Etre vainqueurs en Christ

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« J’ai gagné ! » voilà le cri de victoire qu’on peut entendre à la fin d’une partie de jeu de société ou de pétanque, à la fin d’un match ou d’une course. Tout le monde aime gagner, non ? A tel point que la jubilation qui en ressort paraît souvent disproportionnée par rapport aux enjeux, et on le mesure particulièrement avec ceux qu’on appelle les « mauvais joueurs », qui, eux, s’effondrent à chaque défaite, comme si c’était la fin du monde. Notre soif de victoire se manifeste dans le jeu, le sport, et plus généralement dans la vie. Je ne parle pas de réclamer une coupe chaque soir après une journée bien remplie. Mais nous avons soif, besoin, désir, d’une vie marquée par la réussite : la réussite de nos projets, la capacité à surmonter les obstacles et relever les défis, la certitude d’avoir couru la bonne course/ d’avoir suivi le bon chemin/ d’avoir la bonne place. A quoi ressemblent vos victoires ? Qu’est-ce qui vous fait dire au moment de vous coucher : « oui, aujourd’hui, c’était une bonne journée : j’ai accompli ma tâche, j’ai relevé mes défis, je finis la journée la tête haute » ? Nos victoires, c’est parfois d’avoir été au bout d’une action, d’avoir su éviter des attaques d’autrui, d’avoir persévéré malgré la lassitude et les difficultés, d’avoir triomphé de mauvaises pensées ou de tentations malsaines qui nous entraîneraient, nous le savons, sur une pente glissante. Jour après jour, après mois, après année, quelles sont ces victoires qui conduisent à une vie réussie ?

Dans la Bible, on trouve bien des passages qui nous parlent de victoire. J’en ai choisi un, dans la première lettre de Jean, destinée aux églises.

Lecture biblique : 1 Jean 5.5-13

5Qui donc est vainqueur du monde ? [Précisons le sens de « monde » : le monde, ce n’est pas ici l’espace inter-galactique, mais le monde en tant qu’il est abîmé, détruit, coupé de Dieu ; le monde autour de nous mais aussi en nous : ce qui nous porte au mal, ce qui nous abîme, nous détruit, nous fait perdre et nous coupe de la vie]

5Qui donc est vainqueur du monde ?

C’est seulement celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu.

6C’est lui, Jésus Christ, qui est venu grâce à l’eau et grâce au sang. Il est venu non pas avec l’eau seulement, mais avec l’eau et avec le sang. Et c’est l’Esprit saint qui en témoigne, car l’Esprit est la vérité. 

7Il y a donc trois témoins : 

8l’Esprit saint, l’eau et le sang, et tous les trois sont d’accord. 

9Nous acceptons le témoignage humain ; or, le témoignage de Dieu a bien plus de poids, et son témoignage concernait son Fils.                          

10Ainsi, celui qui croit au Fils de Dieu a accueilli ce témoignage ; mais celui qui ne croit pas Dieu fait de lui un menteur, puisqu’il ne croit pas au témoignage de Dieu concernant son Fils. 

11Et voici ce témoignage : Dieu nous a donné la vie éternelle et cette vie nous est accordée grâce à son Fils. 

12Celui qui a le Fils a cette vie ; celui qui n’a pas le Fils de Dieu n’a pas la vie.

13Je vous ai écrit cela afin que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu.

 

Vainqueur par la foi

Jean pose les enjeux : Qui est vainqueur du monde ? qui a remporté la victoire ultime ? Qui a réussi complètement sa vie ? Qui remporte la victoire, la coupe resplendissante qui lui offre joie, sécurité, assurance dans la vie ? Qui se tient droit, quels que soient les obstacles ?

C’est celui qui croit en Jésus. J’explique le raisonnement de Jean, et je reviendrai sur la foi.

A l’époque de Jean, on commence à voir apparaître des personnes qu’on appellera plus tard gnostiques. Ces personnes accordent beaucoup d’importance au ciel, au spirituel, aux idées, mais elles dévalorisent ce qui est matériel. Certains se disent chrétiens et reconnaissent que Jésus est l’envoyé de Dieu, qu’il est Dieu révélé sur terre. Mais elles ne croient pas que Jésus soit vraiment un homme : il serait plutôt un genre d’apparition, ou comme un homme « possédé » par Dieu. Quand les événements deviennent trop chaotiques et indignes (comme la mort sur la croix !), Dieu se retire et reste indemne de ces horreurs bien humaines, bien charnelles. Jésus, vrai Dieu, presque homme.

Jean, qui a bien connu Jésus, argumente au contraire que Jésus était vraiment un homme, et vraiment Dieu. C’est incroyable, impensable, mais c’est ce dont il a été témoin. Et il affirme que c’est bien le même Jésus qui était rempli de Dieu lors de son baptême (dans l’eau) et qui était rempli de Dieu lorsqu’il est mort sur la croix (dans le sang).

Aujourd’hui, on aurait tendance à dire l’inverse : Jésus était un homme, un vrai, apprécié de Dieu, mais pas Dieu lui-même ! Quand même, ça n’a pas de sens, un Créateur qui se fait créature, qui se limite lui-même, qui s’enferme dans une vie humaine et qui endure la mort ? Dans sa biographie de Jésus, Jean, encore une fois, un ami très proche de Jésus, montre comment lui et les disciples ont compris que Jésus était bien les deux : un vrai homme, un humain comme nous, mais aussi Dieu, rempli de sagesse, de pureté, d’amour et de puissance.

Si Jésus n’est pas vraiment un homme, il n’est pas solidaire de nous. Si Jésus n’est pas vraiment Dieu incarné, alors sa mort n’est plus un don, c’est un martyre.

Croire que Jésus est bien le Fils de Dieu, c’est croire que Dieu a porté le poids du monde sur ces épaules, sur cette croix où il est mort : le poids de nos fautes, de nos doutes, de nos dérèglements. Et toutes les biographies de Jésus insistent : il n’est pas resté dans la mort, il n’a pas été écrasé par le poids du monde, mais il en est ressorti vainqueur. Comme un haltérophile de compétition, il a pris le poids le plus lourd, a vacillé sous la charge, mais il a réussi à soulever ce poids pour nous en libérer. Sa victoire, c’est la résurrection : la mort n’a pas pu le retenir, il a été plus juste que nos injustices, plus droit que nos dérèglements, plus fort que nos entraves.

Etre vainqueur en Christ, c’est simplement croire qu’il a vaincu. Cette conviction s’enracine dans les témoignages historiques de ce que Jésus a fait (c’est-à-dire les Evangiles, ces biographies de Jésus) mais elle résulte aussi de l’œuvre du Saint Esprit dans notre cœur qui nous aide à reconnaître que c’est vrai. Jean insiste : c’est une vérité profonde, fondamentale, sur laquelle on peut s’appuyer – aussi bien que 2 et 2 font 4, Dieu a envoyé son Fils pour nous offrir le salut, la victoire, la vie !

Nous sommes vainqueurs par la foi : vainqueurs car Jésus a porté et annulé toutes nos défaites, et nous a associés à sa victoire sur le mal et la mort. Simplement en croyant, nous aussi nous portons cette coupe de victoire. Pour nous, c’est une victoire à mains nues, à mains vides, une victoire sans autre effort que de reconnaître en Jésus notre champion pour pouvoir être intégré dans son équipe.

Vincent parlait la semaine dernière de performance, notre tentation de grandir à la force de nos bras, de pouvoir nous vanter de nos prouesses qui nous accorderaient une place particulière. Mais la victoire, ou le salut, éternelle et ultime, nous ne pouvons pas la réclamer avec nos bras musclés : seul le Christ, dans sa justice et sa sainteté, a pu compenser ce qui déraille dans notre cœur et notre monde. Par la foi seule, nous recevons la victoire, le statut d’enfants de Dieu, l’assurance de vivre auprès de lui pour toujours.

Au quotidien

Cette victoire remportée par Jésus, a été remportée dans sa mort et sa résurrection, mais elle n’est pas encore pleinement visible. Entre la fin de la course et la remise officielle du trophée, il faut attendre un peu. Que se passe-t-il en attendant ?

Celui qui s’associe par la foi au Christ vainqueur, qui se laisse remplir de l’Esprit même de Dieu, cet Esprit de puissance et de résurrection, celui-là voit dans sa vie se manifester dès maintenant la victoire du Christ, comme un témoignage de sa victoire réalisée et un signe de sa victoire à venir. Et on s’imagine que le bon chrétien, celui qui a vraiment la foi, celui qui est vraiment rempli de l’Esprit, ce bon chrétien a tout compris, tout résolu, les bénédictions pleuvent sur lui et ses prières s’exaucent sans délai : rien ne le fait trébucher, rien ne le ralentit. La foi serait comme un laissez-passer.

En réalité, on n’a pas toujours l’impression d’être un gagnant, quand on est chrétien. Nos vies restent remplies de difficultés, de souffrances, de luttes, de péché… Nous ne sommes pas encore complètement à la fin de la course : même si notre champion a déjà remporté la course avec un score imbattable, nous devons continuer à courir, et c’est dur. Regarder au Christ victorieux qui attend le trophée, nous encourage à persévérer. C’est l’espérance : si la mort et la résurrection de Jésus n’ont pas d’impact sur notre monde, à quoi bon ? Si ce n’est pas une promesse pour un monde renouvelé, où enfin la justice et la bonté triompheront, à quoi bon s’acharner ? Non, nous croyons et nous attendons, et nous poursuivons, ce monde où la victoire du Christ sera manifeste et apportera le repos et la joie à ceux qui se reposent sur lui.

Cette assurance nous invite à la persévérance : avancer quoi qu’il arrive. Et cette persévérance est rarement triomphaliste, elle suit plutôt un chemin en forme de croix. Proclamer, et vivre, la victoire du Christ, dans notre vie aujourd’hui, c’est aussi porter sa croix. Les deux vont ensemble : la croix et la résurrection. Dans nos spiritualités, nous allons souvent vers un côté seulement : soit la résurrection (et alors, tout va bien, on est dans Taxi), soit la croix (et rien ne change aujourd’hui, tout est à attendre. Marx, en critiquant la religion comme opium du peuple, avait sûrement raison de dénoncer cette attitude qui justifie les horreurs du présent au nom du bonheur à venir). La croix et la résurrection. La victoire en forme de croix.

Nos victoires ne sont pas de celles qui écrasent, mais qui élèvent. Des victoires qui cherchent à être partagées avec les autres. Des victoires où l’on donne plutôt que d’exiger. A quoi cela peut-il ressembler ? Dans un conflit, nous pouvons prendre exemple sur le Christ qui a tout donné par amour, pour oser ravaler notre orgueil ou descendre de nos grands chevaux : est-ce que l’amour triomphe dans notre vie, dans nos relations ? Ou est-ce que nous restons sur nos vexations, nos principes, notre rang ?

C’est parce qu’on croit au Christ vraiment mort et ressuscité qu’on peut voir sa vie sous un autre angle, dans la lumière d’une victoire assurée. La victoire du Christ encourage le couple qui bat de l’aile à se battre pour se retrouver, même si ça coûte (en temps, en énergie, en compromis voire en argent s’il faut voir un conseiller conjugal). Sa victoire pour la réconciliation et la paix nous pousse à regarder nos ennemis, ceux qui nous blessent, avec moins de peur et plus de respect : celui-là, aussi, Dieu veut l’aimer. Sa victoire pour le bien nous pousse à regarder nos tentations aguicheuses pour ce qu’elles sont vraiment : des pentes glissantes qui nous vident de vie. Les non, les efforts que nous posons, cette croix que nous portons, c’est le chemin qui nous permet de découvrir, vraiment, les fruits de la victoire : alors que nous pensons perdre sur le moment, nous faisons de la place pour que l’amour et la justice du Christ se manifestent dans notre vie.

C’est dans la victoire du Christ crucifié que nous pouvons puiser la force de lui obéir alors que cela nous coûte, l’audace d’emprunter un chemin contre-intuitif, la confiance que nos défaillances ne nous disqualifient pas mais que nous pouvons appuyer sur lui pour reprendre la route. Nous sommes vainqueurs en Christ, simplement par la foi, mais cela nous demande l’humilité, la persévérance et la confiance de savoir que lui nous a déjà tracé un chemin.

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