Vivre selon l’Esprit

Si nous croyons en Jésus, nous avons reçu son Esprit, même s’il n’y avait pas de flammes de feu virevoltant sous le plafond. L’événement de la Pentecôte est spectaculaire, pour montrer la nouveauté, car cette connexion spirituelle avec Dieu, une connexion permanente, vivifiante, transformatrice – c’est inédit !

A quoi peut ressembler l’action de l’Esprit dans notre vie ? L’apôtre Paul y répond dans sa lettre aux chrétiens de Galatie, ch.5. Avec les Galates, Paul remet les pendules à l’heure et leur rappelle que le chrétien vit par la grâce du Christ, couvert par son pardon, libre des culpabilités, des règles, des pressions que certains voulaient exercer sur les nouveaux convertis.



Lecture biblique : Galates 5.13-26

13 Mais vous, frères et sœurs, vous avez été appelés à la liberté.

Seulement ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon les désirs de votre propre nature.

Autrement dit, être libre, ce n’est pas être libertin !

Au contraire, laissez-vous guider par l’amour pour vous mettre au service les uns des autres. 14 Car toute la loi se résume dans ce seul commandement : « Tu dois aimer ton prochain comme toi-même. » 15 Mais si vous agissez comme des bêtes sauvages, en vous mordant et vous dévorant les uns les autres, alors prenez garde : vous finirez par vous détruire les uns les autres.

Paul s’appuie ici sur l’éthique de Jésus, pour qui l’amour envers Dieu et envers l’autre est le seul vrai principe qui a du sens.

16 Voici donc ce que j’ai à vous dire : laissez le Saint-Esprit diriger votre vie et vous n’obéirez plus aux désirs de votre chair. 17 Car notre chair a des désirs contraires à ceux de l’Esprit, et l’Esprit a des désirs contraires à ceux de notre chair : ils sont complètement opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne pouvez pas faire ce que vous voudriez. 18 Mais si l’Esprit vous conduit, alors vous n’êtes plus soumis à la loi.

Paul oppose deux moteurs, qui nous motivent et nous conduisent dans des directions opposées. La chair, opposée à l’Esprit de Dieu, ce n’est pas spécialement le corps : c’est plutôt ce qui en nous a perdu sa connexion avec l’Esprit, ce qui n’est plus spirituel, ce qui n’est plus animé par Dieu. Soit on va vers Dieu, soit on s’éloigne de lui.

Exemples :

19 On sait bien comment se manifestent les œuvres de notre chair : dans l’immoralité, l’impureté et le vice, 20 le culte des idoles et la magie. Les gens se haïssent les uns les autres, se querellent et sont jaloux, ils sont dominés par la colère et les rivalités. Ils se divisent en partis et en groupes opposés ; 21 ils sont envieux, ils se livrent à l’ivrognerie et à des orgies, et bien d’autres actions semblables.

Je vous avertis maintenant comme je l’ai déjà fait : ceux qui agissent ainsi n’auront pas de place dans le Royaume de Dieu.

22 Mais le fruit de l’Esprit Saint, c’est l’amour, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la fidélité, 23 la douceur et la maîtrise de soi.

La loi n’est certes pas contre de telles choses ! 

24 Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs. 

25 L’Esprit nous a donné la vie ; laissons-le donc aussi diriger notre conduite. 

26 Ne soyons pas vaniteux, renonçons à nous défier ou à nous envier les uns les autres.

Paul oppose le fruit de l’Esprit et les œuvres de la chair. Je me concentrerai d’abord sur la chair, et ensuite sur le fruit de l’Esprit.

Un choix à faire : deux modes de vie incompatibles

Pour les œuvres de la chair, la liste est longue ! Et Paul dit même qu’il aurait beaucoup à rajouter… nombreux sont les chemins sans Dieu, comme dans un labyrinthe que nous avons créé nous-mêmes – des chemins sans issue, tortueux, destructeurs.

Il est question de sexualité (les problèmes de débauche sont courants à l’époque de Paul au point de choquer même les philosophes païens – comme quoi, rien de nouveau sous le soleil), de pratiques occultes, d’addictions (ivrognerie, orgies, etc.) et, pour moitié, de problèmes relationnels. Je vous disais bien que la « chair », ce n’est pas seulement les désordres corporels : c’est vivre déconnecté de Dieu. Et Paul dénonce particulièrement ici les divisions dans l’église, les conflits larvés ou violents. Ainsi, même une personne qui paraît bien sous tous rapports mais qui critique constamment ou qui regarde les autres de haut, cette personne-là tombe dans la catégorie : œuvres de la chair. C’est tout aussi sale que d’être addict à la pornographie ou de boire jusqu’à vomir.

          Il y a une incompatibilité profonde entre la vie dans l’Esprit et la vie marquée par la chair, conduite par nos instincts, nos pulsions, notre orgueil… Paul la souligne en rappelant que ceux qui se laissent conduire par la chair n’hériteront pas du Royaume de Dieu. C’est-à-dire que si l’on ne prend pas l’Esprit comme moteur de notre vie, on vit sans Dieu – aujourd’hui, et pour toujours.

On aurait envie de répondre à Paul : « t’es sûr de ce que tu dis ? Ne sommes-nous pas tous pécheurs, esclaves de notre chair d’une façon ou d’une autre ? Certes, nous ne pratiquons pas tous l’occultisme ou les orgies, mais la jalousie ? la colère ? la rivalité ? le vice (même caché) ? d’après toi, il faudrait être parfait pour entrer dans le royaume de Dieu ? Et la grâce, alors, celle que tu as tant prêchée, celle qui accorde au pécheur le pardon de Dieu ? »

Oui, nous sommes tous pécheurs ! Et pourtant, il y a une différence. Une différence entre pécher malgré soi, et s’adonner sans réserve au péché, à la chair. Prenons l’exemple d’un petit garçon, qui est entré en courant dans la cuisine, a percuté un pied de la table, et a envoyé valser un verre, qui s’est cassé. Il fond en larmes, vous demande pardon etc. Affaire réglée. Trois semaines plus tard, rebelote, accident – il faut parfois du temps pour gérer ses mouvements. Vous ne lui en voudrez pas ! Mais ce comportement n’a rien à voir avec celui qui, chaque fois que vous avez le dos tourné, sort un verre pour le jeter par terre ! c’est autre chose !

 Au v.24, Paul prend l’image de la crucifixion : ceux qui suivent le Christ ont crucifié leur chair, ce moteur intérieur qui pousse à pécher. Evidemment, c’est une référence au fait de marcher dans les pas du Christ, mort à cause de nos péchés : si je l’aime, si je veux vivre avec lui, comment encore choisir ce qui a causé sa mort ? Mais l’image de la crucifixion est aussi pertinente, parce que la crucifixion ce n’est pas la guillotine ! c’est une mort lente. Un théologien écossais (John Brown) commente ainsi : « la crucifixion produisait la mort graduellement, pas d’un coup. Les chrétiens authentiques ne réussissent pas à complètement détruire la chair ici-bas, mais ils l’ont clouée à la croix et ils sont déterminés à la laisser là jusqu’à ce qu’elle expire. »

          En tant que chrétiens, nous sommes appelés à faire un choix, et à nous y tenir : qu’est-ce qui nous dirige ? qu’est-ce qui nous anime ? qu’est-ce qui nous motive ? sans illusion (nous sommes pécheurs) mais sans complaisance (nous rejetons ce qui peut nous éloigner de Dieu). L’avertissement est essentiel : au pécheur repentant, il est fait grâce. Mais le pécheur qui se prélasse dans son péché sans se remettre en question, ne se moque-t-il pas de Dieu et de son pardon ?

Le fruit de l’Esprit

Aux œuvres de la chair s’oppose le fruit de l’Esprit dans notre vie.

          Première remarque sur le fruit. A la différence des œuvres, le fruit ce n’est pas quelque chose que l’on maîtrise ! Si vous aimez jardiner, vous savez que la récolte ne dépend pas que de vous, mais aussi de l’écosystème : eau, soleil, terrain… et surtout, de l’état de l’arbre : vous ne pouvez pas produire à sa place, malgré toute votre bonne volonté ! Et ça, c’est une bonne nouvelle ! parce que le fruit de l’Esprit ne dépend pas de nos efforts maladroits, mais de la vitalité de la présence du Christ en nous.

Il n’empêche que nous pouvons cultiver le fruit : guetter les mauvaises herbes pour les enlever, vérifier la bonne exposition au soleil, arroser quand c’est nécessaire… Sans prétendre agir à la place du Christ, nous pouvons favoriser la croissance de son œuvre en nous : en arrosant par la prière, en nous exposant à la lumière de sa parole, en nous appuyant peut-être sur des tuteurs, des soutiens, pour ne pas nous écrouler.

          Ce fruit est au singulier : il n’y a qu’un type de fruit qui pousse dans la vie chrétienne, à la différence des œuvres désordonnées de la chair. C’est le fruit de l’Esprit : tout doit grandir ensemble ! Ce n’est pas une liste dans laquelle on choisit notre partie, en laissant le reste aux autres (moi je prends la joie, et je vous laisse la patience et la maîtrise de soi !) : tout pousse ensemble !

Ce fruit touche essentiellement notre caractère, notre posture, vis-à-vis de Dieu et des autres, avec un accent particulier sur l’amour. C’est l’amour qui permet de rester fidèle, de persévérer, de se maîtriser, de mettre les formes dans ce que nous avons à dire… l’amour puisé en Dieu qui nous permet de faire face aux difficultés dans la joie et la paix…

Ainsi, étrangement, le fruit de l’Esprit ne répond pas systématiquement à la liste des œuvres de la chair : il prend surtout le contrepied des relations abîmées, qui naissent de l’impatience, de la frustration, des malentendus, de l’égoïsme, de l’orgueil, de l’indélicatesse… Paul est très préoccupé par l’unité dans l’église, peut-être à cause de la situation chez les Galates ? mais en fait, dans toutes ses lettres, il insiste sur l’amour fraternel, fruit de l’amour reçu du Christ : comme l’amour de Dieu pourrait-il produire autre chose dans notre vie que de l’amour ? C’est le langage de Dieu, et comme une langue étrangère, céleste, nous devons en apprendre le vocabulaire, la grammaire, la conjugaison au singulier et au pluriel… une langue que nous devons réviser sans cesse, et pratiquer sans relâche, ensemble, pour pouvoir la parler couramment où que nous allions.




Pardonner pour être pardonnés ?

Un des sujets qui revient régulièrement dans les groupes où l’on discute de foi et de Bible, dans les visites, dans la famille ou avec les amis, les collègues… c’est la question du pardon. Pas le pardon reçu en Christ, non, le pardon que Jésus nous invite à offrir à notre tour, comme une des actions bonnes que Dieu a préparées d’avance pour ceux qui rejoignent sa famille.

J’ai l’impression que pardonner à l’autre est toujours un défi, tout simplement parce que derrière l’offense, il y a une blessure, une trahison, une déception, une perte… et à chaque fois ! A chaque fois c’est nouveau ! Pardonner à votre collègue qui vous a humilié en réunion, ce n’est pas plus facile sous prétexte que vous avez pardonné à votre neveu d’avoir piqué dans votre porte-monnaie ! J’imagine (j’espère !) qu’avec la maturité spirituelle, on trouve le chemin du pardon plus facilement, mais d’après ce que j’entends, le pardon reste un défi quasi universel jusqu’à la fin.



Malheureusement, on ne peut pas éviter ce défi parce qu’il est au cœur du message de Jésus : le pardon de Dieu, d’abord, et cette invitation à aimer notre prochain, aimer malgré l’offense, donc pardonner.

Je vous invite à creuser cette question du pardon avec un passage de la prière du Notre Père, prière que Jésus enseigne à ses disciples, non pas pour qu’ils la répètent à la lettre, mais pour donner un exemple, une direction, un modèle. Ce modèle nous invite à nous centrer dans la prière d’abord sur Dieu et ses projets, et ensuite sur nos besoins. Dans ces besoins, le pain/les besoins matériels, le pardon, la protection face au mal extérieur et intérieur. Je ne sais pas pour vous, mais la partie sur le pardon m’a toujours un peu mise mal à l’aise :

Matthieu 6.12 Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.

(littéralement : 12 remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous l’avons fait pour nos débiteurs – pour ceux qui ont suivi le cycle de prédications sur les sens de la mort de Jésus sur la croix, où j’ai parlé notamment du pardon de Dieu comme rachat de nos dettes pour nous conduire vers la liberté)

Le « comme » est terrible ! Jésus a l’air de dire qu’il y a une espèce de correspondance entre le pardon que nous donnons et le pardon que nous recevrons de Dieu. On aurait envie de remplacer par « pardonne-nous pour que nous pardonnions, ainsi nous pardonnerons… » pendant un temps, je remplaçais même par « et aide-nous à » ! Tout, mais pas « comme » !

En plus, Jésus en rajoute une couche :

14 Si vous pardonnez aux gens leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera, à vous aussi, 15 mais si vous ne pardonnez pas aux gens, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos fautes.

Au moins c’est clair ! Notez que c’est le seul point de la prière sur lequel Jésus fait un commentaire… Et là, c’est dans l’Evangile de Matthieu, mais dans l’Evangile de Luc qui propose une variante de ce modèle de prière, on retrouve aussi le « comme » et le petit commentaire.

C’est problématique, au moins pour deux raisons :

  • Notre pardon étant lent, très très progressif et partiel, j’espère bien que le pardon de Dieu est de meilleure qualité !
  • Et théologiquement, comment Jésus peut-il dire ça, alors même que tout son message met l’accent sur l’initiative de Dieu dans le pardon ? Sur l’amour que lui-même montre, de la part de Dieu, à tous ceux qui l’approchent ? Comment peut-il dire d’un côté : « venez à Dieu comme vous êtes, en toute simplicité ; même si vous perdus, errants, archi-nuls, même si vous avez tout raté, même si vous vous sentez indigents, revenez vers Dieu et il vous accueillera les bras ouverts parce qu’il vous aime » et d’un autre côté « Dieu vous pardonne comme vous pardonnez à votre prochain » donnant l’impression qu’il faut mériter le pardon que Dieu nous offre, qu’il faut montrer patte blanche ?

Si on regarde le contexte de cette prière, on peut trouver un élément de réponse : Jésus ne fait pas ici un discours sur le salut, sur le regard que Dieu porte sur le pécheur et sur l’invitation à nous tourner vers lui pour vivre une vie transformée. Il donne simplement à ses disciples un modèle de prière quotidienne (donne-nous notre pain de ce jour), une prière adaptée aux défis de la vie ordinaire : faire confiance à Dieu pour nos besoins matériels, vivre de son pardon face à nos échecs récurrents, et être protégé du mal sur le chemin qui nous attend. Ce n’est pas parce qu’un jour, on a compris que Dieu nous offrait son pardon et qu’il nous aimait qu’on n’a plus besoin de son pardon ! Dans le cadre de cette relation avec Dieu renouée grâce au Christ, il y a un pardon quotidien à recevoir pour nos défaillances quotidiennes.

Et c’est de ce pardon-là, pas du salut, mais de la grâce au quotidien, que Jésus parle, en le rendant inséparable du pardon que nous sommes prêts à accorder à ceux qui nous entourent. En insistant sur cette correspondance, Jésus nous montre que pardonner aux autres est incontournable si l’on veut vivre avec Dieu. Incontournable.

Pardonner aux autres, un incontournable de la vie chrétienne

Pourquoi le pardon que nous donnons est-il si important pour Dieu que notre relation privée avec lui en dépende ?

D’abord, comme nous, Dieu ne supporte pas l’hypocrisie. Compter sur la générosité de Dieu alors qu’on garde notre cœur fermé et amer, ce n’est pas cohérent. Demander à Dieu un bouquet alors que soi-même on n’est pas prêt à faire une fleur à l’autre, c’est un peu se moquer du monde, et de Dieu.

Il y a un autre passage où Jésus évoque le pardon, sous la forme de l’histoire du serviteur d’un roi (parabole du serviteur impitoyable, Matthieu 18). Le serviteur a une dette de plusieurs milliards, impossible à rembourser – il implore le roi, et le roi, ému de compassion (il représente Dieu dans l’histoire), efface la dette. Le serviteur repart libre, et il croise en chemin un de ses collègues qui lui doit l’équivalent de 3-4000 euros : il le saisit à la gorge, le menace… l’autre l’implore mais rien n’y fait. Le roi l’apprend, et s’emporte face au premier serviteur, dont l’incohérence montre qu’il n’a rien compris.

Parce que, être cohérent devant Dieu, ce n’est pas pour faire joli ou pour avoir bonne réputation ou pour prouver à Dieu qu’il a bien parié sur le bon cheval – ce n’est pas une question de performance, c’est une question de compréhension. Lorsque je reçois le pardon de Dieu, est-ce que j’en mesure le coût ?

Si je refuse à mon tour de pardonner, quel message j’envoie ? que l’offense de mon prochain envers moi est plus grave, plus injuste, plus impardonnable que la mienne envers Dieu ?

Certes, Dieu est parfait, mais le pardon qu’il nous offre n’est pas une évidence, je dirais même qu’il n’est pas facile – Dieu est scandalisé devant le mal, le mal décuplé et le mal en germe, il connaît nos mesquineries nauséabondes, et pourtant, et pourtant son amour surmonte la montagne de déchets que nous nous trimballons. Le pardon de Dieu n’est tellement pas facile qu’il a envoyé son Fils, qui est mort pour nous. Mort. Oui, pardonner à l’autre c’est faire un sacrifice, mais on ne meurt pas, nous ! Jésus, lui, est mort pour garantir notre salut.

Alors on comprend mieux pourquoi pardonner aux autres est si incontournable aux yeux de Dieu : c’est le signe qu’on a perçu un peu de l’immensité de sa démarche, et qu’on est prêt à l’imiter à notre petit niveau.

Le contour du pardon

Or, qu’est-ce que pardonner signifie, concrètement ? Parce que nos difficultés à pardonner viennent en partie de nos préjugés sur le pardon.

Jésus utilise régulièrement l’image de la dette qu’on remet, de l’ardoise qu’on efface. Remettre une dette, c’est renoncer à exiger le paiement, renoncer à exiger la réparation, renoncer à la vengeance. C’est renoncer au ressentiment qui ressasse la dette encore et encore comme un point de blocage dans la relation. Pardonner, c’est lâcher, en fait.

Cela étant, pardonner, ce n’est pas : autoriser ce qui s’est passé, comme si on le validait ou qu’on le cautionnait (à aucun moment, Dieu qui nous pardonne ne cautionne nos horreurs) ; ce n’est pas minimiser, relativiser (oh ce n’est pas si grave… si Dieu pardonne au meurtrier, vous croyez qu’il considère que la mort de la victime n’a pas de poids ?) ; ce n’est pas non plus se plonger dans un déni naïf et imprudent pour repartir tête baissée dans la gueule du loup ! (Dieu qui nous pardonne nous invite à changer de vie, pas à répéter sans cesse le même schéma destructeur !)

Ainsi, le pardon a pour objectif la réconciliation. On efface l’obstacle de la relation pour faire la paix et se retrouver dans une relation à nouveau fluide. Dieu nous invite à des relations avec autrui riches et paisibles, saines et constructives.

Ca c’est l’objectif du pardon, mais ce n’est pas toujours possible, et il est essentiel d’être réaliste quand on parle de pardon. Jésus nous commande de pardonner, il ne nous commande pas de nous réconcilier là où ce n’est pas possible. La réconciliation, c’est un but, mais ce n’est pas automatique. Parfois il faut du temps pour redonner sa confiance. Parfois la relation a définitivement changé et on continue mais autrement, sans revenir « comme avant ». Et parfois, pour se protéger et pour protéger l’autre de lui-même, il vaut mieux rester à distance. Exemple : vous avez un collègue qui vous a piqué des sous dans votre portefeuille, peut-être que vous évitez de laisser votre sac sans surveillance devant lui… Vous êtes en couple avec quelqu’un de violent qui vous met en danger, vous et vos enfants (homme ou femme, les deux situations existent) : même si vous pardonnez, il faut vous protéger ! tant que l’autre n’est pas capable de se maîtriser, il faut prendre de la distance ! Ca peut être un supérieur qui vous harcèle, ou un voisin qui prend toujours mal ce que vous dites : même si vous choisissez de pardonner, vous pouvez prendre de la distance tant qu’une relation saine et paisible n’est pas possible.

En chemin vers le pardon

Quelques remarques avant de conclure.

Le pardon, c’est à la fois une décision à prendre, un choix à faire, et en même temps c’est un processus qui prend du temps pour s’accomplir pleinement. Ce n’est pas parce qu’on a décidé de pardonner que d’un coup, on ne ressent plus rien de négatif quand on voit l’offenseur ou quand on repense à l’offense. Le pardon c’est un cap qu’on se donne et auquel on choisit de se tenir. C’est là que Jésus nous met la pression : quel cap on veut donner à notre vie ? Le cap de la grâce ou le cap du ressentiment ?

Et puis, Jésus n’empêche pas de demander de l’aide à Dieu ! Son modèle de prière est court, il ne couvre pas tout : bien sûr que Dieu est prêt à nous donner les ressources pour vivre comme lui ! il faut lui demander… mais lui demander, c’est déjà avoir fait le choix d’aller vers le pardon.

Cette vie marquée par le pardon nous conduit vers la grâce et la liberté. Oui, la liberté. Recevoir régulièrement le pardon de Dieu ôte de nos épaules le poids de la culpabilité, de la honte, de toutes nos valises… pardonner à l’autre nous conduit aussi vers la liberté : la liberté de ne plus nous définir d’abord comme victime, de ne plus voir en nous seulement la blessure qu’on porte, qu’on gratte et qu’on infecte parfois à force de rancœur et de revendication. C’est important de reconnaître l’ampleur des blessures… mais le but c’est d’en guérir, pas de s’y emprisonner !

 Dieu nous appelle à la liberté, la liberté dans la vérité et l’amour. C’est un chemin, un processus, l’apprentissage de toute une vie, et pour avancer sur ce chemin jour après jour, nous avons tellement besoin de Dieu, expert en pardon, expert en grâce, pour nous apprendre à aimer comme lui, jour après jour.




Elie au palais d’Achab : un Dieu juste (Elie 4/4)

Depuis début juillet, nous suivons le prophète Elie… croyant fidèle à une époque où le gouvernement entraîne le peuple loin de Dieu, il s’insurge contre le roi Achab, un peu plus de 800 ans avant J.-C. Elie veut montrer que les idoles, ces dieux de substitution, sont impuissantes et inutiles. Plus que ça, par Elie, Dieu va faire des miracles impressionnants, pour montrer à tous qu’il est Dieu et qu’on peut lui faire confiance.

Pour terminer notre série sur Elie, je vous invite à aborder un autre épisode – ce n’est pas la mort d’Elie ! – où Elie et Achab croisent le fer une dernière fois. Depuis le début de la série, Elie et Achab sont face à face, parfois dans l’opposition, parfois dans la même direction (en tout cas, c’est ce que croyait le prophète). Et dans le texte d’aujourd’hui, c’est Achab qui passe au premier plan. Au niveau du contexte, depuis que nous l’avons laissé, Achab a remporté des victoires militaires importantes, qui l’ont galvanisé.

Lecture biblique: 1 Rois 21.1-16

1 Après ces événements, voici ce qui arriva : Il y avait à Jizréel un homme appelé Naboth ; il possédait dans cette ville une vigne, tout près d’un palais appartenant à Achab, roi de Samarie. 

2 Un jour, Achab dit à Naboth : « Cède-moi ta vigne, pour que je m’en fasse un jardin potager, puisqu’elle est juste à côté de mon palais ; en échange, je te donnerai une vigne meilleure, ou si tu préfères, je t’en payerai le prix. » 

3Mais Naboth lui répondit : « Je n’ai pas le droit devant le Seigneur de te céder la vigne que j’ai héritée de mes ancêtres ! »

4Achab s’en retourna chez lui, amer et furieux à cause de cette réponse de Naboth : « Je ne te céderai pas ce que j’ai hérité de mes ancêtres. » Il se coucha sur son lit, se tourna contre le mur et ne voulut plus rien manger. 

5Sa femme Jézabel vint le trouver et lui demanda : « Pourquoi es-tu de mauvaise humeur ? Pourquoi ne veux-tu rien manger ? » – 

6« J’ai parlé à Naboth, de Jizréel, répondit-il ; je lui ai dit : “Cède-moi ta vigne contre de l’argent, ou si tu préfères, je te donnerai une autre vigne en échange”, mais il m’a répondu : “Je ne te céderai pas ma vigne.” » 

7Jézabel lui dit alors : « Vraiment, tu oublies que tu es le roi d’Israël ! Relève-toi ! Mange et réjouis-toi ! C’est moi qui te donnerai la vigne de Naboth, de Jizréel. »

8Elle écrivit des lettres au nom du roi Achab, elle les marqua avec le cachet royal, et elle les fit porter aux anciens et aux autorités de la ville où habitait Naboth. 

9Dans ces lettres, elle avait écrit ceci : « Convoquez la population à une cérémonie de jeûne, et demandez à Naboth de présider cette assemblée. 

10En face de lui, placez deux vauriens, qui l’accuseront d’avoir maudit Dieu et le roi. Ensuite conduisez-le hors de la ville, et qu’on lui jette des pierres jusqu’à ce qu’il meure ! »

11Les anciens et les autorités de la ville de Naboth firent ce que Jézabel leur avait ordonné dans ses lettres. 

12Ils convoquèrent la population à une cérémonie de jeûne et ils demandèrent à Naboth de présider cette assemblée. 

13Les deux vauriens vinrent se placer en face de Naboth et ils se mirent à l’accuser devant tout le monde en disant : « Naboth a maudit Dieu et le roi ! »

On le conduisit hors de la ville, et on lui jeta des pierres jusqu’à ce qu’il meure. 

14On envoya un messager informer Jézabel que Naboth avait été exécuté et qu’il était mort. 

15Lorsque Jézabel apprit cela, elle dit à Achab : « Va prendre possession de la vigne que Naboth, de Jizréel, refusait de te vendre : il est mort ! » 

16À cette nouvelle, Achab se rendit à la vigne de Naboth et il en prit possession.

« Alors là, c’est le monde à l’envers ! » Combien de fois avons-nous entendu cette phrase ? Combien de fois l’avons-nous prononcée ? Devant tant de scandales quotidiens, on se demande parfois s’il y a une justice en ce bas monde ! Indignés et impuissants, nous cherchons pourquoi tant d’hommes sont méprisés, oubliés, bafoués… et nous levons les yeux au ciel, dans l’attente que Dieu fasse enfin cesser les crimes que certains commettent sans scrupules…

Au sein d’une société décalée, pétrie d’inégalité et de violence, nos propres vies sont marquées par cette injustice. Tour à tour Naboth et Achab, l’injustice que nous subissons nous entraîne dans un cercle qui nous éloigne peu à peu de Dieu et de la justice, quand pour diverses raisons je défends mes propres intérêts, devenant sourd et aveugle à ceux qui m’entourent. Parce que l’inégalité et le mépris se cachent parfois dans la complexité de nos vies, l’histoire d’Achab et Naboth, cette histoire d’un autre temps, nous met en face de ce monde renversé et nous donne aussi la réponse de Dieu.

Commentaire sur l’épisode

Revenons d’un peu plus près à cette sombre histoire, où l’on nous décrit comment le roi Achab a obtenu le jardin qu’il désirait tant. Ce roi qui possède déjà plusieurs palais, ce roi en veut encore… Le nœud de l’intrigue vient du propriétaire de la vigne, Naboth, qui ose refuser la proposition, pourtant honnête, du roi. Naboth connait en effet la loi de Dieu, qui interdit de transmettre son patrimoine à quelqu’un d’une autre tribu, parce que chaque tribu d’Israël a son propre territoire, comme l’indique le livre des Nombres. Ce n’est pas que Naboth se cramponne à son terrain, mais il respecte la loi donnée par le Seigneur, ce qui suffit à le faire passer pour un original, en ces temps troublés où l’idolâtrie règne sur Israël depuis plusieurs générations.

Le refus de Naboth jette Achab dans la déprime. Devant cette crise, sa femme, la reine Jézabel, décide de prendre les choses en main pour résoudre la crise. Aucun scrupule ne l’arrête quand elle choisit purement et simplement d’éliminer Naboth. Elle va jusqu’à prendre l’autorité du roi pour créer un complot : en utilisant le tampon d’authenticité royale, le sceau, elle envoie de fausses lettres, et commande d’organiser un faux procès où Naboth sera faussement accusé de blasphème, ce qui lui vaudra la peine de mort. Aucun membre du gouvernement local ne réagit et tous sans exception rentrent dans cette mascarade, cette justice en trompe-l’œil. Quant au chef d’accusation, il est aussi bancal que le procès : le blasphème concerne Dieu, bien sûr, et le roi, ce qui est une nouveauté… une nouveauté qui en dit long sur l’état d’esprit de Jézabel : fille d’un roi syrien, fervente adoratrice de Baal, elle considère que le roi possède l’autorité suprême. C’est pour cela qu’elle ne comprend pas la réaction d’Achab au v. 7 : le roi a tous pouvoirs, il est au-dessus de tous : oser lui dire non, c’est un crime ! car le roi a tous les droits…

L’auteur biblique braque les projecteurs sur Achab, le roi capricieux, déprimé sur son lit. Il boude et rumine le refus de Naboth, qui revient déjà trois fois dans notre récit. Lui, le roi, a perdu goût à la vie, il est en deuil parce qu’il ne pourra pas agrandir son jardin.

Alors on hésite entre stupéfaction et indignation devant cet enfant gâté qui se laisserait presque mourir parce qu’on lui a dit NON. Et la réaction du roi nous montre que l’enjeu dépasse le simple problème de la convoitise. Bien sûr, nous savons tous que la convoitise cause en elle-même d’énormes dégâts, lorsque toute la saveur de la vie dépend de ce qu’on a ou de ce qu’on fait, de ce qu’on montre – c’est un engrenage dans le « toujours plus ». Derrière la convoitise, l’auteur biblique met aussi en valeur l’égoïsme du roi, qui ne tolère pas la résistance, qui veut qu’on lui obéisse coûte que coûte, quitte à écraser les autres.

Que nous soyons du côté des coupables ou des victimes, d’ailleurs cela varie selon les situations, nous nous demandons souvent ce que Dieu fait. Est-il seulement au courant de nos malheurs, de la crise que je traverse, que la société traverse, est-il au courant des aberrations d’un monde qui ne tourne plus rond ?…

je vais maintenant lire la suite du texte, qui rapporte l’oracle du prophète Elie, c’est-à-dire la réponse que Dieu vient donner à cette situation.

Lecture 1 Rois 21.17-29

17Alors la parole du Seigneur fut adressée au prophète Élie, de Tichebé : 

18« Rends-toi auprès d’Achab, le roi d’Israël qui réside à Samarie, lui dit-il. Il se trouve dans la vigne de Naboth, où il est allé pour en prendre possession. 

19Va lui dire : Voici ce que déclare le Seigneur : “Ainsi, tu as assassiné quelqu’un, et tu viens maintenant prendre possession de ses biens !” Puis tu ajouteras : Voici ce que déclare encore le Seigneur : “À l’endroit même où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton propre sang !” »

20Élie alla porter ce message à Achab, qui lui dit : « Eh bien, mon ennemi, tu m’as retrouvé ! » – « Oui, je t’ai retrouvé, dit Élie. Et puisque tu consacres ton énergie à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur, 

21voici ce qu’il déclare : “Je vais envoyer le malheur sur toi ; je te ferai disparaître, j’exterminerai d’Israël tous les hommes de ta parenté, sans exception. 

22Je traiterai ta famille comme j’ai traité celle de Jéroboam, fils de Nebath, et celle de Bacha, fils d’Ahia, parce que tu m’as grandement offensé, et que tu as poussé le peuple d’Israël à pécher.” 

23Et, ajouta Élie, le Seigneur a aussi parlé contre Jézabel en déclarant : “Les chiens dévoreront Jézabel au pied de la muraille de Jizréel.” 

24De plus, roi Achab, tout membre de ta famille qui mourra dans la ville sera dévoré par les chiens, et celui qui mourra dans la campagne sera déchiqueté par les vautours. »

25On n’a certainement jamais vu personne consacrer autant d’énergie que le roi Achab à faire ce qui est mal aux yeux du Seigneur ; c’est qu’il y était poussé par sa femme Jézabel. 

26Il a agi d’une façon particulièrement abominable lorsqu’il adorait des idoles, tout comme les Amorites que le Seigneur avait chassés pour faire place au peuple d’Israël.

27Lorsque le roi Achab eut entendu le message du Seigneur, il déchira ses vêtements, en portant une étoffe grossière directement sur la peau et en jeûnant ; il gardait sur lui cette étoffe grossière même pour dormir, et il marchait à pas lents. 

28La parole du Seigneur fut adressée à Élie, de Tichebé : 

29« Regarde comment Achab s’est humilié devant moi, dit-il. Dans ces conditions, je n’enverrai pas le malheur sur sa famille pendant son règne, mais pendant celui de son fils.»

Dans un premier temps, la parole de Dieu met Achab en face de ses responsabilités. C’est Achab qui a tué Naboth, c’est lui qui a volé sa vigne, il ne pourra pas se cacher derrière Jézabel. Car même si c’est Jézabel qui a organisé le complot, c’est Achab, le roi, c’est lui qui porte la responsabilité de ce qui se fait sous son autorité. Sa passivité dans le complot renforcerait même sa culpabilité, d’autant qu’Achab sait pertinemment que Naboth est mort lorsqu’il prend possession de la vigne. Au verset 26, le narrateur nous rappelle l’origine de ces crimes : tout a commencé le jour où Achab a épousé une païenne, qui servait d’autres dieux, alors que le Seigneur, le Dieu unique, réclame l’exclusivité. En s’alliant intimement avec une païenne, en l’associant à son règne, il a commencé à s’écarter du chemin de la relation avec Dieu, à choisir d’autres dieux pour gouverner sa vie – comme les Amorites, comme les païens qui habitaient Canaan avant l’arrivée du peuple d’Israel, ces peuples dont les pratiques dégoûtaient Dieu au point qu’il avait fini par sévir.

Achab a adoré Baal, le dieu de Jézabel, mais aussi des idoles sans statue : la réussite politique, que permettait l’alliance avec le roi syrien, la réussite avec son luxe et son pouvoir, la réputation d’être un grand roi. Ces désirs de femme, d’autorité, de terres l’ont conduit Achab à violer les règles de base que Dieu avait données. Il s’est pris pour le seul maître, et en a oublié les autres : Dieu… et son prochain. Le prophète démasque les vraies racines du scandale : il y a un lien étroit entre idolâtrie et crimes sociaux. Oublier Dieu conduit à oublier les autres.

Le meurtre de Naboth représente l’apogée des crimes d’Achab, qui laisse tout pouvoir à une païenne, pour commettre un assassinat à cause d’un caprice. Ce méfait déclenche la condamnation, symétrique au mal commis. La mort de Naboth conduira à la mort de son assassin, avec une correspondance exacte. Jézabel reçoit aussi le châtiment qu’elle mérite pour avoir organisé le complot. Par ailleurs, Achab a oublié d’où il tirait son pouvoir comme il a oublié son rôle : se prenant pour son propre maître, il opprime le peuple au lieu d’en prendre soin. Dieu enlève donc à Achab et à sa famille le pouvoir de régner, puisqu’ils n’en ont pas été dignes. La justice existe, que nous l’attendions avec soulagement ou que nous la craignions. La justice existe, et Dieu y veille.

À l’annonce de ces châtiments, Achab prend le deuil. Même s’il lui ressemble, ce n’est plus le deuil capricieux que nous avons vu tout à l’heure : c’est la prise de conscience d’une vie menée de travers. Et devant sa repentance, Dieu maintient le châtiment, car justice doit être faite, mais il fait grâce à Achab en atténuant sa peine. Cela paraît dur par rapport à son fils, qui écope de la peine, mais en réalité il était déjà concerné (puisque la dynastie allait disparaître) et puis, de lui-même, il ne fera pas mieux que son père, et il méritera amplement la peine encourue.

Dans notre histoire, Achab avait un but : posséder un jardin de plus. Quand Dieu prend la parole, nous découvrons qu’Il a deux mobiles : réparer le mal commis et redresser le coupable. La grâce finale – qui n’est pas une amnistie – montre que le Dieu juge est aussi un Dieu d’amour, qui se préoccupe des victimes et des coupables.

Quelques enseignements pour aujourd’hui

À travers ce récit des crimes d’Achab, la Bible met l’accent sur 3 éléments qui gardent toute leur actualité.

D’abord, le meurtre de Naboth met en évidence le renversement qui dirige la vie d’Achab : loin de protéger son peuple, il l’opprime pour satisfaire ses envies. L’égoïsme et l’orgueil l’ont conduit à négliger la volonté de Dieu, son rôle et le respect de l’autre. Notre monde, aussi marqué par le mal et le rejet de Dieu, vit dans le même renversement, qui se cristallise souvent autour des questions de possession. La jalousie, l’orgueil et la consommation effrénée prennent souvent le pas dans nos vies, quand des familles se déchirent pour un héritage, quand la vie d’un enfant dépend de son utilité sociale ou quand des problèmes réels et urgents suscitent des solutions cyniques (mais rentables !) (les questions d’environnement sont évidemment en plein dans ces dysfonctionnements).

Ensuite, bien avant la Déclaration des droits de l’homme, le châtiment d’Achab rétablit l’égalité de tous les êtres humains. La place de roi ne donne pas tous les droits. Dieu accorde la même valeur au chef du peuple et au citoyen lambda, et oserais-je sortir du contexte des Rois pour dire que la même valeur est accordée au riche et au pauvre, au bien-portant comme au malade, au citoyen comme au sans-papier… la liste est longue, car Dieu considère chaque individu qu’il a créé, comme précieux, et le châtiment d’Achab nous encourage à croire avec assurance que Dieu est présent et qu’Il veille avec justice, même si nous n’en sommes pas toujours conscients.

Le dernier élément que j’aimerais souligner ce matin, c’est la grâce que Dieu offre aux coupables. Quelle que soit la distance que nous avons parcourue loin de Lui, petite ou grande, il est toujours possible de reconnaître que nous vivons de travers, il est toujours possible de revenir vers Lui, avec humilité. Le Seigneur lui-même nous assure qu’il n’y a pas de point de non-retour qui nous empêcherait de revenir auprès de Lui.

Conclusion

En somme, l’histoire d’Achab et Naboth avec les principes qui en ressortent : le renversement qui déforme notre existence, l’égalité de toute vie et la nécessité de la justice, et puis la grâce qui accueille le pécheur repentant, ces principes annoncent en creux la venue d’un autre roi, quelques siècles plus tard. À la différence d’Achab, ce roi qui tue pour prendre, Dieu le Fils, Jésus-Christ, a subi le châtiment de la mort, à notre place, pour donner la vie et réconcilier Dieu avec nous. Il est mort pour donner. Justice est faite.

Bien plus, par sa résurrection et le don du Saint-Esprit, Jésus nous offre la possibilité de recommencer à vivre à l’endroit. Ferions-nous comme Achab, ce roi à la mémoire courte, qui trois ans après notre épisode se détourne à nouveau de Dieu ? Ou tenterons-nous plutôt de relever le défi : vivre chaque jour un peu plus à l’endroit, suivre l’exemple de ce Dieu qui nous a pardonné et, avec l’aide du Saint-Esprit, apprendre à aimer comme lui nous a aimés ? Que Dieu nous fasse la grâce de témoigner dans nos vies de sa justice et de son amour.




Une brebis perdue et un berger éperdu

Cela vous est déjà arrivé, non ? De ne plus trouver vos clefs, vos lunettes, votre portefeuille, un papier important (ou, pire que tout, votre téléphone… !), et de chercher partout pendant loooongtemps, quitte à devoir appeler vos proches en panique (« dis, j’ai pas oublié mes lunettes chez toi ? »). Les scénarios tournent dans la tête alors qu’on essaie de retracer ses gestes ou ses pas. En même temps, un circuit parallèle s’enclenche pour trouver un plan B : et si je ne le retrouve pas… Untel a un double de mes clefs, je déplace mon rdv à demain, il faut que je retourne chez l’opticien, etc. Evidemment, si c’est votre téléphone que vous avez perdu, il n’y a pas de plan B : c’est la fin !

Quel soulagement quand on finit par retrouver ce qui était perdu : ce qui nous oppressait disparaît. On est reparti ! La vie tourne rond à nouveau. C’est vrai dans les petits moments du quotidien, pour nos clefs, nos lunettes, et a fortiori, bien sûr, avec des personnes : un ami perdu de vue qu’on recherche sur internet, une sœur avec qui on se réconcilie, un enfant qui a fugué et qu’on retrouve après des heures de recherche et d’angoisse…

Cette expérience, Jésus y fait référence dans une série de paraboles pour parler de Dieu.

Lecture biblique : Luc 15.1-7

1 Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de Jésus pour l’écouter. 

2 Et les Pharisiens et les scribes murmuraient ; ils disaient : « Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! »

3 Alors il leur dit cette parabole : 

4 « Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et qu’il en perde une, ne laisse pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller à la recherche de celle qui est perdue jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée ? 

5 Et quand il l’a retrouvée, il la charge tout joyeux sur ses épaules, 6 et, de retour à la maison, il réunit ses amis et ses voisins, et leur dit : “Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, ma brebis qui était perdue !” 

7 Je vous le déclare, c’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion.

Jésus enchaîne en fait trois paraboles : celle-ci, une autre sur une femme qui perd l’équivalent de sa carte bleue, et l’histoire d’un homme dont l’un des deux fils part en claquant la porte (communément appelée la parabole du fils prodigue). Elles vont toutes dans la même direction, avec des nuances bien sûr, mais je vous propose de nous concentrer sur cette première parabole, la parabole de la brebis perdue.

          Un berger éperdu

Dans cette histoire, comme dans les Ecritures juives, le berger représente Dieu, et les brebis, son peuple, l’humanité. Ce berger possède une centaine de moutons. En comptant ses bêtes, il se rend compte qu’il en manque une : elle a dû se perdre en route.

Vu le contexte, Jésus associe clairement la brebis perdue aux collecteurs d’impôts, aux pécheurs qui sont venus l’écouter, ces gens qui se retrouvent en marge de la société juive, du peuple de Dieu, à cause d’un mode de vie contraire aux règles religieuses. Certains collecteurs d’impôts fricotaient avec le pouvoir romain, quitte à accepter la corruption financière, d’autres étaient mêlés à des pratiques licencieuses et immorales, d’autres encore n’en faisaient qu’à leur tête et ne respectaient rien.

Face à eux, comment Dieu peut-il réagir ? Instinctivement, on situerait Dieu sur un trône, raide, les bras croisés, attendant que le rebelle revienne en baissant les yeux. Or Jésus donne un portrait radicalement opposé : le berger laisse tout en plan et part chercher la brebis égarée. Pour Jésus, c’est une évidence : qui d’entre vous ne ferait pas ça ?

Est-ce si évident ? Clairement, il n’a pas entendu parler des 15% de pertes auxquelles on a droit ! Si vous avez oublié un article payé à la caisse, est-ce que vous laisseriez sur le parking votre caddie rempli de marchandises payées pour aller le chercher ! C’est trop risqué ! Alors, pour les 99 brebis, il n’y a peut-être personne qui va venir les voler, mais une bête sauvage pourrait attaquer, d’autres brebis pourraient se perdre… Ca ne paraît pas sage ! Ce serait plus rassurant si le berger laissait son troupeau sous surveillance, comme un père qui doit aller chercher son dernier à l’école et qui laisse les grands chez la voisine.

Evidemment, c’est une courte parabole, et il ne faut pas trop pousser les détails ! Cela dit, ce qui ressort, c’est l’impact sur le berger, le choc quand il comprend qu’une brebis s’est égarée : il laisse tout en plan et va la chercher.

Si le berger est Dieu, est-ce qu’on l’imagine s’interrompre, tout laisser en plan, pour partir à la recherche de celui qui s’est perdu ? faire tous les efforts, grimper, descendre, se faufiler, parfois courir, appeler à tous vents celui ou celle qui s’est éloignée ? face à la brebis perdue, Jésus nous montre un Dieu éperdu, un Dieu qui ne recule devant rien pour retrouver ceux qu’il aime.

Et quand il retrouve la brebis égarée, désorientée, sûrement paniquée, il la prend dans ses bras avec force et tendresse pour la ramener au bercail.

          Des brebis perdues mais précieuses

Peut-être que parmi vous, certains se sentent comme cette brebis : égarés, désorientés, en décalage avec Dieu, peut-être que vous vous êtes éloignés et que vous avez du mal à revenir, peut-être que vous avez l’impression de dériver, emportés par un courant contre lequel vous ne pouvez pas lutter, peut-être que vous vous demandez comment ce serait possible de revenir jusqu’à Dieu, et surtout, comment il pourrait bien vous accepter après cette séparation.

Le message de Jésus, c’est que Dieu ne vous attend pas : il vous cherche. Il vous appelle. Il vous court après, tellement vous êtes importants pour lui !

Finalement, je crois que c’est ça, le sens du troupeau de 99 brebis laissées de côté pour chercher 1 brebis : vous n’êtes pas un parmi d’autres, une perte que Dieu accepte dans son bilan comptable. Pour Dieu, vous avez une valeur inestimable. C’est pour cela qu’il vient dans l’humanité, à travers Jésus, pour chercher ceux qui se sont égarés (tout le monde, en fait, plus ou moins). C’est lui qui vient à notre rencontre, à votre rencontre, et s’il y a quelque chose qui vous pèse et vous empêche lui répondre, il le prend sur lui, berger devenu brebis, Dieu devenu homme en Jésus, prêt à porter tout le poids de ce qui nous accable, nos souffrances comme nos injustices, à endurer la pire condamnation, pour que nous n’ayons ‘’qu’à’’ répondre « oui ».

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : une fois la brebis retrouvée, la joie déborde. Trois fois Jésus cite la joie du berger. Il y a la joie de retrouver la brebis perdue, et aussi le contentement de retrouver son troupeau, sa famille, au complet.

En rentrant, il est dans une telle effervescence qu’il fait une fête, une grosse fête, avec tout le quartier ! Ceux qui sont perdus, Dieu part à leurs trousses pour les inviter à la fête, avec lui, dans la joie de son amour.

Petit décalage : la parabole parle des efforts du berger pour retrouver sa brebis, alors que dans sa conclusion, Jésus évoque le mouvement de conversion des pécheurs. Se convertir, c’est se tourner vers… Alors, qui fait le mouvement ? le berger ou la brebis ? Dieu ou nous ? Les deux ! Dieu fait quasiment tous les efforts : il envoie une invitation, il appelle, il se déplace en personne… mais il faut répondre ! RSVP ! Cette réponse, c’est un lâcher-prise (oui !), une prière, voire une question « t’es sûr que tu m’aimes vraiment ? »…

Et cette réponse est un choix, un mouvement : répondre oui à l’invitation de Dieu, c’est comme s’inscrire à un événement – on renonce à être ailleurs, à faire autre chose, on renonce à ce qui nous empêche d’être avec Dieu.

          Changer de regard sur l’autre  

Pour qui Jésus raconte-t-il cette histoire ? Si on se sent brebis perdue, on est touché par ce message d’un Dieu qui nous aime de façon éperdue.

Pourtant Jésus ne vise pas ici les « brebis perdues »: il parle d’abord aux pharisiens, aux religieux bien-pensants et convenables qui viennent de le critiquer, de s’insurger qu’un prophète accepte de se mélanger avec ceux qui viennent des bas-fonds. Comme de bons élèves qui seraient choqués que le prof inclue les cancres pour une sortie découverte.

Le message de Jésus, c’est que Dieu ne voit pas ces « cancres », ces « rebelles », comme des intrus, mais comme des invités d’honneur ! Et on comprend pourquoi, puisque Jésus nous a révélé ce qui se passe dans le cœur de Dieu : son plus profond désir, c’est que tous reviennent à lui. Il est prêt à tout pour les retrouver. Alors quand Jésus voit s’approcher pour l’écouter ces « pécheurs » marginalisés, même sur la pointe des pieds, même sans avoir tout compris, il est tellement heureux, car il porte en lui ce désir de Dieu de retrouver ceux qui l’ont perdu de vue.

Quel contraste avec l’attitude des pharisiens ! Préoccupés à juste titre par la sainteté de Dieu, ils sont scandalisés par certaines choses. Le problème, c’est que ça a dérivé, ça a pris des proportions énormes et ils ont fini par juger les gens, par distinguer entre les bons et les mauvais, ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors – hors de question de les mélanger !

Aujourd’hui, dans notre société, il y a bien des principes et des comportements qui paraissent incompatibles avec la foi. Est-ce que nous en arrivons à éviter, à fuir, à repousser ( ?) ceux qui vivent ainsi ? S’ils venaient ici, sans s’être rangés, comme ils sont, seraient-ils les bienvenus ?

Dans le jugement des pharisiens, il y a de l’orgueil, oui, un aveuglement sur leurs propres failles (personne n’est de lui-même parfaitement en phase avec le Dieu saint, intègre, juste et bon !), et un oubli de l’essentiel : Dieu désire ceux qu’il a créés, il désire vivre avec eux, les combler de son amour, les inviter dans sa joie.

Jésus rappelle la posture de Dieu pour nous appeler à nous réjouir de ce qui réjouit Dieu, à accueillir ceux que lui invite – accueillir malgré les différences, les écarts, les incompréhensions, les « valises ». A changer de regard pour voir l’autre comme un précieux, invité d’honneur à la table de Dieu.

Et si on comprend ce désir éperdu de Dieu, sa ferveur, notre regard ne change pas seulement dans l’église, au culte ou dans les groupes. Il change aussi dehors, au quotidien : on dit qu’on se fait une idée des gens dans les 10 premières secondes. Et si notre première impression c’était que l’autre est précieux aux yeux de Dieu, que Dieu le désire et l’invite ? Notre collègue agaçant, notre voisine qui ronchonne, un copain survolté, une cliente impolie, tous ceux qui nous semblent à côté de la plaque : si l’amour fervent de Dieu venait transformer notre regard, qu’est-ce que ça donnerait ? au lieu de la suspicion, du jugement ou du rejet, d’une attitude défensive ou dégoûtée, peut-être de l’intérêt, de la curiosité, une écoute, une disponibilité pour aller boire un café, pour aller plus loin dans la relation. Expérimenter à notre tour le désir profond que l’autre reçoive, là où il est, l’amour de Dieu qui le cherche, voilà qui peut changer notre perspective, nos actes, et nos paroles – et peut-être, permettre à l’autre de se savoir aimé de Dieu, de façon éperdue.