Quand l’espérance répond à nos peurs

 

Ne trouvez-vous pas que le temps de l’Avent est un peu étrange cette année ? Le climat social en France, avec en plus l’attentat de Strasbourg, tout cela fait qu’on n’a pas forcément le coeur pour les fêtes…

Il y a, aujourd’hui, beaucoup de craintes et d’inquiétudes qui s’expriment. Elles nourrissent des angoisses ou des colères qui transparaissent dans les mouvements sociaux qui agitent notre actualité.

  • Aujourd’hui, on a peur du lendemain, des fins de mois difficiles. On entend cette formule choc sur les rond-points : “La fin du monde, c’est la fin du mois !” On a peur du spectre du chômage, on craint de ne plus pouvoir nourrir sa famille…
  • Aujourd’hui, on a peur de l’étranger, de celui qui est différent et qui vient d’une autre culture, d’une autre religion, d’un autre pays. Et c’est une peur qui conduit à la désignation de boucs émissaires, et qui réveille la bête xénophobe et raciste.
  • Aujourd’hui, on a peur pour l’avenir de notre planète, on s’inquiète du dérèglement climatique. C’est très présent chez les jeunes générations : avez-vous vu cette impressionnante vidéo de la jeune Greta Thunberg, une adolescente suédoise de 15 ans, qui a pris la parole devant la COP 24 pour interpeller les dirigeants des pays de l’ONU quant à leur inaction pour la justice climatique ?

Et pourtant, chaque dimanche depuis le 2 décembre, on célèbre le temps de l’Avent, on parle d’attente et d’espérance… Mais en quoi l’espérance chrétienne peut-elle être une réponse à toutes ces craintes ?

En quête d’espérance

Le texte de l’Ancien Testament de ce dimanche nous parle d’espérance. Il contient un verset qui est cité dans un récit de Noël, celui de la visite des mages d’Orient. C’est la réponse que les maîtres de la loi leur donnent quand ils demandent où doit naître le roi des Juifs : « Et toi, Bethléem Ephrata, toi qui es petite parmi les phratries de Juda, de toi sortira pour moi celui qui dominera sur Israël…”

Le prophète Michée annonce donc le lieu de naissance du Messie : Bethléem. Et c’est en général tout ce qu’on lit de Michée : le verset 1 du chapitre 5. Et encore, pas jusqu’au bout du verset… Alors on va en lire un peu plus ce matin. Mais avant de lire le texte, je vous propose un voyage dans le temps !

Replongeons-nous dans le contexte de l’époque. Nous sommes au VIIIe siècle avant Jésus-Christ. Le royaume d’Israël s’est scindé en deux royaumes, Israël au nord et Juda au sud. Ça s’est passé plusieurs siècles auparavant, après le règne de Salomon. Originaire du petit village de Morécheth, Michée est un prophète influent. Il a reçu de Dieu des messages à transmettre pour les deux royaumes.

Il faut dire que toute la région est fébrile parce que l’ogre Assyrien dévore tout sur son passage. Rien ne semble pouvoir arrêter l’expansion de cet empire qui est désormais aux portes d’Israël. Il règne dans le pays comme un parfum de fin du monde…

D’autant qu’il n’y a pas seulement les dangers qui viennent de l’extérieur. La situation sociale et spirituelle des deux royaumes est mauvaise. La gloire d’antan, au temps de Salomon, est bien lointaine. L’injustice règne dans le pays, et Michée le dénonce avec force. Au nom du Seigneur, il mène un réquisitoire contre les riches et contre les classes dirigeantes. Il dénonce les riches propriétaires qui accaparent les terres, qui recourent à la fraude et la violence pour arriver à leur fin, dans leur appétit de posséder qui est sans limite. Bref, les riches deviennent de plus en plus riche, et les pauvres de plus en plus pauvre… Il dénonce aussi la complaisance des classes dirigeantes, les magistrats et les prophètes, des responsables sensés donner l’exemple, et qui pourtant cèdent à la corruption et font preuve de favoritisme.

Tout ça ne vous rappelle rien ? Je ne sais pas si Michée aurait porté un gilet jaune… mais son réquisitoire trouve d’étonnants échos aujourd’hui. Dans leurs dénonciations, les prophètes bibliques gardent, malheureusement, un cruelle actualité, parce que le coeur de l’homme n’a pas changé. Mais ne gardent-ils pas aussi une pertinence quand ils parlent d’espérance, comme c’est le cas de Michée dans le chapitre 5 de son livre, d’où est tirée la parole dite aux mages dans l’évangile et que je vous invite maintenant à lire, dans son contexte :

Michée 5.1-5
1 Le SEIGNEUR dit :
« Et toi, Bethléem Éfrata,
tu es un petit village parmi ceux des clans de Juda.
Pourtant, celui qui doit gouverner Israël,
je le ferai sortir de chez toi.
Il appartient à une famille très ancienne. »
2 Le SEIGNEUR va abandonner son peuple pendant un certain temps.
Ensuite, le jour viendra où la femme qui doit accoucher aura un fils.
Ceux qui seront encore en vie après l’exil viendront rejoindre les autres Israélites.
3 Et lui, le chef annoncé, il se lèvera et il sera leur berger
par la puissance du SEIGNEUR, par la présence glorieuse du SEIGNEUR son Dieu.
Les gens de son peuple vivront en sécurité.
En effet, sa puissance s’étendra jusqu’au bout du monde.
4 C’est lui qui donnera la paix.
« Si les Assyriens entrent dans notre pays et s’ils pénètrent dans nos palais,
nous enverrons contre eux des chefs très nombreux.
5 Avec leurs armes, ils conquerront l’Assyrie, le pays de Nemrod, et ils le domineront.
« Le chef promis nous délivrera des Assyriens s’ils passent nos frontières et s’ils entrent dans notre pays. »

L’espérance de Michée

Lu dans son contexte, la parole citée aux mages de l’évangile prend un relief différent. Il est frappant de voir combien la prophétie de Michée est liée au contexte de son époque. On ne s’en rend pas compte en ne lisant que le verset 1… mais dans ce texte on perçoit explicitement la peur face à l’envahisseur Assyrien, et même la perspective d’un exil qui semble inéluctable : on dit que le Seigneur va abandonner son peuple pour un temps.

Mais on perçoit aussi l’espérance d’une délivrance du Seigneur, l’aspiration à une restauration, à une paix retrouvée. Une espérance qui se focalise sur un enfant, issu d’une famille ancienne, et qui naîtra à Bethléem. Cet enfant deviendra le berger du peuple. Pour un connaisseur de la Bible, la mention de cette famille ancienne de Bethléem ne peut faire référence qu’à la lignée de David, le grand roi, d’où doit être issu le Messie, le libérateur choisi par Dieu.

Quel était donc la signification de ce texte pour les contemporains de Michée ? Le malheur vient, l’exil est inéluctable. Mais un espoir demeure, au-delà de l’exil. Dieu suscitera de la lignée de David un libérateur pour son peuple. Pour le petit nombre resté fidèle à Dieu, il y avait là une source d’espérance au milieu d’une grande détresse.

Les années ont passé après cette prophétie, il n’y a jamais eu vraiment de retour de l’exil en Assyrie… il y en a bien eu un de l’exil de Juda à Babylone, quelques décennies plus tard. Mais la gloire d’antan n’a jamais été retrouvée. L’attente d’un libérateur est restée… D’ailleurs, on sent bien dans le texte de Michée que la perspective déborde le contexte de son époque, notamment à cause de sa dimension universelle.

Alors au temps de Jésus, un texte comme celui de Michée exprimait l’attente messianique. Le contexte socio-politique avait changé. Ce n’était plus les Assyriens ou les Babyloniens qui faisaient peur mais l’occupant Romain. Les soupçons de corruption et de collusion avec l’envahisseur étaient forts, la méfiance à l’égard des classes dirigeantes alimentait la grogne du peuple. L’attente d’un libérateur était importante.

Les évangiles voient dans la naissance de Jésus le véritable accomplissement de la prophétie de Michée. Mais contrairement à l’attente de beaucoup, Jésus n’est pas venu en libérateur politique mais en libérateur spirituel. Peu nombreux sont ceux qui reconnaîtront en Jésus le berger dont parle Michée. Les chefs religieux le combattront, le peuple appellera à le crucifier. Quelques-uns y ont cru, non sans difficulté. Mais de ce petit groupe de disciples est né l’Eglise, et la bonne nouvelle s’est répandue, de génération en génération, jusqu’à nous.

Quand l’espérance rencontre nos peurs

De ce texte et de sa mise en perspective, je relève que l’espérance du croyant rencontre nos peurs. Pour les croyants au temps de Michée, les peurs se nommaient Assyrie, exil, guerre… Leur espérance était alors celle d’un libérateur, d’un rétablissement, d’une paix retrouvée.

D’ailleurs, peut-on concevoir notre espérance en dehors de nos peurs ? Bien-sûr, l’espérance chrétienne est plus grande que nos craintes. Il ne s’agit pas de se construire chacun une petite espérance à soi pour calmer nos craintes personnelles. Mais elle est bien aussi pertinente pour répondre à nos peurs d’aujourd’hui.

Au coeur du message de Noël, il y a l’affirmation d’un Dieu qui se fait proche de nous, qui devient l’un des nôtres et partage notre condition. Au coeur de l’espérance chrétienne se trouve la personne et l’oeuve de Jésus-Christ : sa vie, sa mort et sa résurrection. L’espérance qui rencontre nos peurs, c’est le Christ qui nous rejoint dans nos détresses. Il s’est fait pauvre, il a accepté d’être rejeté, il s’est rendu solidaire de l’humanité.

J’ai la conviction que l’Evangile a des réponses à proposer aux peurs de nos contemporains, qui peuvent aussi être les nôtres.

Sur la peur du lendemain, des fins de mois difficiles, je ne vais évidemment pas dire que Jésus va remplir votre compte en banque ! Même si, malheureusement, certaines théologies de la prospérité le prétendent… Mais l’Evangile montre bien que Dieu ne se soucie pas que de notre âme ! L’incarnation – Dieu qui prend chair – en est la preuve ! Et l’espérance de la “résurrection de la chair” en est une autre ! Comme dans la prière que Jésus a enseigné, où la première demande qui nous concerne dit “Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour.” Si on choisit un mode de vie simple, dans l’esprit de l’Evangile, qui n’oublie pas la générosité, on peut faire confiance à Dieu pour tous les domaines de notre vie, y compris matériel.

Face à la peur de l’étranger, de celui qui est différent, l’Evangile nous apprend que la peur et la haine ne sont jamais une solution. La solution est dans l’amour : Jésus va même jusqu’à nous inviter à aimer nos ennemis… comme il l’a fait lui-même. Il est venu pour tous, il est mort pour tous. “Dieu a voulu tout réconcilier avec lui, par son Fils et pour son Fils.” (Colossiens 1.20) L’espérance de la réconciliation nous conduit sur des chemins de paix et de pardon.

Quant à la peur pour l’avenir de notre planète, on peut évidemment se référer à la doctrine de la Création qui doit nous inciter à respecter et protéger l’oeuvre du Créateur. Mais l’espérance chrétienne a aussi quelque chose à nous dire sur le sujet. On oublie parfois que l’espérance de la résurrection, c’est pour toute la création ! La création aussi “sera libérée de l’esclavage de la corruption, pour avoir part à la liberté et à la gloire des enfants de Dieu.” (Romains 8.21) Cette perspective conduit à la fois à respecter et préserver cette terre destinée aussi au salut, et à éviter toute idolâtrie de la nature, qu’on retrouve dans certaines postures écologistes extrêmes.

Conclusion

Oui, l’espérance chrétienne est pertinente aujourd’hui. Laissons-la nous rejoindre… et nous surprendre !

Mais quand l’espérance chrétienne est réduite à un ensemble de doctrines ou à un schéma eschatologique, elle n’est plus capable de nous surprendre. Dans la perspective biblique, l’espérance est une personne. C’est l’enfant et le berger dont parle Michée. C’est Jésus-Christ dont parle les évangiles.

Se laisser surprendre par notre espérance, c’est laisser le Seigneur nous rejoindre sur notre chemin, comme il l’entend… et non comme nous le voudrions. Car sinon, on risque bien de manquer les rendez-vous que le Seigneur nous fixe, comme tant de contemporains de Jésus qui n’ont pas su voir devant leurs yeux s’accomplir leur espérance.

Oui, l’espérance chrétienne est pertinente aujourd’hui. Et ce temps de Noël est propice à le rappeler, particulièrement dans le contexte agité qui est le nôtre.