La tentation du pouvoir et le modèle du serviteur

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séries pouvoir

Quel est le point commun entre toutes ces séries ? Elles tournent autour de la question du pouvoir et nous font entrer, d’une manière ou d’une autre, dans les coulisses où se jouent les alliances et les trahisons, les tractations et les coups bas… Bref, les jeux de pouvoir.

Bien-sûr, ce sont des fictions, pas des documentaires (même The Crown)… Mais les jeux de pouvoir existent bien dans la vraie vie ! Et ils sont parfois violents aussi. On risque de le voir dans les prochains mois, avec l’élection présidentielle qui commence. Sans tomber dans la caricature et dire que c’est magouilles et compagnie, reconnaissons que le petit jeu électoral, avec ses tractations, ses alliances et ses jeux de pouvoir n’est pas toujours très reluisant… et bien des choses se passent en coulisse.

Mais ne nous faisons pas d’illusion : à peu près partout, dans tout groupe humain, il y a des enjeux de pouvoir, et beaucoup de choses se passent en coulisse. Et croire que les institutions chrétiennes et les Églises ne seraient pas concernées relèverait d’une naïveté coupable.

Ça a d’ailleurs commencé dès le groupe des disciples de Jésus. Les Evangiles n’hésitent pas à s’en faire l’écho… comme dans le texte de l’Evangile du jour. Une véritable tranche de vie ! Ça sent le vécu…

Marc 10.35-45
35 Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, viennent auprès de Jésus. Ils lui disent : « Maître, nous désirons que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. » – 36 « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? » leur dit Jésus. 37 Ils lui répondirent : « Quand tu seras dans ta gloire, accorde-nous de siéger à côté de toi, l’un à ta droite, l’autre à ta gauche. » 38 Mais Jésus leur dit : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ! Êtes-vous capables de boire la coupe de douleur que je vais boire, ou de recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? » 39 Ils lui répondirent : « Nous en sommes capables. » Jésus leur dit : « Vous boirez en effet la coupe que je vais boire et vous serez baptisés du baptême où je vais être plongé. 40 Mais ce n’est pas à moi de décider qui siègera à ma droite ou à ma gauche ; ces places sont à ceux pour qui Dieu les a préparées. »
41 Quand les dix autres disciples entendirent cela, ils s’indignèrent contre Jacques et Jean. 42 Alors Jésus les appela tous et leur dit : « Vous le savez, ceux que l’on regarde comme les chefs des peuples les commandent en maîtres, et les personnes puissantes leur font sentir leur pouvoir. 43 Mais cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur, 44 et celui qui veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous. 45 Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme rançon pour libérer une multitude de gens. »
Mais quelle mouche a piqué ces deux frères pour faire cette demande à Jésus ? S’attendaient-ils vraiment à ce que Jésus leur dise : “OK, pas de problème, c’est noté ! Je vous réserve les deux places de choix dans mon Royaume puisque vous me le demandez si gentiment !”

Tout ne nous est pas dit dans le récit mais j’imagine, quand même, que Jacques et Jean sont allés discrètement faire leur demande à Jésus. Ils ont sans doute profité d’un moment où Jésus était isolé pour aller le voir. Dans l’Evangile de Matthieu, pour ce même épisode, c’est leur mère qui va le demander à Jésus pour ses deux fils. Quoi qu’il en soit, on perçoit bien qu’ils ont préparé leur coup !

Pourtant, dans la deuxième partie du récit, les 10 autres disciples réagissent fortement. Ils ont donc compris la demande de Jacques et Jean, et ils s’en indignent. J’imagine que c’est à cause de la réponse de Jésus, dite suffisamment fort pour que tout le monde entende. Jésus ne l’a pas forcément fait exprès pour confondre les deux frères. Mais il a pu s’emporter. On imagine le ton du verset 38 : « Vous ne savez pas ce que vous demandez ! Êtes-vous capables de boire la coupe de douleur que je vais boire, ou de recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ? » Je ne vois pas Jésus dire cela calmement et d’une voix douce… Et en entendant la réponse de Jésus, même par bribes, les autres disciples ont vite compris la nature de la demande que leurs deux collègues avaient faite… Alors ils s’indignent !

Mais Jésus va ensuite calmer le jeu en s’adressant à tous. Sans doute aussi parce qu’ils avaient tous besoin de l’entendre. Ne peut-on pas se demander si l’indignation des 10 autres disciples était pure de toute jalousie ? S’indignent-ils de la demande faite par Jacques et Jean, choqués de ce qu’ils n’auraient jamais osé demander ? Ou regrettent-ils un peu de ne pas avoir osé le demander avant eux… et ils ragent d’avoir été devancés ? J’extrapole, évidemment… Mais je constate quand même que la mise au point que Jésus fait, il la fait non pas seulement à Jacques et Jean mais à l’ensemble des 12 disciples : “Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous !” Tout le monde est concerné par l’enseignement que Jésus tire de cet épisode…

Et je note, pour nous, au moins deux enseignements en application de ce récit :

  • La tentation du pouvoir
  • Le modèle du serviteur

 

La tentation du pouvoir

Qu’est-ce que Jacques et Jean espéraient obtenir avec leur demande ? Un privilège ! Ils sont 12 disciples, il n’y a que deux places ! Ils ne sont ni meilleurs, ni pires, que les autres. Ils ne méritent pas plus, mais sans doute pas moins non plus, que les autres, les places d’honneur qu’ils réclament. Mais ils savent qu’il n’y a que deux places autour du trône.

Là où les choses se complexifient c’est que dans la formulation de leur demande, il y a aussi l’expression d’un attachement à Jésus, et même une affirmation de foi : “Quand tu seras dans ta gloire…” Alors qu’ils suivent Jésus sur les chemins de Judée et de Galilée, ils croient l’un et l’autre que Jésus est le Messie, et qu’il montera sur le trône du Royaume de Dieu. Ils veulent être associés à son règne… et à son pouvoir. Mais leur demande se fait au détriment des 10 autres disciples ! Et le problème est bien là…

“Vous le savez, ceux que l’on regarde comme les chefs des peuples les commandent en maîtres, et les personnes puissantes leur font sentir leur pouvoir. Mais cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous.”

Quand Jésus évoque ici les dirigeants et les puissants de ce monde, il souligne combien ils aiment faire sentir leur pouvoir. C’est le même reproche qu’il adresse aux Pharisiens : ils profitent de leur pouvoir spirituel, pour contrôler voire humilier les gens, et pour rechercher les honneurs. Le pouvoir procure des privilèges, et on a envie de les montrer et d’en profiter…

Le pouvoir est une drogue. Il faut en consommer avec modération…

La formule utilisée par Jésus est intéressante : il parle de “ceux que l’on regarde comme les chefs des peuples”. Jésus insiste sur le regard qu’on porte sur eux… Le pouvoir des puissants se mesure dans le regard que les autres portent sur eux. Un regard qui peut être un regard de peur, d’admiration, de jalousie… et les puissants s’en nourrissent.

Mais Jésus le dit explicitement : “Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous.”

Nous devons, en tant que croyant, sans cesse nous interroger sur la tentation du pouvoir dans nos relations, dans toutes nos relations. Car nous sommes tous concernés ! Il y a bien des enjeux de pouvoir dans toutes les sphères de notre vie. Dans notre famille, au travail, dans notre cercle d’amis, et forcément aussi dans l’Eglise…

Dans nos familles, les abus peuvent se manifester dans les relations de couple, dans les relations de parents à enfants, ou dans une rivalité entre frères et soeurs… Ces enjeux de pouvoir se manifestent parfois de manière évidente, parfois de manière plus sournoise mais réelle. Ils prennent la forme de tensions, d’affrontements, de paroles humiliantes, parfois de violence, qu’elle soit verbale ou physique… Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous, dans vos familles… et pourtant !

Au travail, les enjeux de pouvoir sont évidents, avec les relations hiérarchiques, avec les ambitions carriéristes qui se font souvent au détriment voire au mépris des autres… et on peut se laisser entraîner facilement. Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous, dans votre travail… et pourtant !

Dans notre cercle d’amis, les enjeux de pouvoir sont probablement moins évidents. Quoique… Les jalousies et les rivalités y existent aussi, on peut y rechercher la popularité ou la place de chef de bande… Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous, avec vos amis… et pourtant !

Et dans l’Eglise aussi, ne nous faisons pas d’illusion… Il y a des jeux d’influence, des jalousies et des rivalités, des enjeux de pouvoir qui peuvent conduire, dans les pires des cas, à des abus spirituels ou pire. Avec le rapport Sauvé qui vient de sortir, il ne faudrait pas croire que seule l’Église catholique puisse être touchée… Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous, dans votre Église… et pourtant !

 

Le modèle du serviteur

Face aux tentations du pouvoir, Jésus oppose le modèle du serviteur. Et le contraste est radical :

“Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur, et celui qui veut être le premier parmi vous sera l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme rançon pour libérer une multitude de gens.”

Il faut souligner tout le paradoxe des paroles de Jésus : pour devenir grand et être le premier, il faut prendre la position du serviteur et même de l’esclave. Il n’y a pas de position plus basse dans l’échelle sociale que celle d’esclave ! L’idée de Jésus, ce n’est pas que chacun se considère comme un moins que rien mais que chacun considère les autres comme importants. Dans la perspective du Christ, ce qui doit présider aux relations ce n’est pas le pouvoir mais le service.

Il n’y a personne de plus légitime que Jésus pour dire cela. C’est exactement l’exemple qu’il a donné. Le modèle, c’est le Christ ! Plus que quiconque, il aurait pu se prévaloir de son rang de Fils de Dieu mais il a choisi le chemin du service. Il a accepté de devenir un être humain, d’embrasser la condition humaine, avec tout ce que cela implique. Quel chemin d’humilité ! “Il n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie…”

Qu’est-ce que ce modèle du serviteur implique dans nos relations ? Quelles sont les différences entre le modèle du puissant et le modèle du serviteur ?

  • Le puissant fait sentir son pouvoir et cherche à impressionner. Le serviteur est prêt à s’effacer pour mettre l’autre en valeur.
  • Le puissant sert ses propres intérêts. Le serviteur se préoccupe des intérêts des autres.
  • Le puissant s’élève au dépend des autres. Le serviteur cherche à élever les autres.

Dans toutes nos relations, en famille, au travail, avec nos amis, à l’Église… quel modèle suivons-nous ? Celui du puissant ou celui du serviteur ?

Évidemment, ce modèle fonctionne parfaitement si tout le monde adopte la posture du serviteur, si le service est réciproque. C’est plus compliqué s’il y a d’un côté les serviteurs et de l’autre les puissants… Mais même face aux puissants, Jésus nous invite à prendre la posture du serviteur. Comme lui l’a fait. Il a accepté l’injustice, il s’est tu devant les puissants qui l’accusaient.

Ce n’est pas un chemin facile… mais c’est celui que le Christ a emprunté avant nous !

Mais souvenons-nous que le service n’est pas un aveu de faiblesse, c’est une preuve de force. Les faibles, finalement, sont ceux qui ont besoin de se servir des autres pour avoir de la valeur à leurs propres yeux. Les forts, ce sont ceux qui n’ont pas besoin d’écraser ou d’humilier les autres pour connaître leur valeur.

 

Conclusion

“Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous !”

Quand Jésus dit une telle phrase, c’est bien qu’il y a un danger !

La tentation du pouvoir existe, dans toute relation. Selon notre personnalité, notre histoire, les circonstances de notre vie, elle se manifeste de différentes manières. Mais elle est là. Elle nous pousse à chercher avant-tout voire exclusivement nos propres intérêts, elle nous pousse à asseoir notre autorité ou notre popularité, elle nous pousse à nous servir des autres, quitte à les dénigrer, les humilier, elle nous pousse à diverses formes de violence, évidentes ou sournoises…

“Cela ne doit pas se passer ainsi parmi vous !”

Face à la tentation du pouvoir, Jésus oppose le modèle du serviteur. Un modèle qu’il a lui-même incarné. Ce n’est pas le chemin de la facilité. Mais c’est le seul chemin qui nous permette vraiment d’accomplir le grand commandement de l’amour :

“Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Il faut que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Si vous avez de l’amour les uns les autres, alors tous sauront que vous êtes mes disciples.” (Jean 13.34-35)