n’a d’égale que sa bonté : il plante des arbres beaux aux bons fruits. Et, devant ce Dieu, l’être humain n’est que poussière, c’est uniquement grâce à Dieu qu’il vient à exister.

15 Le Seigneur Dieu prit l’être humain et le plaça dans le jardin d’Éden pour qu’il cultive la terre et la garde. 

16 Il lui ordonna : « Tu te nourriras des fruits de n’importe quel arbre du jardin, 17 sauf de l’arbre qui donne la connaissance de ce qui est bon et de ce qui est mauvais. Le jour où tu en mangeras, tu mourras. »

Dieu place l’être humain dans ce beau jardin avec une responsabilité importante : prendre soin de ce que Dieu a créé. Et dans la charte de fonctionnement, deux articles : l’être humain peut profiter des fruits du jardin (il y a une dimension d’abondance, de plaisir : il peut manger de n’importe quel arbre, créé beau et bon).  Deuxième article : une exception, une limite est posée – tout, sauf 1 arbre – avec la pire des conséquences. On ne sait pas si c’est le fruit qui fait mourir, ou si c’est la transgression de cette limite qui fera mourir. On ne sait pas si la mort est immédiate… ni si la mort existe déjà, mais l’article est très clair : pas touche !

Ensuite, le récit raconte la création de la femme, et nous avons le tableau de ce couple Adam et Eve, en communion avec Dieu, en communion l’un avec l’autre, paisibles dans un jardin luxuriant.

1 Le serpent était le plus rusé de tous les animaux sauvages que le Seigneur avait faits.

Notez que le serpent est un animal, c’est-à-dire une créature, pas l’égal de Dieu. A ce moment-là, on ne sait pas qui est ce serpent. Dans le Nouveau Testament, le serpent est associé au Diable, au tentateur, celui qui veut éloigner de Dieu – et de fait :

Il demanda à la femme : « Est-ce vrai que Dieu vous a dit : “Vous ne mangerez d’aucun fruit du jardin” ? » 

2 La femme répondit au serpent : « Nous pouvons manger les fruits du jardin. 3 Mais pour les fruits de l’arbre qui est au centre du jardin, Dieu nous a dit : “Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, de peur d’en mourir.” » 

4 Le serpent répliqua : « Pas du tout, vous ne mourrez pas ! 5 Mais Dieu le sait bien : dès que vous en aurez mangé, vous verrez les choses telles qu’elles sont, vous serez comme lui, capables de savoir ce qui est bon et ce qui est mauvais. »

Le serpent n’y va pas de manière frontale, mais il commence subtilement, en caricaturant les propos de Dieu, en mettant le focus sur ce qui est interdit, comme s’il n’y avait que ça, alors que Dieu au contraire a donné l’abondance à l’humanité. Le serpent pousse la femme à ne voir que ce qui manque, en oubliant tout ce qu’elle a déjà, en positif. Comme s’il voulait qu’on retienne de Dieu le fait qu’il interdit, qu’il prive, qu’il refuse – alors que Dieu s’est montré profondément généreux et bienfaisant.

La femme a d’abord un bon réflexe, elle revient à la parole d’origine : il ne faut pas manger de ce fameux arbre, et elle ajoute même qu’il ne faut pas le toucher. Dieu n’en avait pas parlé, mais ça paraît sage ! pour ne pas être tenté de le manger, mieux vaut ne pas toucher. Plus on s’éloigne de ce qui peut tenter, mieux c’est.

Mais le serpent continue avec ses calomnies insidieuses : Dieu vous a menti, il cherche simplement à se protéger des rivaux que vous pourriez devenir. Rappelons-nous l’écart entre Dieu créateur et l’être humain fait de poussière… la rivalité est quand même peu probable ! mais le serpent fait miroiter la plénitude, la totalité, l’épanouissement ! Sous la surface, le serpent dresse le portrait d’un Dieu insécure, égoïste, tyrannique et manipulateur – un Dieu dont on se passerait bien !

6 La femme vit que les fruits de l’arbre étaient agréables à regarder, qu’ils devaient être bons et qu’ils donnaient envie d’en manger pour devenir plus intelligent. Elle en prit un et en mangea. Puis elle en donna à son mari, qui était avec elle, et il en mangea, lui aussi. 

Dans les étapes de son regard, on sent qu’elle se laisse happer par la proposition du serpent. Donc elle consomme, et fait consommer. L’homme lui est resté silencieux, on ne sait pas pourquoi, mais il suit – l’engrenage est lancé.

7 Alors ils se virent tous deux tels qu’ils étaient, ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. Ils attachèrent ensemble des feuilles de figuier, et ils s’en firent chacun une sorte de pagne.

C’est une grosse déception, non ? Tout ce qu’ils ont appris, c’est l’évidence : ils sont  nus. La belle affaire !

La réaction de Dieu est encore à venir : la transgression aura des conséquences que l’on subit encore aujourd’hui. L’être humain devient mortel, et surtout un fossé énorme a fendu la relation avec le Dieu vivifiant. Mais même avant la réaction de Dieu, ils ont déjà perdu : ils ne sont pas devenus des dieux. Et ce qu’ils ont appris, n’est même pas utile ou intéressant : ils sont nus. Et ? ils ont honte, ils cherchent à se couvrir. Non seulement ils n’ont pas gagné la plénitude, mais ils ont perdu la simplicité d’être ensemble.

Les ressorts de la tentation

Derrière cet acte unique, on voit différentes dynamiques qu’on retrouve souvent dans nos différentes tentations.

Le premier élément, c’est la transgression du cadre que Dieu a donné. Le serpent invite clairement à désobéir, à mépriser la parole de Dieu. Derrière cette désobéissance, c’est la confiance envers Dieu qui est en jeu : est-ce qu’on croit que Dieu dit la vérité (ou qu’il ment pour nous manipuler) ? Et, s’il dit la vérité, est-ce qu’on croit qu’il a nos intérêts à cœur ? Rien que les extraits du récit de création nous montrent la bonté de Dieu qui donne responsabilité et privilèges à l’être humain. Mais le serpent réussit à semer le doute sur les intentions de Dieu.

Derrière cette confiance mise à mal, il y a la tentation du raccourci. La tentation de vouloir savoir sans Dieu, et donc décider et vivre sans lui – au lieu d’être en image de lui et en vis-à-vis. Dieu n’a pas donné d’explications à son interdiction, mais j’ai l’impression à partir du reste de la Bible que Dieu avait comme projet que l’être humain goûte la création, et goûte à l’échange avec Dieu, à la sagesse de Dieu donnée pas seulement comme un conseil mais dans un dialogue, un partenariat, une amitié. Dans ce court-circuit, l’être humain évacue Dieu et… veut prendre sa place.

Et là nous arrivons à l’orgueil, un orgueil stérile et contre-productif… une idolâtrie de nous-mêmes dont nous n’arrivons pas à nous dépêtrer, mais qui n’a aucun sens. Regardez la planète Terre : elle s’épanouit grâce à la lumière et la chaleur du soleil, non ? quel sens cela aurait-il pour la Terre d’arrêter de graviter autour de lui, en proclamant son indépendance ? pourra-t-elle devenir son propre soleil ? c’est dans l’échange, la différence, le vis-à-vis, que s’épanouit la planète au sein d’un écosystème – dépendre du soleil n’est pas une honte ou une faiblesse, mais une richesse extraordinaire !

Il y a bien des formes de tentations, et la transgression de la limite en est une forme : voler, mentir, convoiter la femme d’un autre ou une autre femme que la sienne, tuer, etc. Mais parfois la tentation c’est de délaisser l’essentiel au profit du secondaire, se tromper de priorité ou ne pas être au rendez-vous. Parfois c’est céder à l’appel du toujours plus : ton bonheur sera dans… plus ! plus d’argent, plus de voyages, plus d’objets, plus de statut… mais on a beau croquer, le fruit se révèle vide et la déception entame ce que nous avons déjà de beau.

La Bonne Nouvelle en Christ

Ce qui est décourageant, c’est que comme cette première femme, nous avons beau savoir ce qu’il est bon de faire, nous tombons régulièrement dans le panneau.

Mais la Bonne Nouvelle qu’apporte l’Evangile, c’est la vie de Jésus-Christ. Jésus, tenté lui-même à de multiples reprises – et sérieusement tenté, tenté par les raccourcis, par la facilité, par le pouvoir – n’y cède jamais. Toujours il résiste, toujours il revient à sa confiance en Dieu.

Au bout de son chemin, il y a la mort sur la croix – dont plusieurs dont le fameux serpent ont essayé de le détourner – la mort sur la croix où Jésus assume les conséquences de cette rupture entre nous et Dieu, les conséquences de nos transgressions, cette mort spirituelle et physique qui jette son ombre sur toutes nos réalités. Il pose ainsi les bases de notre réconciliation avec Dieu.

Mais Jésus ne reste pas dans la mort : sa sainteté l’emporte sur nos transgressions, sa puissance sur nos faiblesses, sa vitalité sur notre morbidité. Ressuscité, il offre son Esprit de vie à tous ceux qui se tournent vers lui, il partage avec nous, de l’intérieur, son ADN de sainteté, sa force pour marcher sur le même chemin que lui.

Les tactiques pour résister

Alors comment mieux résister aux tentations ? C’est quand même ça l’enjeu !

  • En amont :
    • Apprendre à connaître ses points de faiblesse & se protéger – en évitant de jouer avec le feu. On est tous différents, avec des talons d’Achille : notre responsabilité c’est de protéger ces points-là. Exemple : si le coca vous fait du mal parce que vous êtes diabétique, évitez le rayon ! si vous êtes fragiles face à l’argent, ne devenez pas trésorier !
    • En positif, il est essentiel de cultiver notre relation avec Dieu, pas seulement sa volonté (Eve connaissait assez bien la règle) mais Dieu lui-même. C’est quand même fou (mais nous tombons tous dans ce genre de folie) qu’elle ait pu croire que Dieu était moins que bon, sage, vivifiant. Et c’est cherchant la proximité avec Dieu, au quotidien, qu’on cultive cette confiance en lui qui nous permet de prendre du recul.
  • Pendant (de manière très générale) :
    • Temporiser au moins, prendre de la distance (parfois physiquement, sortir de la pièce ou éteindre son téléphone) pour se donner le temps de reprendre nos esprits.
    • Se méfier du mirage : comme toute publicité mensongère, la tentation fait miroiter une plénitude facile – à nous de prendre du recul pour voir ce que ça cache, l’envers du décor, les effets à long terme – notamment ce qu’on a à perdre.
    • Chercher les pensées de Dieu au lieu de réfléchir seul dans son coin. On aime bien prendre nos décisions tout seul, en comptant sur notre sagesse, notre bon sens, notre force, mais c’est là qu’on tombe dans l’impasse. Dans la prière, on invite Dieu à intervenir – ce que n’ont pas fait Adam et Eve.
    • Et puis ça peut être utile de sortir du silence et de la gêne pour parler à un proche, solliciter son écoute, son appui, sa prière afin de ne pas faire face seul – encore une fois, on voit bien que Dieu a créé le monde pour fonctionner en écosystèmes, en réseaux, et non pas chacun tout seul dans son coin.

La force de l’Evangile c’est d’apporter une réponse aux tentations auxquelles nous avons succombé : Dieu nous pardonne en Christ, il nous offre sa grâce, il nous relève la tête. Mais en nous accordant le modèle de la vie de Jésus et la force de son Esprit, il va plus loin : Dieu nous équipe pour apprendre à résister aux tentations et demeurer dans ce qui est juste et bon. Alors c’est un apprentissage, avec les défaillances que l’on sait, mais nous avançons par la grâce : ne nous laissons pas décourager, mais face à la tentation, cherchons le Dieu vivant, généreux, puissant, qui est déterminé à nous faire goûter la joie et le bonheur dans l’abondance de son amour.