Négociations avec Dieu (2/5): Prendre Dieu au sérieux

Quelle est notre marge de manœuvre face à Dieu ? face à sa volonté ? Si Dieu est Dieu, puisque Dieu est Dieu, ce qu’il veut doit s’accomplir tel quel, non ? Ce qu’il décrète a bien plus de force que les lois humaines : qu’est-ce qui pourrait le remettre en cause ? Notre soumission légitime à Dieu parfois nous conduit à la résignation, au découragement, au « à quoi bon ? » Quelle est notre place, la place de notre prière dans les projets de Dieu ? Pour répondre un peu à cette question, j’aimerais remonter à environ -1500 avant Jésus-Christ, pour nous retrouver dans le désert à l’Est de l’Egypte, avec Moïse et le peuple d’Israël.



Notre dernier culte, célébré le 9 juillet à l’EEL Toulouse

Quelques mots de contexte : Dieu s’est engagé à bénir la descendance d’Abraham, qu’on appelle peuple d’Israël, et projette de leur donner un pays pour leur donner un cadre favorable dans lequel ils pourront apprendre à vivre avec Dieu – ils recevront sa bénédiction, mais ils seront aussi un témoignage pour les peuples qui les entourent. Ce projet met du temps à s’accomplir : pendant plusieurs siècles, les Israélites ont été tenus esclaves en Egypte, jusqu’à ce que Dieu les libère à grand renfort de miracles (les 10 plaies d’Egypte). Il les conduit hors d’Egypte, par l’intermédiaire du prophète Moïse, vers le pays de Canaan, de l’autre côté du désert. Pendant des mois, Dieu montre sa présence quotidienne. Face aux obstacles, aux dangers, aux manques, il abreuve, nourrit, protège, etc. Ils arrivent enfin aux portes de Canaan : douze espions partent explorer le pays promis. A leur retour, 10 d’entre eux sont trop impressionnés et déconseillent au peuple d’aller plus loin. Les deux autres, Caleb et Josué, essaient de remotiver le peuple à faire confiance à Dieu, mais rien n’y fait : le peuple préfère retourner d’où il vient, en Egypte, même si la situation là-bas était terrible. Devant cette énième révolte contre Dieu, Moïse et Aaron sont prosternés en prière.

Lecture biblique : Nombres 14.10-25

10 Tout le peuple parlait de lancer des pierres [sur Caleb et Josué, Moïse…] pour les tuer, mais soudain la gloire du Seigneur se manifesta aux yeux des Israélites, sur la tente de la rencontre.

11 Le Seigneur dit à Moïse : « Ce peuple cessera-t-il un jour de me rejeter ? Refusera-t-il toujours de me faire confiance, malgré tous les signes que je lui ai donnés de ma puissance ? 12 Je vais le frapper de la peste et l’exterminer, puis je ferai naître de toi un peuple plus puissant et plus nombreux qu’Israël. » 

Au milieu de ce qui ressemble à une émeute, l’apparition lumineuse de Dieu arrête tout.

Depuis trois mois que Dieu les a fait sortir d’Egypte, on ne compte plus les révoltes, les murmures, les récriminations et les plaintes contre Dieu. Mais là, la limite a été atteinte! Devant l’incapacité chronique du peuple à lui faire confiance, Dieu se tourne vers son fidèle serviteur avec un plan B : on arrête les frais avec ces gens-là, et on repart à zéro avec Moïse. Dans un sens, Dieu resterait fidèle à ses promesses à Abraham, puisque Moïse est un de ses lointains descendants.

La proposition est alléchante : Moïse se retrouverait grand patriarche, grand ancien d’un peuple nouveau. Une proposition d’autant plus alléchante que c’est souvent Moïse qui prend lorsque le peuple veut en découdre avec Dieu.

Derrière cette proposition, se révèle l’agacement de Dieu : il n’en peut plus de ce manque de confiance récurrent entre le peuple et lui. Imaginez-vous dans une relation où l’autre remet sans cesse en question vos choix, doute de vos intentions et de vos compétences : sans confiance, la relation devient vite toxique, et puis on ne peut rien construire s’il n’y a pas de base commune.

Face à Dieu, c’est d’autant plus injuste qu’il a accompli des miracles tous plus extraordinaires les uns que les autres. Des miracles qui ont deux buts, un peu comme le double effet kiss cool :

  • A court terme : répondre au problème, soulager, fortifier, etc.
  • A long terme : au travers des miracles, montrer quel type de Dieu il est – présent, attentif, patient – et extrêmement compétent !

A travers ce qu’il fait, Dieu révèle qui il est : un Dieu fort, aimant, fidèle. C’est comme les cadeaux : quand quelqu’un vous fait un cadeau, il y a l’objet en lui-même, et tout ce que l’objet révèle de ce que l’autre pense de vous, de son affection, sa reconnaissance, etc.

Pourtant le peuple d’Israël a comme relégué les actes de Dieu dans le passé, sans en tirer les leçons sur ce qu’il est et ce qu’il veut faire pour eux. Je le dis sans mépris, car ça nous arrive tellement souvent : Dieu intervient pour nous, mais à l’obstacle suivant, c’est comme s’il fallait reprendre à zéro ! Or à travers ce que Dieu fait, il veut nous apprendre qui il est : fiable et fidèle…  

          Moïse ne se laisse pourtant pas tenter par la proposition de Dieu :

13 Moïse répondit au Seigneur : « Les Égyptiens ont su que, par ta force, tu avais fait sortir ce peuple de chez eux. 14 Ils l’ont raconté aux habitants de ce pays. Ceux-ci ont donc appris que toi, le Seigneur, tu accompagnes ton peuple, que tu te manifestes à lui face à face ; ils ont appris que c’est toi qui le protèges, puisque tu marches devant lui, le jour dans une colonne de nuée, la nuit dans une colonne de feu. 

15 Si maintenant tu extermines ton peuple d’un seul coup, les populations qui ont entendu parler de tout ce que tu as fait vont dire : 16 “Le Seigneur n’a pas été capable de conduire ce peuple dans le pays qu’il lui avait promis ; c’est pourquoi il l’a massacré dans le désert.” 

17 Alors je t’en supplie, Seigneur, déploie ta puissance. Agis selon ce que tu nous as affirmé : 18 “Je suis le Seigneur, lent à la colère et d’une immense bonté ; je supporte les péchés, les désobéissances. Mais je ne tiens pas le coupable pour innocent. J’interviens contre celui qui a péché et contre ses descendants, jusqu’à la troisième ou la quatrième génération.” 

19 Seigneur, pardonne encore le péché de ton peuple, selon ta grande fidélité, comme tu n’as cessé de lui pardonner depuis qu’il est sorti d’Égypte. »

La semaine dernière, nous étions avec Abraham qui intercédait pour quelques justes au milieu d’une société toxique. Cette fois-ci, Moïse ne prie pas pour des justes, mais pour des injustes ! pour un peuple qui est prêt à balayer Dieu d’un revers de main au moindre obstacle.

Moïse ici ne fait pas appel à la justice de Dieu, mais à sa compassion. Avec deux arguments fondamentaux : la réputation de Dieu et la parole qu’il a donnée. Deux façons d’aborder l’honneur de Dieu.

D’abord, Moïse évoque la réputation de Dieu auprès des peuples étrangers qui ont entendu ce qu’il avait fait, et qui risquent de ne pas prendre Dieu au sérieux si Dieu ne va pas au bout avec Israël. Autrement dit : « qu’est-ce qu’on va dire de toi, Seigneur ? »

Selon notre génération ou notre culture, cet argument de la réputation peut nous toucher différemment. Mais pour certains, il sonne avec étrangeté dans un contexte psycho-social où on nous invite à nous libérer du regard des autres (tout en nous exposant plus que jamais au regard des autres via les médias et les réseaux !), à nous assumer tels que nous sommes, à sortir des attentes et des stéréotypes. Dieu manquerait-il de confiance en lui, d’estime de soi, au point d’avoir besoin de l’approbation de créatures inférieures ? Ne peut-il pas vivre libre, détaché des opinions des uns et des autres ?

Pour mieux comprendre, faisons un détour par notre fonctionnement humain. Être en relation avec quelqu’un, c’est vivre sous son regard, un regard qui reflète son point de vue sur ce que nous sommes et qui crée la base de notre relation : l’envie d’aller plus loin ou pas. Une personne que je regarde comme ennuyeuse, ou menteuse, ou capricieuse, ou manipulatrice, ou profiteuse – il y a peu de chances pour qu’elle devienne ma meilleure amie ! Nos regards entrecroisés conditionnent la relation. Ce qui est sûrement excessif, c’est d’accorder de l’importance au regard de personnes avec qui nous n’avons pas de relation. Ainsi, il est légitime d’accorder de la valeur au regard et donc à l’opinion que portent sur moi les personnes qui ont de la valeur pour moi. Vous me suivez ?

Si on l’applique à Dieu : Dieu est Dieu, il n’a pas besoin de nous pour exister ou pour se sentir bien – il est au-dessus de tout ! dans une autre sphère ! Et pourtant, du jour où il a décidé de créer l’être humain pour être en relation avec nous, une relation d’amour et d’amitié, du jour où il nous a accordé de la valeur, il a donné de la valeur à notre regard sur lui. Le thème de la réputation, de son honneur, de sa gloire, renvoie indirectement au poids que Dieu nous donne dans sa vie : nous ne sommes pas des moucherons qu’il balaye de la main, nous sommes ceux qu’il veut aimer et avec qui il veut construire. 

          Le deuxième argument est assez proche : au nom de la parole donnée, Moïse appelle Dieu à aller au bout de ce qu’il a commencé.

Et le cœur de ces promesses, c’est la patience et la fidélité de Dieu envers son peuple. « Tu as dit que tu serais fidèle ! Tu l’as déjà été ! Sois cohérent… » Et Moïse de citer la façon dont Dieu lui-même s’est révélé à lui, comme un Dieu lent à la colère et riche en bonté.

Une remarque : Moïse demande à Dieu de déployer sa grande puissance – et quelle est cette puissance ? sa patience et sa fidélité, son pardon renouvelé. Sa grâce !

Comme Abraham la semaine dernière, Moïse prouve dans son argumentation à quel point il prend Dieu au sérieux. A quel point il prend au sérieux sa parole, ses promesses, ce qu’il a déjà révélé de lui-même par ses actes. Et dans cette argumentation audacieuse, Moïse montre en fait une confiance en Dieu inébranlable – justement cette confiance que le peuple n’arrive pas à donner. Ultimement, c’est cette confiance qui caractérise la foi : pas seulement croire que Dieu existe, qu’il a inventé un monde extraordinaire, mais croire qu’il est bon, et lui faire confiance, croire ses paroles, et s’attendre à ce qu’il fasse ce qu’il a dit.

La posture de Moïse est essentielle dans cette prière : il n’est pas centré sur lui, mais sur les intérêts du peuple et sur les intérêts de Dieu – comme s’il lui disait : « ne te laisse pas dévier par ce peuple de bons à rien, mais reste qui tu es, et montre-toi ! tu es plus grand que leur médiocrité ! » Et Moïse n’exige pas quelque chose de précis, seulement que Dieu fasse grâce – il a confiance !

20 Le Seigneur répondit : « Je lui pardonne, comme tu le demandes. 21 Cependant, aussi vrai que je suis vivant et que ma gloire remplit toute la terre, j’affirme 22-23 que personne de cette génération n’entrera dans ce pays. Ils ont vu ma gloire, et tous les actes puissants que j’ai accomplis en Égypte et dans le désert ; malgré cela ils n’ont pas cessé de me mettre à l’épreuve en me désobéissant. C’est pourquoi aucun d’eux ne verra le pays que j’ai promis à leurs ancêtres, puisqu’ils m’ont tous rejeté. 

24 Mais mon serviteur Caleb a été animé d’un autre esprit et m’est resté fidèle ; je le ferai entrer dans le pays qu’il a exploré, et je donnerai cette région à ses descendants. 25 – Les Amalécites et les Cananéens occupent actuellement les vallées de cette région. – Demain donc, vous ferez demi-tour et vous repartirez par le désert dans la direction de la mer des Roseaux. »

          Dieu accède à la demande de Moïse, et épargne le peuple, en tout cas pour l’instant. C’est le début des 40 ans d’errance dans le désert, le temps qu’une nouvelle génération se lève et entre dans le pays promis. Dieu trouve là un équilibre entre le pardon, la grâce, et la sanction devant un comportement insolent et injuste chez le peuple.

          Pour revenir à la prière, cet échange entre Dieu et Moïse doit nous encourager ! Nous encourager à prier, à échanger avec Dieu, à prendre au sérieux ses promesses malgré les circonstances défavorables.

Je parlais récemment avec un instituteur qui commence à avoir de l’expérience, et on évoquait le fait qu’en début de carrière, on a tendance à tout anticiper, tout préparer de A à Z – et le moindre imprévu nous fait dérailler. Avec l’expérience et une meilleure maîtrise des sujets, on peut s’adapter à la situation, aux questions, aux besoins, et on sait qu’il y a plusieurs chemins pour arriver quelque part. C’est la même chose dans nos déplacements : quand on ne connaît pas une ville, on prend toujours le même itinéraire – mais quand on connait bien la ville, on sait qu’il existe plusieurs chemins pour arriver au même endroit.

Dieu est un expert en sagesse et en puissance, et comme tous les experts, il maîtrise le sujet de ce qui est juste et bon : il a un plan A, mais il peut aussi passer à un plan B, ou C, ou D, selon la situation, tout en atteignant ses objectifs !  Il y a donc de la place pour notre prière, pour nos demandes, nos intercessions, nos questions…

Nous pouvons demander à Dieu, l’implorer, pour qu’il révèle sa grâce puissante dans notre vie et celle des autres – en nous appuyant sur ce qu’il est et sur ce qu’il a fait : en Christ, nous avons une base bien plus solide encore que l’expérience du peuple d’Israël. En Christ, Dieu lui-même est devenu un homme, il a lui-même porté dans son corps et son identité son engagement envers nous, son engagement à accomplir la justice et à révéler sa grâce. Bien plus, il donne son Esprit à ceux qui lui font confiance : Dieu s’engage de tout son être – prenons au sérieux ses promesses !




A l’écoute de Dieu

Se mettre à l’écoute de Dieu est un vrai défi ! Toute notre vie, cela demande de la finesse de chercher la bonne longueur d’onde pour capter pleinement ce que Dieu dit – comme avec les vieux autoradios, où il fallait jouer avec le bouton pour trouver la station radio sans grésillement ni coupure / le pire c’était quand le son de deux radios se superposait, quand on avait l’annonce info d’une radio sur la musique de l’autre…

Quel est l’enjeu de bien entendre ce que Dieu dit ? Lapalissade : éviter les mal-entendus. Lorsqu’on va à Dieu pour recevoir une réponse, notre mauvaise compréhension peut entraîner des culpabilités, de l’anxiété, ou au contraire de l’obstination, de la rébellion – terrible si ça découle d’un malentendu ! Lorsqu’on veut servir, trouver notre rôle dans ce monde, et qu’on reçoit de Dieu un appel ou une mission, le malentendu peut nous entraîner dans des impasses, dont Dieu nous sortira sûrement, mais cela nous aura coûté. Et la plupart du temps, nos malentendus débouchent sur des décisions, des interactions, des actions qui influencent notre vie ou celle des autres.



Je vous propose de voir ensemble un exemple, dans la vie de Moïse, grand prophète de Dieu, pour nous aider à repérer certains mécanismes qui nous empêchent de bien capter ce que Dieu veut nous transmettre. Nous sommes dans un contexte où Moïse, avec son frère Aaron, a conduit le peuple d’Israël hors d’Egypte, il y a presque 40 ans, pour aller vers la terre promise, de l’autre côté du désert. Assez vite après la sortie d’Egypte, le peuple remet en cause ce que Dieu fait, il se plaint, il se rebelle… à répétition ! Alors Dieu décide que le peuple errera 40 ans dans le désert avant d’entrer en terre promise – le temps que passe cette génération qui a vu tant de miracles mais qui s’est tant obstinée. Ce sont leurs héritiers qui entreront dans le pays promis. Le texte d’aujourd’hui nous emmène au début de la quarantième année d’errance, après bien des péripéties qui ont confirmé que le peuple a du mal à faire confiance à Dieu et à le suivre.

Lecture biblique : Nombres 20.1-13

1 Les Israélites, toute la communauté, arrivèrent dans le désert de Tsîn le premier mois, et le peuple s’installa à Qadesh.

C’est là que Miriam mourut et fut ensevelie.

Miriam, c’est la sœur de Moïse et Aaron, les deux responsables du peuple. Cela fait presque 40 ans qu’ils sont sortis d’Egypte, et ils n’étaient déjà pas jeunes à l’époque. Donc son décès n’est pas une surprise, d’autant que Dieu avait prévenu que l’ancienne génération ne rentrerait pas dans le pays promis.

2 Il n’y avait pas d’eau pour la communauté ; ils se rassemblèrent contre Moïse et Aaron. 3 Le peuple chercha querelle à Moïse. Ils dirent :

« Si seulement nous avions péri quand nos frères ont péri devant le SEIGNEUR ! 4 Pourquoi avez-vous amené l’assemblée du SEIGNEUR dans ce désert, si nous devons y mourir, nous et notre bétail ? 5 Pourquoi nous avez-vous fait monter d’Egypte, si c’était pour nous amener dans ce lieu hostile ? Ce n’est pas un lieu où l’on puisse semer ; il n’y a ni figuier, ni vigne, ni grenadier, il n’y a même pas d’eau à boire. »

Evidemment, manquer d’eau dans le désert, c’est une situation désespérante. C’est normal d’avoir peur ! On peut concevoir aussi la déception face à ce désert stérile, aux antipodes des promesses d’une terre prospère.

Cela étant, cette situation n’est pas nouvelle… Dès la sortie d’Egypte, le peuple dans le désert rencontre des problèmes d’eau, et se plaint : à chaque fois, Dieu répond et fait un miracle (il assainit une eau non potable Exode 15, ou, à Massa Exode 17, il demande à Moïse de frapper un rocher pour en faire jaillir de l’eau – qui abreuve toute la communauté). Cela fait 40 ans que Dieu pourvoit en eau, en viande (cailles), en nourriture de base (manne). Jamais il ne les a laissés tomber ! Et le peuple panique encore ? Et le peuple se plaint ?  

6 Moïse et Aaron s’éloignèrent de l’assemblée pour aller à l’entrée de la tente de la Rencontre. Ils tombèrent face contre terre, et la gloire du SEIGNEUR leur apparut.

7 Le SEIGNEUR dit à Moïse : 

« 8 Prends le bâton et rassemble la communauté, toi et Aaron, ton frère. Vous parlerez au rocher, sous leurs yeux, et il donnera son eau ; tu feras sortir pour eux de l’eau du rocher et tu feras boire la communauté et son bétail. » 

Bon réflexe de Moïse et Aaron : ils ne rentrent pas dans le débat, mais ils se tournent vers Dieu, le seul à pouvoir changer cette situation.

Et Dieu répond. Mais avant cela, il montre sa gloire à Moïse et Aaron. Avant de parler stratégie, il entre en face-à-face avec ces responsables qui sont à nouveau chahutés, pris à parti, comme s’il prenait le temps de les fortifier avant de leur donner une mission.

Comme les fois précédentes, Dieu va montrer sa puissance et subvenir aux besoins.

Le bâton que Moïse doit prendre, c’est le bâton d’Aaron par lequel Dieu a déjà réalisé bien des miracles – c’est comme un rappel concret de la fidélité de Dieu, la preuve visible que Dieu a agi et continue d’agir.

9 Moïse prit le bâton qui était devant le SEIGNEUR, comme celui-ci le lui avait ordonné. 10 Moïse et Aaron réunirent l’assemblée en face du rocher. Moïse leur dit : « Ecoutez, je vous prie, rebelles ! Est-ce de ce rocher que nous ferons sortir de l’eau pour vous ? »

11 Puis Moïse leva la main et frappa deux fois le rocher avec son bâton. Il en sortit de l’eau en abondance. La communauté but, et son bétail aussi.

Voilà, miracle accompli !

Mais le texte attire notre attention sur la façon dont Moïse accomplit sa mission : il prend le bâton, comme Dieu a demandé – parfait ! Puis, il ajoute deux étapes : il exprime son agacement au peuple, et il frappe le rocher avec le bâton avant que l’eau n’en sorte.

12 Alors le SEIGNEUR dit à Moïse et à Aaron : « Parce que vous n’avez pas eu assez de foi en moi pour montrer ma sainteté sous les yeux des Israélites, vous ne ferez pas entrer cette assemblée dans le pays que je lui donne. »

13 Ce sont là les eaux de Meriba (« Querelle ») où les Israélites cherchèrent querelle au SEIGNEUR, qui montra sa sainteté parmi eux.

Ce lieu prend le surnom de Meriba, lieu de querelle, comme quarante ans plus tôt, à Rephidim (Exode 17), où Moïse a aussi répondu aux querelles du peuple en faisant sortir l’eau du rocher, accomplissant le miracle de Dieu. Deux villes différentes, quarante ans d’écart, mais la même difficulté du peuple à confiance à Dieu.

Ce qui attire évidemment notre attention, c’est le jugement que Dieu porte sur Moïse et Aaron au v.12 : vous avez manqué de foi, vous n’avez pas montré ma sainteté, vous n’entrerez pas dans le pays promis.

Ce jugement paraît dur ! Moïse a commis une erreur, c’est tout ! En plus il vient de perdre sa sœur, il est âgé : on peut comprendre, quand même, non ? Où est le Dieu plein de compassion et de grâce ?

C’est vrai que le jugement paraît dur, mais en fait, Dieu n’a rien ajouté à ce qu’il avait déjà décidé : je vous l’ai dit en introduction, ça fait des décennies que Dieu a dit que cette génération ne rentrerait pas dans le pays promis (Nombres 13-14). Il ne fait que confirmer sa sanction, face à un manque de foi qui s’est confirmé. Si son jugement est plus marqué envers Moïse et Aaron, responsables de conduire le peuple, c’est justement parce qu’ils sont responsables : l’exigence de Dieu est plus forte !

En quoi Moïse et Aaron n’ont-ils pas montré la sainteté de Dieu ? Dieu n’apporte pas de précision : est-ce la colère de Moïse lorsqu’il répond au peuple ? l’usage du bâton pour frapper le rocher, en démonstration de colère ou alors de puissance, comme si bâton était magique ? Est-ce le fait d’avoir reproduit le miracle de Rephidim (Ex 17) en pilotage automatique (rocher + bâton = frapper le rocher) ? Ou un peu de tout ?

Ce qui m’interpelle en tout cas, c’est que Moïse, malgré sa proximité avec Dieu, sa sagesse, son désir de mettre Dieu au premier plan, et puis toute son expérience de vie avec le Seigneur – tous ces défis relevés ensemble, tous ces miracles, toutes les promesses réalisées par Dieu – même Moïse peut entendre de travers.

Peu importe comment on analyse sa réaction, Moïse a confondu ce que Dieu demandait et ce que lui-même pensait (colère, frustration, mémoire de ce qui s’était passé à Rephidim). Son exemple nous invite ainsi à la vigilance lorsque nous cherchons à écouter Dieu. Sans même parler du péché, nos émotions, notre expérience, notre éducation, nos habitudes culturelles/ cultuelles, ce que nous avons appris (toutes ces choses qui sont neutres en soi), peuvent venir déformer notre perception de ce que Dieu dit, et du coup orienter de travers nos choix, nos paroles, nos actions.

Alors tout ce bagage que nous portons est difficile à repérer, parce qu’il fait partie de nous, il forme un lot d’évidences que nous calquons sur ce que nous percevons, comme des lunettes de soleil qui modifient légèrement la couleur de ce que nous regardons.

Cette prise de conscience doit nous inviter au minimum à l’humilité et à la prudence : si même Moïse, après avoir vu la gloire de Dieu, peut se tromper, alors nous… humilité & prudence lorsque nous interprétons un passage biblique, lorsque nous répondons à quelqu’un, lorsque nous donnons un conseil. C’est dangereux quand on croit qu’on « sait » : parce qu’on maîtrise ce qu’on vient d’apprendre, on s’imagine parfois avoir tout compris ! parce que nous avons expérimenté telle réponse de Dieu, nous pensons avoir trouvé LA solution à tout !

Au-delà de cette attitude d’humilité et de prudence (qui n’empêche pas la conviction !), Dieu invite à méditer régulièrement les Ecritures, à y revenir sans cesse pour déboulonner peu à peu nos préjugés. Dieu ne nous parle pas que par les Ecritures, parfois par une conviction intérieure, par une image, par une parole percutante, prophétique, venue d’un autre, mais les Ecritures bibliques sont la base et le cadre de ce qu’il nous révèle. Revenir à l’étude de la Bible, peu importe le contexte, en cherchant à écouter aujourd’hui ce que le texte dit, c’est une discipline qui aiguise notre audition spirituelle pour entendre Dieu avec plus de finesse. Je remarque ces dernières années combien les textes que j’étudie me surprennent, même ceux que j’ai déjà lus 10, 20, 30 fois – à condition de prendre le temps de me laisser surprendre (ce qui est un défi). C’est vrai quand on étudie la Bible pour apprendre, c’est encore plus vrai lorsqu’on étudie pour transmettre à son tour : aux enfants, dans les groupes de partage, pour une méditation, en présidence, en prédications… dans ces cas-là, on creuse davantage, et on apprend autant ou plus qu’on ne transmet !

L’exemple de Moïse nous invite donc à la prudence, à la vigilance, et à faire l’effort d’écouter ce que Dieu dit aujourd’hui.

En même temps, cette prudence ne doit pas nous paralyser : Dieu a accompli son miracle malgré les maladresses et les débordements de Moïse, montrant ainsi sa grâce malgré notre péché. Bien plus tard, le Christ montre cette grâce en promettant la vie de Dieu malgré nos péchés, nos incrédulités, nos erreurs et nos fautes, si nous plaçons notre confiance en lui. Mais justement, que cette grâce ne soit pas un laissez-passer pour recevoir le message de Dieu avec désinvolture, mais plutôt l’invitation à entendre plus finement la voix de ce Dieu qui nous aime et qui nous invite à la vie.