Aimez-vous les uns les autres

 

Lecture biblique : Jean 13.31-35

Il y a des textes fondamentaux sur lesquels il est toujours utile de revenir. Celui-ci en fait partie puisqu’il contient cet appel de Jésus : « Aimez-vous les uns les autres. ». C’est en effet ce que beaucoup, y compris parmi les non-croyants, retiennent de l’enseignement de Jésus. Et il faut dire que pour nous, disciples du Christ, nous sommes assez d’accord. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé » constitue un excellent résumé de l’enseignement de Jésus !

Mais d’abord, le contexte. Ce discours fait partie des dernières paroles de Jésus, peu de temps avant d’être arrêté. Il sait que son temps est compté et il en avertit ses disciples : « Je suis encore avec vous pour peu de temps, ensuite vous allez me chercher. » Et il sait très bien ce qui l’attend… Ses paroles revêtent donc une importance particulière.

Le verset 31 précise que Jésus dit ces paroles une fois que Judas est sorti. Et juste avant, il avait annoncé que l’un de ses disciples allait le trahir. Jésus se retrouve donc avec les 11 disciples qui seront le noyau dur de son Église, le socle sur lequel il bâtira son Église. A travers eux, c’est donc à nous, chrétiens de tous les temps, que Jésus s’adresse.

Ce commandement, qu’il rappellera dans les mêmes termes au chapitre 15 du même évangile, est toujours d’actualité pour nous. « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimé. » Voilà qui est bien au cœur de notre vocation de disciple du Christ !

Un commandement nouveau

Mais pourquoi Jésus dit-il qu’il s’agit d’un commandement nouveau ? Aimez-vous les uns les autres… ce n’est pas vraiment nouveau ! « Aime ton prochain comme toi-même », c’est bien dans le Lévitique, non ? Et Jésus lui-même a dit que c’était le plus grand commandement, avec celui qui invitait à aimer Dieu de tout notre cœur.

Alors qu’est-ce qui est nouveau ? Je suis assez d’accord avec Calvin qui voit dans la nouveauté une réaffirmation de son importance, tant il est vrai que nous sommes prompts à oublier… Calvin transcrit les paroles de Jésus ainsi : « Je veux que vous ayez un perpétuel souvenir de ce commandement, comme si c’était une ordonnance faite de nouveau. » En somme, c’est le commandement suprême à recevoir toujours comme un nouveau commandement. Un commandement sans cesse à vivre, toujours à réinventer.

Et c’est vrai que ce commandement à l’amour les uns pour les autres peut se perdre dans la routine de la vie chrétienne, ou se diluer dans de bons sentiments, des discours creux, ou des actes pieux pour se donner bonne conscience. Il n’est plus alors un commandement nouveau. C’est un commandement périmé, qui a perdu toute sa saveur, toute sa valeur.

Mais comment puis-je alors, vraiment, aimer mes frères et sœurs ? Comment faire pour que cet amour soit vrai et pas seulement formel, superficiel ? Comment est-ce que je peux le vivre comme un commandement vivifiant que je viens de découvrir ! Un commandement nouveau…

C’est une grâce qu’on peut demander à Dieu. Pour qu’il renouvelle en nous notre volonté de nous aimer les uns les autres. Car l’amour vivant se réinvente sans cesse.

Comme je vous ai aimé

Et Jésus insiste : « Comme je vous ai aimé, aimez-vous les uns les autres. »

Est-ce à dire qu’il faut faire la même chose que Jésus ? Aimer de la même façon que Jésus nous a aimé ? Faut-il, pour accomplir ce commandement, aller jusqu’au don de sa vie ? Ou, comme le prétendent certains commentateurs, aimer son prochain plus que soi-même ?

Je ne le pense pas… La façon dont Jésus nous a aimé est unique. La mort en sacrifice du Christ, sur la croix, est unique et impossible à imiter. Par contre, c’est bien parce que Jésus-Christ nous a aimé que nous sommes appelés à nous aimer les uns les autres. L’amour du Christ est premier et il inspire notre amour.

Dans ce sens, l’exemple de Jésus a toute sa valeur. Et il a incarné l’amour radical qu’il prône dans le Sermon sur la Montagne, où il invite à aimer jusqu’à ses ennemis. Il a donné l’exemple d’un amour qui le conduira jusqu’à la mort, jusque dans ces paroles qu’il dit à ses bourreaux, sur la croix : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Evidemment, comparé à l’exemple de Jésus, notre amour est forcément fade… Mais en même temps, c’est son amour qui nous inspire, qui nous donne la force d’aimer à notre tour. Son amour parfait ne doit pas nous écraser, nous culpabiliser de ne pas pouvoir aimer comme lui aime. Il doit au contraire nous élever, et nous donner la force d’aimer. Car nous pouvons puiser dans son amour. Finalement, il ne dira pas autre chose dans les chapitres suivant, lorsqu’il annoncera la venue du Saint-Esprit : « Si vous m’aimez, vous obéirez à mes commandements, et moi, je prierai le Père. Et il vous donnera quelqu’un d’autre pour vous aider, quelqu’un qui sera avec vous pour toujours : c’est l’Esprit de vérité. » (Jean 14.15-17a)

C’est par lui que nous pouvons puiser l’amour en Christ, c’est par lui que nous pouvons aimer à notre tour, comme le Christ nous a aimé.

Et tout le monde saura que vous êtes mes disciples

Jésus souligne enfin qu’il y a un enjeu, dans ce commandement, qui dépasse les simples relations entre frères et sœurs. « Ayez de l’amour les uns pour les autres. Alors tout le monde saura que vous êtes mes disciples. »

Ici s’éclaire ce que dit Jésus, dans notre texte, à propos de la gloire que le Fils et le Père manifestent. Lorsqu’il parle du Fils qui manifeste la gloire de Dieu, il fait référence à sa mort, par laquelle il accomplira le plan de Dieu. Et quand il parle du Père qui glorifiera le Fils, il pense sans doute à sa résurrection.

S’il en parle, en lien avec le commandement de s’aimer les uns les autres, c’est parce que Jésus est sur le point de s’en aller, et les disciples ne peuvent pas le suivre. Bientôt, il ne sera plus là. Mais les disciples, eux, seront toujours là. Et ce sera à eux de manifester le Christ, par leur amour, comme le Fils a glorifié le Père.

L’accomplissement du commandement de l’amour les uns pour les autres a une portée au-delà du cercle de l’Église. « Alors tout le monde saura que vous êtes mes disciples… »

Et là nous sommes interpellés ! Est-ce que tout le monde voit que nous sommes les disciples du Christ ? Est-ce que les gens qui nous voient vivre, qui voient notre façon d’être ensemble, disent : « ah oui, on voit qu’ils sont disciples du Christ. ! »

Le premier impératif lié à ce commandement, pour l’Église, c’est que ça se voie. Pas que ça s’entende dans nos cantiques, nos prières, nos confessions de foi, nos prédications…. mais que ça se voie.

Le premier impératif du témoignage, c’est notre vie. Et pas seulement une vie qui fait de son mieux pour éviter de trop faire du mal aux autres, ou qui s’efforce de ne pas être trop un contre-témoignage. Non, une vie qui, en elle-même, est un témoignage positif de l’amour qui vient de Dieu. Comme le dit cette parole, prêtée à Saint-François : « Prêche l’Évangile par tous les moyens, si nécessaire utilise des paroles ! »

Bien-sûr que les paroles ont leur utilité dans le témoignage. Mais elles ne servent à rien si elles ne peuvent pas s’appuyer sur une vie qui manifeste l’amour du Christ !

Conclusion

Ce n’est pas un commandement parmi les autres dont parle Jésus dans ce texte. C’est le programme de vie auquel il nous invite, si nous sommes ses disciples. Un programme qui nous lie au Christ, car son amour est premier. Un programme qui nous lie aussi à notre prochain, envers qui nous sommes appelés à manifester l’amour du Christ.

Pour que ce programme devienne réalité dans notre vie, il faut que nous le recevions comme un commandement nouveau : aimer mon prochain, c’est être avec lui dans une relation toujours nouvelle. Et c’est aussi une façon concrète de glorifier Celui qui nous a aimé le premier. Le premier impératif du témoignage, c’est notre vie.

« Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimé. Alors tout le monde saura que vous êtes mes disciples. »




Écouter la voix du berger

 

Lecture biblique : Jean 10.22-30

Jésus a commencé son ministère depuis un certain temps déjà. Les gens viennent à lui pour entendre son enseignement et voir les miracles qu’il accomplit. Les foules sont fascinées… mais les responsables religieux Juifs ne partagent pas cet enthousiasme. Ils sont même hostiles à Jésus, ils contestent son enseignement, ils refusent de voir en lui le Messie. Ils sont en conflit avec Jésus et cherchent un moyen de se débarrasser de lui.

Notre épisode se déroule au moment de la fête de la Dédicace, en novembre ou décembre. C’est Hanouka, la fête des lumières, qui commémore la restauration du temple de Jérusalem après sa profanation par Antiochus Epiphane au IIe siècle avant Jésus-Christ.

Jésus est dans le temple. Comme beaucoup de monde sans doute à cette occasion. Et il va et vient… Les responsables religieux Juifs sont aussi là, bien sûr. Et ils voient Jésus qui va et vient dans le temple. Et, visiblement, ça les énerve ! Tant que Jésus ne dit rien ou ne fait rien, ils ne peuvent pas s’opposer à lui. Et Jésus, lui, va et vient dans le temple.

Au bout d’un moment, ils ne tiennent plus et se rassemblent autour de Jésus pour l’interpeller. Littéralement, il font cercle autour de Jésus. Ils l’encerclent ! Comme ça, il arrêtera de marcher, d’aller et venir dans le temple ! Et ils lui demandent, impatients : « Bon, ça suffit maintenant. Dis-nous si tu es vraiment le Messie. Dis-le nous clairement ! Et pas avec tes petites histoires, ces paraboles que personne ne comprend. »

Il faut dire que, dans l’évangile selon Jean, il était justement question, juste avant, d’une parabole de Jésus. Une histoire de berger, de moutons, d’enclos et de voleurs.

1« Oui, je vous le dis, c’est la vérité : si quelqu’un n’entre pas par la porte dans l’enclos des moutons, mais s’il passe par-dessus le mur à un autre endroit, c’est un voleur et un bandit. 2Mais celui qui entre par la porte, c’est le berger des moutons. 3Le gardien lui ouvre la porte, et les moutons écoutent la voix du berger. Il appelle ses moutons chacun par son nom et il les conduit dehors. 4Quand il les a tous fait sortir, il marche devant eux. Et ses moutons le suivent, parce qu’ils connaissent sa voix. 5Ils ne suivront jamais quelqu’un d’autre. Au contraire, ils fuiront loin de lui, parce qu’ils ne connaissent pas la voix des autres personnes. »

Et quand Jésus a expliqué cette parabole, parce que les gens ne comprenaient pas, Jésus a dit que le bon berger de l’histoire, c’était lui. Et qu’il était aussi la porte qui permet d’entrer et sortir librement de l’enclos.

Et du coup, les responsables religieux n’étant pas bêtes, ils comprenaient bien que lorsque Jésus parle des bandits dans son histoire, il pense sûrement à eux. Et puis ce bon berger qu’il affirme être, ils comprennent bien que c’est la figure du Messie. Celui que Dieu a choisi pour apporter le salut à son peuple. Mais comme il ne le dit pas clairement, et comme il n’arrête pas de les narguer en déambulant dans le temple, ils disent « ça suffit maintenant, on veut avoir une parole claire ! Tu prétends être le Messie, oui ou non ? »

Et Jésus répond. « Est-ce que je suis le Messie ? Mais je vous l’ai déjà dit ! » J’imagine la réaction des responsables religieux, qui devaient bouillir à l’intérieur : « Il se fout de nous ou quoi ? On lui demande justement de nous dire clairement ce qu’il ne fait que suggérer dans ses paroles ! »

Et Jésus répond : « Je vous l’ai déjà dit, mais vous ne croyez pas. » Autrement dit, le problème est du côté des responsables religieux qui ne veulent rien entendre, qui ne veulent pas comprendre.

« Vous avez entendu mon enseignement, vous avez vu les œuvres que j’accomplis… vous l’avez, votre réponse ! Et même si je vous disais ‘Je suis le Messie’, ça ne changerait rien, parce que vous ne croyez pas ! »

Et là, Jésus fait référence à sa fameuse parabole du berger et de ses brebis. « Si vous ne croyez pas, c’est que vous ne faites pas partie de mes moutons. La preuve : mes moutons écoutent ma voix. Alors que vous, vous ne voulez ni voir ni entendre. »

Voilà la clé : écouter la voix du berger ! « Mes moutons écoutent ma voix. Moi, je les connais et ils me suivent. »

Quelle est notre écoute de la voix de Dieu ?

Vraie et fausse écoute

Il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre ! A l’exemple des responsables religieux avec Jésus… Ils ne veulent ni voir ni entendre. Parce qu’ils savent à l’avance ce qu’ils veulent entendre. Ils veulent que Jésus dise explicitement qu’il est le Messie, comme ça ils pourront l’accuser de blasphème.

Et non seulement ils décident ce qu’ils veulent entendre mais en plus ils décident quand ils veulent l’entendre. Jésus va et vient dans le temple sans parler ? Ils le poussent à parler ! « Maintenant, parle ! »

Ne peut-on pas aussi être un peu comme ça dans notre écoute du Seigneur ? On entend ce qu’on veut entendre, quitte à dire après “Dieu m’a dit que…”. Et comme par hasard, c’est exactement ce qu’on voulait entendre.

Ou alors on fixe les conditions, le moment où Dieu doit parler ! On s’imagine qu’à force de prières sans cesse répétées, d’utilisation de formules à base de « nom de Jésus », ou en faisant pression sur Dieu par un jeûne qui s’apparente à une grève de la faim, on va finir par obtenir ce qu’on veut. Évidemment, on ne le dit pas comme ça. On tient un langage plus spirituel… mais examinons bien notre pratique de l’intercession…

Dieu n’est jamais obligé de parler. Il faut, certes, faire silence, demander, écouter… Mais si Dieu ne répond pas, tant pis ! Et s’il ne parle pas, c’est peut-être parce qu’on n’est pas prêt à entendre ce qu’il veut nous dire…

Écouter vraiment, c’est être prêt à recevoir sans a priori. C’est ne pas fixer le moment où le Seigneur doit parler mais se tenir sur la brèche, en tout temps. C’est se donner les moyens d’écouter vraiment. Faire silence. Prendre le temps.

Reconnaître sa voix

Ecouter, c’est bien… mais comment entendre le Seigneur parler ? Il y a peu de chance que Dieu vous parle directement par une voix qui vient du ciel… il y a certes quelques précédents bibliques mais quand même.

La prière est le lieu privilégié de l’écoute de Dieu. Car prier, c’est au moins autant écouter que parler. Une écoute dans le silence, une écoute nourrie de la Parole de Dieu, une écoute intérieure, de nos pensées, nos émotions, nos voix intérieures. Le Saint-Esprit n’habite-t-il pas le cœur du croyant ? La voix de Dieu peut se mêler à toutes ces voix silencieuses.

Mais comme le dit l’apôtre Paul, il faut prier sans cesse… ça veut donc dire aussi écouter sans cesse ! Dans le silence comme dans le tumulte, dans le repos comme dans l’action. Or, on entend de multiples voix. Dans notre cœur, dans les paroles de ceux qui croisent notre route, dans ce qu’on lit, ce qu’on entend… Comment savoir que c’est la voix de Dieu ?

Jésus dit dans sa parabole : les moutons écoutent la voix du berger, parce qu’ils connaissent sa voix.

Ça vous est sans doute déjà arrivé de décrocher le téléphone qui sonne et que vous entendez au bout du fil quelqu’un qui dit « Bonjour, c’est moi ! » et vous ne reconnaissez pas la voix… c’est très désagréable. Mais si c’est ma femme au bout du fil qui dit « c’est moi », je la reconnais tout de suite. Parce que je connais sa voix. Je la reconnaîtrais entre mille ! Pourquoi ? Parce que j’aime ma femme, j’aime sa voix, je la connais intimement.

Eh bien, c’est en développant notre intimité avec le Christ que l’on développe notre capacité à entendre sa voix. A force de passer du temps avec Dieu, sa voix nous devient familière. Qu’elle s’exprime silencieusement, au plus profond de notre cœur, ou qu’elle se mêle aux voix de ceux qui nous parlent. Cette intimité avec Dieu, cultivée dans la prière, nous rend sa voix familière.

Écouter pour agir

Cette écoute de la voix de Dieu nous permet non seulement de grandir dans la connaissance de Dieu mais aussi nous aide à marcher à sa suite. Les moutons de la parabole écoutent la voix du berger… et le suivent. Il les mène en dehors de l’enclos, les nourrit et les protège. Ou comme Jésus le dit dans notre texte :

27Mes moutons écoutent ma voix. Moi, je les connais et ils me suivent. 28Je leur donne la vie avec Dieu pour toujours. Ils ne mourront jamais, et personne ne pourra les arracher de ma main.

Ces magnifiques promesses sont pour ceux qui font confiance à la voix du berger, pour ceux qui se mettent en marche à la suite du Christ. Car l’écoute de Dieu est un prélude à l’action. Quand Dieu parle, il invite à se mettre en marche. Car si on écoute et qu’on n’agit pas en conséquence, a-t-on vraiment écouté ?

Conclusion

De cette petite passe d’arme entre Jésus et les responsables religieux, il ressort la figure du croyant comme un écoutant. Le croyant, c’est celui qui écoute la voix de son Dieu. C’est celui qui sait reconnaître sa voix dans le tumulte comme dans le silence. C’est celui qui se met en marche pour répondre à l’appel de son Seigneur.

Cultivons donc notre intimité avec Dieu pour apprendre à connaître sa voix. Et écoutons sans cesse, car Dieu nous parle.




Nouveau départ avec le Ressuscité

Lecture biblique: Jean 21.15-19

Il y a quelques semaines, Pierre reniait Jésus.

Pierre, le fougueux, disciple de la première heure ; Pierre, le croyant, qui proclame devant Jésus : « Tu as les paroles qui donnent la vie ! » ou encore « toi, tu es le Messie, l‘Envoyé de Dieu ! » ; Pierre, le témoin, qui a vu les miracles, les malades guéris, les pains multipliés, qui a lui-même marché sur l’eau à la rencontre de Jésus ; Pierre… Pierre a renié Jésus.

Oh Jésus le lui avait annoncé, quelques heures avant d’être arrêté : « Tu veux me suivre ? Tu dis que tu ferais tout pour moi, même donner ta vie ? Tu vas me renier, trois fois, ce soir même ». Et le soir même, alors que Jésus était conduit à son procès, Pierre a renié Jésus.

Et Jésus est mort.

Et puis est venue la nouvelle : la tombe est vide – les femmes l’ont vu, Pierre l’a vu, et d’autres encore. Et Jésus s’est montré, aux femmes, à des proches de Jésus, aux disciples. Jésus se montre encore, au lac de Tibériade, où Pierre et d’autres disciples cherchent à pêcher du poisson. La pêche est infructueuse, mais quand Jésus arrive, miracle, le filet se remplit à craquer. Revenus sur la berge, les disciples rejoignent Jésus qui leur offre à manger. Après le repas, Jésus prend Pierre à part – ce que je vous invite à lire à la fin de l’évangile de Jean 21.15-23.

1)   Le pardon total de Dieu

Ce qui saute aux yeux, dans ce dialogue entre Jésus et Pierre, c’est la répétition. Trois fois, Jésus demande si Pierre l’aime. Trois fois, comme les trois fois où, dans la cour de la maison où Jésus était détenu, Pierre a nié connaître Jésus, trahissant son Maître. Trois vagues successives qui viennent effacer, question après question, l’empreinte cuisante de la trahison de Pierre.

Pierre le sait bien, lui qui répond à Jésus avec humilité : « Pierre, est-ce que tu m’aimes ? » « Toi, tu sais que je t’aime ». On est loin des grandes déclarations passionnées, emportées, absolues (si tous t’abandonnaient, moi je resterais) ! « Pierre, m’aimes-tu plus que les autres ? », « Hum… toi tu sais », comme si Pierre ne pouvait plus s’appuyer sur sa fougue et son ressenti, face à ce Jésus qui sait toutes choses, qui avait annoncé sa mort, sa résurrection, le reniement de Pierre…

Deuxième fois : Jésus confirme. Troisième fois : Pierre est triste. Est-ce qu’il se demande si Jésus met en doute son amour pour lui ? Est-ce qu’il est honteux devant la référence à sa triple trahison ? « Toi tu sais toutes choses : tu connais l’amour que je te porte, tu en connais aussi les limites et les failles ; tu connais ma foi, comme tu connais mon incrédulité ! » Devant le regard perçant du Christ, Pierre reste disciple, mais il a conscience de son indignité fondamentale.

Par trois fois Jésus réagit à la réponse de Pierre : « prends soin de mes agneaux, conduis mes brebis » – autrement dit, « je te confie mon troupeau, la foule de ceux qui croient en moi ». L’attitude de Jésus est frappante, voire un peu illogique. Mettez-vous à sa place : un de vos proches collaborateurs, que vous avez sorti de son trou paumé, que vous avez côtoyé, formé, aimé pendant trois ans, cet ami a retourné sa veste quand il a cru que vous étiez un homme fini. Peut-être, dans votre grandeur d’âme, êtes-vous prêt à lui pardonner cette trahison… Mais lui confier votre entreprise ? Votre famille ? A ce lâche, ce traître ? Qu’est-ce qu’on pourrait tirer de bon de cet homme ?

Aujourd’hui on parle beaucoup de pardon dans notre société, de lâcher-prise : il ne faut pas garder nos rancunes, nos aigreurs, sous peine de risquer un ulcère ! Porter les lourdes valises de la colère ou du ressentiment n’apporte rien de bon, au contraire, on en a vite plein le dos : il faut tourner la page. Vivons légers, pardonnons ! Allons de l’avant ! Oublions le négatif et fixons nos regards sur l’horizon azur de la joie et de la sérénité !

C’est dans les magazines, dans les citations sur les réseaux sociaux, dans les livres – mais pas dans la Bible. En tout cas, pas comme ça. Jésus ressuscité s’approche de son élève défaillant et efface son ardoise, il efface le doute, la trahison, l’incrédulité. Cependant, Jésus ne se contente pas d’équilibrer les comptes et de faire table rase : il reconstruit quelque chose, il appelle à nouveau Pierre à le suivre (on prend le même et on recommence). En plus, il lui confie bien au-delà de ce que Pierre avait à gérer jusqu’à présent : prends soin de la foule des croyants, prends soin de ma famille.

Jésus nous montre comment Dieu pardonne : totalement. Jésus nous montre à qui Dieu donne son pardon : aux traîtres. Pas juste aux ignorants, aux faibles, aux pécheurs qui ont des circonstances atténuantes, non, aux traîtres. Aux fautifs, à ceux qui savaient et qui ont quand même échoué, à ceux qui n’ont pas d’excuse : à tous ceux-là, il tend la main, et il demande « m’aimes-tu ? » Non pas que notre amour pour Jésus compense les fautes passées, les chutes, notre infidélité ou nos doutes ! mais Jésus vient vers nous, nous relève et nous réinstalle dans notre relation avec lui, pour peu que nous saisissions sa main.

C’est à un homme brisé, peu fiable, étonnant mélange de fougue et de prétentions, de doutes et d’insécurité, que Jésus donne son pardon, que Jésus confie une mission de la plus haute importance : prends soin de ma famille. C’est typique de Dieu : devant notre incompétence, notre ignorance ou nos fautes même graves, il redonne des nouvelles chances – il l’a fait avec Moïse (un meurtrier), avec David (un adultère et un meurtrier), il le fait avec Pierre, avec Paul (un persécuteur, un terroriste), et il le fait avec nous. Nous ne sommes pas à la hauteur, mais Dieu, dans son amour que nous ne méritons pas, nous offre sans cesse de nouvelles chances, de nouvelles opportunités, son pardon et sa confiance. C’est ça la grâce : le pardon total de Dieu qui nous lave, vague après vague.

2)   Notre priorité : la relation avec Jésus

Jésus nous pardonne et nous libère de… nos péchés, nos fautes, nos trahisons. Mais il pardonne aussi pour… la vie avec lui, une vie différente, dont il faut tout apprendre. Dans cette vie nouvelle, la priorité, c’est la relation que nous avons avec Jésus. C’est l’amour que nous lui portons, qui nous attache à lui et nous permet de le suivre, de marcher dans ses pas, c’est ça qui fait la différence. La vie avec Dieu va nous conduire sur des pistes différentes : nous ne sommes pas tous Pierre, enseignant et évangéliste de l’Antiquité, nous ne sommes pas tous missionnaires, mais peu importe, nous sommes tous appelés à vivre avec Dieu, à recevoir les responsabilités qu’il nous confie et à les assumer d’une manière qui plaise à Dieu. Pour cela, les paroles spécifiques que Jésus adresse à Pierre nous donnent deux principes que nous pouvons nous approprier.

Prends soin de mon troupeau. Premièrement, nous suivons Jésus le Berger. Quelles que soient les responsabilités que Dieu nous confie, quels que soient les chemins où il nous conduit, c’est lui le maître, c’est lui le chef, et c’est ses projets que nous sommes appelés à mettre en œuvre et non pas le contraire. J’ai lu une fois cette réflexion qui a fait mouche : trop souvent, on demande à Dieu de bénir nos projets, alors qu’il faudrait nous demander comment nous pouvons servir Dieu, comment nous pouvons participer à son œuvre. Non pas s’engager sur un chemin et demander à Dieu de nous y suivre pour nous donner un coup de main (ou assurer le dépannage quand la panne arrive) mais veiller, par la prière, la méditation de la Bible qui nous imprègne de la mentalité de Dieu, par les discussions avec les autres, veiller à suivre Jésus en toutes circonstances.

Quand tu seras vieux, tu iras là où tu ne veux pas… Jésus annonçait par quelle mort Pierre allait glorifier Dieu. Deuxièmement, suivre Jésus le Crucifié. Jésus assortit son ordre de mission d’une remarque : c’est dans la faiblesse, la dépendance, voire le martyre, que Pierre va glorifier Dieu. Parole difficile à entendre, surtout pour Pierre, chez qui on devine, dans les premiers temps, une vision très précise de la réussite. Pendant une discussion avec Jésus, il reconnaît Jésus comme Messie, mais il refuse d’admettre qu’il doive mourir ! Quand Jésus se fait arrêter au jardin des Oliviers, Pierre dégaine et coupe l’oreille du soldat. Pourtant, après cette rencontre décisive avec Jésus, et des années de foi, de service, de méditation, Pierre écrit aux églises – les lettres que nous avons dans le NT, après celles de Paul – et leur rappelle que réussir sa vie avec Dieu ressemble parfois à un échec, quand les autres se moquent, nous calomnient, nous persécutent même !

Jésus l’avait dit avant de mourir : l’élève n’est pas plus grand que le maître. Celui qui suit Jésus passe par la même route, les mêmes portes. Certes, la mission de Jésus était unique, son identité aussi : lui seul a pu nous sauver, lui, le juste qui s’est livré pour les injustes, lui dont l’innocence a été offerte pour recouvrir notre culpabilité. Mais la manière dont il nous a obtenu le salut, les moyens qu’il a utilisés pour atteindre son but, le comportement qu’il a choisi, c’est le chemin qui nous attend aussi ! Ainsi, Pierre a souffert et est mort en martyr, subissant la violence et annonçant la paix. Si tous ne sont pas confrontés à de telles difficultés, cette prophétie de Jésus à Pierre nous rappelle que l’obéissance a un prix : suivre Jésus le Crucifié, c’est suivre le modèle d’amour de celui qui a triomphé dans la douceur et la faiblesse, de celui pour qui la paix est si importante qu’il a été prêt à subir toute violence, de celui qui a tout risqué, qui a donné sa vie, pour sauver ceux qu’il aime. Cette fidélité à Dieu, cette générosité, cet amour persistant, quoi qu’il en coûte, voilà ce que nous apprendrons auprès du Christ.

Conclusion

Alors ce texte nous fait entrer dans l’intimité de la relation entre Jésus et son disciple Pierre, mais il nous fait surtout voir le cœur de Dieu. Le Dieu que Jésus-Christ révèle est un Dieu qui pardonne, et qui pardonne jusqu’au bout, sans réserves, sans clauses secrètes. Il pardonne, il guérit, il relève – et il remet en route. Sur cette route, peu importe à part : suivre Jésus. Le suivre de toute notre attitude, dans toutes nos paroles et nos pensées, dans tous nos gestes ; le suivre avec humilité, avec reconnaissance, avec obéissance ; le suivre du fond du cœur, dans la foi et l’amour. Jour après jour, défaillants, fougueux ou pleins de doutes, jour après jour le Christ nous appelle, nous renouvelle sa grâce et son pardon. Là, nous apprendrons à lui ressembler, nous apprendrons à pardonner comme nous avons été pardonnés, à aimer comme nous avons été aimés… Osons le suivre ! Osons faire confiance à celui qui a vaincu la mort et le mal, au Ressuscité débordant de puissance et d’amour !