L’entrée du roi

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Marc 11.1-10
1 Quand ils approchent de Jérusalem, près des villages de Bethfagé et de Béthanie, ils arrivent vers le mont des Oliviers. Jésus envoie deux de ses disciples. Il leur dit : 2 « Allez au village qui est devant vous. Dès que vous y entrerez, vous trouverez un petit âne attaché, sur lequel personne ne s’est encore assis. Détachez-le et amenez-le-moi. 3 Si quelqu’un vous demande : “Pourquoi faites-vous cela ?”, dites-lui : “Le Seigneur en a besoin, mais il le renverra ici sans tarder.” »
4 Ils partirent et trouvèrent un petit âne dehors, dans la rue, attaché à la porte d’une maison. Ils le détachèrent. 5 Des gens qui se trouvaient là leur demandèrent : « Que faites-vous ? pourquoi détachez-vous cet ânon ? » 6 Ils leur répondirent ce que Jésus avait dit, et on les laissa aller. 7 Ils amenèrent l’ânon à Jésus ; ils posèrent leurs manteaux sur l’animal, et Jésus s’assit dessus. 8 Beaucoup de gens étendirent leurs manteaux sur le chemin, et d’autres y mirent des branches vertes qu’ils avaient coupées dans la campagne. 9 Ceux qui marchaient devant Jésus et ceux qui le suivaient criaient : « Hosanna ! Que Dieu bénisse celui qui vient au nom du Seigneur ! 10 Que Dieu bénisse le règne qui vient, le règne de David notre père ! Hosanna au plus haut des cieux ! » 11 Jésus entra à Jérusalem dans le temple. Après avoir tout regardé autour de lui, il partit pour Béthanie avec les douze disciples, car il était déjà tard.
L’entrée de Jésus à Jérusalem est spectaculaire, et ce n’est pas le fruit du hasard. On se rend compte que Jésus s’arrange pour que les choses se passent de cette façon. En réalité, on peut dire qu’il met en scène son entrée. D’autant qu’il n’entre pas à Jérusalem pour y séjourner. La fin du texte nous le dit : il entre dans la ville, va dans le temple, il observe… et il repart pour Béthanie avec ses disciples.

Ce n’est pas la première fois que Jésus entre à Jérusalem… et les autres fois, ça ne s’est pas passé comme ça ! Mais là, c’est spécial. Il sait que son ministère touche à sa fin, il sait que ce qu’il a annoncé à plusieurs reprises à ses disciples va bientôt arriver : il va être livré, condamné, et il va être mis à mort.

Alors il veut que cette entrée dans Jérusalem soit différente. La mise en scène est minutieusement préparée ! Il envoie deux de ses disciples chercher un âne pour qu’il puisse entrer dans la ville assis dessus. Et il est acclamé par la foule. Est-ce spontané ou est-ce que Jésus a demandé à ses disciples d’initier le mouvement ? Soit en criant eux-mêmes Hosanna, soit en mettant des vêtements ou des branches sur le chemin… Allez savoir !

En tout cas, rien n’est laissé au hasard. Jésus soigne son entrée à Jérusalem, pour lui donner du sens. Il fait en sorte que tout se passe comme le prophète Zacharie l’avait annoncé :

Zacharie 9.9
9 Éclate de joie, Jérusalem ! Crie de bonheur, ville de Sion ! Regarde, ton roi vient à toi, juste et victorieux, humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse.

Cette mise en scène de Jésus lors de son entrée à Jérusalem s’apparente à un geste prophétique comme on en rencontre chez plusieurs prophètes de l’Ancien Testament. Le spécialiste, c’était Jérémie : devant tout le monde, il a porté un ceinture de lin pourrie, brisé une cruche, porté sur ses épaules un joug fait de bois et de cordes… Jésus, lui, entre à Jérusalem sur le dos d’un ânon…

Le lendemain, il entrera à nouveau à Jérusalem… mais avec un tout autre état d’esprit. Il ira au temple et se mettra en colère, en chassant les vendeurs du temple ! Ce sera, d’une certaine façon, une autre mise en scène (rappelez-vous qu’il est allé au temple et qu’il avait tout observé la veille), un autre coup d’éclat.

Et quelques jours plus tard, la foule criera bien autre chose que des Hosanna ! Ils diront à Pilate : “Crucifie-le !”

Mais pour l’instant, c’est le moment de l’entrée triomphale. L’entrée du roi à Jérusalem.

L’entrée du roi

Quel roi Jésus est-il lors de son entrée à Jérusalem ? Un roi pacifique et humble.

Un âne n’est pas une monture indigne d’un roi… mais c’est une monture pour lui en temps de paix. On ne va pas au combat sur un âne mais sur un cheval ! Jésus n’entre pas à Jérusalem comme un roi conquérant et guerrier accompagné de toute son armée. Il entre comme un roi de paix, sur le dos d’un âne, accompagné de quelques disciples.

Ce roi de paix est aussi un roi humble. Zacharie l’annonçait explicitement : le roi vient, “humble et monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse.” Ce n’est même pas un âne, c’est un ânon. Et si la foule l’acclame, les compagnons qui marchent avec lui sont, pour la plupart, d’humble condition. Plusieurs sont de simples pêcheurs. Ce ne sont ni des guerriers puissants ni des notables respectés.

Quelques jours plus tard, le roi humble sera même le roi humilié… il sera couronné d’épines, on se moquera de lui. Quel contraste avec les acclamations de la foule ! Jésus sait ce qui l’attend… il ne se fait pas d’illusion sur l’accueil triomphal qu’il reçoit. Au milieu des acclamations de la foule, l’entrée de Jésus a dû être aussi douloureuse pour lui, sachant ce qui l’attendait.

Marc 15.16-20
16 Les soldats emmenèrent Jésus dans le prétoire, l’intérieur du palais du gouverneur, et ils appellent toute la troupe. 17 Ils l’habillent d’un manteau de pourpre, et posent sur sa tête une couronne tressée avec des branches épineuses. 18 Puis ils se mirent à le saluer en lui disant : « Salut, roi des Juifs ! » 19 Ils le frappaient sur la tête avec un roseau, crachaient sur lui et se mettaient à genoux pour se prosterner devant lui. 20 Quand ils se furent bien moqués de lui, ils lui enlevèrent le manteau de pourpre et lui remirent ses vêtements.

Avant son humiliation, il fallait bien que Jésus entre à Jérusalem, acclamé comme un roi. Car c’est bien ce qu’il est. Mais un roi pas comme les autres. Un roi qui se fait serviteur, qui accepte d’être humilié, de souffrir, et de mourir, par amour pour nous.

La couronne qu’on lui accordera, c’est une couronne d’épines. Son trône, une croix sur lequel on le clouera. A la place du respect qui lui est dû, il recevra les moqueries et les humiliations.

Quel roi Jésus est-il pour moi ?

Le récit des Rameaux, c’est la proclamation de Jésus comme roi. Mais c’est une proclamation paradoxale, d’une part avec l’accueil qui lui est réservé, surtout quand on connaît la suite de l’histoire, mais aussi par la figure du roi que Jésus incarne. Un roi pas comme les autres.

Alors quel roi Jésus est-il pour moi ? Et quel accueil est-ce que je lui réserve dans ma vie ?

La perception de la figure du roi est un peu compliquée en France… On leur a quand même coupé la tête à la Révolution… mais ça ne nous a pas empêché d’avoir, quelques années après, un empereur. Et puis aujourd’hui, certains n’hésitent pas à dire qu’avec notre régime présidentiel fort, le chef d’Etat a un statut quasi monarchique. Bref, la figure du roi en France, c’est compliqué…

Or c’est quand même une figure centrale dans la Bible. Et quand on parle du projet de Dieu pour le monde, on parle bien de Royaume de Dieu.

Dans l’Evangile de Jean, devant Pilate, Jésus assume être roi… mais pas à la manière de notre monde :

Jean 18.36
Jésus répondit : « Mon règne n’appartient pas à ce monde ; si mon règne appartenait à ce monde, mes serviteurs combattraient pour que je ne sois pas livré aux autorités juives. Mais non, mon règne n’est pas d’ici. »

Le roi, c’est celui qui a une autorité suprême. Si c’est un roi despotique et tyrannique, c’est terrible. Mais si c’est un roi pacifique et humble, à l’image de Jésus, alors c’est différent ! Et si, en plus, ce roi choisit de se faire serviteur, ça change tout !

Jésus-Christ est roi… mais pas à la manière de notre monde. Il est roi parce qu’il est le Messie, celui qui est choisi par Dieu. Plus encore, il est le Fils de Dieu. Et s’il est mon roi, alors il a l’autorité suprême sur ma vie !

Mais est-ce que nous en avons vraiment toujours conscience ? Le revirement de la foule qui acclamait Jésus à son entrée à Jérusalem doit nous mettre en garde. Nos chants et nos acclamations courent aussi le risque de la superficialité, de la routine, de l’habitude qui a perdu son sens. Nous pouvons proclamer Jésus comme roi, le chanter le dimanche matin au culte… mais comment cela se concrétise au quotidien ? Que reste-t-il de nos “Hosanna !” du dimanche le lendemain et tous les jours de la semaine ?

Comment Jésus est-il mon roi quand je réfléchis à mes projets, à ma vie familiale et personnelle, à ma carrière professionnelle, à la gestion de mon temps, de mon argent ? La question mérite d’être posée, car Le Christ ne peut être mon roi seulement dans les cantiques que je chante le dimanche. Il n’est vraiment mon roi que s’il l’est tous les jours et dans tous les domaines de ma vie…

Et parce que Jésus n’est pas un roi tyrannique, nous n’avons pas à nous inquiéter. Au contraire, son règne dans notre vie est un règne bienfaisant, un règne d’amour et de paix, de bienveillance et de grâce. Il est, comme l’annonce le prophète Zacharie, un roi juste et humble.

Nous n’avons pas à le redouter… mais à l’accueillir, dans l’espérance et la joie. Hosanna ! Viens, Seigneur, sauve ! Hosanna !




Et Jésus pleura.

Voir la vidéo ici: https://www.youtube.com/watch?v=42DoVie49YM

Imaginez ce que vivent Marthe & Marie. Elles ont perdu leur frère, encore jeune, d’une maladie foudroyante, en quelques jours seulement. Quand un jeune meurt, si vite, si brutalement, la question qui surgit, c’est « pourquoi ? » « Pourquoi lui ? pourquoi comme ça ? C’est injuste ! » Peut-être même : « Si Dieu est là… pourquoi ? » La mort de Lazare est une tragédie.

Comme les tragédies qui nous touchent, nous, aujourd’hui. Au niveau mondial ou personnel : la mort d’un proche, un accident, une rupture, une injustice, quoi que ce soit qui soudain nous enlève la joie.

En lisant l’ensemble du chapitre 11 de l’évangile de Jean, nous comprenons que Jésus a volontairement retardé sa visite à Lazare : lui le faiseur de miracles retarde son intervention, pas par cruauté, mais pour que le miracle soit plus grand. Pour montrer matériellement que par lui, Jésus, la vie va vaincre la mort. Il va ressusciter Lazare, et ce miracle, à quelques jours de son arrestation, de sa propre mort, annonce sa résurrection à lui, et la résurrection qu’il promet à toute personne qui a foi en lui.

Dans l’histoire, les pleurs se changent en joie, la lamentation en allégresse – comme un prototype de ce que Jésus nous promet : Dieu ajoute un chapitre à nos tragédies, un chapitre d’espérance et de joie.

Mais Jean ralentit son témoignage pour nous faire observer les réactions personnelles de Jésus.

Lecture biblique : Jean 11.28-39

28 Après avoir [parlé avec lui], Marthe s’en alla. Puis elle appela Marie, sa sœur, et lui dit en secret : « Le maître est arrivé, il t’appelle. » 29 Dès qu’elle entendit cela, celle-ci se leva vite pour venir à lui ; 30 car Jésus n’était pas encore entré dans le village ; il était encore au lieu où Marthe était venue au-devant de lui. 

31 Les Juifs qui étaient dans la maison avec Marie pour la réconforter la virent se lever vite et sortir ; ils la suivirent, pensant qu’elle allait pleurer au tombeau. 32 Lorsque Marie fut arrivée là où était Jésus et qu’elle le vit, elle tomba à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! »

33 Quand Jésus la vit pleurer, et qu’il vit pleurer aussi les Juifs qui étaient venus avec elle, son esprit s’emporta et il se troubla. 34 Il dit : Où l’avez-vous mis ? — Seigneur, lui répondirent-ils, viens voir ! 

35 Jésus fondit en larmes. 

36 Les Juifs disaient donc : C’était vraiment son ami ! 37 Mais quelques-uns d’entre eux dirent : Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas aussi faire en sorte que cet homme ne meure pas ?

38 Jésus, s’emportant de nouveau, vint au tombeau. C’était une grotte, et une pierre était placée devant. 39 Jésus dit : Enlevez la pierre.

    [v.31-33a] On est loin d’une scène intimiste : il y a tout un cortège de visiteurs, et de professionnels du deuil. A l’époque, même une famille pauvre était censée engager deux joueurs de flûte et une pleureuse pour honorer la personne défunte. Or la famille de Marthe, Marie et Lazare est sûrement une famille de notables, connus jusqu’à Jérusalem. Donc il y a du monde, et du bruit, et de l’agitation ! D’une manière très différente de la pudeur occidentale – il y a des rituels, des manifestations physiques, des cris…

Au milieu de tout cela, Marie accourt vers Jésus. Elle lui dit la même chose que Marthe : « si tu avais été là… » et elle s’effondre à ses pieds. Avec Marthe, Jésus avait parlé foi, doctrine, il avait raisonné. Mais ici, devant l’émotion nue de Marie, Jésus réagit différemment : l’émotion le saisit alors même qu’il part faire le miracle. Revenons sur les expressions utilisées :

  • v.33b et v.38: Jésus s’emporte, dans son esprit. Littéralement, c’est le mouvement du cheval qui se rebiffe, un mouvement d’irritation. On peut y lire de l’indignation, du rejet. Il aura la même réaction devant le tombeau de Lazare.
  • v. 33b: et il se trouble en lui-même. Dans le reste des évangiles, ce trouble on le trouve chez ceux qui voient Jésus faire des miracles. Devant l’impensable, le surnaturel, ils sont bouleversés. Mais ici, et dans tout son chemin vers la Croix, c’est Jésus qui est bouleversé, comme devant quelque chose d’impensable.
  • v.35 : en route vers le tombeau, Jésus verse des larmes. Ce n’est pas le même mot que les pleurs bruyants des autres (klaiô). Ce verbe (dakruô) n’est utilisé qu’une seule fois dans tout le Nouveau Testament – les larmes coulent. Il ne rejoint pas les autres dans leur lamentation funèbre, mais il est rattrapé par l’émotion. Et ça se voit ! Puisque ceux qui sont présents s’interrogent : est-ce qu’il pleure son ami Lazare ?

Il n’est pas forcément facile d’interpréter les émotions de quelqu’un, ici, des larmes, du trouble, de l’irritation. Essayons quand même de comprendre…

C’est peu probable que Jésus pleure l’absence de Lazare (comme c’est le cas pour nous quand un proche meurt et nous manque) : Jésus est en route pour le ressusciter !

Est-ce qu’il est troublé par la peine des proches de Lazare, en particulier en voyant Marie, sa disciple, pleurer ? Jésus n’en est pas à son premier miracle, ni à sa première résurrection… Mais là c’est différent : ce sont ses amis, qui souffrent. On ne vit pas les choses pareil quand la tragédie touche un proche : c’est autrement réel…

Jésus est aussi rattrapé par ce qui l’attend : dans quelques jours, c’est lui qui subira la rupture, la séparation, la mort – d’avec les autres, et d’avec Dieu : il endurera le poids total de la réprobation de Dieu devant le mal. C’est lui qui sera abandonné de tous, mis au tombeau, plongé dans l’affliction. La Croix se rapproche, et il le sait. C’est d’ailleurs après ce miracle que les religieux vont comploter pour faire condamner Jésus à la peine de mort.

Et peut-être qu’avec tout cela (parce que quand on pleure, qu’on s’indigne, il peut y avoir plusieurs raisons), Jésus se révolte simplement contre la mort elle-même. Derrière la mort, il y a le mal qui a séparé l’être humain de Dieu, qui l’a coupé du bien, de la justice, de la vérité, et de la vie. Jésus pleure peut-être sur ce poids qui pèse sur l’être humain. Sur la rupture d’avec Dieu, sur ce gâchis : que les êtres que Dieu a créés par amour puissent être brisés.

Jésus est en route vers un miracle et il pleure. Il est en route vers notre salut et il pleure. Même s’il sait que ça finira bien, le chemin à parcourir est lourd, douloureux, presque insupportable. C’est pareil pour nous : croire que Dieu nous fera vivre au-delà de la mort nous donne un espoir, mais ça n’empêche pas que la mort soit insupportable – celle des autres, dont nous subissons l’absence, ou la nôtre, dont nous parlons si peu mais qui nous terrifie, qui devient toujours plus réelle à mesure que notre corps se dégrade. Espérer dans le Dieu de la vie n’empêche pas de pleurer, de se révolter, face à la mort, et à tout ce qui est mortifère dans nos vies. En fait, ça montre la gravité du problème et l’urgence de notre besoin de vie. Si la mort n’est rien, pourquoi espérer la vie ? Notre révolte intérieure face à la mort, qui n’est jamais vraiment acceptable, révèle combien nous sommes faits pour la vie. Dans la vie de foi, l’espérance n’est pas qu’un sourire rayonnant et triomphant – c’est parfois un cri lancé à Dieu à travers les larmes, la colère, la tristesse.

Jésus, vrai homme et vrai Dieu 

Ce que Jésus montre de sa révolte et sa peine témoigne qu’il est bien humain. Il ne se contente pas de réfléchir, en décryptant la situation, ou d’agir, en apportant une solution, il en ressent l’impact émotionnel… C’est un homme, un vrai, dans toute sa sensibilité (pas la sensiblerie ! mais les tripes !). Il expérimente la vie jusqu’au bout. Par exemple, quand mon père est mort, c’est la colère qui est venue avant la tristesse – et c’est ce moment d’indignation de Jésus qui m’a soutenue. Jésus est vraiment humain, jusque dans ses tripes, il nous comprend dans notre plus profonde intimité.

Dans la Bible, il n’y a pas que les humains qui ont des entrailles et un cœur… Dieu aussi ! Dieu se présente à nous comme le sage, le vrai, le puissant, celui qui pense et qui agit, et celui qui ressent – qui aime, qui se réjouit, qui est jaloux quand on le trahit, qui se met en colère quand ceux qu’il aime souffrent… Jésus, vrai homme, est aussi l’image d’un Dieu sensible, proche, un Dieu qui est prêt à tout pour nous rejoindre, porter nos fardeaux avec nous et nous en délivrer. C’est le mystère de la Croix, où Dieu fait homme porte à la fois nos fautes et nos blessures – mais sa vie transperce la mort.

Quel réconfort ! Dieu (et Jésus l’incarne parfaitement), Dieu n’est pas insensible, mais il nous rejoint et il agit. Pas toujours par une résurrection, quoi qu’il y ait des miracles, mais en dénouant des situations, en ouvrant des perspectives, en accordant une aide inimaginée, ou tout simplement en accordant sa paix dans la confusion. En donnant la force de faire le prochain pas. Par son Esprit, il nous rejoint, de l’intérieur, pour traverser l’épreuve avec nous et nous conduire vers la vie.

Une inspiration : être des témoins compatissants

C’est un vrai réconfort, de savoir que rien n’est trop terrible pour Dieu : il nous rejoint. Parfois, nous recevons la réponse à nos « pourquoi » après coup ; parfois jamais. Mais quelle que soit la réponse, il y a la présence et l’espérance – présence de Dieu par son Esprit, proche, intime, espérance dans le Christ qui a vécu le pire comme nous et qui a fait surgir la vie malgré tout, au-delà de tout.

C’est un réconfort, et une inspiration : à l’image du Christ, nous sommes appelés à être des relais de la compassion de Dieu. Réconfortés par Dieu, appelés à devenir réconfortants, à rejoindre l’autre pour porter un peu de son fardeau. On ne remplace pas Dieu, mais on prend part à son activité réconfortante.

Alors c’est vrai qu’on est tous différents : certains préfèrent réfléchir, d’autres, agir !, et d’autres écouter. Il y a aussi des questions de culture et de tempérament… Alors on pourrait se partager les tâches ? Mais on a tous un peu des trois. Se priver de nos tripes, c’est comme se priver de notre tête ! Dieu nous invite à l’imiter, à aimer celui qui est à côté, avec tout ce que nous sommes, en 3 dimensions.

C’est difficile parce que l’émotion est inconfortable/ elle nous bouscule, rarement convenable ou polie, et elle paraît incontrôlable – chez soi ou chez l’autre. Jésus comme Dieu assume cette part émotionnelle. Ce n’est pas parce qu’on pleure ou qu’on s’indigne qu’on va rester bloqué et qu’on ne va pas réfléchir ou agir : mais accepter l’émotion, c’est accepter l’impact des choses, les laisser résonner pour mieux se mettre en route.

Dans notre monde, hors de l’Eglise mais pas que !, il faut toujours avancer, être efficient, c’est dangereux de baisser sa garde, et l’émotion… il y a des lieux pour ça ! on préfère la laisser aux professionnels ou à l’art. Aujourd’hui, participer à l’action de Dieu pour rejoindre ceux qui nous entourent, c’est dire les paroles de Dieu, c’est agir selon la volonté de Dieu, et, c’est peut-être aussi être présent, ouvrir un espace dans la relation pour l’accueil et l’écoute, où l’autre peut se sentir entendu et soutenu. En particulier dans une époque où on reste quand même rapide dans nos communications, où on est isolé, souvent démuni devant les grandes questions de la vie.

Il y a des conditions bien sûr : on ne se transforme pas en psy gratuit, on met des limites pour se protéger, et on donne ce qu’on a reçu (c’est le réconfort reçu en Christ que nous offrons un peu). Mais si nous pouvons transmettre, dans l’Eglise et en dehors, à un ami, une collègue, un patient, une élève, un peu de ce réconfort que Jésus nous apporte… quelle bénédiction !

 




La Croix: une folie!

Regarder la prédication en vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=JuaASAonr1Q

Il n’est pas toujours facile d’assumer sa foi devant les autres. Même dans un cadre privé et relativement bienveillant, avec des amis par exemple, notre foi paraît tellement décalée que nous pouvons être dans l’embarras pour décrire, expliquer, notre foi. On est gênés !

Il y a du surnaturel dans ce que nous croyons, qui s’entrechoque avec un discours ambiant censé être logique. Je dis « censé » parce que nombre de nos contemporains, sous un vernis rationnel, ont en réalité des convictions non rationnelles – le nombre de personnes qui consultent des voyants, qui croient dans les lois de l’attraction ou dans le karma, qui croient aux esprits… est impressionnant !

Cela dit, quand j’étais jeune , étudiante, le nombre de fois qu’on m’a dit : « je ne crois pas en Dieu, je suis trop cartésien ! » ce qui sous-entendait quoi ? Qu’il fallait être stupide pour croire ? Accessoirement, on fait difficilement plus cartésien que Descartes lui-même – et Descartes était profondément croyant !

D’autres me disaient : « ah non, moi je n’ai pas besoin de cette béquille, je m’en sors tout seul » là encore, c’est agréable à entendre : celui qui croit est un faible ? un nul, quoi !

Alors devant ces réactions, et toute leur déclinaison, on peut être tenté de simplement taire notre foi, pour éviter les problèmes, ou de rendre notre foi acceptable, de relativiser ce qui choque et d’interpréter autrement.

Cet embarras, et les tentations qui vont avec, nous ne sommes pas les premiers à le ressentir. Déjà les premières générations de chrétiens, très vite après la mort de Jésus (au 1er s.), se sentent en décalage avec le discours ambiant. C’est le cas dans l’église de Corinthe, ville grecque et cosmopolite, où l’Evangile s’écarte à la fois du discours juif, et de la mentalité grecque, très marquée par la philosophie et la recherche du rationnel.

L’apôtre Paul, au début de sa première lettre aux Corinthiens, prend le temps d’aborder le côté embarrassant de l’Evangile.

Lecture biblique : 1 Corinthiens 1.18-25 (TOB)

18 La parole de la croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu.

19 Car il est écrit (chez le prophète Esaïe) :

Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents.

20 Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ?

21 En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication [de la croix] que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient.

22 Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ; 23 mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, 24 mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu.

25 Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.

 

Un non-sens      

Dans l’église de Corinthe, on apprend par la lettre que beaucoup sont en prise avec l’orgueil, et cherchent toujours à faire mieux, à avoir plus d’influence, à aller plus loin ! Ca pose un certain nombre de problèmes dans l’église, que Paul va aborder, mais le principe de toutes ses réponses est ici : il faut revenir à la base, à la Croix, toujours à la Croix.

La Croix est non négociable, pour le chrétien, même si elle est embarrassante. Paul insiste, presque avec délectation : la Croix est une folie.

[v.18-20] Il commence par affirmer que la Croix va à contre-courant de la sagesse humaine. La Croix, ici, c’est bien sûr l’événement de la mort du Christ mis en croix par les Romains, mais c’est aussi toute la démarche de l’abaissement du Fils de Dieu qui se fait homme, plus bas que les hommes, pour relever l’humanité. Dès Noël, Dieu s’abaisse pour nous rejoindre.

En gros, le moyen pour accepter la Croix, c’est la foi. Si on en reste seulement à la spéculation intellectuelle, cette « théorie » est trop choquante pour être acceptée.

[v.22-23] La Croix est choquante parce qu’elle va à contre-courant de ce que nous attendons. Paul mentionne alors les deux grandes catégories de gens qu’il connaît bien : les Juifs, et les non-Juifs qui sont de mentalité grecque. Ces deux mentalités correspondent assez bien à deux systèmes de valeur courants.

D’un côté, les Juifs, qui réclament des signes miraculeux – on le voit à plusieurs reprises dans les Evangiles. Ils veulent de la puissance ! Du pouvoir ! Des gestes forts, quelqu’un qui impressionne ! Un leader ! Leur Dieu, créateur, tout-puissant, saint, est un Dieu majestueux ! Pour croire en Jésus, il leur faut cette puissance. Même aujourd’hui, on retrouve cette attente de l’homme fort, celui qui impressionne, celui qui fascine et fait vibrer, qui nous fait vivre des expériences… parfois jusqu’au gourou !

De l’autre côté, les Grecs réclament logique, sagesse, rigueur et esprit mathématique. On veut du rationnel ! Là aussi, c’est aujourd’hui très prégnant !

Or l’événement de la Croix évite toutes ces attentes.

Même si Jésus a fait des miracles, il meurt comme le dernier des perdants. Pour nous, la croix c’est un bijou ou un signe plus ou moins esthétique, mais il y a 2000 ans, la croix c’est une guillotine, c’est la honte totale. Pour un Juif de l’époque, mourir sur le bois, c’est le signe de la condamnation divine – comment un Sauveur pourrait-il être maudit ?

Pour les Grecs aussi, la croix, c’est le châtiment qu’on n’infligerait jamais aux citoyens, le plus humiliant, comme si on avait jeté Jésus dans une déchèterie. Comment un Dieu qui se respecte pourrait-il, non seulement devenir créature, mais en plus accepter cette humiliation ? Ca n’a aucun sens !! C’est fou ! La source de vie qui endure la mort ! Non, c’est inacceptable !

Entre parenthèses, les difficultés à adhérer à la folie de la Croix chez les Juifs et les Grecs, attestent que l’Evangile n’est pas un message plaisant pour l’être humain. Si c’était une invention humaine, pourquoi aller inventer quelque chose qui choque autant ? Et on n’a pas parlé de la résurrection, du rejet du racisme ou de la fraternité entre maîtres & esclaves… L’Evangile n’a pas les ingrédients pour être populaire à son époque.

La folie de Dieu

[24-25] Et Paul n’essaie pas de justifier. Il accepte. Oui, c’est fou ! C’est incompréhensible ! La Croix va à l’encontre de tous nos réflexes, de toutes nos théories, de tous nos systèmes. Nous éprouvons, durement, notre nullité personnelle, nos hontes, et tout ce qui nous déforme : la réponse de Dieu n’est pas de donner des clefs pour nous optimiser ou nous améliorer, dans le but que nous devenions une bonne personne – il devient un homme comme nous, en Jésus, pour les porter, et il en meurt, de nos hontes et de nos nullités.

Alors ça n’a pas de sens, ou plutôt ça dépasse nos sens, mais c’est la seule chose qui marche. Que Dieu fait homme, vienne prendre nos travers sur ses épaules, pour nous en délivrer.

D’ailleurs, quand est-ce que la loi de plus fort nous a libérés du mal ? de la mort ? quand est-ce que l’intensité d’une expérience nous a fait devenir meilleurs ? Malgré nos bonnes résolutions, nous retombons dans nos travers… Quand est-ce que les théories et les philosophies ont changé le réel – pas notre point de vue ! le réel ? Paul souligne même que nos théories ne nous ont pas permis de comprendre Dieu, de le rejoindre (au v.21), ce qui est un signe de sagesse divine, car on se serait encore enorgueilli d’avoir trouvé Dieu – comme si c’était possible d’atteindre le Tout-Puissant, avec nos petits bras et nos petites idées, si celui-ci ne se révélait pas à nous !

Dieu vient à nous dans la folie de la Croix parce que nous sommes dans une situation insensée : les enfants que Dieu a créés ont fugué ! Ils vivent sans penser à lui, dilapidant des biens sans se demander d’où ils viennent, étourdis par un tourbillon d’activités, par l’illusion d’une vie réussie sans connexion à celui qui les fait vivre, enclins à blesser ceux qui les entourent, par égoïsme ou par ignorance. Il faut un acte fou pour renverser la folie de nos situations, pour rétablir la connexion avec Dieu.

Pour déchirer la mort et la vaincre, il fallait que le Vivant lutte avec elle. Pour anéantir le mal sans anéantir ceux qui le commettent (c’est nous !), pour pardonner tout en restant juste, seul le Sage qui déborde nos petits cadres logiques pouvait trouver une solution efficace. Pour payer les dommages & intérêts aux victimes sans faire payer le coupable, le Juge a préféré endurer lui-même la peine de mort, même si c’est la pire des humiliations et la pire des souffrances.

Oui, la Croix paraît faible et folle, mais c’est un acte de victoire – le Christ a triomphé du mal – et la meilleure solution à nos problèmes humains : Dieu plonge dans la boue pour nous rejoindre et nous en sortir. Par la foi, peu importe l’arrière-plan spirituel ou philosophique (juifs et grecs), par la foi nous pouvons saisir cette réalité.

 Un amour fou

Derrière la folie de la Croix, ce qui émerge, c’est la folie de l’amour de Dieu pour nous. Oui, Dieu éprouve pour nous un amour fou.

Le Dieu qui s’abaisse pour nous rejoindre est un Dieu qui nous choque parce qu’il agit avec passion. On est prêts à entendre que Dieu est amour, même dans la société, oui, mais on imagine plutôt un Dieu qui aime poliment, un Dieu convenable, bien élevé, un Dieu serein qui nous regarde avec bienveillance depuis son trône, avec un petit sourire qui n’engage à rien. Un Dieu raisonnable ! Mais ce Dieu-là ne nous donne pas d’espoir… Il nous sourit mais ne nous tend pas la main.

Or nous avons besoin d’un Dieu « fou », peut-être pas souriant ou paisible, mais qui descend de son trône pour nous rejoindre dans la boue. Imaginez un père dont l’enfant n’est pas rentré cette nuit : il n’est pas beau, ni souriant, ni paisible. Il a des cernes, les traits tirés, mal au ventre, il fait le tour du quartier, il harcèle les amis de son enfant pour en savoir plus. La croix nous dit que Dieu ressemble à ce père-là, qui nous aime à la folie.

Assumer le scandale de la Croix

Pour les Corinthiens ou pour nos contemporains, tentés par des systèmes de sagesse sophistiquée ou par la recherche de démonstrations impressionnantes, la démarche de Dieu en Christ, sur la croix, est difficile à assumer. Mais notre embarras, il faut le supporter ! Nous n’avons pas d’autre solution – si nous arrangeons la Croix pour la rendre plus acceptable, pour faire de Jésus un simple témoin persécuté de la justice par exemple, ce n’est plus Dieu qui nous sauve, c’est un prophète admirable, mais en rien la preuve de l’amour de Dieu pour nous.

Ne nous laissons pas impressionner par les réactions parfois méprisantes et qui se veulent plus « logiques »… Ce qui serait fou, c’est de croire que l’être humain a tout compris  et que Dieu devrait se conformer à nos critères, rentrer dans nos systèmes… Mais Dieu est tellement plus grand ! sa logique dépasse, déborde, parfois dérange la nôtre : Il n’est pas « comme nous mais en plus grand », il est autre. Heureusement, sinon d’où viendrait l’aide pour sauver notre monde ?

Alors, oui, il faut faire des efforts pour expliquer le plus clairement possible notre foi, faire des efforts pour viser la cohérence et la crédibilité – et Paul l’a fait ! – mais le cœur de la Croix restera toujours une folie qu’on ne peut pas complètement justifier, expliquer, rationaliser, et qui oblige chacun à se positionner : est-ce une folie / un non-sens ? Ou est-ce une folie qui sauve ? Est-ce une folie qu’on rejette, ou une folie qu’on accueille comme on accueille une déclaration d’amour passionnée ?