Négociations avec Dieu (1/5) S’approprier la justice de Dieu

Pour ce mois de juillet, je vous propose une série de négocia… euh, de prédications sur la prière. Mais c’est vrai que parfois, quand on a du mal à accepter ce Dieu propose, la prière peut ressembler à une négociation. Cela peut concerner notre vie personnelle, une situation collective ou même des valeurs, des principes divins qui nous paraissent difficiles à accepter. Et je parle de négociation parce que dans ces cas-là, ce n’est pas juste un croyant qui demande et puis Dieu répond (ou pas) : c’est une conversation qui peut durer longtemps, dans laquelle on a l’impression de voir deux volontés se heurter, s’entrechoquer et éventuellement lutter.

Je commence cette série avec la prière d’Abraham en faveur des villes de Sodome & Gomorrhe : un texte emblématique de prière-négociation.



Un mot de contexte : la discussion a lieu entre Abraham et Dieu. Dieu a choisi, re-choisi, re-re-choisi Abraham pour être l’ancêtre d’un peuple nombreux, béni et source de bénédiction. Il vient d’apparaître, avec deux compagnons, sous forme humaine, à Abraham et sa femme Sarah, pour leur confirmer la naissance d’un héritier longuement attendu. Ils ont mangé un bon repas, et Abraham raccompagne maintenant ses invités.

Lecture biblique : Genèse 18.16-33

16 Les hommes se mirent en route et regardèrent en direction de Sodome. Abraham marchait avec eux pour les reconduire. 

17 Le Seigneur se dit : « Je ne veux pas cacher à Abraham ce que je vais faire. 18 Il doit devenir l’ancêtre d’un peuple grand et puissant. À travers lui, seront bénis tous les peuples de la terre. 19 J’ai voulu le connaître pour qu’il ordonne à ses fils et à ses descendants d’observer mes commandements, en agissant selon le droit et la justice. Ainsi le Seigneur accordera à Abraham ce qu’il lui a promis. » 

Première chose étonnante : c’est Dieu qui prend l’initiative de la discussion, alors que bien souvent nous avons l’impression que c’est nous qui l’interpelons. Prenons la mesure de cette initiative : Dieu ne veut pas cacher ses plans à Abraham, parce que c’est quelqu’un d’important. Enfin quand même, ce n’est qu’un homme ! Et pourtant, Dieu l’intègre à sa réflexion, à ses projets. Quelle estime !

Je trouve qu’on est souvent partagés entre deux pôles : Dieu est grand, fort, sage, Dieu décide, et nous n’avons qu’à obéir – mais de l’autre côté, nous avons des idéaux, des valeurs, des rêves, des projets, et nous souffrons lorsque nous devons les faire taire.

L’initiative de Dieu nous invite à sortir de cette polarité : Dieu donne à Abraham, Dieu nous donne, le privilège (que nous ne méritons pas) d’entrer en dialogue, d’échanger, de réfléchir avec lui. Pas parce qu’il a besoin de nous, mais parce qu’il choisit de nous associer à ses projets de bénédiction en faisant de nous ses partenaires. La semaine dernière, nous avions un culte consacré au SEL, une organisation humanitaire chrétienne qui développe des projets dans différents pays avec des partenaires locaux. On pourrait dire que Dieu fait de nous ses partenaires locaux pour bénir ici et là le monde : nous sommes bénéficiaires de sa bénédiction, oui, et aussi partenaires de sa bénédiction.

20 Le Seigneur dit alors à Abraham : « Les cris contre les populations de Sodome et Gomorrhe sont montés jusqu’à moi, leurs péchés sont énormes. 21 Je vais descendre pour vérifier s’ils ont fait tout ce dont on les accuse auprès de moi : alors, je saurai ! »

Quand on parle de jugement, parfois on imagine Dieu comme un juge dur, cassant, aux décisions tranchantes presque inhumaines. Rien à voir avec la démarche que Dieu montre ici : d’une part, Dieu se met en mouvement par compassion, à cause des cris de souffrance et des plaintes qui sont montés jusqu’à lui – donc au nom de la souffrance des victimes. D’autre part, alors que Dieu sait tout et voit tout, il prend le temps de mener l’enquête (il descend pour vérifier) – Dieu ne vient peut-être à chaque fois se balader sous forme humaine pour vérifier, mais cela montre que ses décisions ne sont pas précipitées : Dieu prend le temps d’analyser la situation pour trouver la meilleure solution.

Après toutes ces remarques, venons-en à la discussion entre Dieu et Abraham :

22 Deux des visiteurs quittèrent cet endroit et se dirigèrent vers Sodome, tandis que le Seigneur restait avec Abraham. 

23 Abraham se rapprocha et dit : « Seigneur, vas-tu vraiment faire périr ensemble l’innocent et le coupable ? 24 Il y a peut-être cinquante justes à Sodome. Vas-tu quand même détruire cette ville ? Ne veux-tu pas lui pardonner à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? 25 Loin de toi cela : tu ne peux pas agir ainsi ! Tu ne feras pas mourir l’innocent avec le coupable, de sorte que l’innocent ait le même sort que le coupable. Il n’est pas possible que le juge de toute la terre ne respecte pas la justice. » 

26 Le Seigneur répondit : « Si je trouve à Sodome cinquante justes, je pardonnerai à toute la ville à cause d’eux. »

27 Abraham reprit : « Excuse-moi d’oser te parler, Seigneur, moi qui ne suis qu’un peu de poussière et de cendre. 28 Au lieu des cinquante justes, il n’y en aura peut-être que quarante-cinq. Pour les cinq qui manquent détruiras-tu toute la ville ? »

Dieu dit : « Je ne la détruirai pas si j’y trouve quarante-cinq justes. »

29 Abraham insista : « On n’en trouvera peut-être que quarante. »

– « Je n’interviendrai pas à cause des quarante », déclara Dieu.

30 Abraham dit alors : « Je t’en prie, Seigneur, ne te fâche pas si je parle encore. On n’en trouvera peut-être que trente. »

– « Je n’interviendrai pas si je trouve trente justes dans la ville », répondit Dieu.

31 Abraham dit : « Seigneur, excuse mon audace. On n’en trouvera peut-être que vingt. »

 – « Je ne détruirai pas la ville à cause de ces vingt », répondit Dieu.

32 Alors Abraham dit : « Je t’en prie, Seigneur, ne te fâche pas. C’est la dernière fois que je parle. On n’en trouvera peut-être que dix. »

– « Je ne détruirai pas la ville à cause de ces dix », dit Dieu.

33 Lorsqu’il eut achevé de parler avec Abraham, le Seigneur s’en alla et Abraham retourna chez lui.

Un marchandage

Franchement, on a l’impression d’être au marché ! En plein marchandage : « et la ville, tu me la sauves à combien ? à combien de justes ? » Abraham commence à -50% (période de soldes oblige). En effet, d’après les spécialistes, la taille moyenne d’une ville antique, c’est 100 personnes : donc 50 justes sur 100, est-ce que la moitié suffit pour sauver le tout ? ensuite, il baisse encore de 5 (45) puis il baisse de dizaine en dizaine.

Tout au long de la conversation, il y a ce suspense : à quel nombre Dieu va-t-il mettre la limite ? jusqu’où est-il prêt à descendre ? la négociation se termine à 10% de justes, mais Dieu n’a pas l’air de s’impatienter, peut-être aurait-il pu descendre un peu plus ?

Zoom sur Sodome & Gomorrhe 

Alors il faut qu’on parle de ces villes, Sodome et Gomorrhe. Elles sont mentionnées au chapitre 13, l’équivalent de quelques années avant notre passage :

Genèse 13. 12 Abram resta dans le pays de Canaan. Loth [son neveu] campa près des villes de la région du Jourdain et alla planter ses tentes jusqu’à Sodome. 13 Les habitants de cette ville étaient méchants et offensaient gravement le Seigneur.

Gomorrhe est une ville voisine, qui a manifestement le même fonctionnement.

Très souvent, on a associé ces villes à l’homosexualité, alors que le texte est beaucoup plus large : il parle de péché, d’injustice, et, au début de la conversation entre Dieu et Abraham, de cris de souffrances, ce qui suggère des abus nombreux.

La suite nous éclaire aussi (Genèse 19). Après la séparation d’Abraham et Dieu, Dieu et ses compagnons vont effectivement visiter Sodome, en logeant chez Loth, le neveu d’Abraham. Pendant qu’ils logent chez eux, les habitants de la ville viennent exiger que Loth leur livre ses invités pour une orgie. Loth décide de protéger ses invités (devoir d’hospitalité sacro-saint au Moyen-Orient) et il leur livre ses propres filles.

Ce qui ressort de cet épisode, c’est la sexualité débridée des habitants de Sodome et Gomorrhe qui consomment les hommes comme les femmes, leur violence, leur manque total de respect pour l’hospitalité, etc. Même quand vous êtes sous un toit, vous êtes à la merci de ces prédateurs. Donc une ville marquée par l’insécurité, la violence, la débauche, où personne n’est à l’abri.

Une ville tellement injuste que Dieu n’y trouvera pas même 10% de gens bien, et qu’il prendra la décision de détruire la ville. Comparons avec une voiture accidentée : si les dommages ne sont pas trop importants, vous pouvez la faire réparer, ou remplacer quelques pièces. Mais si les dommages sont trop étendus, le garagiste vous conseillera d’arrêter les frais, éventuellement il récupèrera quelques pièces saines.

Pour Sodome, c’est un peu pareil : la ville est tellement gangrénée, tellement déformée et dysfonctionnelle que Dieu prend la décision d’arrêter les frais, et d’extraire les quelques parties saines.

Quand Abraham s’approprie la justice de Dieu

Revenons en arrière, à l’étape de la négociation en amont. L’argument de base sur lequel Abraham s’appuie pour négocier, c’est la justice de Dieu. Au nom de sa justice, comment pourrait-il détruire une ville entière avec des personnes qui ne le méritent pas ? Au passage, on voit ici qu’Abraham sait très bien à qui il a affaire…

La souffrance et la mort des innocents, c’est un des plus grands scandales pour l’être humain, et c’est souvent la base d’une révolte contre Dieu : comment a-t-il pu permettre que ?… On accepte assez bien que le coupable soit stoppé, puni, mais que l’innocent se retrouve pris dans ce jugement ?! c’est trop injuste !

Sans entrer en profondeur dans cette question il faut noter la différence entre la situation de Sodome, où Dieu exerce explicitement un jugement, et les catastrophes qui ont lieu régulièrement et qui ne sont pas toujours des jugements de la part de Dieu : les guerres, les famines, et même les catastrophes écologiques, sont souvent les conséquences de la folie humaine et de ses abus, dont les conséquences retombent sur les innocents.

          Abraham renvoie Dieu à son identité : tu ne peux pas faire ça, ce n’est pas toi d’être injuste ! Abraham invite Dieu à la cohérence !

C’est sûrement le point clef du passage.

J’ai du mal à croire que Dieu avait oublié ses propres notions de justice et qu’il avait besoin qu’Abraham le secoue pour se ressaisir, et revenir à la justice, en considérant la place des innocents. Je crois plutôt que ce dialogue est un petit test : Dieu pose l’intitulé du problème devant Abraham, sans lui dire ce qu’il va faire, comme pour voir comment Abraham va réagir, lui qui sera mandaté pour vivre en justice et en vérité. Un peu comme un prof qui dirait à ses élèves : « et si on a tel facteur qui s’invite dans l’équation, qu’est-ce que vous faites ?… »

Abraham aurait pu dire : « Sodome et Gomorrhe, ce sont tous des pourris. Sauve ma famille, s’il te plaît, mais les autres, bon débarras ! » Est-ce qu’on n’est pas un peu comme ça, parfois, par rapport à notre société ? « Tous pourris ! (sauf nous) »

Mais Abraham cherche les étincelles de droiture, de pureté, dans ces villes gangrénées, et il se bat pour elles. Il se bat, dans la prière, pour les innocents, au nom de la justice de Dieu ! Abraham s’est tellement approprié la mentalité de Dieu, sa justice et sa compassion, qu’il est prêt à se battre, dans la prière, pour que cette justice se réalise.

Par six fois, six fois, Abraham prend la parole – et à chaque fois Dieu valide, pas parce qu’Abraham a été plus convaincant, mais comme pour approuver Abraham: il a développé un sens de la justice satisfaisant aux yeux de Dieu.

Lorsque nous sommes choqués par ce qui nous environne, quelle est notre prière ? 

Cette négociation autour du nombre de justes à Sodome et Gomorrhe annonce discrètement l’Evangile : notre monde est gangréné par le mal, et l’apôtre Paul reprend cette phrase du psaume 14 : il n’y a pas de juste, pas même un seul (Romains 3.21). Même nous, nous sommes rongés par cette gangrène. Il y a d’ailleurs certains mouvements écologistes, sensibles aux nombreux abus commis par l’humanité, qui se disent qu’il vaudrait mieux que l’humanité disparaisse.

Et pourtant, face à un monde gangréné, Dieu n’a pas fait ce choix. Puisqu’il n’y avait pas de juste, pas même un seul, qui puisse justifier de garder ce monde, Dieu est venu lui-même habiter notre monde, en humain : Jésus-Christ, pour devenir le juste qui justifierait notre salut. Il va bien au-delà : dans sa mort, Jésus paye pour l’injustice de l’humanité, et comme il lui restait encore des réserves infinies de justice et de pureté, il revêt ceux qui lui font confiance de sa sainteté.

Par la foi, nous entrons au bénéfice de la grâce du Christ, injustes revêtus de sa sainteté, bénéficiaires de sa bénédiction et appelés à être partenaires là où nous sommes de ses projets de paix.