Venir à Jésus tel qu’on est

Le texte qu’Annick a choisi (Esaïe 55.6-13) pour nous aider à nous centrer sur Dieu nous rappelle combien Dieu veut agir dans notre vie, la transformer pour qu’elle soit féconde, fructueuse, joyeuse, vivante ! Là où poussent les broussailles, les ronces, les épines, des choses stériles et douloureuses, là où nous rencontrons des blocages, Dieu veut mettre de beaux arbres verdoyants, forts, solides. Mais parfois, quand on a besoin de Dieu, quand on est pris dans les ronces, on n’ose pas aller vers Dieu, parce que lui est tellement supérieur à nous. C’est justement quand on a besoin d’un peu de grâce, de pardon, d’amour, qu’on hésite à s’approcher de Dieu. On est pris par l’ampleur de nos problèmes, par la honte, comme si on attendait d’aller mieux pour lui demander son aide.

          Je vous propose ce matin de suivre la rencontre entre Jésus et une femme dont la vie était remplie de ronces et d’épines, et qui a su surmonter sa honte. Je commenterai le texte au fur et à mesure.



Lecture biblique : Marc 5.21-34

21 Quand Jésus eut regagné en barque l’autre rive, une grande foule s’assembla près de lui. Il était au bord de l’eau. 

22 Arrive l’un des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus : voyant Jésus, il tombe à ses pieds 23 et le supplie avec insistance en disant : « Ma petite fille est près de mourir ; viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive. » 

24 Jésus s’en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et le pressait de toutes parts. 

J’ai lu ces versets pour que vous ayez le contexte de la rencontre qui suit.

Jésus commence à être bien connu, il a fait beaucoup de miracles (délivrances, guérisons…) qui montrent qu’il vient d’ailleurs : c’est une sorte de sceau qui authentifie son origine. Mais du début à la fin des Evangiles, les miracles ne sont jamais une fin en soi : toujours, ils soutiennent le message de Jésus, l’invitation à regarder au-delà de l’horizon terrestre pour recevoir l’amour et la paix de Dieu, pas seulement aujourd’hui mais pour toujours.

25 Une femme, qui souffrait d’hémorragies depuis douze ans 26 – elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout ce qu’elle possédait sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré –, 27 cette femme, donc, avait appris ce qu’on disait de Jésus. Venant par-derrière dans la foule, elle toucha son vêtement. 28 Elle se disait : « Si j’arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée. » 

          Cette femme, bien qu’anonyme, Marc prend le temps de la décrire, de décrire une situation qu’on peut qualifier de désespérée. Elle souffre d‘une longue maladie qui l’affaiblit (elle est sûrement anémiée), et qui la handicape (comment vivre normalement avec des pertes de sang continues ?). Elle a tout essayé, pendant douze ans (douze ans ! Où étiez-vous, il y a douze ans ?). Pendant douze ans, elle a accumulé rendez-vous sur rendez-vous, elle a tout testé, et rien n’a marché : à chaque fois, l’espoir suivi d’une déception.

Sa maladie est particulière dans la mesure où elle perd du sang – et les pertes de sang, régulières comme irrégulières, sont dans le judaïsme antique un gros tabou, quelque chose de perturbant qu’on regarde comme impur (comme tout état physiologique exceptionnel /même si c’est un exceptionnel régulier). Du coup, si on touche une femme comme elle, on ne peut plus participer au rituel religieux : alors cette femme finit au bord de la société, aussi évitée qu’un lépreux.

Donc souffrance, désespoir, isolement social et spirituel. Dans sa vie, il n’y a plus rien d’autre que la maladie, et en même temps la maladie est omniprésente. Aux côtés de cette femme, on peut retrouver tous ceux qu’affectent des maladies longue durée, visibles ou pas, et aussi ceux qui se retrouvent à la fois en souffrance et dans l’isolement : un parent d’enfant handicapé que les gens évitent car ils ne savent pas quoi lui dire ou une personne au chômage depuis longtemps…

Pourtant, cette femme tente le tout pour le tout : Jésus a bonne réputation, peut-être que… Dans le texte original, le verbe toucher est le premier verbe conjugué après la longue description de la situation (c’est pour ça que je l’ai souligné). Son geste est mis au premier plan. C’est un geste plein d’espoir mais qui pose quelques difficultés.

D’abord, en touchant Jésus, elle transgresse les règles, car elle risque de le rendre impur.

Ensuite, elle a une approche un peu magique du miracle : le pouvoir de Jésus se transmettrait à ses objets (ce que beaucoup croyaient dans l’Antiquité), en décalage avec les écrits juifs, où Dieu a tout fait pour qu’on arrête de donner du pouvoir aux choses et qu’on se tourne vers le Créateur. Mais elle, elle est dans cette croyance populaire, superstitieuse.

Et puis elle ne demande rien à Jésus, c’est une démarche qu’elle fait littéralement dans son dos, sans son consentement : un geste qui en dit long sur sa honte, sa timidité, sa peur d’interrompre (Jésus part en consultation, il est pressé), comme si elle n’avait pas vraiment le droit de demander.

Dans cette main qui touche Jésus, il y a un mélange d’espoir et d’hérésie, d’élan et de honte.

Que se passe-t-il alors ?

29 Aussitôt, sa perte de sang s’arrêta et elle ressentit en son corps qu’elle était guérie de son mal. 

30 Aussitôt Jésus ressentit en lui-même qu’une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il dit : « Qui a touché mes vêtements ? » 

Immédiatement, la femme est guérie, et elle le sent. Comment ?… je ne sais pas. Mais ce qui est frappant, dans le texte, c’est que Marc fait le parallèle entre le ressenti de la femme et celui de Jésus : au milieu de cette foule bruissante et pressante, il y a quelque chose qui se joue pour eux deux, seulement, quelque chose de très profond et d’intime.

Jésus, en posant sa question, donne l’impression d’avoir subi le miracle, d’être à la traîne. Soit Jésus sait très bien ce qui s’est passé, et pose la question dans un but pédagogique, pour forcer la rencontre avec la femme ; soit Jésus pose vraiment la question, et dans ce cas, il a été moyen d’un miracle un peu malgré lui, mais pas malgré Dieu. Parce que dans cette foule, plein de gens devaient avoir des problèmes, et leur proximité avec Jésus n’a rien changé. Donc forcément quelqu’un a déclenché le miracle pour cette femme : Jésus, ou Dieu, ou les deux… c’est un peu mystérieux. 

31 Ses disciples lui dirent : « Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : “Qui m’a touché ?” » 

32 Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela. 

Vu le texte, Jésus sait que c’est une femme qui l’a touché, donc peut-être était-il conscient du miracle en amont.

La réaction des disciples souligne qu’il y a deux touchers : la foule, qui touche Jésus sans y penser, et la femme, dont le geste était lourd de sens. Et Jésus fait très bien la différence. Ça nous renvoie à nos façons d’approcher Dieu, d’approcher Jésus aujourd’hui, dans la prière, la louange, la méditation : la forme est assez anecdotique finalement. Il y a ce qu’on fait et pourquoi on le fait. Et Dieu voit au-delà des apparences, ce qui l’intéresse, c’est notre cœur, notre intention, même si c’est mal exprimé, maladroit, à moitié faux… pas grave. Ça ne l’empêche pas de répondre ! Comme une maman qui reçoit une boîte fabriquée par ses enfants pour la fête des mères: même si la peinture a débordé et que la boîte ne ferme pas bien, c’est l’affection de ses enfants qu’elle voit d’abord. Pour Dieu c’est pareil : il fait le tri entre nos façons de faire, et ce qu’il y a dans notre cœur (notre espoir, notre affection, notre demande, notre peur, notre révolte, nos besoins, notre confiance…).

33 Alors la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. 

34 Mais il lui dit : « Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal. »

La femme est en panique, déjà à cause de ce qu’elle a fait (est-ce que Jésus va la gronder d’avoir « volé » un miracle ?), et aussi parce qu’elle vient d’expérimenter quelque chose d’inimaginable : elle a été guérie sur-le-champ.

Pourtant, elle surmonte sa peur et elle avoue ce qui s’est passé (c’est sûrement là d’ailleurs que les détails de sa situation sont révélés).

Or Jésus lui offre un accueil profond, plein d’amour (« ma fille ») et lui montre qu’elle a toute sa place dans le peuple de Dieu. En même temps, il apporte une petite correction : « ta foi t’a sauvée » (sous-entendu, pas mon vêtement). C’est bien la graine de foi qui était dans le cœur de cette femme qui a touché Dieu.

Jésus l’invite à vivre désormais en paix – plus qu’en paix, « shalom » en hébreu c’est  la plénitude – et il prononce sa guérison. C’est étrange, vu qu’elle a déjà ressenti l’arrêt des saignements. On pourrait dire qu’il confirme la guérison complète et définitive. Peut-être aussi qu’on peut voir dans ce « mal » dont elle est guérie la maladie et tout ce qui va avec :  douleurs, peurs, solitude, désespoir, honte. D’ailleurs, Jésus répond à tout ça en prenant le temps de la rencontre avec elle, alors qu’il y a urgence pour la fille de Jaïrus (qu’il sauvera aussi !), comme pour signifier que ce miracle n’est pas un miracle de seconde zone, une guérison à la sauvette : Jésus s’arrête et offre à cette femme toute son attention. Parce qu’au-delà du miracle, et de la guérison, ce que Jésus apporte c’est le message que Dieu la connaît et qu’il l’aime. Qu’elle a autant de valeur à ses yeux que l’enfant d’un grand chef religieux.

Je suis fan de romans policiers, et en ce moment je lis les romans de Michael Connelly, notamment une série autour de l’inspecteur Harry Bosch. Et le slogan de cet homme, c’est : « tout le monde compte, ou personne ne compte ». Peu importe le passé de la victime, c’est son devoir de mener l’enquête. Je retrouve un peu de ça chez Jésus : tout le monde compte à ses yeux. Le notable respecté comme la femme que tout le monde fuit, riche ou pauvre, celui qui suit le bon protocole comme celle qui fait ce qu’elle peut et c’est limite : tout le monde compte à ses yeux. Peu importe notre situation, notre honte, le regard que les gens portent sur nous : pour Jésus, chacun mérite qu’on s’arrête.

Jésus, tout-puissant et accessible

Dans ce passage, Jésus montre sa force, sa puissance, son autorité sur toute sorte de mal. Pourtant, bien que tout-puissant, Jésus reste accessible. Et c’est sur ça que je veux insister ce matin : Jésus est accessible, il rend Dieu accessible.

C’est un encouragement pour nous à aller vers lui malgré nos situations difficiles ou même déshonorantes. Ce n’est pas parce qu’on est maladroit, pécheur (on l’est tous !), ou même hérétique (on l’est tous aussi) que Jésus nous rejette. Il n’attend pas que nous utilisions la bonne formule ou le bon protocole pour nous accueillir : même une once d’espoir, même une graine de foi, même une aiguille dans une botte de maladresse – il la voit, et il répond. L’histoire de cette femme nous invite à oser, nous-mêmes, nous approcher de Dieu, de Jésus, même quand nous nous sentons indignes : c’est la définition de la grâce ! Dieu en Jésus rejoint des hommes et des femmes nuls, abîmés, cabossés, indignes, victimes et même coupables, pour les remettre debout et les intégrer à sa famille.

L’accueil de Jésus inspire aussi notre façon d’entourer ceux qui s’approchent de la foi. Chez les protestants évangéliques surtout, on a très peur de l’hérésie, du compromis, de l’erreur et de la faute (parce qu’on veut honorer Dieu !), mais du coup le risque c’est de mettre des barrières que Dieu ne met pas. La personne qui s’approche de Dieu avec maladresse, avec des idées mélangées, une situation de vie douteuse : Dieu regarde son cœur d’abord, et je crois que nous devons apprendre à faire de même. Surtout dans une société qui n’a plus trop de repères religieux chrétiens : même si le vocabulaire n’est pas très adapté, ce qui est premier, essentiel, et ce que Dieu regarde, je pense, c’est la soif de la personne : soif d’un amour fondamental, soif de grâce, soif de liberté, de sens, d’espoir… En tant que témoins, notre première mission c’est de pointer vers Jésus, pas d’apporter des corrections ou de mettre une note. Après, sur le chemin, dans la relation, les choses se clarifient et se précisent, mais ça vient après : Jésus nous accueille, nous et les autres, tels que nous sommes.




Une brebis perdue et un berger éperdu

Cela vous est déjà arrivé, non ? De ne plus trouver vos clefs, vos lunettes, votre portefeuille, un papier important (ou, pire que tout, votre téléphone… !), et de chercher partout pendant loooongtemps, quitte à devoir appeler vos proches en panique (« dis, j’ai pas oublié mes lunettes chez toi ? »). Les scénarios tournent dans la tête alors qu’on essaie de retracer ses gestes ou ses pas. En même temps, un circuit parallèle s’enclenche pour trouver un plan B : et si je ne le retrouve pas… Untel a un double de mes clefs, je déplace mon rdv à demain, il faut que je retourne chez l’opticien, etc. Evidemment, si c’est votre téléphone que vous avez perdu, il n’y a pas de plan B : c’est la fin !

Quel soulagement quand on finit par retrouver ce qui était perdu : ce qui nous oppressait disparaît. On est reparti ! La vie tourne rond à nouveau. C’est vrai dans les petits moments du quotidien, pour nos clefs, nos lunettes, et a fortiori, bien sûr, avec des personnes : un ami perdu de vue qu’on recherche sur internet, une sœur avec qui on se réconcilie, un enfant qui a fugué et qu’on retrouve après des heures de recherche et d’angoisse…

Cette expérience, Jésus y fait référence dans une série de paraboles pour parler de Dieu.

Lecture biblique : Luc 15.1-7

1 Les collecteurs d’impôts et les pécheurs s’approchaient tous de Jésus pour l’écouter. 

2 Et les Pharisiens et les scribes murmuraient ; ils disaient : « Cet homme-là fait bon accueil aux pécheurs et mange avec eux ! »

3 Alors il leur dit cette parabole : 

4 « Lequel d’entre vous, s’il a cent brebis et qu’il en perde une, ne laisse pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller à la recherche de celle qui est perdue jusqu’à ce qu’il l’ait retrouvée ? 

5 Et quand il l’a retrouvée, il la charge tout joyeux sur ses épaules, 6 et, de retour à la maison, il réunit ses amis et ses voisins, et leur dit : “Réjouissez-vous avec moi, car je l’ai retrouvée, ma brebis qui était perdue !” 

7 Je vous le déclare, c’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion.

Jésus enchaîne en fait trois paraboles : celle-ci, une autre sur une femme qui perd l’équivalent de sa carte bleue, et l’histoire d’un homme dont l’un des deux fils part en claquant la porte (communément appelée la parabole du fils prodigue). Elles vont toutes dans la même direction, avec des nuances bien sûr, mais je vous propose de nous concentrer sur cette première parabole, la parabole de la brebis perdue.

          Un berger éperdu

Dans cette histoire, comme dans les Ecritures juives, le berger représente Dieu, et les brebis, son peuple, l’humanité. Ce berger possède une centaine de moutons. En comptant ses bêtes, il se rend compte qu’il en manque une : elle a dû se perdre en route.

Vu le contexte, Jésus associe clairement la brebis perdue aux collecteurs d’impôts, aux pécheurs qui sont venus l’écouter, ces gens qui se retrouvent en marge de la société juive, du peuple de Dieu, à cause d’un mode de vie contraire aux règles religieuses. Certains collecteurs d’impôts fricotaient avec le pouvoir romain, quitte à accepter la corruption financière, d’autres étaient mêlés à des pratiques licencieuses et immorales, d’autres encore n’en faisaient qu’à leur tête et ne respectaient rien.

Face à eux, comment Dieu peut-il réagir ? Instinctivement, on situerait Dieu sur un trône, raide, les bras croisés, attendant que le rebelle revienne en baissant les yeux. Or Jésus donne un portrait radicalement opposé : le berger laisse tout en plan et part chercher la brebis égarée. Pour Jésus, c’est une évidence : qui d’entre vous ne ferait pas ça ?

Est-ce si évident ? Clairement, il n’a pas entendu parler des 15% de pertes auxquelles on a droit ! Si vous avez oublié un article payé à la caisse, est-ce que vous laisseriez sur le parking votre caddie rempli de marchandises payées pour aller le chercher ! C’est trop risqué ! Alors, pour les 99 brebis, il n’y a peut-être personne qui va venir les voler, mais une bête sauvage pourrait attaquer, d’autres brebis pourraient se perdre… Ca ne paraît pas sage ! Ce serait plus rassurant si le berger laissait son troupeau sous surveillance, comme un père qui doit aller chercher son dernier à l’école et qui laisse les grands chez la voisine.

Evidemment, c’est une courte parabole, et il ne faut pas trop pousser les détails ! Cela dit, ce qui ressort, c’est l’impact sur le berger, le choc quand il comprend qu’une brebis s’est égarée : il laisse tout en plan et va la chercher.

Si le berger est Dieu, est-ce qu’on l’imagine s’interrompre, tout laisser en plan, pour partir à la recherche de celui qui s’est perdu ? faire tous les efforts, grimper, descendre, se faufiler, parfois courir, appeler à tous vents celui ou celle qui s’est éloignée ? face à la brebis perdue, Jésus nous montre un Dieu éperdu, un Dieu qui ne recule devant rien pour retrouver ceux qu’il aime.

Et quand il retrouve la brebis égarée, désorientée, sûrement paniquée, il la prend dans ses bras avec force et tendresse pour la ramener au bercail.

          Des brebis perdues mais précieuses

Peut-être que parmi vous, certains se sentent comme cette brebis : égarés, désorientés, en décalage avec Dieu, peut-être que vous vous êtes éloignés et que vous avez du mal à revenir, peut-être que vous avez l’impression de dériver, emportés par un courant contre lequel vous ne pouvez pas lutter, peut-être que vous vous demandez comment ce serait possible de revenir jusqu’à Dieu, et surtout, comment il pourrait bien vous accepter après cette séparation.

Le message de Jésus, c’est que Dieu ne vous attend pas : il vous cherche. Il vous appelle. Il vous court après, tellement vous êtes importants pour lui !

Finalement, je crois que c’est ça, le sens du troupeau de 99 brebis laissées de côté pour chercher 1 brebis : vous n’êtes pas un parmi d’autres, une perte que Dieu accepte dans son bilan comptable. Pour Dieu, vous avez une valeur inestimable. C’est pour cela qu’il vient dans l’humanité, à travers Jésus, pour chercher ceux qui se sont égarés (tout le monde, en fait, plus ou moins). C’est lui qui vient à notre rencontre, à votre rencontre, et s’il y a quelque chose qui vous pèse et vous empêche lui répondre, il le prend sur lui, berger devenu brebis, Dieu devenu homme en Jésus, prêt à porter tout le poids de ce qui nous accable, nos souffrances comme nos injustices, à endurer la pire condamnation, pour que nous n’ayons ‘’qu’à’’ répondre « oui ».

Mais l’histoire ne s’arrête pas là : une fois la brebis retrouvée, la joie déborde. Trois fois Jésus cite la joie du berger. Il y a la joie de retrouver la brebis perdue, et aussi le contentement de retrouver son troupeau, sa famille, au complet.

En rentrant, il est dans une telle effervescence qu’il fait une fête, une grosse fête, avec tout le quartier ! Ceux qui sont perdus, Dieu part à leurs trousses pour les inviter à la fête, avec lui, dans la joie de son amour.

Petit décalage : la parabole parle des efforts du berger pour retrouver sa brebis, alors que dans sa conclusion, Jésus évoque le mouvement de conversion des pécheurs. Se convertir, c’est se tourner vers… Alors, qui fait le mouvement ? le berger ou la brebis ? Dieu ou nous ? Les deux ! Dieu fait quasiment tous les efforts : il envoie une invitation, il appelle, il se déplace en personne… mais il faut répondre ! RSVP ! Cette réponse, c’est un lâcher-prise (oui !), une prière, voire une question « t’es sûr que tu m’aimes vraiment ? »…

Et cette réponse est un choix, un mouvement : répondre oui à l’invitation de Dieu, c’est comme s’inscrire à un événement – on renonce à être ailleurs, à faire autre chose, on renonce à ce qui nous empêche d’être avec Dieu.

          Changer de regard sur l’autre  

Pour qui Jésus raconte-t-il cette histoire ? Si on se sent brebis perdue, on est touché par ce message d’un Dieu qui nous aime de façon éperdue.

Pourtant Jésus ne vise pas ici les « brebis perdues »: il parle d’abord aux pharisiens, aux religieux bien-pensants et convenables qui viennent de le critiquer, de s’insurger qu’un prophète accepte de se mélanger avec ceux qui viennent des bas-fonds. Comme de bons élèves qui seraient choqués que le prof inclue les cancres pour une sortie découverte.

Le message de Jésus, c’est que Dieu ne voit pas ces « cancres », ces « rebelles », comme des intrus, mais comme des invités d’honneur ! Et on comprend pourquoi, puisque Jésus nous a révélé ce qui se passe dans le cœur de Dieu : son plus profond désir, c’est que tous reviennent à lui. Il est prêt à tout pour les retrouver. Alors quand Jésus voit s’approcher pour l’écouter ces « pécheurs » marginalisés, même sur la pointe des pieds, même sans avoir tout compris, il est tellement heureux, car il porte en lui ce désir de Dieu de retrouver ceux qui l’ont perdu de vue.

Quel contraste avec l’attitude des pharisiens ! Préoccupés à juste titre par la sainteté de Dieu, ils sont scandalisés par certaines choses. Le problème, c’est que ça a dérivé, ça a pris des proportions énormes et ils ont fini par juger les gens, par distinguer entre les bons et les mauvais, ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors – hors de question de les mélanger !

Aujourd’hui, dans notre société, il y a bien des principes et des comportements qui paraissent incompatibles avec la foi. Est-ce que nous en arrivons à éviter, à fuir, à repousser ( ?) ceux qui vivent ainsi ? S’ils venaient ici, sans s’être rangés, comme ils sont, seraient-ils les bienvenus ?

Dans le jugement des pharisiens, il y a de l’orgueil, oui, un aveuglement sur leurs propres failles (personne n’est de lui-même parfaitement en phase avec le Dieu saint, intègre, juste et bon !), et un oubli de l’essentiel : Dieu désire ceux qu’il a créés, il désire vivre avec eux, les combler de son amour, les inviter dans sa joie.

Jésus rappelle la posture de Dieu pour nous appeler à nous réjouir de ce qui réjouit Dieu, à accueillir ceux que lui invite – accueillir malgré les différences, les écarts, les incompréhensions, les « valises ». A changer de regard pour voir l’autre comme un précieux, invité d’honneur à la table de Dieu.

Et si on comprend ce désir éperdu de Dieu, sa ferveur, notre regard ne change pas seulement dans l’église, au culte ou dans les groupes. Il change aussi dehors, au quotidien : on dit qu’on se fait une idée des gens dans les 10 premières secondes. Et si notre première impression c’était que l’autre est précieux aux yeux de Dieu, que Dieu le désire et l’invite ? Notre collègue agaçant, notre voisine qui ronchonne, un copain survolté, une cliente impolie, tous ceux qui nous semblent à côté de la plaque : si l’amour fervent de Dieu venait transformer notre regard, qu’est-ce que ça donnerait ? au lieu de la suspicion, du jugement ou du rejet, d’une attitude défensive ou dégoûtée, peut-être de l’intérêt, de la curiosité, une écoute, une disponibilité pour aller boire un café, pour aller plus loin dans la relation. Expérimenter à notre tour le désir profond que l’autre reçoive, là où il est, l’amour de Dieu qui le cherche, voilà qui peut changer notre perspective, nos actes, et nos paroles – et peut-être, permettre à l’autre de se savoir aimé de Dieu, de façon éperdue.