Les seconds rôles (V) : Jonathan (1 S 20)

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Ce matin, je vous propose de clore notre série sur les seconds rôles. Jusque là, nous avons vu avec Caïn et Abel une histoire de frères, avec Hagar et Sara, c’était une rivalité entre épouses, avec Léa et Rachel, les deux puisque les deux sœurs ont épousé Jacob. La semaine dernière, nous avons porté notre attention sur les parents de Samson. Toutes ces personnes ont vécu leur rôle secondaire soit dans l’indifférence, soit dans le désespoir et la colère. Ce matin, avec l’histoire de Jonathan, c’est une amitié que nous découvrons, et dans cette amitié nous voyons comment Jonathan vit le fait d’être un second rôle.

Quelques mots de contexte. Nous sommes au début de la période des rois en Israël, après la période troublée des Juges. Le premier roi que Dieu a choisi s’appelle Saül. Saül transgresse rapidement les règles que Dieu lui a fixées, et par conséquent, Dieu lui retire son autorité de roi et choisit un autre, un petit jeune, un berger anonyme mais qui prouve vite ses qualités, David. David, le temps de se former, entre au service de Saül. Seulement, Saül refuse d’abandonner son trône – ce n’est pas le trône de fer, mais presque ! Il vit des hauts et des bas avec David : parfois il le considère comme son propre fils, mais le plus souvent, il cherche à le tuer – et David a écrit plusieurs psaumes à cette période de sa vie.  Heureusement, David a un allié inattendu : le fils de Saül, Jonathan. C’est son supérieur, mais ils combattent ensemble et deviennent très amis, au point de conclure un pacte de loyauté l’un envers l’autre. Le passage que je vais lire maintenant se situe après une réconciliation entre Saül et David, qui laisse présager que tout va bien se passer. Sauf que David n’est pas dupe, il s’attend au pire, et il rejoint Jonathan pour tirer au clair la situation.

Lecture 

Cette longue séquence est constituée de trois scènes : David rejoint Jonathan, lui confie ses craintes et le persuade de l’aider à découvrir les véritables intentions du roi Saül. Ensemble ils élaborent un plan en deux volets. Deuxième scène, David sort, nous assistons au banquet du roi Saül. Suite à la question de Saül devant l’absence de son serviteur David, Jonathan suit la première partie du plan : il donne une fausse excuse. Là nous avons le point tournant du chapitre : si Saül avait de bonnes intentions envers David, il devrait réagir avec calme et compréhension. Sinon, sa colère prouverait sa frustration de rater cette occasion d’atteindre David. Et Saül se met en colère. Fou de rage, il insulte son fils, lui ordonne de lui amener David, et devant le refus d’obtempérer de Jonathan, il brandit sa lance contre lui, manquant de le tuer. Jonathan sort. Troisième scène, qui réalise la deuxième partie du plan : à l’aide du code prédéterminé, Jonathan avertit David des mauvaises intentions de Saül. Ils se séparent dans la tristesse. Cette séquence, c’est le point de rupture entre Saül et David. Toutefois ce n’est pas sur eux que je souhaite me concentrer ce matin, mais sur Jonathan, présent dans toute la séquence, tour à tour avec David et avec Saül, Jonathan dont on n’entendra quasiment plus parler dans la suite du récit.

1)   Les tiraillements de Jonathan

a)      tiraillé entre son père et son ami

Jonathan est un homme tiraillé, partagé entre deux loyautés, deux personnes à qui il veut être fidèle. D’abord, il y a son père, évidemment, le roi Saül, celui qui a autorité sur tout le peuple d’Israël. Non seulement Jonathan doit obéissance à son père, mais il doit aussi être loyal envers son souverain. En parallèle, Jonathan est ami de David, si ami que David quitte l’endroit où il s’était réfugié, près de Rama, et risque le tout pour le tout en allant voir Jonathan, puisqu’il se rapproche dangereusement de Saül qu’il soupçonne de vouloir le tuer. Le risque que prend David montre l’intensité de l’amitié qui le lie à Jonathan.

Au début du texte, on sent une certaine naïveté de Jonathan : quand David lui confie ses doutes, Jonathan est persuadé que son père est bien disposé envers David, et qu’en tout état de cause, il avertirait Jonathan, son fils, s’il avait quelque ressentiment envers David. Jonathan est ami de David, mais il fait confiance à son père Saül. Ses deux loyautés, jusque là à peu près compatibles, commencent à le tirailler franchement.

b)     le basculement

Pendant cet entretien avec David, Jonathan fait un choix, en deux étapes. Premièrement, lorsque David lui jure au nom du Seigneur lui-même que sa vie est en danger avec Saül, Jonathan accepte de lui faire confiance et il offre ses services : je ferai ce que tu voudras. Et il adopte le plan de David qui consiste à tester Saül lors du repas rituel de début de mois. Par amitié pour David, Jonathan décide de lui faire confiance et de participer à ce plan, j’imagine au moins pour le rassurer.

Jonathan ne fait pas que laisser le bénéfice du doute à David : il s’implique totalement. En effet, c’est lui qui imagine la deuxième partie du plan, acceptant de considérer l’éventualité selon laquelle son père voudrait tuer David. Il lui propose un code. Jonathan sait qu’il risque d’être considéré comme un traître : si Saül veut tuer David et que Jonathan le sauve, il se met en porte-à-faux vis-à-vis de son père Saül. Jonathan est bien conscient de ce danger, puisqu’au moment de parler du code, il emmène David hors du palais, dans un champ, à l’abri des oreilles indiscrètes.

Jonathan quitte David en rappelant son alliance avec lui.

c)      mise à l’épreuve

Le repas avec Saül est une mise à l’épreuve, à la fois des intentions de Saül, mais aussi de la loyauté de Jonathan vis-à-vis de David. Aux côtés de qui Jonathan va-t-il réellement se ranger ? On le voit, Jonathan suit le plan de David à la lettre, et il défend David face à son père enragé. Il risque gros : Saül commence par l’insulter et il finit par l’attaquer. Jonathan s’en va et avertit David de ce qui s’est passé selon le code prévu.

Cette scène qui est le point tournant dans la relation entre Saül et le futur roi David est aussi un point tournant dans la vie de Jonathan. Dans cette scène, il a fait un choix : non seulement il choisit de faire confiance à David, mais en plus il va jusqu’à se mettre lui-même en danger pour le protéger.

2)   Le choix du second rôle

Creusons un peu les raisons du choix de Jonathan : qu’est-ce qui l’a fait basculer ?

Le premier élément, le plus évident, c’est l’amitié qui le lie à David. Dès leur rencontre, alors que Jonathan fils du roi est le supérieur de David, ils deviennent amis et concluent un pacte de solidarité, un peu comme des équipiers qui se protègent et se soutiennent.

Cette amitié n’est pas la seule raison pour le choix de Jonathan : s’il prend le parti de David contre Saül, c’est aussi parce qu’il sait que David ne mérite ni la colère de Saül, ni la mort. David est innocent, et Jonathan ne peut pas le traiter comme un criminel alors qu’il n’a rien fait de mal. Jonathan résiste à son père en vertu de son amitié envers David et de son sens de la justice

Il y a une troisième raison : David est celui que Dieu a choisi pour remplacer Saül qui s’est révélé indigne de sa charge. David est le futur roi. Ce fait aurait dû conduire Jonathan à lutter contre David : en effet, Jonathan est l’héritier de Saül, c’est lui qui aurait dû prendre sa suite et recevoir l’autorité royale, ce sont ses enfants qui auraient dû devenir la première dynastie royale d’Israël. Quand David est choisi, ce destin prestigieux s’évanouit. Non seulement ça, mais en plus, la coutume pour les nouveaux rois était, comme chez les lions, de mettre à mort les fils de l’ancien roi, pour éviter tout risque de coup d’état. Jonathan, comme le lui rappelle Saül, risque son héritage et sa vie. Comment auriez-vous réagi ? Eh bien Jonathan renonce. Il abandonne son héritage, sans murmure, sans jalousie, sans convoitise.

Jonathan encore supérieur à David, prend toutes sortes d’initiatives pour aider David, pour le protéger. Il se met lui-même en danger. Tout cela parce qu’il reconnaît que c’est David que Dieu a choisi. Volontairement il se met au service de David, et va même, à la fin de la première scène, lui demander sa bienveillance quand il sera roi : « tant que je vivrai, tu agiras envers moi et ma maison avec fidélité ». Jonathan, prince héritier, renonce à sa position pour devenir le soutien du futur roi, David. Il y a là plus que de l’amitié, plus que de l’intégrité morale, il a l’obéissance volontaire à la volonté de Dieu.

Conclusion

Nous avions commencé notre série avec Caïn, le frère aîné qui enrage d’être supplanté par son petit frère et le tue. Jonathan aurait pu agir comme Caïn et suivre les conseils de Saül, il aurait pu très facilement éliminer son rival. Au contraire, il choisit la voie de la justice et de l’humilité. Il accepte d’être un second rôle, sans amertume, et il fait même tout ce qui en son pouvoir pour aider et servir et protéger le premier rôle, celui qui est pour lui comme un frère. Jonathan choisit la voie de la foi en entrant activement dans le rôle que Dieu lui a donné.

D’une certaine manière, Jonathan dessine le chemin que prendra le christ. Jésus, fils de Dieu, renonce à ses privilèges lorsqu’il devient un homme. Lui qui a créé le monde devient une créature, volontaire, activement. Il accepte d’être insulté, incompris, attaqué, et il s’offre à la croix. Pourquoi ? Pas parce que nous sommes innocents, nous ne le sommes pas ! Par amitié, par amour envers nous. Par humilité, par obéissance à Dieu le père. Lui notre Seigneur se fait serviteur des plus petits pour que nous vivions et devenions à notre tour fils du Dieu vivant.

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