Négociations avec Dieu (1/5) S’approprier la justice de Dieu

Pour ce mois de juillet, je vous propose une série de négocia… euh, de prédications sur la prière. Mais c’est vrai que parfois, quand on a du mal à accepter ce Dieu propose, la prière peut ressembler à une négociation. Cela peut concerner notre vie personnelle, une situation collective ou même des valeurs, des principes divins qui nous paraissent difficiles à accepter. Et je parle de négociation parce que dans ces cas-là, ce n’est pas juste un croyant qui demande et puis Dieu répond (ou pas) : c’est une conversation qui peut durer longtemps, dans laquelle on a l’impression de voir deux volontés se heurter, s’entrechoquer et éventuellement lutter.

Je commence cette série avec la prière d’Abraham en faveur des villes de Sodome & Gomorrhe : un texte emblématique de prière-négociation.



Un mot de contexte : la discussion a lieu entre Abraham et Dieu. Dieu a choisi, re-choisi, re-re-choisi Abraham pour être l’ancêtre d’un peuple nombreux, béni et source de bénédiction. Il vient d’apparaître, avec deux compagnons, sous forme humaine, à Abraham et sa femme Sarah, pour leur confirmer la naissance d’un héritier longuement attendu. Ils ont mangé un bon repas, et Abraham raccompagne maintenant ses invités.

Lecture biblique : Genèse 18.16-33

16 Les hommes se mirent en route et regardèrent en direction de Sodome. Abraham marchait avec eux pour les reconduire. 

17 Le Seigneur se dit : « Je ne veux pas cacher à Abraham ce que je vais faire. 18 Il doit devenir l’ancêtre d’un peuple grand et puissant. À travers lui, seront bénis tous les peuples de la terre. 19 J’ai voulu le connaître pour qu’il ordonne à ses fils et à ses descendants d’observer mes commandements, en agissant selon le droit et la justice. Ainsi le Seigneur accordera à Abraham ce qu’il lui a promis. » 

Première chose étonnante : c’est Dieu qui prend l’initiative de la discussion, alors que bien souvent nous avons l’impression que c’est nous qui l’interpelons. Prenons la mesure de cette initiative : Dieu ne veut pas cacher ses plans à Abraham, parce que c’est quelqu’un d’important. Enfin quand même, ce n’est qu’un homme ! Et pourtant, Dieu l’intègre à sa réflexion, à ses projets. Quelle estime !

Je trouve qu’on est souvent partagés entre deux pôles : Dieu est grand, fort, sage, Dieu décide, et nous n’avons qu’à obéir – mais de l’autre côté, nous avons des idéaux, des valeurs, des rêves, des projets, et nous souffrons lorsque nous devons les faire taire.

L’initiative de Dieu nous invite à sortir de cette polarité : Dieu donne à Abraham, Dieu nous donne, le privilège (que nous ne méritons pas) d’entrer en dialogue, d’échanger, de réfléchir avec lui. Pas parce qu’il a besoin de nous, mais parce qu’il choisit de nous associer à ses projets de bénédiction en faisant de nous ses partenaires. La semaine dernière, nous avions un culte consacré au SEL, une organisation humanitaire chrétienne qui développe des projets dans différents pays avec des partenaires locaux. On pourrait dire que Dieu fait de nous ses partenaires locaux pour bénir ici et là le monde : nous sommes bénéficiaires de sa bénédiction, oui, et aussi partenaires de sa bénédiction.

20 Le Seigneur dit alors à Abraham : « Les cris contre les populations de Sodome et Gomorrhe sont montés jusqu’à moi, leurs péchés sont énormes. 21 Je vais descendre pour vérifier s’ils ont fait tout ce dont on les accuse auprès de moi : alors, je saurai ! »

Quand on parle de jugement, parfois on imagine Dieu comme un juge dur, cassant, aux décisions tranchantes presque inhumaines. Rien à voir avec la démarche que Dieu montre ici : d’une part, Dieu se met en mouvement par compassion, à cause des cris de souffrance et des plaintes qui sont montés jusqu’à lui – donc au nom de la souffrance des victimes. D’autre part, alors que Dieu sait tout et voit tout, il prend le temps de mener l’enquête (il descend pour vérifier) – Dieu ne vient peut-être à chaque fois se balader sous forme humaine pour vérifier, mais cela montre que ses décisions ne sont pas précipitées : Dieu prend le temps d’analyser la situation pour trouver la meilleure solution.

Après toutes ces remarques, venons-en à la discussion entre Dieu et Abraham :

22 Deux des visiteurs quittèrent cet endroit et se dirigèrent vers Sodome, tandis que le Seigneur restait avec Abraham. 

23 Abraham se rapprocha et dit : « Seigneur, vas-tu vraiment faire périr ensemble l’innocent et le coupable ? 24 Il y a peut-être cinquante justes à Sodome. Vas-tu quand même détruire cette ville ? Ne veux-tu pas lui pardonner à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? 25 Loin de toi cela : tu ne peux pas agir ainsi ! Tu ne feras pas mourir l’innocent avec le coupable, de sorte que l’innocent ait le même sort que le coupable. Il n’est pas possible que le juge de toute la terre ne respecte pas la justice. » 

26 Le Seigneur répondit : « Si je trouve à Sodome cinquante justes, je pardonnerai à toute la ville à cause d’eux. »

27 Abraham reprit : « Excuse-moi d’oser te parler, Seigneur, moi qui ne suis qu’un peu de poussière et de cendre. 28 Au lieu des cinquante justes, il n’y en aura peut-être que quarante-cinq. Pour les cinq qui manquent détruiras-tu toute la ville ? »

Dieu dit : « Je ne la détruirai pas si j’y trouve quarante-cinq justes. »

29 Abraham insista : « On n’en trouvera peut-être que quarante. »

– « Je n’interviendrai pas à cause des quarante », déclara Dieu.

30 Abraham dit alors : « Je t’en prie, Seigneur, ne te fâche pas si je parle encore. On n’en trouvera peut-être que trente. »

– « Je n’interviendrai pas si je trouve trente justes dans la ville », répondit Dieu.

31 Abraham dit : « Seigneur, excuse mon audace. On n’en trouvera peut-être que vingt. »

 – « Je ne détruirai pas la ville à cause de ces vingt », répondit Dieu.

32 Alors Abraham dit : « Je t’en prie, Seigneur, ne te fâche pas. C’est la dernière fois que je parle. On n’en trouvera peut-être que dix. »

– « Je ne détruirai pas la ville à cause de ces dix », dit Dieu.

33 Lorsqu’il eut achevé de parler avec Abraham, le Seigneur s’en alla et Abraham retourna chez lui.

Un marchandage

Franchement, on a l’impression d’être au marché ! En plein marchandage : « et la ville, tu me la sauves à combien ? à combien de justes ? » Abraham commence à -50% (période de soldes oblige). En effet, d’après les spécialistes, la taille moyenne d’une ville antique, c’est 100 personnes : donc 50 justes sur 100, est-ce que la moitié suffit pour sauver le tout ? ensuite, il baisse encore de 5 (45) puis il baisse de dizaine en dizaine.

Tout au long de la conversation, il y a ce suspense : à quel nombre Dieu va-t-il mettre la limite ? jusqu’où est-il prêt à descendre ? la négociation se termine à 10% de justes, mais Dieu n’a pas l’air de s’impatienter, peut-être aurait-il pu descendre un peu plus ?

Zoom sur Sodome & Gomorrhe 

Alors il faut qu’on parle de ces villes, Sodome et Gomorrhe. Elles sont mentionnées au chapitre 13, l’équivalent de quelques années avant notre passage :

Genèse 13. 12 Abram resta dans le pays de Canaan. Loth [son neveu] campa près des villes de la région du Jourdain et alla planter ses tentes jusqu’à Sodome. 13 Les habitants de cette ville étaient méchants et offensaient gravement le Seigneur.

Gomorrhe est une ville voisine, qui a manifestement le même fonctionnement.

Très souvent, on a associé ces villes à l’homosexualité, alors que le texte est beaucoup plus large : il parle de péché, d’injustice, et, au début de la conversation entre Dieu et Abraham, de cris de souffrances, ce qui suggère des abus nombreux.

La suite nous éclaire aussi (Genèse 19). Après la séparation d’Abraham et Dieu, Dieu et ses compagnons vont effectivement visiter Sodome, en logeant chez Loth, le neveu d’Abraham. Pendant qu’ils logent chez eux, les habitants de la ville viennent exiger que Loth leur livre ses invités pour une orgie. Loth décide de protéger ses invités (devoir d’hospitalité sacro-saint au Moyen-Orient) et il leur livre ses propres filles.

Ce qui ressort de cet épisode, c’est la sexualité débridée des habitants de Sodome et Gomorrhe qui consomment les hommes comme les femmes, leur violence, leur manque total de respect pour l’hospitalité, etc. Même quand vous êtes sous un toit, vous êtes à la merci de ces prédateurs. Donc une ville marquée par l’insécurité, la violence, la débauche, où personne n’est à l’abri.

Une ville tellement injuste que Dieu n’y trouvera pas même 10% de gens bien, et qu’il prendra la décision de détruire la ville. Comparons avec une voiture accidentée : si les dommages ne sont pas trop importants, vous pouvez la faire réparer, ou remplacer quelques pièces. Mais si les dommages sont trop étendus, le garagiste vous conseillera d’arrêter les frais, éventuellement il récupèrera quelques pièces saines.

Pour Sodome, c’est un peu pareil : la ville est tellement gangrénée, tellement déformée et dysfonctionnelle que Dieu prend la décision d’arrêter les frais, et d’extraire les quelques parties saines.

Quand Abraham s’approprie la justice de Dieu

Revenons en arrière, à l’étape de la négociation en amont. L’argument de base sur lequel Abraham s’appuie pour négocier, c’est la justice de Dieu. Au nom de sa justice, comment pourrait-il détruire une ville entière avec des personnes qui ne le méritent pas ? Au passage, on voit ici qu’Abraham sait très bien à qui il a affaire…

La souffrance et la mort des innocents, c’est un des plus grands scandales pour l’être humain, et c’est souvent la base d’une révolte contre Dieu : comment a-t-il pu permettre que ?… On accepte assez bien que le coupable soit stoppé, puni, mais que l’innocent se retrouve pris dans ce jugement ?! c’est trop injuste !

Sans entrer en profondeur dans cette question il faut noter la différence entre la situation de Sodome, où Dieu exerce explicitement un jugement, et les catastrophes qui ont lieu régulièrement et qui ne sont pas toujours des jugements de la part de Dieu : les guerres, les famines, et même les catastrophes écologiques, sont souvent les conséquences de la folie humaine et de ses abus, dont les conséquences retombent sur les innocents.

          Abraham renvoie Dieu à son identité : tu ne peux pas faire ça, ce n’est pas toi d’être injuste ! Abraham invite Dieu à la cohérence !

C’est sûrement le point clef du passage.

J’ai du mal à croire que Dieu avait oublié ses propres notions de justice et qu’il avait besoin qu’Abraham le secoue pour se ressaisir, et revenir à la justice, en considérant la place des innocents. Je crois plutôt que ce dialogue est un petit test : Dieu pose l’intitulé du problème devant Abraham, sans lui dire ce qu’il va faire, comme pour voir comment Abraham va réagir, lui qui sera mandaté pour vivre en justice et en vérité. Un peu comme un prof qui dirait à ses élèves : « et si on a tel facteur qui s’invite dans l’équation, qu’est-ce que vous faites ?… »

Abraham aurait pu dire : « Sodome et Gomorrhe, ce sont tous des pourris. Sauve ma famille, s’il te plaît, mais les autres, bon débarras ! » Est-ce qu’on n’est pas un peu comme ça, parfois, par rapport à notre société ? « Tous pourris ! (sauf nous) »

Mais Abraham cherche les étincelles de droiture, de pureté, dans ces villes gangrénées, et il se bat pour elles. Il se bat, dans la prière, pour les innocents, au nom de la justice de Dieu ! Abraham s’est tellement approprié la mentalité de Dieu, sa justice et sa compassion, qu’il est prêt à se battre, dans la prière, pour que cette justice se réalise.

Par six fois, six fois, Abraham prend la parole – et à chaque fois Dieu valide, pas parce qu’Abraham a été plus convaincant, mais comme pour approuver Abraham: il a développé un sens de la justice satisfaisant aux yeux de Dieu.

Lorsque nous sommes choqués par ce qui nous environne, quelle est notre prière ? 

Cette négociation autour du nombre de justes à Sodome et Gomorrhe annonce discrètement l’Evangile : notre monde est gangréné par le mal, et l’apôtre Paul reprend cette phrase du psaume 14 : il n’y a pas de juste, pas même un seul (Romains 3.21). Même nous, nous sommes rongés par cette gangrène. Il y a d’ailleurs certains mouvements écologistes, sensibles aux nombreux abus commis par l’humanité, qui se disent qu’il vaudrait mieux que l’humanité disparaisse.

Et pourtant, face à un monde gangréné, Dieu n’a pas fait ce choix. Puisqu’il n’y avait pas de juste, pas même un seul, qui puisse justifier de garder ce monde, Dieu est venu lui-même habiter notre monde, en humain : Jésus-Christ, pour devenir le juste qui justifierait notre salut. Il va bien au-delà : dans sa mort, Jésus paye pour l’injustice de l’humanité, et comme il lui restait encore des réserves infinies de justice et de pureté, il revêt ceux qui lui font confiance de sa sainteté.

Par la foi, nous entrons au bénéfice de la grâce du Christ, injustes revêtus de sa sainteté, bénéficiaires de sa bénédiction et appelés à être partenaires là où nous sommes de ses projets de paix.




Elie au palais d’Achab : un Dieu juste (Elie 4/4)

Depuis début juillet, nous suivons le prophète Elie… croyant fidèle à une époque où le gouvernement entraîne le peuple loin de Dieu, il s’insurge contre le roi Achab, un peu plus de 800 ans avant J.-C. Elie veut montrer que les idoles, ces dieux de substitution, sont impuissantes et inutiles. Plus que ça, par Elie, Dieu va faire des miracles impressionnants, pour montrer à tous qu’il est Dieu et qu’on peut lui faire confiance.

Pour terminer notre série sur Elie, je vous invite à aborder un autre épisode – ce n’est pas la mort d’Elie ! – où Elie et Achab croisent le fer une dernière fois. Depuis le début de la série, Elie et Achab sont face à face, parfois dans l’opposition, parfois dans la même direction (en tout cas, c’est ce que croyait le prophète). Et dans le texte d’aujourd’hui, c’est Achab qui passe au premier plan. Au niveau du contexte, depuis que nous l’avons laissé, Achab a remporté des victoires militaires importantes, qui l’ont galvanisé.

Lecture biblique: 1 Rois 21.1-16

1 Après ces événements, voici ce qui arriva : Il y avait à Jizréel un homme appelé Naboth ; il possédait dans cette ville une vigne, tout près d’un palais appartenant à Achab, roi de Samarie. 

2 Un jour, Achab dit à Naboth : « Cède-moi ta vigne, pour que je m’en fasse un jardin potager, puisqu’elle est juste à côté de mon palais ; en échange, je te donnerai une vigne meilleure, ou si tu préfères, je t’en payerai le prix. » 

3Mais Naboth lui répondit : « Je n’ai pas le droit devant le Seigneur de te céder la vigne que j’ai héritée de mes ancêtres ! »

4Achab s’en retourna chez lui, amer et furieux à cause de cette réponse de Naboth : « Je ne te céderai pas ce que j’ai hérité de mes ancêtres. » Il se coucha sur son lit, se tourna contre le mur et ne voulut plus rien manger. 

5Sa femme Jézabel vint le trouver et lui demanda : « Pourquoi es-tu de mauvaise humeur ? Pourquoi ne veux-tu rien manger ? » – 

6« J’ai parlé à Naboth, de Jizréel, répondit-il ; je lui ai dit : “Cède-moi ta vigne contre de l’argent, ou si tu préfères, je te donnerai une autre vigne en échange”, mais il m’a répondu : “Je ne te céderai pas ma vigne.” » 

7Jézabel lui dit alors : « Vraiment, tu oublies que tu es le roi d’Israël ! Relève-toi ! Mange et réjouis-toi ! C’est moi qui te donnerai la vigne de Naboth, de Jizréel. »

8Elle écrivit des lettres au nom du roi Achab, elle les marqua avec le cachet royal, et elle les fit porter aux anciens et aux autorités de la ville où habitait Naboth. 

9Dans ces lettres, elle avait écrit ceci : « Convoquez la population à une cérémonie de jeûne, et demandez à Naboth de présider cette assemblée. 

10En face de lui, placez deux vauriens, qui l’accuseront d’avoir maudit Dieu et le roi. Ensuite conduisez-le hors de la ville, et qu’on lui jette des pierres jusqu’à ce qu’il meure ! »

11Les anciens et les autorités de la ville de Naboth firent ce que Jézabel leur avait ordonné dans ses lettres. 

12Ils convoquèrent la population à une cérémonie de jeûne et ils demandèrent à Naboth de présider cette assemblée. 

13Les deux vauriens vinrent se placer en face de Naboth et ils se mirent à l’accuser devant tout le monde en disant : « Naboth a maudit Dieu et le roi ! »

On le conduisit hors de la ville, et on lui jeta des pierres jusqu’à ce qu’il meure. 

14On envoya un messager informer Jézabel que Naboth avait été exécuté et qu’il était mort. 

15Lorsque Jézabel apprit cela, elle dit à Achab : « Va prendre possession de la vigne que Naboth, de Jizréel, refusait de te vendre : il est mort ! » 

16À cette nouvelle, Achab se rendit à la vigne de Naboth et il en prit possession.

« Alors là, c’est le monde à l’envers ! » Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? Combien de fois l’avons-nous prononcée ? Devant tant de scandales quotidiens, on se demande parfois s’il y a une justice en ce bas monde ! Indignés et impuissants, nous cherchons pourquoi tant d’hommes sont méprisés, oubliés, bafoués… et nous levons les yeux au ciel, dans l’attente que Dieu fasse enfin cesser les crimes que certains commettent sans scrupules…

Au sein d’une société décalée, pétrie d’inégalité et de violence, nos propres vies sont marquées par cette injustice. Tour à tour Naboth et Achab, l’injustice que nous subissons nous entraîne dans un cercle qui nous éloigne peu à peu de Dieu et de la justice, quand pour diverses raisons je défends mes propres intérêts, devenant sourd et aveugle à ceux qui m’entourent. Parce que l’inégalité et le mépris se cachent parfois dans la complexité de nos vies, l’histoire d’Achab et Naboth, cette histoire d’un autre temps, nous met en face de ce monde renversé et nous donne aussi la réponse de Dieu.

Commentaire sur l’épisode

Revenons d’un peu plus près à cette sombre histoire, où l’on nous décrit comment le roi Achab a obtenu le jardin qu’il désirait tant. Ce roi qui possède déjà plusieurs palais, ce roi en veut encore… Le nœud de l’intrigue vient du propriétaire de la vigne, Naboth, qui ose refuser la proposition, pourtant honnête, du roi. Naboth connait en effet la loi de Dieu, qui interdit de transmettre son patrimoine à quelqu’un d’une autre tribu, parce que chaque tribu d’Israël a son propre territoire, comme l’indique le livre des Nombres. Ce n’est pas que Naboth se cramponne à son terrain, mais il respecte la loi donnée par le Seigneur, ce qui suffit à le faire passer pour un original, en ces temps troublés où l’idolâtrie règne sur Israël depuis plusieurs générations.

Le refus de Naboth jette Achab dans la déprime. Devant cette crise, sa femme, la reine Jézabel, décide de prendre les choses en main pour résoudre la crise. Aucun scrupule ne l’arrête quand elle choisit purement et simplement d’éliminer Naboth. Elle va jusqu’à prendre l’autorité du roi pour créer un complot : en utilisant le tampon d’authenticité royale, le sceau, elle envoie de fausses lettres, et commande d’organiser un faux procès où Naboth sera faussement accusé de blasphème, ce qui lui vaudra la peine de mort. Aucun membre du gouvernement local ne réagit et tous sans exception rentrent dans cette mascarade, cette justice en trompe-l’œil. Quant au chef d’accusation, il est aussi bancal que le procès : le blasphème concerne Dieu, bien sûr, et le roi, ce qui est une nouveauté… une nouveauté qui en dit long sur l’état d’esprit de Jézabel : fille d’un roi syrien, fervente adoratrice de Baal, elle considère que le roi possède l’autorité suprême. C’est pour cela qu’elle ne comprend pas la réaction d’Achab au v. 7 : le roi a tous pouvoirs, il est au-dessus de tous : oser lui dire non, c’est un crime ! car le roi a tous les droits…

L’auteur biblique braque les projecteurs sur Achab, le roi capricieux, déprimé sur son lit. Il boude et rumine le refus de Naboth, qui revient déjà trois fois dans notre récit. Lui, le roi, a perdu goût à la vie, il est en deuil parce qu’il ne pourra pas agrandir son jardin.

Alors on hésite entre stupéfaction et indignation devant cet enfant gâté qui se laisserait presque mourir parce qu’on lui a dit NON. Et la réaction du roi nous montre que l’enjeu dépasse le simple problème de la convoitise. Bien sûr, nous savons tous que la convoitise cause en elle-même d’énormes dégâts, lorsque toute la saveur de la vie dépend de ce qu’on a ou de ce qu’on fait, de ce qu’on montre – c’est un engrenage dans le « toujours plus ». Derrière la convoitise, l’auteur biblique met aussi en valeur l’égoïsme du roi, qui ne tolère pas la résistance, qui veut qu’on lui obéisse coûte que coûte, quitte à écraser les autres.

Que nous soyons du côté des coupables ou des victimes, d’ailleurs cela varie selon les situations, nous nous demandons souvent ce que Dieu fait. Est-il seulement au courant de nos malheurs, de la crise que je traverse, que la société traverse, est-il au courant des aberrations d’un monde qui ne tourne plus rond ?…

je vais maintenant lire la suite du texte, qui rapporte l’oracle du prophète Elie, c’est-à-dire la réponse que Dieu vient donner à cette situation.

Lecture 1 Rois 21.17-29

17Alors la parole du Seigneur fut adressée au prophète Élie, de Tichebé : 

18« Rends-toi auprès d’Achab, le roi d’Israël qui réside à Samarie, lui dit-il. Il se trouve dans la vigne de Naboth, où il est allé pour en prendre possession. 

19Va lui dire : Voici ce que déclare le Seigneur : “Ainsi, tu as assassiné quelqu’un, et tu viens maintenant prendre possession de ses biens !” Puis tu ajouteras : Voici ce que déclare encore le Seigneur : “À l’endroit même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang !” »

20Élie alla porter ce message à Achab, qui lui dit : « Eh bien, mon ennemi, tu m’as retrouvé ! » – « Oui, je t’ai retrouvé, dit Élie. Et puisque tu consacres ton énergie à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur, 

21voici ce qu’il déclare : “Je vais envoyer le malheur sur toi ; je te ferai disparaître, j’exterminerai d’Israël tous les hommes de ta parenté, sans exception. 

22Je traiterai ta famille comme j’ai traité celle de Jéroboam, fils de Nebath, et celle de Bacha, fils d’Ahia, parce que tu m’as grandement offensé, et que tu as poussé le peuple d’Israël à pécher.” 

23Et, ajouta Élie, le Seigneur a aussi parlé contre Jézabel en déclarant : “Les chiens dévoreront Jézabel au pied de la muraille de Jizréel.” 

24De plus, roi Achab, tout membre de ta famille qui mourra dans la ville sera dévoré par les chiens, et celui qui mourra dans la campagne sera déchiqueté par les vautours. »

25On n’a certainement jamais vu personne consacrer autant d’énergie que le roi Achab à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur ; c’est qu’il y était poussé par sa femme Jézabel. 

26Il a agi d’une façon particulièrement abominable lorsqu’il adorait des idoles, tout comme les Amorites que le Seigneur avait chassés pour faire place au peuple d’Israël.

27Lorsque le roi Achab eut entendu le message du Seigneur, il déchira ses vêtements, en portant une étoffe grossière directement sur la peau et en jeûnant ; il gardait sur lui cette étoffe grossière même pour dormir, et il marchait à pas lents. 

28La parole du Seigneur fut adressée à Élie, de Tichebé : 

29« Regarde comment Achab s’est humilié devant moi, dit-il. Dans ces conditions, je n’enverrai pas le malheur sur sa famille pendant son règne, mais pendant celui de son fils.»

Dans un premier temps, la parole de Dieu met Achab en face de ses responsabilités. C’est Achab qui a tué Naboth, c’est lui qui a volé sa vigne, il ne pourra pas se cacher derrière Jézabel. Car même si c’est Jézabel qui a organisé le complot, c’est Achab, le roi, c’est lui qui porte la responsabilité de ce qui se fait sous son autorité. Sa passivité dans le complot renforcerait même sa culpabilité, d’autant qu’Achab sait pertinemment que Naboth est mort lorsqu’il prend possession de la vigne. Au verset 26, le narrateur nous rappelle l’origine de ces crimes : tout a commencé le jour où Achab a épousé une païenne, qui servait d’autres dieux, alors que le Seigneur, le Dieu unique, réclame l’exclusivité. En s’alliant intimement avec une païenne, en l’associant à son règne, il a commencé à s’écarter du chemin de la relation avec Dieu, à choisir d’autres dieux pour gouverner sa vie – comme les Amorites, comme les païens qui habitaient Canaan avant l’arrivée du peuple d’Israel, ces peuples dont les pratiques dégoûtaient Dieu au point qu’il avait fini par sévir.

Achab a adoré Baal, le dieu de Jézabel, mais aussi des idoles sans statue : la réussite politique, que permettait l’alliance avec le roi syrien, la réussite avec son luxe et son pouvoir, la réputation d’être un grand roi. Ces désirs de femme, d’autorité, de terres l’ont conduit Achab à violer les règles de base que Dieu avait données. Il s’est pris pour le seul maître, et en a oublié les autres : Dieu… et son prochain. Le prophète démasque les vraies racines du scandale : il y a un lien étroit entre idolâtrie et crimes sociaux. Oublier Dieu conduit à oublier les autres.

Le meurtre de Naboth représente l’apogée des crimes d’Achab, qui laisse tout pouvoir à une païenne, pour commettre un assassinat à cause d’un caprice. Ce méfait déclenche la condamnation, symétrique au mal commis. La mort de Naboth conduira à la mort de son assassin, avec une correspondance exacte. Jézabel reçoit aussi le châtiment qu’elle mérite pour avoir organisé le complot. Par ailleurs, Achab a oublié d’où il tirait son pouvoir comme il a oublié son rôle : se prenant pour son propre maître, il opprime le peuple au lieu d’en prendre soin. Dieu enlève donc à Achab et à sa famille le pouvoir de régner, puisqu’ils n’en ont pas été dignes. La justice existe, que nous l’attendions avec soulagement ou que nous la craignions. La justice existe, et Dieu y veille.

À l’annonce de ces châtiments, Achab prend le deuil. Même s’il lui ressemble, ce n’est plus le deuil capricieux que nous avons vu tout à l’heure : c’est la prise de conscience d’une vie menée de travers. Et devant sa repentance, Dieu maintient le châtiment, car justice doit être faite, mais il fait grâce à Achab en atténuant sa peine. Cela paraît dur par rapport à son fils, qui écope de la peine, mais en réalité il était déjà concerné (puisque la dynastie allait disparaître) et puis, de lui-même, il ne fera pas mieux que son père, et il méritera amplement la peine encourue.

Dans notre histoire, Achab avait un but : posséder un jardin de plus. Quand Dieu prend la parole, nous découvrons qu’Il a deux mobiles : réparer le mal commis et redresser le coupable. La grâce finale – qui n’est pas une amnistie – montre que le Dieu juge est aussi un Dieu d’amour, qui se préoccupe des victimes et des coupables.

Quelques enseignements pour aujourd’hui

À travers ce récit des crimes d’Achab, la Bible met l’accent sur 3 éléments qui gardent toute leur actualité.

D’abord, le meurtre de Naboth met en évidence le renversement qui dirige la vie d’Achab : loin de protéger son peuple, il l’opprime pour satisfaire ses envies. L’égoïsme et l’orgueil l’ont conduit à négliger la volonté de Dieu, son rôle et le respect de l’autre. Notre monde, aussi marqué par le mal et le rejet de Dieu, vit dans le même renversement, qui se cristallise souvent autour des questions de possession. La jalousie, l’orgueil et la consommation effrénée prennent souvent le pas dans nos vies, quand des familles se déchirent pour un héritage, quand la vie d’un enfant dépend de son utilité sociale ou quand des problèmes réels et urgents suscitent des solutions cyniques (mais rentables !) (les questions d’environnement sont évidemment en plein dans ces dysfonctionnements).

Ensuite, bien avant la Déclaration des droits de l’homme, le châtiment d’Achab rétablit l’égalité de tous les êtres humains. La place de roi ne donne pas tous les droits. Dieu accorde la même valeur au chef du peuple et au citoyen lambda, et oserais-je sortir du contexte des Rois pour dire que la même valeur est accordée au riche et au pauvre, au bien-portant comme au malade, au citoyen comme au sans-papier… la liste est longue, car Dieu considère chaque individu qu’il a créé, comme précieux, et le châtiment d’Achab nous encourage à croire avec assurance que Dieu est présent et qu’Il veille avec justice, même si nous n’en sommes pas toujours conscients.

Le dernier élément que j’aimerais souligner ce matin, c’est la grâce que Dieu offre aux coupables. Quelle que soit la distance que nous avons parcourue loin de Lui, petite ou grande, il est toujours possible de reconnaître que nous vivons de travers, il est toujours possible de revenir vers Lui, avec humilité. Le Seigneur lui-même nous assure qu’il n’y a pas de point de non-retour qui nous empêcherait de revenir auprès de Lui.

Conclusion

En somme, l’histoire d’Achab et Naboth avec les principes qui en ressortent : le renversement qui déforme notre existence, l’égalité de toute vie et la nécessité de la justice, et puis la grâce qui accueille le pécheur repentant, ces principes annoncent en creux la venue d’un autre roi, quelques siècles plus tard. À la différence d’Achab, ce roi qui tue pour prendre, Dieu le Fils, Jésus-Christ, a subi le châtiment de la mort, à notre place, pour donner la vie et réconcilier Dieu avec nous. Il est mort pour donner. Justice est faite.

Bien plus, par sa résurrection et le don du Saint-Esprit, Jésus nous offre la possibilité de recommencer à vivre à l’endroit. Ferions-nous comme Achab, ce roi à la mémoire courte, qui trois ans après notre épisode se détourne à nouveau de Dieu ? Ou tenterons-nous plutôt de relever le défi : vivre chaque jour un peu plus à l’endroit, suivre l’exemple de ce Dieu qui nous a pardonné et, avec l’aide du Saint-Esprit, apprendre à aimer comme lui nous a aimés ? Que Dieu nous fasse la grâce de témoigner dans nos vies de sa justice et de son amour.