Doutes et foi

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En tant que chrétiens, nous croyons que nous sommes sauvés à cause de l’amour de Dieu, et que nous avons simplement à croire que Jésus a fait le nécessaire pour que notre passé ne soit plus un obstacle entre Dieu et nous. La foi est au cœur de notre rencontre avec Dieu, dès le début, mais aussi tout au long de la vie du croyant dans sa relation avec Dieu. Mais comment nous représentons-nous cette foi ? Qu’est-ce qui la caractérise ? Qu’est-ce qui est incompatible ? Qu’est-ce qui nous fait dire de quelqu’un : « ah… lui/elle, quelle foi il a ! » ?

Je vous invite à nous tourner vers la rencontre entre Dieu et un grand croyant s’il en est, Abraham. Ou plutôt, sa femme, Sara. Je vais lire le récit de cette rencontre, mais c’est surtout sur la fin que nous nous attarderons.

            Lecture biblique : Genèse 18.1-15 (version Bible en Français Courant)

1 Le Seigneur apparut à Abraham près des chênes de Mamré. Abraham était assis à l’entrée de sa tente à l’heure la plus chaude de la journée. 2 Soudain il vit trois hommes qui se tenaient non loin de lui. De l’entrée de la tente, il se précipita à leur rencontre et s’inclina jusqu’à terre. 3 Il dit à l’un d’eux : « Je t’en prie, fais-moi la faveur de t’arrêter chez moi. 4 On va apporter un peu d’eau pour vous laver les pieds et vous vous reposerez sous cet arbre. 5 Je vous servirai quelque chose à manger pour que vous repreniez des forces, puis vous continuerez votre chemin. Ainsi vous ne serez pas passés pour rien près de chez moi. » Les visiteurs répondirent : « Bien ! Fais ce que tu viens de dire. » 

6 Alors Abraham retourna en toute hâte dans la tente pour dire à Sara : « Vite ! Prends trois grandes mesures de fine farine et fais des galettes. » 7 Ensuite il courut vers le troupeau, choisit un veau tendre et gras. Il le remit à son serviteur, qui se dépêcha de le préparer. 8 Quand la viande fut prête, Abraham la plaça devant ses visiteurs avec du lait caillé et du lait frais. Ils mangèrent tandis qu’Abraham se tenait debout près d’eux sous l’arbre. 

9 Ils lui demandèrent : « Où est ta femme Sara ? » — « Dans la tente », répondit-il. 10 L’un des visiteurs déclara : « Je reviendrai chez toi l’an prochain à la même époque, et ta femme Sara aura un fils. » Sara se trouvait à l’entrée de la tente, derrière Abraham et elle écoutait. 11-12 Elle se mit à rire en elle-même, car Abraham et elle étaient déjà vieux et elle avait passé l’âge d’avoir des enfants. Elle se disait donc : « Maintenant je suis usée et mon mari est un vieillard ; le temps du plaisir est passé. » 13 Le Seigneur demanda alors à Abraham : « Pourquoi Sara a-t-elle ri ? Pourquoi se dit-elle : “C’est impossible, je suis trop vieille pour avoir un enfant” ? 14 Y a-t-il donc quelque chose que le Seigneur soit incapable de réaliser ? Quand je reviendrai chez toi l’an prochain à la même époque, Sara aura un fils. » 

15 Effrayée, Sara nia : « Je n’ai pas ri », dit-elle. « Si, tu as ri ! » répliqua le Seigneur.

 

Une des choses que j’aime tant avec la Bible, et notamment dans sa première partie, l’Ancien Testament, c’est que les personnes que nous y rencontrons sont bien humaines, avec leur grandeur et leur fragilité. Ce ne sont pas des héros, lisses et sans failles.

Dans ce texte, c’est Dieu qui vient à la rencontre d’Abraham – à son insu. Il ressemble à un homme et Abraham va deviner peu à peu que ces trois personnages sont mystérieux.

Abraham se laisse déranger et montre sa grandeur : il déploie une générosité impressionnante, toute orientale, en faisant préparer 21 kg de farine et un veau gras… pour 4 ! Sans le savoir, Abraham se comporte en fait de façon appropriée devant Dieu : il lui offre le meilleur, se prosterne devant lui, le considère comme une bénédiction… Même si l’hospitalité d’Abraham est inspirante, j’aimerais me concentrer sur Sara.

Comme on aborde souvent les sujets sensibles au café, la discussion surgit quand le repas est terminé. Presque 25 ans plus tôt, Dieu avait promis un fils à Abraham, de qui naîtrait un peuple au destin particulier. Depuis, rien. Abraham & Sara sont toujours sans enfant. Sara a fini par prendre les choses en main et a eu recours à un genre de mère porteuse. Mais Dieu n’a pas reconnu cet enfant comme le fils qu’il avait promis : il a bien l’intention de faire des miracles et de faire naître un enfant chez Sara, l’épouse stérile d’Abraham. Dans le chapitre précédant (ch. 17), Dieu réaffirme son alliance avec Abraham et son engagement à faire naître en Sara un héritier. Ici, Dieu prend la peine de contacter Sara, la future mère : en respectant les codes sociaux, il s’adresse à cette femme mariée par l’intermédiaire de son mari. Devant cette promesse, elle rit – Abraham avait ri lui aussi, et c’est ce qui lance un échange très intéressant avec Dieu.

1/ La situation de Sara

Celui qui raconte l’histoire prend la peine de nous rappeler la situation : non seulement Sara & Abraham sont stériles, mais en plus, maintenant, il y a l’âge. Comme toute femme ménopausée, Sara ne peut plus enfanter. Le texte porte un regard réaliste sur ce que Sara vit, et on sent tout son découragement. Depuis des années, l’absence d’enfant. L’espoir déçu mois après mois. Et les premiers symptômes de la ménopause, les bouffées de chaleur, les changements dans son corps, comme autant de signes qui disent que si Abraham a un fils, il ne sera pas d’elle… le rire de Sara est un rire jaune, non par mépris de Dieu, mais par manque d’espérance. Elle n’a simplement plus la force d’y croire.

Sara subit de plein fouet le drame de la stérilité, et de l’âge. Elle se sent vieille, sans avenir, comme si plus rien de bon ne pouvait lui arriver. On le sait, à partir d’un certain âge, les facultés diminuent, l’énergie, les forces – j’ai souvent entendu : « à quoi je sers ? je suis bon à rien, inutile, je ne peux plus rien donner ou ce que j’ai à offrir, personne n’en veut… » En particulier dans une société qui adule la jeunesse, les difficultés de la vieillesse sont perçues encore plus comme un fardeau dont on aimerait se débarrasser.

Cette description de Sara nous montre qu’il y a une place devant Dieu pour poser ce qui nous paraît insurmontable, que ce soit la stérilité, la maladie, l’âge, le deuil… Il y a une place pour le réalisme.

2/ les doutes

Et ce réalisme parfois nous fait douter, comme c’est le cas chez Sara. Chez d’autres aussi : voyez Marie, la mère de Jésus. Quand l’ange lui annonce à elle, une jeune femme vierge, à peine fiancée, qu’elle va être enceinte, elle répond avec une question : « mais comment cela se fera-t-il ? je n’ai pas de relation sexuelle avec un homme » dit-elle. Lorsque l’ange lui explique, succinctement, que c’est Dieu qui va faire le travail, Marie se lance dans l’aventure.

Dans notre vie avec Dieu, nous aurons du mal à échapper au doute. Certains choisissent le déni (mais non tout va bien), ils avancent en marche forcée, grand sourire, réponse à tout – mais la peine est réelle, et souvent à force d’avancer ainsi, ils finissent par s’écrouler. Je me souviens d’une femme, mûre, croyante depuis longtemps, très engagée dans une église, qui m’avait dit : « j’ai l’impression de me poser des questions que personne ne se pose. » Sceptique, je lui demandai ce que c’était ; elle me répond : « la question du mal dans le monde, de la violence, du handicap. Que penser de l’homosexualité ? etc. » et je me suis dit : elle n’est sûrement pas seule à être interpellée par ces situations ! Pourtant, nous présentons un visage bien respectable au culte, et quand la question se pose, nous répondons sans attendre avec la bonne proposition. Le doute ne vient pas forcément de ce que nous, nous vivons. Ca peut venir aussi de ce que nous voyons à l’extérieur.

A l’inverse, d’autres se laissent submerger par les difficultés de leur situation et perdent espoir. Ce qu’ils vivent paraît insurmontable, et même s’ils ne l’avouent pas forcément, ils finissent par penser que même Dieu ne peut rien y faire.

Malheureusement, dans les deux cas, chez le super croyant que tout le monde admire ou le super pessimiste, Dieu n’est pas invité dans la situation. C’est comme une pièce dont on fermerait la porte à double tour : les uns s’efforcent de l’ignorer (ils vont même repeindre la porte de la même couleur que le couloir comme ça on ne la voit pas), mais les autres ont accroché un grand panneau « interdit d’entrer ». Comme une alternative : soit on enterre ses doutes (et notre relation avec Dieu perd de son authenticité), soit on laisse les doutes nous enterrer dans la peur et l’amertume (et la relation avec Dieu devient partielle – il y a certains sujets qu’on exclut de la conversation, comme ces sujets tabous qui peuvent rendre certains repas de famille un peu gênants).

Il y a une troisième voie : simplement confier à Dieu nos doutes. Poser nos questions, comme Marie. Nos doutes peuvent devenir des occasions de parler avec Dieu : les psaumes, les Lamentations de Jérémie, le livre de Job en sont des exemples. Devant la violence de ce qu’ils vivaient, ces croyants-là ont osé interpeller Dieu, et nous pouvons suivre leur exemple. Ils ont ouvert ces portes verrouillées pour inviter Dieu dans leur situation – et Dieu leur a répondu. Il n’a pas forcément tout résolu, mais il s’est montré et il a répondu. Notre Dieu n’est pas un Dieu de qui il faut se cacher : Sara, effrayée, nie son rire, nie ses doutes. Mais Dieu termine la conversation en l’invitant à assumer ses questionnements – sûrement pour mieux les lui confier. Il y a des doutes qui nous coupent de Dieu, mais il y a aussi des doutes qui vont approfondir notre foi : tout dépend si on les laisse nous éloigner ou nous rapprocher de Dieu.

Personnellement, j’ai traversé il y a quelques années une grosse période de doute, sur ma vie et ma foi. Cela a été très dur, tout était remis en question, et dans un moment de désespoir, j’ai pu dire à Dieu (sans être trop sûre qu’il m’écoutait): “si tu es là, montre-toi! tu vois toutes mes questions, réponds-moi!” Et Dieu a répondu, pas de la manière que j’imaginais mais avec grande force. Je suis sortie de cette période avec une foi grandie, renforcée, fondée.

La foi ne consiste pas à éviter ou à faire taire nos doutes, dans un sens ou dans l’autre, mais à les surmonter en les confiant à Dieu.

3/ la réaction de Dieu

Revenons sur la surprise de Dieu devant la réaction de Sara. Ce n’est pas sa souffrance qui l’étonne, c’est qu’elle se ferme à lui. A sa puissance, à sa présence. Et il répond – avec quelle douceur et quelle patience – en rappelant qui est Dieu : pourquoi la vieillesse serait-elle un problème ? Lui qui a créé le monde, ne peut-il pas rendre Sara féconde ?

Dieu ne décrit pas la méthode qu’il va employer pour surmonter les problèmes, il rappelle juste qui il est. Non pas quoi, mais qui. Nous, nous restons bloqués sur les quoi, les comment, le possible, l’expérience passée. Lui, il rappelle qui – et il ne s’agit plus de croire que ceci ou cela est possible en soi (non, en soi, une femme ménopausée ne peut pas enfanter, non, un mort ne peut pas revivre, ni un coupable être déclaré innocent) mais de faire confiance à Dieu. De croire en lui. C’est lui, le Créateur de la vie, qui peut transformer ces situations.

Le miracle est difficile à croire – c’est le principe ! Mais Dieu nous demande de lever les yeux vers Lui, de croire que lui est capable de regarder ce qui ne va pas et de proposer une réponse. Dieu n’apportera pas forcément une solution magique et spectaculaire, mais un chemin au milieu de l’impasse, un moyen d’avancer. Ca peut être un vrai miracle (Sara aura un fils, Isaac, accueilli par des rires d’étonnement : comment, elle, elle est devenue mère ?…), ou simplement reconsidérer ce qu’on vit/ y trouver un sens. Et entre ces deux extrêmes, Dieu se réserve toute la palette des possibles.

Conclusion

Quand nous regardons notre vie, notre entourage, notre monde, il y a parfois de quoi douter. Ne laissons pas alors les doutes nous éloigner de Dieu, mais qu’ils nous rapprochent de Dieu ! Nous n’avons pas à faire semblant devant lui, à faire les gros bras : nous avons été sauvés par grâce, sans mérites ni masques de bienséance – continuons de vivre dans cette grâce, sans compter sur nos mérites ni nos masques de bienséance. Osons parler avec Dieu, c’est ça la foi ! osons parler en église aussi, entre nous, de ce qui nous ébranle – c’est à cette condition que nous pourrons accueillir la réponse de Dieu, une réponse qui nous conduit à une vie plus pleine et à une joie plus grande.

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