Une relation libre avec le Dieu généreux

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Regarder le culte ici.

La Bible nous présente parfois de petites pépites, comme par exemple cette jeune femme de l’Ancien Testament qui est très intéressante : Aksa, la fille de Caleb. Seuls 3-4 versets nous parlent d’elle, dans le livre de Josué (Josué 15.13(19), ensuite répétés dans le livre des Juges (c’est rare !). Bien souvent son histoire, si courte, passe inaperçue, alors qu’elle est riche en enseignements…

Je vais lire la version dans le livre des Juges. Le peuple d’Israël vient juste de s’installer dans le pays promis, autour de 1400 av. J.-C., sous la conduite de Josué qui a pris la suite de Moïse, avec des réussites et des déboires. Josué meurt et personne ne le remplace vraiment : il n’y a pas encore de roi à la tête du peuple. Pendant cette période qui va durer plusieurs siècles, chaque tribu s’organise, et tente de faire face aux difficultés rencontrées. C’est une période brouillon, assez sombre, remplie de batailles avec d’autres peuples ennemis locaux ou voisins. Sombre aussi parce que le peuple échoue à rester connecté au Dieu qui l’a sauvé et conduit jusqu’ici ; et leurs écarts répétés vont influencer leur façon d’être en société, révélant de façon flagrante que plus on s’éloigne du Dieu juste et bon, plus les relations humaines se détériorent.

L’histoire d’Aksa se trouve au tout début de cette période, lors de l’installation des Israélites dans la terre promise, lorsque la situation est encore encourageante. Son père, Caleb, de la tribu de Juda, un vieux de la vieille, le dernier vivant à avoir expérimenté les événements de l’Exode, la libération d’Israël hors d’Egypte, donc Caleb remarque que sa tribu peine à aller au bout de son installation, et laisse certaines villes aux mains des ennemis. Et voici comment il décide de motiver sa tribu à aller au bout du projet :

Lecture biblique : Juges 1.12-15

12 Caleb dit : Je donnerai ma fille Aksa pour femme à celui qui battra Qiriath-Sépher et la prendra. 

13 Otniel, fils de Qenaz, frère cadet de Caleb, la prit ; Caleb lui donna pour femme sa fille Aksa. 

14 A son arrivée, elle l’incita à demander un champ à son père. 

Elle sauta de son âne, et Caleb lui dit : Qu’est-ce que tu as ? 

15 Elle lui répondit : Accorde-moi une faveur, car tu m’as donné une terre aride ; donne-moi aussi des sources d’eau.

 Alors Caleb lui donna les sources d’en haut et les sources d’en bas.

 

Aksa et Caleb : une relation de confiance

L’anecdote aurait pu s’arrêter au v.13 : on aurait su qu’Otniel, neveu de Caleb, était le héros qui avait remporté la dernière bataille, et cela aurait suffi pour permettre au lecteur de comprendre pourquoi, plus tard, Dieu allait appeler Otniel à être juge, c’est-à-dire, comme le nom ne l’indique pas, ici à protéger et diriger son clan, pendant une quarantaine d’années. Donc Otniel sera le premier chef régional, et à ce titre, son lien de famille avec Caleb est un motif de respectabilité : nous, on tique à la perspective d’un mariage entre deux cousins (autres temps, autres mœurs), mais le texte souligne plutôt la filiation entre un chef respecté (Caleb) et la prochaine génération, qui reprend le flambeau de façon prometteuse.

Sur le plan de l’histoire d’Israël, cela suffit – pourtant le texte ajoute des détails, complètement inutiles d’un point de vue militaire ou historique, sans but d’expliquer une pratique ultérieure ou le nom donné à un endroit ; non, gratuitement, nous avons droit aux détails de la négociation de la dot d’Aksa ! Mais pourquoi donc ??

Quand on parle de société traditionnelle, patriarcale, comme c’était le cas pour les Juifs de l’Antiquité, et dans tout le contexte de la Bible, à la fois l’Ancien Testament centré sur Israël et le Nouveau Testament présentant Jésus et ses disciples, on sait que la place des femmes dans la société était très limitée, et on se représente volontiers les femmes passives, voire réduites au statut d’objet – on en voit l’exemple typique lorsque Caleb offre sa fille en prime de guerre au combattant héroïque : même si c’est un honneur, notre Aksa n’a pas son mot à dire !

Les détails que le texte nous donne sont d’autant plus frappants, et viennent nuancer ce tableau caricatural… Si Aksa épouse Otniel sans broncher, elle n’hésite pas à prendre position lorsqu’elle considère – avec beaucoup de bon sens – qu’une terre aride sans point d’irrigation ne va pas la mener très loin pour élever du bétail ou cultiver des champs… !

Et Aksa de prendre l’initiative pour changer cette situation. D’abord, elle essaie de convaincre son mari d’agir, mais il n’a pas l’air de l’écouter – en tout cas le texte reste silencieux. Alors elle fait tout le trajet pour retourner chez son père, dont nous ne voyons que le moment où Caleb la voit descendre de son âne, ce qui suffit à l’interpeller.

Aksa présente ensuite sa demande (ici, c’est sûrement résumé), avec un savant mélange d’audace, de confiance, et de respect : elle demande une faveur, bien consciente qu’elle a déjà reçu sa dot, et que ce qu’elle demande en plus, même si c’est nécessaire, n’est pas dans les habitudes…

Et Caleb, loin de la reprendre sur les us et coutumes (je ne t’ai pas élevée comme ça ma fille ! Fais avec !), apporte une réponse d’une générosité inattendue : non seulement il accède volontiers à sa demande, mais en plus il la double en donnant un terrain irrigué au nord, et un terrain irrigué au sud. L’erreur est doublement corrigée.

On voit dans sa réponse toute sa sollicitude paternelle, un désir d’équité, et beaucoup d’humilité puisqu’il n’hésite pas à se laisser interpeller.

Des modèles inspirants

Aksa est un modèle inspirant, jusqu’à aujourd’hui, avec sa grande liberté, sa facilité à exprimer son besoin et à oser demander une faveur – sans dépasser les bornes pour autant. Or cette liberté n’est possible que parce que son père, Caleb, a une posture accueillante et généreuse. Ce qui peut tous nous inspirer, pour nos relations hommes-femmes, mais pas seulement ! dans toutes les relations où il y a une différence ou une asymétrie : grands-petits, anciens-nouveaux, etc. C’est la posture de chacun des deux qui permet cette dynamique de confiance respectueuse.

C’est d’autant plus marquant que la période qui suit, je l’ai dit, s’assombrit à grande vitesse, à mesure que le peuple sombre dans l’idolâtrie religieuse et l’injustice sociale. Etonnamment, tout au long de ce livre, il y a beaucoup de personnages féminins, qui deviennent un peu comme des marqueurs de l’état de la société : on commence avec Aksa, libre, forte, confiante, en sécurité, soucieuse de favoriser les meilleures conditions de vie – et peu à peu ça se dégrade, avec des femmes qui finiront par être sacrifiées (pas au sens figuré !), anonymisées, victimes de violence et d’atrocités, ou alors d’autres femmes qui porteront la violence, la tromperie, avec des comportements destructeurs (pensez à Dalila par exemple qui manipule Samson pour lui ôter sa force et favoriser sa mise à mort par les Philistins).

Ici, avec Aksa et Caleb, on est encore dans la période prometteuse, lumineuse, pleine d’espoir, et les relations ont un cadre ample, flexible, où chacun peut exister pleinement sans écraser ni se faire écraser, où le respect et l’humilité côtoient l’initiative et le franc-parler.

Vous l’aurez compris, en tant que femme, j’aime énormément ce texte, mais pas seulement à cause de la liberté d’Aksa ! Si tous les pères, les maris, les frères, s’inspiraient de Caleb, notre société serait merveilleuse ! Et pas seulement les hommes : tous ceux qui ont du pouvoir, en fait – les mamans, les grands-parents, les enseignants, les juges, les patrons ou les cadres, les responsables de service, les autorités… si chacun à sa mesure, dans sa sphère, s’inspirait de Caleb, de son désir d’équité, de son humilité et de sa générosité… Ce serait extraordinaire !

          Une illustration pour notre relation avec Dieu

Dans ce portrait de Caleb, il y a plus encore ! Vous y avez peut-être pensé, on voit chez lui se dessiner le profil d’une autre personne, humble, généreuse, passionnée de justice… Dieu ! Dieu, en particulier tel qu’il se révèle à travers Jésus… Désireux de rétablir la justice dont nous nous sommes écartés, prêt à offrir bien plus que nos besoins, un Dieu plein de grâce, qui n’hésite pas, à travers Jésus, à passer par l’humiliation et la mort pour déblayer et libérer le chemin qui nous conduit à lui (Philippiens 2.5-11) – dans la surabondance de sa grâce et de son amour, il donne bien plus que deux terrains supplémentaires : il se donne lui-même pour nous permettre de recevoir en héritage la plénitude de sa paix et de son amour.

Alors, si l’attitude de Caleb oriente vers la grâce de Dieu, que peut-on voir dans l’attitude d’Aksa ? La liberté d’une enfant, pleine de confiance dans l’amour que son père lui porte, dans la justice qu’il ne manquera pas d’accomplir, dans sa générosité. Cet enfant de Dieu, libre devant son Père, c’est d’abord le Christ, le Fils par excellence, en complète harmonie avec lui. Et nous, en nous appuyant sur le Christ, Fils aîné qui partage avec nous la plénitude de son héritage, nous pouvons retrouver cette proximité avec Dieu, comme avec un Père bienveillant, juste et généreux, respectueux et accueillant. Et comme des enfants, comme Aksa, nous pouvons aller vers lui librement, avec confiance.

Et puisqu’Aksa apporte une demande à son père, son exemple peut nous inspirer dans notre façon de prier. Combien de fois limitons-nous nos prières en nous disant que notre demande est hors-cadre, qu’il nous faut accepter notre lot, sagement, en silence ? Combien de fois nous disons-nous que tel besoin n’est pas très spirituel, et que cela n’intéresse sûrement pas Dieu ? Or la Bible nous présente des croyants audacieux, qui n’hésitent pas à dire à Dieu ce qu’ils vivent et de quoi ils ont besoin. Libre ensuite à Dieu d’agir selon sa sagesse, mais nous pouvons lui présenter nos demandes simplement, clairement, avec la confiance d’Aksa envers son père : une confiance sûre de la bonté de Dieu, respectueuse (à Dieu de prendre la décision), et reconnaissante (on n’exige pas un dû, on demande une faveur imméritée).

Je me demande si ce n’est pas à ce type d’attitude que Jésus pensait lorsqu’il a parlé de la prière dans le Sermon sur la Montagne (Matthieu 7.7-11)

7 « Demandez, et on vous donnera. Cherchez, et vous trouverez. Frappez à la porte, et on vous ouvrira. 

[…] 9 Quand votre enfant vous demande du pain, qui parmi vous lui donne une pierre ? 10 Quand il vous demande du poisson, qui lui donne un serpent ? 

11 Vous, vous êtes mauvais/ imparfaits, et pourtant, vous donnez de bonnes choses à vos enfants. Alors, ceci est encore plus sûr : votre Père qui est dans les cieux donnera de bonnes choses à ceux qui les lui demandent. »

Alors que l’audace, la simplicité et la confiance d’Aksa viennent nous renouveler dans notre vie de prière avec Dieu, notre Père, qui nous accueille par Jésus-Christ. Amen

 

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