Un seul Dieu pour tous

 

Psaume 96
1 Chantez en l’honneur du Seigneur un chant nouveau ;
gens du monde entier, chantez pour le Seigneur.
2 Chantez en l’honneur du Seigneur,
bénissez son nom !
Jour après jour annoncez qu’il est le sauveur.
3 Parlez de sa gloire à tous les êtres humains,
parmi tous les peuples, racontez ses merveilles.
4 Le Seigneur est grand et mérite qu’on l’acclame.
Il est plus redoutable que tous les dieux.
5 Tous les dieux des autres peuples sont des faux dieux,
alors que le Seigneur a fait les cieux.
6 Il rayonne de grandeur et de majesté,
son sanctuaire est rempli de puissance et de splendeur.
7 Familles de toute la terre, venez honorer le Seigneur
en proclamant sa gloire et sa puissance.
8 Venez proclamer sa gloire,
entrez dans les cours de son temple en apportant vos dons.
9 Courbez-vous jusqu’à terre devant le Seigneur,
quand il manifeste qu’il est Dieu,
tremblez devant lui, gens du monde entier.
10 Dites à toute la terre : « Le Seigneur est roi,
le monde est donc ferme, il reste inébranlable.
Il juge les peuples avec droiture. »
11 Que les cieux se réjouissent, que la terre crie de joie,
que la mer mugisse, et tout ce qu’elle contient !
12 Que la campagne soit en fête, et tout ce qui s’y trouve !
Que tous les arbres des forêts poussent des cris de joie
13 devant le Seigneur, car il vient,
il vient pour rendre la justice sur la terre.
Il jugera le monde avec justice,
il sera un arbitre sûr pour les peuples.
Ce qui m’a frappé, en relisant ce psaume, c’est la façon avec laquelle il affirme, avec force, la dimension universelle du Seigneur.

  • On y trouve un appel à la louange adressé à tous les peuples, aux gens du monde entier !
  • On y invite à proclamer la gloire de Dieu à tous les humains
  • La Création toute entière (et pas seulement les humains !) est associée à la louange
  • On dit même que le Seigneur, le Dieu dont parle ce Psaume, est le seul vrai Dieu. Les autres sont des faux dieux.

Mais peut-on encore dire cela aujourd’hui, sans être taxé d’intolérant ? Peut-on prétendre proclamer une bonne nouvelle universelle sans être arrogant ? N’est-ce pas problématique de dire que le Dieu de la Bible, celui qui s’est révélé à Abraham et sa descendance, le peuple d’Israël, qui s’est manifesté en Jésus-Christ, est le seul vrai Dieu ?

Il ne peut y avoir qu’un seul Dieu

L’affirmation monothéiste est, forcément, universelle. S’il n’y a qu’un seul Dieu, alors il est Dieu pour tout le monde !

On peut même aller plus loin : un Dieu qui ne serait pas unique, peut-il être encore Dieu ? Par définition, Dieu n’est-il pas l’être suprême, absolu ? Or s’il y en d’autres que lui, alors il n’est plus absolu. Ce n’est plus Dieu. C’est autre chose… Un être supérieur ? Peut-être… Mais alors qu’y a-t-il au-dessus de lui ?

Aujourd’hui, il est difficile d’entendre des affirmations absolues. Chacun a sa vérité, chacun se construit sa spiritualité, ses croyances et donc, son Dieu.

Mais soit il y a un seul Dieu, soit il n’y a pas de Dieu du tout. Il n’y a pas d’entre-deux possible. La réponse est forcément un absolu… à vous de choisir ! L’auteur de notre Psaume a choisi : il y a un seul Dieu. Tout vient de lui et tout dépend de lui. Et en plus, il nous aime !

Evidemment, c’est une affirmation de foi. Mais pourquoi serait-elle plus folle que d’affirmer qu’il n’y a pas de Dieu ? Ce qui est, aussi, une affirmation de foi ! Le Psaume focalise son regard sur l’oeuvre du Dieu Créateur. Ses oeuvres, ce sont celles qu’on voit quand on contemple la nature, belles, impressionnantes. A tel point que la nature elle-même participe à la louange universelle. Est-ce vraiment plus absurde de dire que tout cela est l’oeuvre de Dieu que de dire que ce n’est que l’effet du hasard, de coïncidences heureuses ?

Avec l’auteur du Psaume, je préfère choisir qu’il y a bien un Dieu, Créateur de toutes choses, et qu’il se soucie de nous. Si Dieu n’est pas unique et absolu, alors il n’y a aucune assurance ni aucune espérance possible. Tout ne serait qu’hypothétique. Car si Dieu n’est pas unique et absolu, qu’est-ce qui nous garantirait qu’il accomplira ses promesses ?

Le problème ce n’est pas Dieu mais les croyants

Le problème, ce n’est pas le Dieu unique. C’est ce que les croyants font de leur monothéisme. Dans l’histoire, jusqu’à aujourd’hui, la foi monothéiste a été utilisée comme prétexte à la haine et la violence. C’est bien là le problème…

S’il faut affirmer l’absolu de Dieu, il faut être conscient de nos limites dans notre compréhension de Dieu. Il ne faut pas confondre Dieu et notre perception de Dieu. Dieu est plus grand que notre théologie ! La théologie, c’est le discours sur Dieu. C’est ce que nous pensons et disons de lui. Et si Dieu pouvait être “enfermé” dans une théologie, cerné par un discours… il ne serait plus Dieu !

C’est terrible quand on limite Dieu aux bornes de notre intelligence, de notre foi ou même de notre théologie. Car nos théologies peuvent devenir des idoles. C’est le cas quand notre conception de Dieu est limitée à notre connaissance, à notre théologie. Elle devient une idole, une image figée de Dieu.

Le Dieu de la Bible se révèle avant tout au moyen d’un récit, dans l’histoire, pas à travers un dogme. Il se révèle par ses oeuvres, dans la nature qu’il a créée et qu’il maintient. Il se révèle dans l’histoire d’un peuple, issu d’un homme, Abraham. Il se révèle de manière ultime en Jésus-Christ, le Fils de Dieu devenu homme. Il rend ces récits vivants, pour nous, par l’oeuvre de son Esprit.

On ne peut pas réduire notre foi à notre confession de foi. Même si, évidemment, c’est important de réfléchir sa foi, de l’approfondir. Ma foi, c’est l’histoire de Dieu dans ma vie.

Les plus qui manquent à notre foi

Il y a un élan, un souffle, dans ce Psaume qui nous invite à considérer notre foi, à la soupeser… et à nous demander si nous n’avons pas tendance à la limiter, à l’enfermer dans des certitudes ou des habitudes. Finalement, est-ce que nous n’aurions pas besoin de quelques petits plus à notre foi ?

Un peu plus d’enthousiasme

Quel grand Dieu nous avons ! A force de routine dans la foi, avec une vie chrétienne bien rangée… on l’oublierait presque. L’enthousiasme d’un tel psaume devrait nous rejoindre.

Vous me direz qu’on ne peut pas décider d’être enthousiaste… Ce n’est pas faux. Mais on peut quand même mettre toutes les chances de notre côté pour le devenir. Et pour cela, qu’y a-t-il de mieux que la contemplation ? Est-ce que nous prenons le temps de la contemplation dans notre vie ? La contemplation de Dieu, dans ses oeuvres, dans le monde, dans notre vie et celle de ceux qui nous entourent ? Est-ce que nous prenons le temps de chercher à voir Dieu, à discerner sa main ? Est-ce que nous lui demandons d’ouvrir nos yeux pour le voir, d’ouvrir notre coeur pour le recevoir ?

Un peu plus d’humilité

Combien nous sommes petits devant ce Dieu si grand ! Et là aussi, l’expérience de la vie chrétienne peut nous jouer des tours, avec le risque, à la longue, de se croire du côté de ceux qui savent, de ceux qui ont compris, avec la tentation de se considérer comme quelqu’un qui, finalement, n’a plus grand chose à apprendre sur la foi, sur la vie et même sur Dieu.

Jésus n’a pas appelé des sachants, il a appelé des disciples, qui ont toujours besoin d’apprendre. J’aime cette prière de Jésus dans l’Evangile de Matthieu, où il s’exclame :

“O Père, Seigneur du ciel et de la terre, je te loue d’avoir révélé aux tout-petits ce que tu as caché aux sages et aux personnes instruites.” (Matthieu 11.25)

Le Royaume de Dieu n’est pas pour les sachants, il est pour ceux qui sont comme les petits enfants ! Si nous voulons que notre foi grandisse et s’épanouisse, il faut rester du côté des petits qui cherchent à apprendre.

Un peu plus de curiosité

J’en connais, forcément, trop peu sur ce Dieu unique et absolu ! Or, j’ai l’impression que souvent, on se contente d’un Dieu trop petit ! Un Dieu qui n’est pas à l’échelle de ce Dieu unique et universel décrit dans notre Psaume. On passe alors à côté de tant de choses simplement par manque de curiosité. On préfère rester en terrain connu, entre nous, en fréquentant les gens comme nous, qui pensent comme nous, qui prient comme nous, qui parlent comme nous… Je suis persuadé que le manque de curiosité appauvrit notre foi.

Croyez-vous que ce Dieu unique et universel ne puisse pas se révéler, d’une manière ou d’une autre, dans d’autres cultures, dans d’autres croyances ? Et que nous ne puissions en tirer un bénéfice pour notre foi aussi ?

Bien-sûr que nous reviendrons toujours au Christ, qui est pour nous la révélation ultime de Dieu. Mais pourquoi ne pas sortir aussi un peu des sentiers battus ? Oser aller voir chez les autres, oser faire preuve de curiosité…

Conclusion

Finalement, l’enthousiasme, l’humilité, la curiosité… ça ressemble à des qualités qu’on trouve facilement chez les enfants, les petits. Et nous sommes bien invités à être comme eux, si on veut entrer dans le Royaume de Dieu !

En fonction de votre personnalité, de votre cheminement personnel, ça pourrait être un peu plus l’un que l’autre… mais il me semble que nous avons tous besoin d’un peu des trois !

Et il le faut bien, si on veut approfondir et vivre notre foi en ce Dieu si grand, ce Dieu unique et universel !




Vous êtes le sel de la terre (5) Un sel qui donne soif

Deux femmes sont parties marcher en montagne. Elles discutent, évidemment, elles font des pauses, elles admirent le paysage, prennent des photos… Au bout de quelques heures, l’une d’entre elles commence à se sentir mal : elle a mal à la tête, commence à voir un peu trouble, elle avance avec moins de force, sa gorge la pique. En fait, elle a soif, et elle n’a plus d’eau dans sa gourde. Son amie qui est à côté d’elle a plusieurs possibilités : elle peut lui donner un Doliprane pour sa tête, ou l’aider à s’asseoir en attendant que les vertiges passent, ou lui donner une barre énergétique pour renouveler son énergie, ou encore lui prêter une écharpe qui protègera sa gorge… ou… poser un bon diagnostic et reconnaître dans ces symptômes simplement la soif. Mais même un bon diagnostic ne suffira pas pour aider son amie : elle peut alors lui dire qu’il y a une source où elle pourra remplir sa gourde, dans à peu près 3 km… ou bien elle peut sortir sa propre bouteille où il reste un peu d’eau, et en donner à son amie en attendant la source.

Tout le monde a soif ou besoin ou envie de quelque chose… Et ce n’est pas toujours explicite ! Mais au cœur de notre vie de couple, de famille, le travail, les relations sociales, les loisirs, le sport, l’usage de l’argent, la plupart de nos actions et de nos choix sont liés à un désir d’obtenir quelque chose qui puisse assouvir nos soifs profondes – soif de sécurité, de reconnaissance, de pouvoir, d’amour, de plaisir, de justice, de connaissance, de complicité, de sens, de bien-être, de paix…

Nous entamons notre dernière semaine de campagne sur le thème « Vous êtes le sel de la terre ». Etre le sel de la terre, c’est l’identité et la vocation que Jésus nous donne. Le sel donne du goût aux aliments & les conserve. Mais pour cela il faut qu’il se mélange – et Jésus nous envoie nous mélanger à notre entourage comme il s’est lui-même mélangé à nous. Il y aurait beaucoup d’autres usages du sel, que les plus scientifiques d’entre nous pourront explorer ! Mais pour lancer cette dernière semaine, j’aimerais insister sur un effet collatéral du sel : le sel donne soif. Il suffit de manger un repas très salé, pour avoir envie de boire, boire, boire tout l’après-midi… De l’eau bien sûr ! Le sel attise notre soif.

Et si, en tant que sel de la terre, nous étions de ceux qui attisent, en tout cas, révèlent, la soif de ceux qui nous entourent ? Et que nous leur donnions envie de boire à une source qui étanche nos soifs profondes ?

Avec un autre vocabulaire, Jésus aborde ce sujet avec ses disciples, juste avant de les quitter. Il est déjà ressuscité, et là il se prépare à retourner auprès de Dieu – c’est ce qu’on appelle l’Ascension. Dans ce dernier échange, Jésus évoque l’avenir à mots couverts, et les disciples reviennent à la préoccupation de leur temps : l’indépendance d’Israel comme signe du règne de Dieu sur terre, dans la lignée des siècles passés.

Lecture biblique : Actes 1.6-8

6 Ceux qui étaient réunis auprès de Jésus lui demandèrent : « Seigneur, est-ce en ce temps-ci que tu rétabliras le règne pour Israël ? » 

7 Jésus leur répondit : « Il ne vous appartient pas de savoir quand viendront les temps et les moments, car le Père les a fixés de sa seule autorité. 8 Mais vous recevrez une force quand l’Esprit saint descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’au bout du monde. »

Avec ces paroles, Jésus fait passer ses disciples dans une autre dimension : le règne de Dieu n’est plus enfermé dans des frontières, mais Dieu va se révéler à tous les peuples – en commençant par pénétrer l’empire romain. Le livre des Actes retrace le chemin des apôtres, de Jérusalem jusqu’à Rome, et leur témoignage qui suscite des conversions : les églises naissent dans leur sillage. D’après Jésus, pour témoigner, on n’a pas besoin d’avoir réponse à tout, mais on a besoin de l’Esprit du Christ, qui donne la force et la sagesse de communiquer la foi.

Etre sel de la terre, c’est être témoin dans le monde. Un monde qui a soif, un monde dans lequel nous sommes envoyés avec l’Esprit de Dieu. Témoin, c’est le mot clef ! Mais comme beaucoup de mots-clefs dans la foi, c’est un mot un peu piégé – de par notre expérience, les images et même les fantasmes qu’il suscite. Le livre des Actes ne nous aide pas : si être témoin, c’est proclamer l’Evangile devant les foules comme Pierre ou Paul, peu d’entre nous se sentiront à la hauteur…

          Témoins, c’est-à-dire… ?

Dans la bouche de Jésus, le mot témoins a d’abord un sens juridique, comme témoigner lors d’un procès. Le témoin évoque les faits. Il y a une part de subjectivité : ce que le témoin a perçu, malgré les limites et les obstacles, la façon dont ça résonne dans son expérience, mais il y a aussi une part objective, un élément de la réalité dont il faut tenir compte. Dans un contexte religieux et politique de plus en plus tendu, les disciples de Jésus vont effectivement subir des procès, même des procès d’intention, et vont devoir justifier leur foi, verbalement. D’où les nombreux discours dans le livre des Actes… Etre un témoin qui donne soif, dans ce contexte, c’est affirmer sa foi quelles que soient les circonstances.

Mais l’histoire des premiers chrétiens souligne aussi une autre façon d’être témoin : c’est d’être un groupe-témoin. Un peu comme dans les études scientifiques, quand on compare un groupe qui prend le médicament et un groupe qui prend le placebo. Le groupe témoin incarne une réalité, un état de fait, auquel on va comparer le reste. Et les premières communautés chrétiennes, dans le livre des Actes toujours, témoignent d’une autre réalité : ce sont des communautés où les barrières raciales sont abolies, où hommes et femmes œuvrent ensemble, où il n’y a pas de hiérarchie sociale – des communautés où chacun a une place de valeur. A l’époque c’était complètement inédit ! Et aujourd’hui aussi? La vie en communauté fait partie du témoignage, parce qu’elle est le lieu où, en théorie, on expérimente ensemble les principes de la foi. Et bien des personnes dans l’antiquité comme aujourd’hui ont été interpellées par cette réalité différente. Etre des témoins qui donnent soif, c’est aussi montrer à quoi ressemble la vie avec Dieu, personnellement et en communauté.

Etre témoin… être témoin, ce n’est pas être juge. On dit, on montre ce qu’on connaît ; on montre la bouteille d’eau qu’on a dans son sac, mais on ne s’empare pas du sac de l’autre pour en faire un inventaire accusateur – tu aurais dû prendre plus d’eau, tu aurais dû moins te charger, tu aurais dû attendre avant de boire,… Etre témoin, ce n’est pas être juge.

Etre témoin, c’est non seulement reconnaître la soif, mais proposer l’eau qu’on a dans notre bouteille. Longtemps, j’ai attendu qu’on me pose explicitement des questions spirituelles pour dégainer ma bouteille – en attendant, je compatissais à la soif de l’autre. Depuis quelques années, j’apprends à sortir ma bouteille quand je vois la soif, même si on ne m’a pas fait la demande explicite. Par exemple, je réponds différemment aux questions : comment on devient pasteur OU c’est quoi la différence entre catholiques et protestants. Je commence désormais en évoquant la foi en Christ, en insistant sur ce que je trouve important.

          Témoins… de quoi ?

Le témoin témoigne, il affirme, il montre, mais quoi… Qu’est-ce qui est écrit sur notre bouteille d’eau ?

Un label courant : les valeurs chrétiennes. Fêter Noël le 25 décembre, se marier jeune, être honnête, avoir une certaine vision de la vie – surtout la vie de couple, ces derniers temps. En soi, ces valeurs ne sont pas mauvaises, bien au contraire ! Mais rappelons-nous qu’à l’époque de Jésus, les pharisiens respectaient beaucoup mieux les valeurs que ce prédicateur itinérant qui fréquentait n’importe qui et qui ne respectait même pas le sabbat. Les valeurs de Dieu rentrent rarement dans des pratiques sociétales précises, et défendre à tout prix ces pratiques culturelles risque de détourner de l’essentiel du message, qui dit que l’amour de Dieu ne dépend pas de nos valeurs, mais de notre confiance en lui.

Justement, le message : l’Evangile. Quel meilleur label ?… Ces derniers temps, tout est centré sur l’Evangile… le mariage, l’éducation, le travail, l’église, la prédication… C’est une démarche admirable ! Mais derrière la démarche, il faut se poser la question : qu’est-ce qu’on entend par « Evangile » ? Cette « bonne nouvelle », étymologiquement, n’est pas si simple à définir. Regardez les prédications de Jésus ou des apôtres, le résumé de la foi varie en fonction de la situation. Il n’y a pas de discours stéréotypé, prêt-à-prononcer, avec 3-4 points incontournables.

Jésus nous appelle à être ses témoins. Témoins de Jésus – c’est lui, l’Evangile, c’est-à-dire la « Bonne Nouvelle » ! C’est son caractère, son attitude, ses actes, ses paroles, sa vie, sa mort, sa résurrection, c’est tout ça, la Bonne Nouvelle ! C’est toutes les façons dont il nous connecte à Dieu, à la source qui étanche nos soifs… Nous sommes témoins du Crucifié /Ressuscité, d’un Roi / qui s’est fait Serviteur, d’un Sage / Consolateur… Je ne dis pas qu’il ne faut pas parler du péché et de  la croix dans notre témoignage ! Mais il n’y a pas que ça, et ce ne sont pas toujours les premiers mots à prononcer : Dieu est à l’œuvre dans notre vie de bien des manières, et nous pouvons parler de tant de choses !

Parfois le témoignage chrétien vient comme un cheveu dans la soupe : quel que soit le sujet, quel que soit le cheminement de l’autre, on ressort le même discours, avec les mêmes virgules et les mêmes points d’exclamation. Quand il rencontrait quelqu’un, Jésus souvent prenait le temps de l’écoute, de l’échange, pour trouver là où l’autre avait besoin de rencontrer Dieu. Une chose après l’autre : Jésus n’était pas pressé de tout dire tout de suite, mais de dire ou faire ce qui avait du sens à ce moment-là. Les apôtres, dans le livre des Actes, s’adaptent aux connaissances de leurs interlocuteurs. Quand nous manquons de clairvoyance,  nous pouvons demander à Dieu qu’il nous éclaire et qu’il nous aide à comprendre notre interlocuteur.

En Jésus, la source est si abondante ! de l’espérance d’un monde nouveau, de la vie après la mort, de l’amour que nous avons reçu, de son pardon exemplaire, de sa générosité, de son attention envers les plus fragiles, de son soutien et de sa protection… Quand vous parlez de votre conjoint, par exemple, vous ne parlez pas que du jour du mariage, ou du jour où vous êtes tombé amoureux ! Il y a les souvenirs de vacances, le quotidien, les difficultés et les défis, les surprises, les joies partagées, les projets, les services rendus, les cadeaux… Toute l’épaisseur d’une vie ensemble. Nous pouvons témoigner de tant de bénédictions, car Dieu est riche en bonté – et le Christ l’a prouvé de mille manières, et l’Esprit nous en remplit de mille manières.

Alors ça nous pose la question : qu’est-ce que je vis, qu’est-ce que vous vivez avec Dieu aujourd’hui ? de quoi pouvez-vous témoigner ? Comment sentez-vous la présence de son Esprit ? de quoi votre bouteille est-elle remplie ? Etre témoin suppose qu’on soit disciple, qu’on ait une relation vivante avec le Maître, avec le Christ…

C’est ce qui m’a d’ailleurs interpellée pendant cette campagne : à chaque fois qu’un texte évoquait notre rapport à l’autre, j’étais renvoyée à ma relation avec Dieu ! Qu’est-ce que je communique, qu’est-ce que je transmets, d’où vient mon sel ? Mais à chaque fois que je me recentrais sur ma vie avec Dieu, mon chemin avec lui, la recherche de la sainteté, j’étais renvoyée à l’envoi vers l’autre, comme si Dieu ne voulait pas que je m’enferme près de lui, mais que je l’emmène partout où je vais. Témoin, donc disciple ; disciple, donc témoin. Aller vers Dieu, aller vers l’autre, ce sont deux mouvements qui se nourrissent, et par lesquels le règen de Dieu avance en nous, et autour de nous.




Vous êtes le sel de la terre (4) Un sel qui se mélange

 
Dans le cadre de notre campagne de rentrée, nous poursuivons l’évocation des différentes propriétés du sel, en écho à la parole de Jésus dans le Sermon sur la Montagne : “Vous êtes le sel de la terre”. Après avoir parlé du sel qui donne du goût, puis du sel qui conserve, attachons-nous ce matin au sel qui se mélange. C’est bien une de ses propriétés. Si vous ajoutez du sel à un plat, il se mélange aux autres ingrédients. On ne voit plus le sel, et pourtant on sent bien sa présence (ou son absence) !

Appliqué à la métaphore de Jésus, on pourrait dire que si nous sommes sel de la terre, nous ne pouvons pas rester dans la salière ! La salière, ça peut être l’Église ou toute autre bulle que nous nous construisons pour notre confort personnel. Et si on sort de la salière, c’est pour se mélanger au monde. C’est seulement si on se mélange au monde qu’on pourra remplir les autres tâches du sel, selon ses propriétés, notamment donner du goût et conserver.

Pour réfléchir à cette propriété du sel qui se mélange, je vous propose de lire un extrait de la grande prière de Jésus pour ses disciples au chapitre 17 de l’Évangile selon Jean.

Jean 17.15-19
15 Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais. 16 Ils n’appartiennent pas au monde, comme moi je n’appartiens pas au monde. 17 Fais qu’ils soient entièrement à toi, par le moyen de la vérité ; ta parole est la vérité. 18 Comme toi tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. 19 Je m’offre entièrement à toi pour eux, afin qu’eux aussi soient entièrement à toi.

Jésus, dans ces quelques versets, parle bien aussi du monde (l’équivalent de la terre dans la métaphore de Jésus) et de notre rapport au monde. Plus encore, il évoque bien l’idée d’un nécessaire mélange puisqu’il envoie ses disciples dans le monde et demande à Dieu de ne pas les en retirer !

Cette prière de Jésus fournit à notre concept de “sel qui se mélange” un fondement théologique et des principes pour sa mise en pratique.

Un fondement théologique

Le verset 18 peut être mentionné comme fondement théologique au “mélange” dans le monde : “Comme toi tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde.“
Nous sommes envoyés dans le monde comme le Christ a été envoyé dans le monde par son Père. Et cette affirmation a plus d’implications qu’on pourrait le penser à la première lecture :

  • Il y a bien-sûr une dimension missiologique : le Christ nous envoie en mission dans le monde. Comment pourrions-nous répondre à cet appel en restant entre nous, sans nous “mélanger” au monde ?
  • Mais il y a aussi une dimension christologique. Il s’agit d’être envoyé comme le Christ a été envoyé. Or, comment le Fils est-il venu dans le monde ? En devenant homme ! L’incarnation, c’est un peu Dieu qui se mélange à l’humanité, au monde.
  • Il y a même une dimension trinitaire… Tout en devenant homme, le Fils est resté Dieu. Il est pleinement homme et pleinement Dieu. En devenant homme, le Fils n’a pas perdu sa pleine communion avec le Père.

Comprendre l’incarnation comme le modèle de notre présence au monde nous conduit nécessairement à comprendre cette dernière comme un mélange et non un retrait, un mélange qui ne se fait pas au détriment de notre communion avec Dieu.

Retenons donc cela de ce fondement théologique : nous sommes appelés par le Christ à nous mélanger au monde, comme lui, le Fils, s’est mélangé au monde en devenant homme.

Des principes pour la mise en pratique

J’aimerais souligner trois principes dans la mise en pratique de ce fondement théologique.

La tentation du retrait du monde

Il y a, tout d’abord, le verset 15 : “Je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du Mauvais.” (v.15)

C’est assez surprenant que Jésus dise d’abord ce qu’il ne demande pas à son Père : “je ne te prie pas de les retirer du monde…” C’est bien que la tentation existe. Et peut-être est-ce même la solution de facilité. Pourquoi cette tentation du retrait du monde existe-t-elle ?

Il y a le décalage ressenti entre les valeurs du Royaume de Dieu et celles de notre monde. Ce n’est pas nouveau, même si les tensions ont évolué au fil des siècles. Et ce décalage n’est pas sans fondement. Jésus a bien dit que son Royaume n’était pas de ce monde. Et il a mis en garde contre la confusion des deux, avec son fameux “Il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu”. D’ailleurs, dans l’histoire, quand il y a eu confusion entre l’Eglise et le pouvoir politique, ça a donné lieu à de terribles dérives.

Du coup, à cause de ce décalage, il y a parfois la crainte de perdre ces valeurs du Royaume au contact du monde, la peur de la compromission. Alors, pour se protéger, on se retire du monde. Et on préfère la compagnie de ceux qui croient comme nous et qui pensent comme nous. C’est rassurant.

Mais ce n’est pas ce à quoi Jésus nous appelle. Voilà pourquoi il demande à son père de ne pas nous retirer du monde. Et n’oublions pas l’exemple que Jésus nous a laissé, et les reproches que les chefs religieux de l’époque lui faisaient de fréquenter des gens considérés comme infréquentables. On reprochait à Jésus de trop se mélanger, et même de se compromettre avec le monde…

Les limites du mélange

Refuser le retrait du monde, ce n’est pas pour autant s’y perdre sans discernement ! Il y a, bien-sûr, des limites.

On sait qu’il existe un écueil, celui de tellement se mélanger qu’on en perd notre identité, notre sel. Et finalement, on n’est plus du sel mais… du tofu. Le tofu, ça n’a pratiquement pas de goût. Ca prend le goût de la sauce dans lequel il baigne. C’est facile d’être “le tofu de la terre”… mais ça ne sert pas à grand chose.

Il y a bien un danger duquel il faut se méfier. Et ce danger, ce n’est pas le monde, c’est le Mauvais (ou le Malin). Car tout n’est pas bon dans notre monde, loin de là… Il faut indéniablement rester vigilant. Il y a des pratiques, des idéologies, des discours qui sont contraires à l’Evangile et au Royaume de Dieu. Et qui se rencontrent même parfois dans l’Eglise… Il s’agit de s’en préserver et même, s’il le faut, les dénoncer.

Mais Jésus insiste sur le fait que le moyen de s’en préserver, c’est d’être entièrement à Dieu. C’est de garder intact notre goût et notre saveur, de rester du sel qui puise sa saveur en Christ. Ne nous trompons pas : notre saveur ne vient pas de notre notre opposition au monde, elle vient de notre attachement à Dieu. Cet attachement peut évidemment nous conduire parfois à être en décalage, voire en opposition avec le monde dans lequel nous vivons. Mais ce qui nous préserve du Mauvais, c’est notre attachement à Dieu et à sa Parole. Pas notre retrait du monde…

La nécessité du mélange

Conscient de la tentation du retrait du monde et des limites du mélange, il faut aussi affirmer la nécessité du mélange. Il est strictement impossible de répondre à l’appel du Christ qui nous envoie dans le monde sans se mélanger au monde ! Pour nous y aider, je vous propose deux pistes concrètes.

Considérer que le Christ nous envoie sur nos lieux de vie

Il y a des lieux où on se mélange aux autres de façon obligée, comme l’école ou l’entreprise. Il y a d’autres lieux possibles, basés sur le volontariat, comme le milieu associatif. Dans tous les cas, il nous faut considérer nos lieux de vie, tous nos lieux de vie, qu’ils soient choisis ou obligés, comme les lieux où le Christ nous envoie. C’est là qu’il nous veut, c’est là qu’il nous attend. Il me semble que c’est une bonne façon de ne pas percevoir le mélange comme un danger mais comme une chance, celle d’y être des grains de sel utiles et qui font la différence. Notre prière, chaque jour, devait être : “Seigneur, comment pourrai-je être un grain de sel aujourd’hui, dans ma famille, à l’école, dans mon lieu de travail ou mon engagement associatif ?”

Prêter l’oreille à la voix du monde

La voix du monde, c’est ce que nos contemporains expriment, ce qu’ils pensent, ce qui les préoccupe et les anime, ce qui modèle leur pensée, ce qui les motive ou ce qui les révolte… Cette voix ne s’exprime pas seulement à travers les éditorialistes des chaînes d’information continue et les vidéos des influenceurs sur les réseaux sociaux. Loin de là. Elle s’exprime aussi à travers l’art et la culture. Il me paraît vraiment dommageable, pour un croyant, de s’enfermer dans une sous-culture chrétienne, avec sa musique, ses films, sa littérature… justement parce que si on s’y enferme, on se retire du monde ! Il nous faut, au contraire, développer une sensibilité à l’art et la culture d’aujourd’hui. On y accède plus facilement que jamais, à travers le cinéma, les séries, la littérature, la musique… toutes les formes d’art ! On n’est pas obligé d’aimer ce qu’on voit ou ce qu’on entend, mais on doit y prêter l’oreille. Comment se mélanger au monde si on n’entend pas sa voix, si on ne comprend pas son langage ?

Conclusion

“Vous êtes le sel de la terre !” Mais comment pourrions-nous l’être en restant dans notre salière ? Une des propriétés du sel est de se mélanger, et c’est aussi ce à quoi le Christ nous appelle dans le monde.

Le défi du mélange, c’est le défi d’un témoignage de l’Evangile culturellement pertinent aujourd’hui. C’est le défi d’une présence au coeur du monde, avec la saveur du Christ. C’est le défi d’être, chacun et chacune, disciple de Jésus-Christ au quotidien, sur nos lieux de vie, là où il nous envoie.

Le monde change. Le défi change. Mais l’appel reste le même : “Vous êtes le sel de la terre !”