Face à la tentation

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Lecture biblique : Marc 1.12-15

Fidèle à son habitude, Marc fait preuve de sobriété dans son récit. Les événements s’enchaînent très rapidement : le baptême de Jésus, sa tentation au désert, le début de son ministère public, le tout en quelques versets à peine. On aurait pourtant tort de ne pas s’y arrêter.

L’épisode de la tentation de Jésus apparaît comme un moment d’intimité, intercalé entre deux moments publics forts : son baptême et le début de son ministère public. Un moment d’intimité qui rejoint notre expérience. Car la tentation est bien une expérience universelle, une préoccupation majeure pour le croyant. N’est-ce pas une des demandes du Notre Père :« Ne nous soumets pas à la tentation… » ?

 

Dans notre jardin secret

L’enchaînement après le baptême est assez brusque : « Tout de suite après, l’Esprit Saint envoie Jésus dans le désert. » On n’a pas le temps de souffler, pas le temps de réaliser ce qui vient de se passer : la première manifestation publique du Messie, une théophanie trinitaire au moment du baptême de Jésus… L’Esprit saint envoie déjà Jésus dans le désert pour 40 jours. Le verbe grec évoque même une action énergique : l’Esprit le chasse, le pousse violemment, dans le désert.

Il y a une impérieuse nécessité à vivre ce temps de désert et de tentation. Mais Jésus devra le vivre seul. Le récit très sobre de Marc le souligne. Matthieu et Luc donneront plus de détails, évoquant même un dialogue entre Jésus et Satan. Chez Marc, on n’accompagne pas Jésus dans le désert. On nous dit juste qu’il a été tenté par Satan pendant 40 jours (alors que Matthieu et Luc placent la tentation à la fin de 40 jours de jeûne). L’épisode reste entouré de mystère. L’expérience appartient au jardin secret de Jésus.

Le baptême de Jésus était le signe public de son incarnation, de sa solidarité avec notre humanité. La tentation au désert est le signe intime et caché de son incarnation. Jésus a partagé notre humanité aussi dans l’intimité de son jardin secret, dans ses luttes intérieures et ses tentations. Comme le dit l’épître aux Hébreux : « Comme nous, il a été tenté en toutes choses » (Hb 4.15).

C’est pourquoi il nous comprend, de « l’intérieur ». L’épître aux Hébreux le dit bien : « il est capable de souffrir avec nous de nos faiblesses. » et « Près de lui, nous recevrons le pardon, nous trouverons son amour, et ainsi, il nous aidera au bon moment. »

Quand nous sommes en lutte en nous-mêmes contre la tentation, Dieu le voit. Il est peut-être le seul à le voir… Mais pas pour nous espionner, pas pour nous culpabiliser ou nous juger. Pour nous aider. Parce qu’il nous comprend !

 

Toujours seul… mais jamais seul

Une autre originalité de Marc se trouve dans la formule qu’il est le seul à utiliser pour décrire l’épisode de la tentation de Jésus, affirmant qu’il était « avec les bêtes sauvages ». Une expression qui traduit sans doute la solitude de Jésus, son éloignement du monde des hommes dont il ne peut attendre aucun secours. Il est seul, au milieu des bêtes sauvages, donc en terrain hostile.

Mais Marc précise aussi que les anges le servaient. Loin de tout, Jésus demeure sous la protection divine. Au cœur même de la tentation, il n’est pas abandonné de son Père qui envoie ses anges pour le servir.

On est toujours seuls face à la tentation. On ne peut jamais se mettre à la place de l’autre.
C’est notre jardin secret, le lieu de nos luttes intimes, personnelles. Jésus était seul « au milieu des bêtes sauvages »…

Bien-sûr on n’a pas le privilège de Jésus d’avoir les anges qui le servaient… mais n’a-t-on pas parfois un ange qui nous protège ? Dans nos tentations et nos luttes, Dieu veille sur nous. Même quand on peut avoir l’impression de se retrouver au milieu des bêtes sauvages, menacé, en danger. Il est là, prêt à nous aider. Prêt à envoyer ses anges nous soutenir.

D’une certaine façon, face à la tentation nous sommes toujours seuls… mais jamais seuls. Toujours seuls parce que personne ne peut lutter à notre place, personne ne peut résister à la tentation à notre place. C’est notre jardin secret. Mais jamais seuls parce que Dieu, notre Père, « voit dans le secret ».

 

La victoire, signe du règne de Dieu

A la fin des 40 jours de désert, Jésus commence son ministère public. Cela coïncide avec le moment de l’arrestation de Jean-Baptiste. Comme s’il fallait que Jean disparaisse pour que Jésus à son tour entre en scène.

Mais Jésus n’a pas été tenté 40 jours seulement. Il a, comme nous, été tenté tous les jours de sa vie ! Cet épisode a valeur de symbole. Peut-être même était-ce un temps de préparation aux tentations multiples qu’il rencontrera dans son ministère.

Et Jésus sort victorieux de l’épreuve. Non seulement des 40 jours dans le désert mais jusqu’à son dernier souffle, quand il dira sur la croix : « Tout est accompli ! » Le message qu’il annonce est une proclamation de victoire : « Le moment décidé par Dieu est arrivé, et le Royaume de Dieu est tout près de vous. » ou comme le traduit la Nouvelle Bible Segond : « Le temps est accompli et le règne de Dieu s’est approché. »

La victoire sur la tentation, dans notre vie, c’est le signe que le règne de Dieu avance. Car pour qu’il avance dans le monde, il faut qu’il avance dans notre cœur. Il faut que le Christ vainqueur nous rende vainqueur.

Conclusion

Face à la tentation, l’Évangile ne donne pas de recette, il donne l’exemple. Celui de Jésus lui-même, tenté pendant 40 jours dans le désert, « tenté en toutes choses » comme nous.

En Jésus-Christ, Dieu a fait l’expérience de nos tentations. Et du coup, alors même que c’est une expérience universelle, et parfois douloureuse, que chacun vit dans son jardin secret, Dieu nous y rejoint en Jésus-Christ.

Il ne nous juge pas, il nous comprend. Il nous aime. Et il veut nous aider à être victorieux et à voir dans ces victoires des signes que le règne de Dieu avance, en chacun de nous.




Au cœur de la tourmente, quelle espérance?

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Psaume 102

Dans ce psaume, nous avons deux portraits : le portrait d’un homme en souffrance qui exprime l’intensité de sa détresse, et, en face, un portrait de Dieu. Le contraste est très fort entre cet homme écrasé et ce Dieu glorieux, céleste, souverain. Entre ces deux portraits, il y a une tension, une tension entre la réalité de la souffrance et la foi en un Dieu bon et puissant. Comment vivre cette tension ? Dans le psaume que nous avons lu, le croyant fait le choix d’espérer, et c’est cette espérance qui fonde sa prière.

1)   Espérer dans le Dieu tout-puissant

L’homme qui prie est dans une situation terrible, qui éveillerait la compassion de n’importe qui. Manifestement, il est au bout du rouleau, et sur tous les plans. A travers une description poétique et éloquente, on devine que cet homme est gravement malade, manifestement en fin de vie. A sa douleur physique s’ajoute l’angoisse de celui qui se retrouve confronté à la mort. Il ne dort plus, ne mange plus, ne peut que pleurer… Au milieu de la détresse, il est rejeté par tous. Il est devenu tellement affreux à voir que ses ennemis prêtent serment en disant : « si je trahis ma parole, Seigneur, rends-moi comme lui ! ». Il n’a plus de force, plus de ressources, plus d’amis. L’image de l’oiseau solitaire perdu au milieu des ruines résume bien sa situation.

Dans cette situation tragique, il se sent abandonné de Dieu, comme si Dieu avait détourné la tête et refusait de l’écouter. Le silence de Dieu le conduit même à penser que ce qu’il vit vient de la colère de Dieu contre lui. Il ressent son silence et son inaction comme un rejet, pas comme une punition (il ne demande pas pardon) mais comme un rejet.

Et puis, après avoir exposé en détails sa situation pitoyable, il a comme un sursaut : « mais toi, toi, tu es Seigneur et tu règnes ! Tu es le roi pour toutes les générations, pour l’éternité ! » Pourquoi l’éternité de Dieu lui redonne-t-elle une espérance ? C’est une réaction un peu étrange ! « Je vais mourir, mais toi non. »

Au cœur de l’épreuve, de la tourmente, ce croyant fait le choix de prendre du recul pour contempler Dieu, pour se rappeler en quelque sorte sa confession de foi – qui est Dieu ? que peut-on dire de lui ? Il est tout-puissant, et il règne. Alors que cet homme vit la fragilité et l’impuissance dans toute leur intensité, il se tourne vers le seul qui soit vraiment puissant et fort, vers le Créateur, celui à côté de qui même l’univers est éphémère – les cieux, la terre, ils passent, mais pas le Créateur. Alors qu’il est complètement vulnérable, il choisit de regarder au Dieu puissant, et de chercher son espérance, son secours, en lui.

Il me semble que cet homme fait un choix important. Il choisit de ne pas se laisser submerger par une situation écrasante, mais de faire confiance au Dieu de sa foi. Deux choses sont devant lui : la réalité visible, palpable, de sa souffrance présente, de sa solitude, et la foi en un Dieu tout-puissant, mais invisible. Dans sa faiblesse, il choisit de croire que ce qui est le plus vrai des deux, le plus sûr, c’est Dieu, contre tout ce qui est visible, contre tout ce qu’il ressent : c’est Dieu qui est le plus véritable, c’est sa puissance qui est la plus forte. Pour le dire autrement, au moment où tout bascule, il ne laisse pas son ressenti déformer sa compréhension de Dieu, mais il choisit de continuer à croire dans le Dieu révélé à travers les Ecritures, révélé dans l’Histoire, dans le Dieu qu’il a loué, prié, écouté, toute sa vie, que d’autres avant lui ont vu et entendu. Et même si maintenant la situation a changé, il choisit de croire que ce Dieu-là est toujours vrai, que lui n’a pas changé, même si, pour une raison qu’il ne connaît pas, il n’est pas encore intervenu.

Cela étant, comment la foi en un Dieu tout-puissant peut-elle réconforter l’homme qui va mourir ? En quoi l’éternité et la puissance de Dieu sont-elles une bonne nouvelle au milieu de la détresse ?

2)   Espérer dans le Dieu tourné vers les hommes

Avant de répondre à cette question, j’aimerais souligner un autre élément étonnant dans cette prière. Dans la première partie, le croyant se concentre sur sa souffrance, à lui. Dans la deuxième, il lève les yeux vers Dieu, en qui il croit, et il explicite son attente en disant, v.14 « tu vas faire quelque chose car tu aimes Jérusalem » et plus loin, v.17 « quand le Seigneur reconstruira Jérusalem, il se montrera dans sa gloire. » Jusque là, on avait une relation entre un homme souffrant et son Dieu, là il introduit une troisième donnée dans la relation : Jérusalem, qui symbolise en tant que capitale le peuple d’Israël. Il me semble qu’en levant les yeux vers Dieu, cet homme a aussi élargi son regard, et il a repris conscience de la souffrance des autres, de ses compatriotes. Il écrit sûrement après l’exil du peuple d’Israël, alors que Jérusalem a été détruite, que le temple a été pillé, et les juifs dispersés. Sa souffrance d’individu est unique, mais elle le rapproche de tous les autres qui souffrent ; même si les causes sont différentes (guerre, maladie, pauvreté, etc.), la fragilité est la même, l’angoisse et l’impuissance face à la mort sont les mêmes. Par sa souffrance, il prend conscience que la souffrance, dans ce qu’elle a de terrible et de scandaleux, est universelle.

Du coup, la prière du malade se transforme : ce n’est plus seulement pour lui qu’il prie, mais aussi pour ses frères accablés, pour la délivrance et la restauration de son peuple. Cette prière solidaire le conduit à voir plus loin, à demander une délivrance qui n’est pas seulement pour lui, même s’il défaille de souffrance, mais pour tous : en gros, sa prière devient « que ton règne vienne ! Que ton règne vienne sur la terre, toi qui es déjà roi dans le ciel ! Que tous, tous les peuples, toutes les nations, puissent te reconnaître comme leur vrai roi, que ta volonté soit faite ici-bas, que ta justice triomphe, que ta paix s’établisse ! Alors on te louera, alors le monde entier pourra se réjouir ! »

Quel est le fondement de sa prière ? C’est l’alliance que Dieu fait avec les hommes. Dieu est tout-puissant, il est au ciel, trônant avec gloire et majesté, pour l’éternité. Les hommes sont sur terre, mortels, fragiles, quoi qu’ils fassent toujours confrontés à leur propre mort, à leur propre fin, à leur impuissance. Comment les hommes peuvent-ils trouver leur réconfort en Dieu ? Parce que Dieu se tourne vers eux, il se penche, il écoute, il vient voir. L’alliance, c’est ça : l’initiative du Dieu souverain de ne pas laisser les hommes à leur propre sort, à leur souffrance, à leur mort, mais de leur tendre la main. D’abord il l’a fait avec le peuple juif, lorsqu’il l’a choisi et libéré pour établir une relation saine, pour les sauver de la corruption, du mal, et leur donner de sa vie abondante, de sa bonté, de sa grâce, de sa puissance en étant présent parmi eux. Cette alliance commence petit et s’élargit, s’approfondit, se renouvelle en Jésus-Christ, qui lui offre le salut, la vie éternelle, la sainteté, à tout homme, à toute femme, qui se confie en lui.

Dans le cadre de l’alliance, Dieu se révèle dans ses actions, dans son identité, mais il fait aussi des promesses. Et cette prière s’enracine dans ces promesses : promesses de faire vivre celui qui saisit la main de Dieu, de le délivrer, promesses aussi de résoudre pour toujours le problème du mal et de la souffrance, d’éradiquer le péché, d’effacer les larmes, la violence, la haine, la destruction, et d’instaurer un règne de paix, de vérité, de justice, un règne stable, caractérisé par la présence rayonnante du Dieu vivant. Le psalmiste s’accroche à ces promesses, sans trop savoir comment elles se réaliseront, mais il s’y accroche, parce que c’est le Dieu tout-puissant, le roi souverain et éternel, qui les a faites. Et si sa parole a créé le ciel, alors ces promesses de salut se réaliseront aussi.

3)   Espérer, avec audace & humilité

Ce psaume montre la confiance du croyant dans le Dieu tout-puissant, compatissant et fidèle à ses promesses, et cette confiance se traduit par une certaine audace. Cet homme rappelle à Dieu la gravité de la situation et il exprime franchement qu’il est au bord du gouffre : en appelant Dieu à répondre à sa prière, rapidement, à le délivrer, il échappe au fatalisme et à la résignation. La prière pour son peuple a la même connotation v.14 « c’est le moment d’avoir pitié [de Jérusalem], oui c’est vraiment le moment ! » Au cœur de la détresse, au milieu des ruines de sa ville, dans la tourmente de l’angoisse, le croyant ose interpeler Dieu et lui demander d’intervenir, parce qu’il est le seul à pouvoir secourir.

Il met même un peu la pression sur Dieu en lui rappelant que les juifs, eux, ont pitié de leur ville, qu’ils sont émus du sort de leur peuple – Dieu restera-t-il insensible à leur ruine ? De manière sous-entendue, il appelle aussi Dieu à prendre pitié d’un homme plongé dans une situation aussi pathétique que la sienne.

Toutefois, même s’il exhorte Dieu à agir, à se lever, à montrer qui il est, à manifester dès aujourd’hui sa gloire que tous reconnaîtront un jour, le croyant demeure dans l’humilité : il ne donne pas de directive à Dieu, il ne lui dit même pas quoi faire précisément, il ne fait pas de chantage – si tu me laisses comme ça, je ne croirai plus en toi. Avec humilité et foi, il se permet de rappeler à Dieu ses promesses, il s’y accroche, mais il garde l’attitude qu’aura Jésus à Gethsémané : « Père tout est possible pour toi : éloigne de moi cette coupe, cette mort où je vais subir toute ta fureur, toute ta colère, cette coupe de souffrance ! Pourtant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux ». Confiant que Dieu un jour accomplira parfaitement ce qu’il a promis, il s’appuie sur lui, osant confier ses besoins, sa prière, osant aussi se soumettre au Dieu souverain qui a les meilleurs projets.

Conclusion

Dans ce psaume extraordinaire, un homme choisit la foi au milieu de la détresse. Il choisit de s’approprier à nouveau la foi confessée, transmise de génération en génération, la révélation d’un Dieu puissant et compatissant, saint et miséricordieux. Il se souvient des promesses faites au peuple des croyants, des promesses faites à l’humanité, et il s’en saisit à nouveau. Bien que Dieu n’ait pas l’air de répondre, il refuse de se laisser influencer par les apparences et il choisit la foi, parce que ce Dieu en qui il croit est plus réel, plus fiable, que tout ce qu’il connaît. Sa foi l’aide à retrouver une espérance : la vie éternelle, abondante, que Dieu offre par amour à ceux qui lui font confiance, une vie éternelle encore floue pour le psalmiste mais que le Christ nous promet avec force : celui qui fait confiance à Dieu et au Sauveur qu’il a envoyé aura la vie éternelle. C’est la promesse du Créateur, du Roi souverain, une promesse plus stable que les cieux et la terre qui nous entourent.




Se faire tout à tous

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Lecture biblique : 1 Corinthiens 9.16-23

Si l’apôtre Paul parle de lui-même dans ce texte, ce n’est pas pour se mettre en avant. Le contexte permet de le comprendre. En effet, il est attaqué, contesté par certains qui refusent de reconnaître son autorité d’apôtre. Il doit donc se défendre. Il parle au début du chapitre de sa vocation et du travail qu’il a accompli jusque-là. Et dans notre texte, il nous donne à entendre ses motivations profondes, la perception qu’il avait de sa mission, avec cette fameuse formule : « Je me fais tout à tous ».

« Je me fais tout à tous ». C’est une formule choc. Paul utilise le verbe grec ginomai qui signifie « naître ». Il s’agit donc pour lui presque de devenir quelqu’un d’autre pour rejoindre son interlocuteur. Dans la perspective de l’apôtre, la priorité, c’est les autres. Pour qu’il puisse remplir sa mission, il faut qu’il devienne quelqu’un d’autre, quelqu’un d’audible, de compréhensible, d’accessible, que son interlocuteur soit Juif ou Grec.

Ce n’est pas directement un texte d’exhortation. Paul ne dit pas : « Faites-vous tout à tous ! » Il parle de sa façon d’envisager les choses, celle d’un apôtre entièrement dévoué à sa vocation. Mais on devine aisément qu’il y a à la fois un fondement théologique fort et un souci pragmatique évident derrière cette formule. L’un et l’autre faisant bon ménage ! L’un et l’autre pouvant, du coup, interpeller notre façon d’être témoins du Christ nous-mêmes.

Un fondement théologique : l’incarnation

Quel est le fondement théologique de cette affirmation : « Je me fais tout à tous » ? Finalement, que dit-il dans ce passage ? Il affirme que, sans contrainte, il choisit de se faire serviteur de tous. Avec les Juifs, il vit comme un Juif. Avec ceux qui n’ont pas la loi de Moïse, il vit comme s’il n’avait pas lui-même cette loi. En somme, il cherche à devenir exactement comme ceux avec qui il vit. Et ce, dans un seul but : leur faire connaître le salut.

A quoi cela fait-il penser ? Quel est le modèle de Paul pour agir ainsi sinon le Christ ? Celui de l’hymne christologique de Philippiens 2 :
6Lui, il est l’égal de Dieu, parce qu’il est Dieu depuis toujours. Pourtant, cette égalité, il n’a pas cherché à la garder à tout prix pour lui. 7Mais tout ce qu’il avait, il l’a laissé. Il s’est fait serviteur, il est devenu comme les hommes, et tous voyaient que c’était bien un homme.

S’il y a bien quelqu’un qui s’est fait tout à tous, c’est Jésus-Christ ! Lui, le Fils de Dieu devenu homme. Lui qui a renoncé à la gloire céleste pour devenir serviteur. Lui qui est devenu comme nous pour nous rejoindre… et pour nous sauver.

On pourrait dire que Paul applique à son ministère la théologie de l’incarnation. Il est disciple de Jésus-Christ ; il veut vivre à l’exemple de son maître. Et du coup, il accepte de renoncer à certains droits pour se mettre au service des autres. Juif parmi les Juifs. Païen parmi les païens. Comme le Fils de Dieu est devenu homme parmi les hommes.

Un souci pragmatique : l’efficacité du témoignage

L’apôtre Paul est un grand théologien mais il est aussi un grand pragmatique. Cette lettre aux Corinthiens en est un témoignage. Et derrière cette fameuse formule, il y a aussi un souci pragmatique qui ressort particulièrement quand on considère la phrase en entier : « Je me fais tout à tous, pour en sauver sûrement quelques-uns. »

Dans cette épître en particulier, Paul a un souci constant de l’image que renvoie notre façon de vivre l’Église et de l’implication que cela a pour le témoignage de l’Évangile. Il y fait référence par rapport à la façon de vivre le culte, l’exercice des pratiques spirituelles, la façon de célébrer la Cène, la gestion des conflits dans l’Église, mais aussi la façon de s’habiller, la place des hommes et des femmes dans la communauté, etc… La préoccupation de l’apôtre est toujours de se demander quel impact, positif ou négatif, notre façon de vivre notre foi peut avoir sur ceux qui en sont témoin.

C’est aussi dans cette épître qu’on trouve cette autre formule choc : « Tout est permis mais tout n’est pas utile ». Où être utile doit s’entendre comme être utile à la communauté, être constructif, édifiant. La question à se poser n’est pas « ai-je le droit de faire ceci ou cela » mais « est-ce que ce que je fais est utile pour la communauté » ?

Le souci pragmatique de l’apôtre Paul, c’est que rien ne vienne faire obstacle à l’accueil de l’Évangile chez son prochain, qu’il soit Juif ou Grec. Et pour cela, il faut qu’il adapte sa façon d’être à la sienne. Il ne s’agit pas bien-sûr de faire n’importe quoi, juste pour suivre le mouvement… Le même apôtre Paul dit bien dans son épître aux Romains de ne pas se conformer au monde présent (Rm 12.1). Il s’agit donc de faire preuve de discernement. Mais il s’agit aussi de se demander comment dire l’Évangile pour être entendu, comment vivre en témoin du Christ avec notre prochain, quel qu’il soit ?

Nous faire tout à tous, aujourd’hui ?

Si, comme l’apôtre Paul, nous sommes disciples du Christ, alors nous devons suivre son exemple et nous faire aussi tout à tous… Mais concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour nous, aujourd’hui ? Je vous propose trois pistes de réflexion :

D’abord, il s’agit de se décentrer de soi pour s’ouvrir à l’autre. Se faire tout à tous implique de connaître et de comprendre les autres. Et pour cela, il faut faire l’effort de sortir de sa bulle de chrétien, s’extraire de sa sous-culture évangélique. Impossible d’être français parmi les français, ou toulousain parmi les toulousains, si nous ne vivons pas avec eux !

Ensuite, il faut accepter une démarche de renoncement. A l’image du Christ qui a renoncé à la gloire céleste pour se faire serviteur. A l’exemple de l’apôtre Paul qui était prêt à se soumettre à la loi de Moïse alors qu’il n’était pas obligé de le faire. Et là, nous sommes assez en contradiction avec notre société où les droits sont élevés au-dessus des devoirs, où le plus important semble être la préservation des acquis et jamais leurs remises en question.

Enfin, il faut oser interroger nos pratiques, qu’elles soient individuelles ou communautaires. Qu’est-ce qui peut être de l’ordre du contre-témoignage dans notre vie quotidienne, dans nos pratiques d’Église ? Qu’est-ce qui parasite le message que nous voulons transmettre ?

Conclusion

Dans notre façon d’envisager l’évangélisation, nous ferions bien de nous inspirer de l’exemple de Paul. Comme lui, associons fondement théologique et souci pragmatique.

Le fondement théologique, et l’exemple suprême, c’est l’incarnation du Fils de Dieu, devenu homme parmi les hommes pour se faire serviteur de tous. Juif avec les Juifs. Grec avec les Grecs. Soyons toulousain avec les toulousains !

Le souci pragmatique pour Paul prend racine dans son souhait de rejoindre ses contemporains, quels qu’ils soient, « pour en sauver sûrement quelques-uns ». Et là notre réflexion doit être concrète et interroger les moyens mis en œuvres, identifier ce qui parasite notre message.

Se faire tout à tous… C’est à la fois agir à la suite du Christ, Dieu devenu homme, et mettre tous ses efforts à rejoindre, comprendre, aimer, nos contemporains. C’est notre mission de disciple de Jésus-Christ.




Un premier miracle révélateur

Marc 1.21-28

Nous sommes au tout début de l’Evangile de Marc. Juste après son baptême commence vraiment le ministère de Jésus caractérisé par le message qu’il annonce « changez car le royaume de Dieu est tout près de vous ; changez et croyez ! ». Jésus appelle ses premiers disciples et ils partent ensemble pour Capharnaüm, ville de la région de la Galilée, région où Jésus a passé la majorité de sa vie jusqu’ici.

Le jour du sabbat, jour consacré à Dieu, ils entrent dans une synagogue et Jésus se met à enseigner, suscitant l’étonnement chez ses auditeurs. Arrive un homme possédé par un esprit mauvais, c’est-à-dire un démon, qui le coupe et l’interpelle. L’évangéliste Marc choisit de raconter ce miracle en détail, ce premier miracle qui révèle déjà l’identité de ce Jésus encore inconnu. Il me semble que ce miracle, c’est une rencontre à trois niveaux, une rencontre d’abord avec un homme en souffrance, une rencontre ensuite avec un esprit ennemi, et plus largement, c’est une première rencontre avec la foule, témoin des paroles et des actes de Jésus.

1)   Un homme délivré

Ce miracle est premièrement la rencontre de Jésus avec un homme en souffrance, possédé par un esprit mauvais, une puissance démoniaque qui le phagocyte au point que cet homme n’est plus que l’ombre de lui-même, étouffé par cet esprit qui le domine, qui asservit toutes les parties de sa personne et l’abîme au plus profond de son être. Cet homme malgré lui passe la porte de la synagogue et vient perturber le culte, agité et conduit par cet esprit mauvais. Malgré lui, il ose interrompre le maître, celui qui enseigne en laissant ses auditeurs bouche bée, interloqués par son autorité.

Jésus ne voit pas en lui une menace, il ne cherche pas à l’exclure mais il le laisse venir. Nous reviendrons à son court dialogue avec le démon, mais il me semble que la réponse que Jésus fait à l’esprit mauvais (« Tais-toi ! et sors de cet homme ») montre que Jésus a comme premier souci la délivrance de cet homme. Il voit cet homme emprisonné, incapable de parler pour lui-même, incapable d’implorer l’aide du Seigneur, et la priorité de Jésus, c’est sa délivrance. Sors de cet homme ! Jésus ne perd pas de temps, il le délivre.

Jésus révèle là sa compassion pour ceux qui souffrent, ceux qui sont emprisonnés, ceux qui ne sont plus eux-mêmes. Cette compassion à l’égard de l’homme esclave d’un démon est aussi la compassion qu’il montrera envers les aveugles, les pauvres, les prostituées. C’est la compassion de celui qui vient délivrer l’humanité du mal qui la rend esclave, sous toutes ses formes – maladie, esclavage, violence, impureté, soumission à des forces mauvaises. C’est la compassion du Messie, sauveur du monde, venu relever des hommes et des femmes abattus.

Le salut que Jésus nous apporte est un salut intégral, englobant toute notre personne – notre corps, nos émotions, nos pensées, nos relations, nos projets, notre espérance.

Pour l’homme enfin libéré, enfin délivré ce samedi-là, le sabbat a pris tout son sens. C’est le repos qui vient après le trouble et la détresse causés par l’esprit mauvais. C’est la possibilité nouvelle d’avoir une relation avec Dieu, maintenant que les obstacles spirituels sont écartés. Jésus par ce miracle montre concrètement qu’une nouvelle ère est arrivée. C’est l’ère de la compassion de Dieu, une compassion large, généreuse, libératrice. Cette période de grâce que les juifs attendaient depuis plusieurs siècles s’ouvre avec l’intervention du Christ, qui révèle pleinement sa mission de libérateur.

2)   Un démon vaincu

Même si Jésus est d’abord soucieux de l’homme qui vient à sa rencontre, on ne peut pas manquer le bref mais intense dialogue entre l’esprit mauvais et celui qui porte le Saint Esprit de Dieu.

Ce dialogue est assez étrange. Le démon apostrophe Jésus en train d’enseigner. En entrant dans la synagogue, le démon, troublé par la prédication de Jésus, l’interrompt, et lui crie dessus comme pour répondre à une attaque. « Qu’est-ce que tu nous veux ? » Rien, Jésus n’a rien fait, n’a rien dit à ce démon ; mais la prédication de Jésus, son message, est en elle-même une menace pour ce démon, et c’est à ça qu’il réagit « Est-ce que tu es venu pour notre malheur ? »

Clairement, ce démon se sent attaqué, agressé par Jésus, et il prêt à en découdre ; on dirait qu’il essaie de maîtriser Jésus en déclinant son identité complète, comme font parfois les exorcistes demandant au démon son nom, son origine etc.  L’esprit mauvais clame : tu es Jésus de Nazareth, et, il ajoute un titre, le saint de Dieu.

C’est comme si le démon couvrait ses arrières en évoquant l’identité humaine de Jésus, connue de tous, et son identité divine. Le saint de Dieu, c’est celui qui est né du Saint Esprit, qui en a été rempli lors de son baptême, et qui par cet Esprit accomplit parfaitement la volonté de Dieu, sans jamais commettre le mal, sans jamais s’écarter de la justice et de la vérité. C’est aussi celui qui a été consacré, mis à part, pour Dieu, afin d’accomplir ce que personne ne peut réaliser : le salut dont les hommes ont besoin.

L’esprit mauvais, en tant qu’être spirituel, sait très bien à qui il a affaire : le messie envoyé par Dieu, son propre fils venu pour les hommes pour les délivrer. Il ne montre aucune difficulté pour le reconnaître, aucune hésitation pour l’identifier.

La réponse de Jésus, si brève, est lourde de sens. Jésus ne rentre pas dans son jeu : il ne discute pas, ne confirme pas son identité, ne cherche pas à mieux connaître celui qui l’apostrophe. Il le fait taire, et déguerpir.

Pourquoi Jésus impose-t-il le silence à ce démon qui est pourtant le premier à reconnaître sa véritable identité ? Parce que Jésus ne veut pas faire place aux paroles des démons, des ennemis de Dieu, de ceux qui œuvrent à la destruction des hommes et des femmes que Dieu veut sauver à travers Jésus-Christ. Jésus n’a que faire de ces confessions de foi creuses, qui ne sont suivies d’aucune confiance, d’aucun amour, d’aucun respect. Le démon sait qui est Jésus, mais ça ne change rien pour lui. Jésus ne cherche pas une reconnaissance superficielle, mais il désire la transformation du cœur, la repentance face à ce qui déforme les projets de Dieu – le péché, le mal – et la foi, l’ouverture à Dieu, le choix de vivre avec Dieu, en le suivant dans la justice et la paix.

Ce dialogue, c’est une sorte de combat spirituel entre un démon et le Christ. Mais ce combat se déroule sans aucun suspense : Jésus écrase cet esprit mauvais, annonçant dès ce premier miracle que son œuvre de salut pour l’humanité signifie aussi la destruction des forces spirituelles qui asservissent l’homme dans le mal, le péché, la mort. Dans cette rencontre, Jésus se révèle déjà comme celui qui fera taire Satan à la croix. C’est le début de la fin pour ces esprits mauvais.

Marc mentionne souvent les exorcismes, parce qu’ils soulignent pleinement la portée du salut en Jésus-Christ : toutes les puissances du mal seront réduites au silence et devront déguerpir de la création de Dieu, délivrée, restaurée, renouvelée grâce à Jésus-Christ.

3)   Une foule perplexe

Troisième rencontre, entre Jésus et la foule. Elle ajoute une troisième dimension à ce premier miracle. L’ensemble de l’épisode met en valeur la parole de Jésus : une parole pertinente, une prédication qui touche en plein cœur les auditeurs, une parole pleine d’autorité, qui ne se contente pas d’évoquer Dieu mais qui replace chacun devant Dieu, avec urgence et insistance, une parole enfin qui réalise ce qu’elle dit, une parole actrice, créatrice, puissante. C’est une parole qui révèle la vérité de Dieu, qui met à nu les hommes, qui délivre et qui sauve. Cette parole, c’est Dieu lui-même qui la prononce.

La foule comprend que ce prédicateur n’est pas comme les autres, les enseignants habituels, les scribes, non, c’est vraiment un prophète de Dieu. D’ailleurs la puissance de sa parole, suscitant l’obéissance d’êtres spirituels puissants, montre bien qu’il est supérieur.

Pourtant, la foule s’arrête là. Elle s’interroge, troublée, préoccupée par son enseignement, par sa puissance, incapable d’aller plus loin, de relier ces événements aux prophéties anciennes qui annonçaient le Messie, incapable de bien comprendre que le temps est venu, que Dieu s’est approché. La perplexité de la foule annonce déjà la diversité des réactions que rencontrera Jésus et les difficultés à accepter vraiment qui il est.

Conclusion

Ce premier miracle de Jésus, bien mis en valeur par Marc qui dit aussi plus loin que Jésus a réalisé de nombreux exorcismes et guérisons, tout au long de sa prédication en Galilée, ce miracle révèle déjà des aspects importants de la personne et de la mission de Jésus. Jésus homme est aussi fils de Dieu, le saint, le consacré, envoyé parmi les hommes pour les délivrer du mal. Ce miracle nous montre que la compassion de Dieu est première, son amour et sa grâce pour sauver des hommes défigurés, déformés par le mal. Il nous révèle déjà la victoire de Dieu sur le mal, sans dire encore comment, mais en montrant le caractère inéluctable de cette victoire.  Devant Jésus, devant ce sauveur, nous sommes appelés à croire, à reconnaître qui il est, pas en paroles seulement, mais de tout notre cœur, pour le laisser nous délivrer de tout ce qui écrase, afin de vivre pleinement le repos de la relation avec Dieu.