Elie et les corbeaux : un Dieu fidèle (Elie 1/4)

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Comme chaque année, je vous propose pour juillet une petite série de l’été, centrée cette fois sur le prophète Elie, un prophète juif du 9e s. av. J.-C. Le prophète Elie est un personnage haut en couleurs, qui n’a pas laissé d’écrit mais qui a marqué les esprits au point qu’il est souvent mis sur le même plan que Moïse, le prophète fondateur. Elie est même devenu, dans le judaïsme plus tardif, jusqu’à l’époque de Jésus et au-delà, un genre de modèle du sauveur que les croyants attendent. Plus tard, Jésus sera ouvertement comparé à Elie par ses contemporains.

Quelques mots du contexte historique avant d’explorer ses premiers pas.

Elie intervient dans un contexte extrêmement défavorable.

Nous sommes environ 100-150 ans après le règne du roi David, premier vrai roi du peuple d’Israël. Depuis David, et son fils Salomon, des querelles politiques ont divisé le pays en deux : au sud, avec Jérusalem, deux tribus, au nord, avec Samarie comme capitale, 10 tribus.

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Le problème, c’est qu’au niveau spirituel, il n’y a qu’un seul temple pour adorer le Dieu unique, (Yahweh : j’utilise le nom Yahweh mentionné à Moïse pour clarifier) – et ce temple est à Jérusalem. Alors le gouvernement du Nord décide de créer son propre lieu de culte à Yahweh, mais très vite, ça dérape et la foi envers Dieu Yahweh se mélange avec d’autres croyances venues de l’étranger. Le peuple de Dieu, au lieu d’être une lumière pour le monde, au lieu d’être un témoin de la bonté de Dieu, se laisse embourber dans les mensonges et les illusions des religions alentours.

On en arrive au règne du roi Achab, à qui Elie va s’opposer (cf. 1 R 16.29-33) parce qu’Achab fait pire que tous ses prédécesseurs. Il plonge sans réserve dans le culte aux dieux étrangers, sûrement influencé par son épouse, la princesse Jézabel, venue de Phénicie. Dans son Panthéon, on trouve en particulier Baal  – le dieu phénicien de l’eau, et donc de la fertilité, de l’agriculture… Vous vous doutez que pour un peuple d’agriculteurs éleveurs en terre aride, la tentation est grande ! Baal a tellement d’importance dans cette région qu’il est considéré comme le Dieu qui donne la vie : cette croyance entre en rivalité directe avec la foi en Dieu Yahweh, le créateur, le sauveur, la source unique de la vie. Concrètement, cela conduira l’arrêt du culte rendu à Yahweh, et la persécution de ceux qui lui restent fidèles.

Lecture biblique : 1 R 17.1-9

1 Élie, un habitant du village de Tichebé, en Galaad, dit au roi Achab : « Aussi vrai que le Seigneur est vivant, lui le Dieu d’Israël dont je suis le serviteur, voici ce que je te déclare : “Il n’y aura ces prochaines années ni rosée ni pluie, sauf si je le demande !” »

2 Puis la parole du Seigneur fut adressée à Élie : 

3 « Pars d’ici, lui dit-il, va vers l’orient, et cache-toi près du torrent de Kerith, près du Jourdain. 4 Là, tu trouveras à boire au torrent, et je donnerai l’ordre aux corbeaux de t’apporter de la nourriture. » 

5 Élie fit ce que le Seigneur lui avait dit ; il alla s’installer près du torrent de Kerith. 6 Les corbeaux lui apportaient du pain et de la viande matin et soir, et il buvait l’eau du torrent.

7 Mais au bout d’un certain temps, le torrent fut à sec, parce qu’il n’avait pas plu dans le pays. 8 Alors la parole du Seigneur fut adressée à Élie : 

9 « En route, lui dit-il, va dans la ville de Sarepta, qui appartient à Sidon, pour y habiter. J’ai commandé à une veuve de là-bas de te donner à manger. »

Là, la veuve prend soin de lui, et Elie prend soin d’elle au nom de Dieu : il va même faire revenir à la vie son jeune fils, prouvant ainsi que le vrai Dieu de la vie, c’est Yahweh !

Cette sécheresse va durer à peu près 3 ans (cf. 1 R 18.1).

 

1/ Un réveil douloureux

Elie se présente chez le roi Achab pour attaquer là où ça fait mal… Puisque Baal est censé être le Dieu de l’eau, de la fécondité et de la vie, Elie lance un défi précisément à ce sujet en annonçant la sécheresse. A l’époque, il y avait déjà des périodes de sécheresse, souvent de quelques mois : Elie a en tête quelque chose de beaucoup plus long, qui montrera au roi – et au peuple ! – que malgré tous les sacrifices offerts à Baal, ce dernier sera impuissant à faire revenir l’eau en Israël.

L’objectif d’Elie, c’est de réveiller : réveiller le roi, réveiller le peuple, briser leurs illusions et leurs superstitions pour qu’ils reviennent à Dieu, le vrai Dieu, le seul qui puisse prendre soin d’eux.

Or ce réveil est un réveil douloureux. On pourrait imaginer que Yahweh déboule avec toute sa gloire et sa majesté pour prouver que Baal n’est qu’une statue, une vue de l’esprit et en quelque sorte, forcer le peuple à reconnaître que seul Dieu est Dieu. Il y aura un événement de cet ordre-là dans le ministère d’Elie, mais on verra ça la semaine prochaine, « dans 3 ans ». Pour l’instant, Dieu ne se montre pas, et la sécheresse va simplement révéler le manque de consistance du Dieu Baal, qui ne peut rien faire pour remédier au problème.

C’est un réveil douloureux parce que, qui dit sécheresse, dit manque d’eau, manque de récoltes (arbres fruitiers, arbustes, champs) manque de pâturages et d’eau pour les bêtes – c’est la famine qui menace.

Le réveil se fait en deux temps : d’abord Israël doit subir le manque, l’absence, la ruine de ses habitudes et de ses illusions, avant que la vérité ne soit rétablie et éventuellement que l’abondance revienne. Or le chemin vers la vérité passe souvent par ces deux étapes : d’abord l’échec des illusions, des mensonges, avec une période de perte, de confusion, de manque – comme s’il fallait faire de la place pour pouvoir accueillir la vérité, le salut, la justice… Et cette période peut ressembler à un désert, aride, desséché, vide, un lieu de manque et d’errance.

Dans l’Ancien Testament, il y a des déserts à chaque fois que le peuple chemine vers la vérité et la vie abondante avec Dieu : le désert entre l’Egypte et la Terre Promise, le désert créé par la sécheresse pour revenir à lui, le désert que représentera l’exil une centaine d’années plus tard pour revenir encore à Dieu. Ces déserts, nous les vivons nous aussi parfois quand se brise l’une des illusions qui fait obstacle entre Dieu et nous : avant de gagner, nous perdons ; avant le soulagement et la paix, il y a cette période de confusion, d’errance, de vide où nous lâchons ce qui nous rassurait pour pouvoir nous accrocher. Parfois, comme à l’accrobranche, on s’accroche avant de lâcher, mais parfois, comme dans cet épisode de sécheresse, on doit tout lâcher avant de trouver un nouveau point d’appui. C’est déstabilisant, douloureux, mais ce « désert », ce dénuement, nous prépare à recevoir ce que Dieu nous transmettra.

          2/ Dieu, celui qui prend soin par des moyens improbables

On n’a pas la réponse du roi à ce que lui annonce Elie : s’est-il dit qu’il était devant un illuminé ? A-t-il continué de croire en Baal ? S’est-il un peu inquiété ? En tout cas, Dieu propose à Elie de se cacher : nul doute qu’au bout d’un certain temps, Achab allait être forcé de prendre au sérieux la parole d’Elie.

Malgré les miracles, notez qu’Elie le prophète subit, au moins en partie, les conséquences de la sécheresse ! Il n’est pas envoyé vers une oasis paradisiaque, il est coincé dans un canyon où les corbeaux sont ses seuls visiteurs – pendant des mois ! Il est solidaire de ce qui se passe autour de lui, il en souffre certainement, ce n’est pas facile, mais Dieu prend suffisamment soin de lui pour lui permettre de traverser cette période. Et quand le plan A ne fonctionne plus, Dieu propose alors un plan B.

Et il le fait en passant par des moyens improbables, impossibles à prévoir : qui penserait être nourri par des oiseaux ? ou par une illustre inconnue de l’autre côté de la frontière qui est au bout de ses réserves ? C’est improbable… et tellement typique de Dieu ! Sur notre chemin, Dieu prend soin de nous souvent en utilisant, peut-être pas des corbeaux, mais des moyens improbables, des coïncidences impossibles, des inconnus,…

Et cela devrait nous encourager : quoi que nous devions traverser, même si nous, nous ne voyons pas d’issue ou de stratégie possible, Dieu lui a plein d’idées, il a un, non, des plans pour nous soutenir et nous aider à avancer. Alors on peut lui faire confiance, on peut avancer, jour après jour, en comptant sur lui : il est le Dieu des corbeaux, le Dieu des solutions improbables…

 

          3/ L’initiative d’Elie

Ça, c’est ce que le texte dit. Mais regardons ce qu’il ne dit pas : v.1 rien ne dit que Dieu a poussé Elie à aller voir Achab. Habituellement, avant toute mission de prophète, on a un indice que Dieu est à l’origine de la mission. Là, Elie n’est pas présenté comme un prophète, c’est un habitant de la région, qui se présente chez Achab. D’ailleurs, Elie ne prétend pas avoir été envoyé : il évoque sa foi en Dieu, Yahweh, le Dieu vivant, et il dit que la sécheresse s’arrêtera à la parole d’Elie. C’est clairement sa décision.

Comme pour bien souligner que Dieu n’a pas pris la parole en amont, le texte donne ensuite v.2 et v.8 la précision explicite que là, Dieu parle à Elie.

Elie est un homme haut en couleurs : on pourrait presque dire qu’il force la main à Dieu, qu’il lance un défi que seul Dieu peut relever (pour bloquer la pluie). On a l’impression que Dieu ne lui a rien demandé, mais qu’Elie n’en peut plus des mensonges, et qu’il donne un coup de pied dans la fourmilière. Il bout, il explose, et… Et Dieu le rattrape. Dieu a vu, derrière le côté impétueux et un peu maladroit d’Elie, il a vu le zèle, la confiance, l’intégrité… Et il répond présent, il honore la démarche d’Elie, il rattrape le coup et il prend soin de lui.

Je suis convaincue que la meilleure façon de vivre sa foi, c’est d’agir en suivant l’initiative de Dieu : c’est l’idéal ! Attendre ses instructions, ou prier pour recevoir une direction. Cela dit, l’exemple d’Elie nous rassure pour toutes les fois où on se lance tête baissée sur une route dangereuse, qu’on oublie de demander l’avis du Seigneur et qu’on se retrouve coincé, débordé ou perdu : Dieu ne bénit pas seulement ceux qui agissent selon le bon protocole, ceux qui respectent bien toutes les étapes – dans sa grâce, il nous rattrape, même si nous n’avons pas suivi le chemin idéal. Et il peut même transformer ces situations en opportunités extraordinaires, comme il fera avec Elie, par qui il fera bien des miracles, il montrera sa puissance, il parlera avec vigueur. Tout ça, avec un homme qui s’est lancé tout seul, un peu maladroitement, mais qui aimait Dieu. Ce n’est pas un parcours idéal, mais Dieu fait avec, et il fait de grandes choses.

 

Conclusion

Alors j’aimerais simplement retenir de ce texte l’appel à la confiance en Dieu : Dieu est le seul vrai Dieu, il nous appelle à lui, il nous appelle à laisser de côté les croyances parasites pour lui donner la place qui lui revient. Et dans ce processus, qui peut être douloureux, Dieu nous accompagne, il prend soin de nous, il compense nos maladresses. Et ce qui est vrai pour cette démarche l’est dans le reste de notre vie, dans nos déserts, nos cheminements. Alors quoi que vous traversiez, soyez encouragés à faire confiance à Dieu, car il est le Dieu vivant, puissant, et il est résolument à vos côtés.

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