Une organisation qui porte du fruit

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Critère de Vitalité n°10

Lecture biblique: Exode 18.13-26

Qui d’entre vous s’est déjà trouvé dans cette situation ? On arrive dans la salle d’attente, les guichets occupés, toutes les chaises sont prises, et une petite angoisse monte. Pris dans une file qui n’en finit pas, l’œil gauche rivé sur la grosse horloge et l’œil droit sur les numéros de tickets, le pied tremblant, on ronge son frein, on use sa patience, on appelle pour annuler des rdv ou se faire remplacer, ou alors on finit par partir, excédés d’avoir perdu du temps et de devoir tout recommencer à zéro un autre jour.

C’était déjà le cas pour le peuple d’Israël à ses débuts. Le peuple vient d’être libéré d’Egypte, où il était esclave, sous la direction de Moïse, chef appelé par Dieu pour conduire le peuple, géographiquement, socialement, et spirituellement – ce qui se traduit notamment par l’exercice de la justice. Avant même la révélation de la Loi au mont Sinaï, qui aura lieu peu de temps après, Moïse doit gérer et conduire ce peuple, à l’aide des directives que Dieu lui donne. En soi c’est très bien, mais il y a trop de gens – des centaines de milliers ! Du coup, l’attente s’éternise, les gens s’épuisent, Moïse lui-même se perd dans cette tâche et ne peut plus remplir ses autres missions.

Voici qu’arrive le beau-père de Moïse, Jethro, venu de Madian, une région voisine. Il écoute Moïse lui raconter les exploits de Dieu, la fuite d’Egypte, la mer rouge, les miracles… Et il se convertit. Le lendemain, témoin des difficultés de Moïse, en habitué des responsabilités, il lui donne des conseils pour faciliter le travail et alléger l’organisation, conseils que Moïse applique de suite.

Par rapport aux autres critères de Vitalité, la question de l’organisation de l’église paraît plus secondaire. D’un côté, nous avons tendance à considérer les choses pratiques comme non spirituelles, donc moins importantes. De l’autre, il n’y a pas d’exhortation biblique claire pour s’organiser de telle ou telle manière, ce qui donne l’impression qu’on peut s’organiser comme on veut. En réalité, si la Bible ne donne pas un modèle à reproduire mais invite à trouver le bon fonctionnement selon la culture, les personnes, et les circonstances, elle n’en donne pas moins des principes que nous retrouvons dans différents exemples et qu’il nous appartient de mettre en œuvre à notre manière. Ces principes, nous allons les voir en suivant les personnes qui apparaissent dans le récit.

1)   Comme Jethro : dire la vérité avec amour

Commençons par Jethro qui amorce le changement de situation. Devant une organisation manifestement lourde, inefficace et épuisante, il décide d’intervenir, en faisant ses critiques à Moïse.

Bien souvent, en église, on croit que la critique est mauvaise, destructrice, incompatible avec la foi. Pourtant, l’apôtre Paul, des siècles plus tard, considère même qu’une des vocations de l’église, c’est d’apprendre à dire la vérité dans l’amour. Sans amour nous nous blessons. Mais si nous supportons la réalité sans jamais dire ce qui ne va pas, nous nous exposons soit à l’épuisement, soit à la médisance dans l’ombre. Dire la vérité dans l’amour : voilà ce que fait Jethro pour améliorer la situation existante, et nous allons décortiquer un peu son intervention pour en prendre de la graine.

D’abord, Jethro va voir Moïse directement. Combien d’entre nous, dans sa position, seraient plutôt allés voir l’épouse de Moïse, notre fille, dans l’espoir qu’elle retransmette le message ? Jethro ne prend pas le risque des intermédiaires, et il parle à Moïse directement. Premier principe : s’adresser directement aux gens.

Ensuite, c’est intéressant de voir qu’il commence par demander pourquoi Moïse fonctionne ainsi. Souvent, même les dysfonctionnements ont une raison : une bonne solution devenue obsolète, un moindre mal, ou encore des bénéfices cachés à la situation – c’est vrai pour les individus comme pour les communautés. Comprendre les raisons de la situation permet, comme va le faire Jethro, de faire des suggestions adaptées. Deuxième principe : écouter avant de conseiller.

Enfin, Jethro propose des pistes concrètes d’amélioration en gardant ce qui est valable – ici, le rôle unique de Moïse, responsable et porte-parole – et en aménageant ce qui est secondaire. Loin des récriminations à la française, une critique constructive s’appesantira toujours sur les actions possibles, sur les opportunités, sur les défis, plutôt que sur les manques ou les erreurs. Même si ces idées ne sont pas retenues, elles ont au moins le mérite de stimuler la réflexion. Troisième principe : faire des propositions positives.

Un quatrième principe ressort du comportement de Jethro : pourquoi fait-il ces remarques ? Par souci pour Moïse, par souci pour le peuple. Il souligne le risque d’épuisement de Moïse, et le risque de lassitude du peuple, avec toutes les tensions que cela engendrerait. Jethro cherche pas à obtenir quelque chose ou se mettre en avant, mais il se soucie de Moïse et du peuple. Ca aussi, c’est intéressant pour nous : apprendre à faire les critiques non par énervement, non parce qu’on a d’autres habitudes, mais pour le bénéfice des autres. Finalement, la motivation de Jethro, qui doit être la nôtre, c’est l’amour, le souci des autres.

Qui oserait croire que nous sommes parfaits ? Pas moi ! De ce simple constat devrait naître un encouragement à la critique constructive, pour voir régulièrement où nous pouvons progresser. Il ne s’agit pas d’accuser ou de râler, mais de contribuer, activement, qui que nous soyons, à l’amélioration. Parfois ce sera parce qu’on a des compétences particulières, parfois simplement parce qu’on a un autre point de vue. Pour donner un exemple, si certains voulaient m’aider à améliorer ma prédication, l’avis de prédicateurs avertis serait pertinent, mais aussi celui de ceux qui ont la patience de m’écouter dimanche après dimanche, même s’ils n’ont jamais prêché et ne le feront jamais. Et c’est pareil dans tous les domaines.

Donner des conseils, ce n’est pas donner des leçons, se prendre pour…, mais s’impliquer activement pour que les autres progressent et que la situation s’améliore, parce que notre but, c’est de devenir meilleurs, pour le Seigneur.

2)   Comme Moïse : viser mieux et plus loin  

Justement, Moise nous montre la voie pour recevoir des critiques. Lui qui est le grand chef que Dieu a appelé, aurait pu se vexer ! Jethro est étranger, d’une autre culture, d’une autre génération, c’est un nouveau converti (de la veille) : là où certains auraient rejeté celui qui « ne peut pas savoir », Moïse accueille de bonne grâce le point de vue neuf qu’apporte Jethro, et l’opportunité de faire mieux, dans la durée.

La vérité n’est pas toujours agréable à dire – et à entendre ! Lorsque que quelqu’un donne son opinion, il ne révèle pas toute la vérité, c’est vrai, mais il donne comme un éclat de vérité qui nous aide à réajuster notre compréhension de la situation. Dans ce genre de situation, on est facilement tenté de refuser la remise en question – en fuyant, en contre-attaquant, en se justifiant… mais Moïse écoute, pèse ce qui est pertinent dans la remarque de son beau-père, et le fait. Il ne discute, ne se défend pas, n’invoque aucun statut, aucune excuse… Cette humilité est vraiment la marque d’un grand homme !

Lorsqu’on se vexe et qu’on refuse de se remettre en question, c’est souvent parce qu’on le prend personnellement, comme si tout notre être, toute notre valeur, était en jeu dans le problème relevé. La Bible répond à cette peur, à la honte que nous ressentons au premier abord : Dieu nous aime, Dieu nous sauve, en Jésus-Christ, il nous donne une nouvelle identité – nous sommes ses enfants pour l’éternité. S’enraciner dans l’amour de Dieu, qui lui nous connaît parfaitement dans toutes nos limites et nos médiocrités, se savoir aimé du Créateur, plein de valeur et précieux à ses yeux : voilà qui relativise la critique ponctuelle, difficile à entendre certes, mais qui ne menace pas notre identité en Christ.

En plus, le chemin que Dieu nous invite à emprunter avec lui est un chemin de croissance, d’amélioration, de progrès, en vue d’une plus grande justice, d’une plus grande sainteté, d’un plus grand amour. Si nous voulons progresser, nous devons nous remettre en question – c’est un des rôles de la Bible, Parole de Dieu qui dévoile la vérité de notre cœur pour nous montrer comment avancer ; c’est aussi l’un des buts de la vie communautaire : bénéficier du point de vue des autres pour progresser.

3)   Comme les nouveaux responsables : se disposer au service

Du coup, Moïse entreprend de choisir et former des responsables pour déléguer son activité. Qui sont-ils ? Des hommes valables, croyants, justes, droits. Ces hommes, même s’ils n’avaient jusque là aucune responsabilité particulière, sont prêts – pas en terme de compétences (ce qui s’apprend : la preuve, Moïse va les former) mais en terme de maturité (diapo). Le critère sur lequel Moïse les choisit, c’est leur maturité spirituelle et morale.

Qu’est-ce que ça veut dire pour nous ? Ce texte insiste sur le fait d’avoir un travail d’équipe pour mieux répondre aux besoins de la communauté. La première condition pour ce travail d’équipe, c’est que chaque membre de la communauté se prépare au service : non pas à tel service particulier, mais à servir en général. Pour cela, chacun doit veiller à progresser dans sa foi et dans son caractère, pour un jour pouvoir prendre sa place dans le grand corps qu’est l’église (rappelez-vous la prédication sur la vie chrétienne, vie généreuse caractérisée par le don de soi et le service). Progresser dans la foi et le caractère chrétien, c’est la caractéristique de notre cheminement chrétien. Si nous prenons au sérieux notre cheminement chrétien, alors nous nous préparons en même temps à servir les autres, comme ils nous servent. Développer son caractère pour devenir apte à être formé et à prendre des responsabilités. Les GBU ont un petit slogan pour résumer les qualités d’un responsable  EDF, Enseignable, Disponible, Fiable. On n’est pas loin du texte d’Exode ! Enseignable (rappelez-vous l’importance de la remise en question), Disponible, Fiable.

J’aimerais encore souligner l’attitude de Moïse, son audace pour tenter un nouveau système, mais surtout la confiance qu’il manifeste aux nouveaux responsables. Ce rapport de confiance est essentiel pour pouvoir fonctionner ensemble. Ca veut dire que les nouveaux font confiance à leur formateur, que le formateur fait confiance aux nouveaux – et même s’il les forme, il les laisse faire leurs découvertes et trouver les ajustements nécessaires. Cela veut dire aussi que les uns et les autres se montrent fiables : Moïse est disponible pour les cas graves, les nouveaux remplissent leur mission de leur mieux, avec sérieux, sans hésiter à prendre conseil auprès de leurs responsables. Faire confiance et être fiable soi-même : voilà une des clefs d’une organisation qui fonctionne et qui porte du fruit.

Conclusion

Pourquoi réfléchir à améliorer notre manière de fonctionner ? Pourquoi se remettre en question et tenter de nouvelles formes ? Pour être plus efficaces, tout simplement. Pour honorer Dieu et les autres. Pour honorer les autres, les aimer et les servir au mieux, sans charger la vie communautaire d’obstacles et de lourdeurs inutiles, pour faciliter l’implication de chacun dans notre œuvre commune. Pour honorer Dieu, en évitant de s’épuiser soi-même, de se dégoûter du service ou de la vie communautaire même, parce qu’on en a fait trop, trop longtemps, trop seul. Partager nos charges est essentiel pour tenir dans la durée et continuer de remplir le rôle que Dieu nous offre. Qu’est-ce qui honore Dieu le plus ? Quelqu’un impliqué dans 5-6 services qui finit par craquer au bout de 10 ans, dégoûté, amer, usé ? Ou quelqu’un qui s’implique dans une ou deux activités, variables, toute sa vie, explorant ses dons, se mettant fidèlement et joyeusement au service de l’Eglise ? Pour cela, il faut que le plus grand nombre prenne sa part.

Une organisation qui porte du fruit, c’est une organisation où chacun prend sa place, au service des autres, à sa mesure. C’est aussi un lieu où le dialogue, l’échange et la critique ont bonne place, pour réévaluer nos habitudes, adapter ce qui est bon, modifier ce qui ne convient pas. C’est un lieu où l’individu ne défend pas sa vision des choses, ne cherche pas à imposer son point de vue ou à avoir raison, mais où ensemble, tous, nous cherchons à mieux honorer Dieu, en veillant sur nous-mêmes et sur les autres.

Prière Vitalité

O notre Père,

Merci pour le cadeau qu’est l’église. Tu l’as créée pour t’honorer, pour faire du bien à ton peuple, et pour rejoindre ceux qui te cherchent. Parfois nous oublions combien l’église est précieuse à tes yeux, et importante : renouvelle notre regard sur ton peuple, sur sa mission, sur sa valeur.

Membres de ton église par la foi, aide-nous Seigneur à progresser dans notre foi et dans notre caractère, afin de devenir capables de mettre en œuvre les talents que tu nous donnes pour t’honorer et servir les autres. Donne-nous de progresser ensemble dans notre fonctionnement, pour que nous nous aimions de mieux en mieux, et que nous témoignions de mieux en mieux, pour ta gloire et la salut des autres.

Oui Seigneur renouvelle notre regard sur l’église, sur sa mission, sur sa valeur. Et que sur les sujets de tension – inévitables dans cette organisation humaine – nous puissions regarder à toi, chercher ta volonté et non la nôtre, nous soumettre à toi et les uns aux autres avec humilité et foi. Que ces conflits nous permettent d’apprendre, d’avancer, de nous rapprocher, afin que ton église devienne de plus en plus belle, de plus en plus saine, de plus en plus rayonnante.

Au nom de Jésus, le Ressuscité qui triomphe de tout mal, et par l’Esprit, qui œuvre en nous et peut bien plus que ce nous imaginons, pour ta gloire, ô Dieu merveilleux. amen

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