A la rencontre de Dieu

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Lecture biblique: Jean 2.1-11

Pour un signe étonnant, c’en est un ! Et pas seulement parce que Jésus a transformé une grande quantité d’eau en vin, mais aussi parce que cette histoire de fête où l’on manque d’alcool est un drôle de début pour un Messie ! Revenons quelques instants à cette histoire, pour bien s’en imprégner.

Nous sommes à Cana, pas très loin de Nazareth, le village où a grandi Jésus. On célèbre un mariage, et comme le veut l’usage, les familles des mariés ont invité le maximum de gens, peut-être même le village entier, pour cette fête qui dure une semaine. Marie, la mère de Jésus, est déjà là, peut-être même  qu’elle aide un peu en cuisine ou à l’organisation du service. Jésus, qui est dans le coin, est lui aussi invité, accompagné de ses tout premiers élèves, les disciples.

La fête bat son plein, mais arrive le drame : plus de vin ! Un mariage sans vin, ça ne se fait pas… En ramenant à des proportions modernes bien plus modestes, c’est comme si vous invitiez 200 personnes au repas de mariage et que vous ne serviez que 20 parts… C’est la honte assurée ! Sauf que là, tout le village est aux premières loges pour constater le problème et en parler, parler, reparler pendant les 20 ans à venir – si ce n’est plus !

Marie se tourne vers Jésus pour lui confier la situation : derrière le constat – il n’y a plus de vin – se cache une demande, un appel à l’aide. Jésus saisit bien la demande cachée, mais ça le gêne. La traduction que j’ai lue dit « Mère », mais le sens du texte original est moins chaleureux : poli mais distant, on pourrait le rendre par « Madame ». « Madame, qu’est-ce que vous me voulez ? le moment n’est pas venu ».

On pourrait en rester là, et exposer ce pauvre couple au scandale ! Seulement, Jésus se laisse émouvoir par la situation. Et le miracle arrive : des serviteurs, à la demande de Jésus, remplissent six jarres d’au moins 100 litres chacune, vont voir le responsable de la soirée, qui n’est au courant de rien et déguste à l’aveugle l’eau transformée en vin. Surprise, ce vin-là est bien meilleur que le vin proposé en début de soirée… Tout est bien qui finit bien, la crise a été évitée, et Jésus et son entourage repartent presque inaperçus.

1)   De l’eau au vin : l’image de la grâce

Une des choses étonnantes, c’est que le miracle n’occupe pas la première place. En fait, Jésus n’a pas trop envie, le miracle est à peine décrit, juste ce qu’il faut pour qu’on sache qu’il a eu lieu, et presque personne n’en est témoin, à part les disciples, Marie et quelques serviteurs – comme si l’intérêt de cette histoire était ailleurs.

En fait, Jean qualifie cet événement de « signe » et non de miracle, marquant par là que l’important, c’est le sens de ce qui vient de se passer, la portée symbolique de ce que Jésus vient de faire : il annonce la grâce de Dieu.

Jésus s’est servi de 6 grosses jarres, des jarres destinées normalement aux ablutions rituelles pour se purifier, par exemple avant le repas. Ces jarres et l’eau qu’elles contiennent renvoient au système de purification de la religion juive, et si on veut aller plus loin, elles symbolisent tout le code religieux qui permet aux Juifs de vivre en accord avec Dieu : purifications, mais aussi offrandes, sacrifices, rituels etc. Jésus transforme l’eau de la purification en vin, symbole de fête, de joie, d’abondance (d’autant que 600 litres, ça fait quand même 800 bouteilles, de quoi combler plus que largement le manque de vin) ; ainsi, Jésus annonce une nouvelle manière de vivre avec Dieu – là c’est juste en germe, mais les enseignements qu’il donne ensuite vont expliciter ce message, cette bonne nouvelle, que Jésus apporte : réjouissez-vous, Dieu vous invite à partager sa vie, sa joie, son salut.

Comment est-il possible d’annoncer que Dieu, le Créateur, le Tout-puissant, le grand sage et le grand juge, nous invite à partager son intimité, nous offre son amour et sa bénédiction, alors que nous ne sommes pas vraiment exemplaires ? Pour approcher quelqu’un comme lui, il faudrait être irréprochable ! C’est le sens de toutes ces règles religieuses : tendre à l’irréprochabilité pour approcher celui qui est lumière pure, bien incarné, vérité et justice.

Ce qui nous permet d’approcher Dieu et de recevoir sa joie, c’est le fameux « moment » que Jésus évoque de manière mystérieuse. Son moment – dans d’autres traductions, l’heure – n’est pas encore venu. Ce qui permet de passer d’une vie de coupable essayant tant bien que mal de se racheter à une vie libre avec Dieu, débordante de son amour et de présence, c’est la Croix, la Croix qui se dessine déjà pour Jésus à la noce. En mourant sur la croix, après avoir vécu une vie irréprochable, Jésus assume en notre nom tous les reproches que nous méritons, toutes les transgressions qui nous rendent indignes de Dieu, pour que, si nous le croyons, si nous avons simplement foi, nous soyons déclarés justes, innocents, dignes de vivre avec ce Dieu si grand et merveilleux. Il nous permet ainsi de passer de l’eau au vin, de passer à une vie transfigurée, renouvelée, pétillante, une vie remplie de la joie de Dieu.

Marie n’avait sûrement pas compris la portée de ce qu’elle demandait : devenir bénéficiaire de l’amour débordant de Dieu a un prix, et ce prix, Jésus savait bien, lui, qu’il allait devoir le payer. En agissant malgré tout, comme pour tous les miracles et bienfaits à venir, Jésus agit par anticipation, rendant disponible une grâce que la Croix seule rend possible.

2)   Invités à la foi

Cette image des jarres remplies à ras bord nous suggère l’abondance de la vie avec Dieu, offerte à la foi. Et c’est justement ces questions de foi qui intéressent l’apôtre Jean, au moins autant que le miracle lui-même.

Jean prend le temps de s’arrêter sur le dialogue entre Jésus et sa mère, point de départ du miracle. Marie vient voir son fils, inquiète, et lui demande de l’aide. Sait-elle seulement ce qu’elle demande ? Il y a peut-être derrière sa démarche le souvenir de la naissance miraculeuse de Jésus, 30 ans plus tôt, la promesse de l’ange que cet enfant serait l’espoir, le sauveur du peuple… Peut-être l’invite-t-elle, en sa qualité de mère, à passer à la vitesse supérieure : « tu es le messie, vas-y, rends-toi utile ! » D’autant que Jésus vient de passer un cap, en recevant le baptême et en choisissant des disciples.

Seulement, Jésus résiste. Justement parce qu’il vient de se mettre au travail, il est sorti du cadre de l’autorité humaine : c’est auprès de son Père céleste, Dieu, qu’il veut puiser son inspiration, ses initiatives… La distance qu’il prend avec sa mère protège sa liberté d’action, inspirée par Dieu seul. Malgré tout, malgré cette rebuffade qui permet à Jésus de se dégager des attentes et de l’empiètement de sa mère pour s’affirmer pleinement, malgré tout, Jésus se laisse émouvoir par le besoin de ces mariés, par leur désarroi possible, et répond à sa manière à la demande de sa mère, donnant, nous l’avons vu, à son acte une portée bien plus grande que le simple réapprovisionnement en vin.

Marie est venue à Jésus avec son autorité de mère, avec ses attentes, ses besoins, ses hypothèses sur le rôle de son fils… Elle nous ressemble ! Certes, nous n’avons pas donné naissance à Jésus, mais nous allons nous aussi à la rencontre de Dieu souvent mus par un besoin, une question, un doute… et parfois nous imaginons d’avance la réponse que nous souhaitons : je suis malade, il me guérira s’il est Dieu ! je serai toujours heureuse… Si Dieu existe, il me montrera ceci ou cela, il permettra ceci ou cela…

Pourtant, dans le cas de Marie comme dans le nôtre, même si nous venons à Dieu avec nos questions et nos attentes, notre vision des choses, lorsque nous rencontrons Dieu il nous faut être prêts à nous laisser bouger, déplacer, réorienter, à changer de perspective, pour recevoir de lui ce que nous n’avions pas demandé, mais qui est notre véritable besoin. Le Christ est venu guérir, consoler, aider, encourager, enseigner – et bien plus ! bien plus profondément, il est venu nous offrir une relation nouvelle avec Dieu, racine d’une vie nouvelle, où tout est possible. Marie, entendant la voix de son sauveur dans le timbre de son fils, se réajuste et croit, acceptant de suivre le Christ là où il veut l’emmener.

Conclusion

Dans ce texte, il y a plusieurs personnages. Certains voient, d’autres non ; certains croient, d’autres non. Pour tous, le miracle a de quoi surprendre – même celui qui n’a rien vu est surpris : le vin est excellent !

En Christ, Dieu échappe à notre maîtrise, il nous surprend, nous étonne, et en même temps il nous rencontre au plus intime de notre vie. Par un autre biais, il vient nous toucher en plein cœur : là où nous suivons des règles ou des principes un peu poussiéreux, là où nous exprimons des attentes étroites, il nous fait la grâce d’une joie débordante, abondante, inépuisable. Par ce signe, Jésus annonce cette bonne nouvelle : Dieu nous aime, Dieu nous invite à partager sa vie, à entrer dans une relation neuve avec lui, pour nous renouveler et nous transfigurer, sans rien nous demander d’autre que la foi.

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