Le défi de l’amour sincère

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Quand on parle d’amour, à quoi pensez-vous ? Aux amoureux des films d’Hollywood ? Aux retrouvailles pleines de chaleur lors des fêtes de famille ? A ce que vous ressentez en regardant votre bébé dormir ? A la force qui permet de surmonter les obstacles pour aider, soutenir, protéger ? Au souci que vous vous faites pour vos proches ? A l’écoute et à l’encouragement reçus auprès de vos amis ?

Nos représentations de l’amour peuvent varier… Mais il y a une constante, quand on pense à l’amour, c’est l’intensité : on ne peut pas être aimé à moitié ! En tout cas, on ne veut pas être aimé à moitié ! Dès qu’une incohérence survient, un compromis ou une condition, la question se pose : est-ce un amour véritable ? L’amour semble souvent nous glisser entre les doigts, alors qu’il est si essentiel. Et l’apôtre Paul surenchérit, en parlant de l’église dans une lettre aux chrétiens de Rome : il lance toute une série d’exhortations, qui vont un peu dans tous les sens, pour nous motiver à aimer plus et mieux.

Lecture biblique Romains 12.9-21

9 L’amour sincère.

Détestez le mal, embrassez le bien. 10 Aimez-vous de tout votre cœur comme des frères et sœurs chrétiens. Soyez toujours les premiers à vous respecter les uns les autres. 11 Soyez zélés, et pas paresseux. Soyez fervents, par l’Esprit. Servez le Seigneur avec dévouement.  12 Réjouissez-vous à cause de votre espérance. Restez patients dans le malheur, continuez à prier fidèlement. 13 Prenez part aux besoins des chrétiens, poursuivez l’hospitalité.

14 Souhaitez du bien à ceux qui vous poursuivent, souhaitez du bien et non du mal. 15 Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. 16 Soyez bien d’accord entre vous. Ne cherchez pas de grandes choses, mais laissez-vous attirer par ce qui est simple. Ne vous prenez pas pour des sages.

17 Ne rendez à personne le mal pour le mal, cherchez à faire le bien devant tous. 18 Autant que possible, si cela dépend de vous, vivez en paix avec tous. 19 Amis très chers, ne vous vengez pas vous-mêmes, mais laissez la colère de Dieu agir. En effet, dans les Livres Saints, le Seigneur Dieu dit : « À moi la vengeance ! C’est moi qui donnerai à chacun ce qu’il mérite ! » (Deutéronome 32.35) 20 Mais il dit aussi : « Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger, s’il a soif, donne-lui à boire. Alors, si tu fais cela, c’est comme si tu mettais des charbons brûlants sur sa tête. » (Proverbes 25.21-22) 21 Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien.

L’amour sincère

Dans ces exhortations un peu décousues, c’est l’amour qui domine. Mais pas la nécessité de l’amour. L’amour est une évidence, puisque la Bonne Nouvelle qu’annonce et accomplit Jésus, c’est que Dieu nous aime – malgré tout. Paul insiste plutôt sur la sincérité de l’amour. Littéralement, un amour sans hypocrisie, sans faux-semblants, sans contrefaçons. Sous-entendu : il peut y avoir des faux amours, des amours superficiels, à moitié…

Cet amour sincère ne se vit qu’avec intensité (Détestez le mal, embrassez le bien [le mot évoque le fait de s’accrocher, de s’unir à, il est même utilisé dans 1 Co 6 pour parler de l’union physique entre un homme et une femme.] Embrassez le bien. Aimez-vous de tout votre cœur. Soyez toujours les premiers à vous respecter. Soyez zélés. Soyez fervents, par l’Esprit. Servez le Seigneur avec dévouement. Prenez part, poursuivez, cherchez le bien envers tous…) – c’est presque une obsession ! Comme si on se mettait des œillères afin de vivre l’amour, toujours, seulement.

Et si les conseils de Paul vont dans tous les sens, c’est que l’amour va dans tous les sens : vers Dieu, vers mes proches, vers mon frère ou ma sœur dans la foi, vers l’inconnu, même vers celui qui me cherche des noises…

Solidarité et respect

Comment définir l’amour ? Il y a une part de sentiment (la tendresse fraternelle). Mais les exemples de Paul évoquent essentiellement la solidarité, d’abord matérielle : rendre service, accueillir un voyageur chez soi (surtout à une époque où il y a peu de logement pour les voyageurs) entraide alimentaire, basique => aider à un déménagement, bricoler, entourer lors de soucis de santé… Cette solidarité, elle se vit parfois simplement dans la présence : être là, se réjouir avec dans les bons moments, accompagner dans la peine – avez-vous déjà remarqué combien la joie se multiplie quand elle est partagée ? et combien la peine s’allège quand on se sent soutenu ?

2 remarques. Aimer a un contenu objectif : vouloir le bien de l’autre, le bien tel que défini par Dieu – dans la justice, la vérité, la paix et la joie. Pour Dieu, aimer c’est plus une intention, une motivation, qu’un sentiment d’approbation (je l’aime bien car on a des atomes crochus…). Aimer, c’est vouloir le bien de l’autre, très concrètement. Si aimer largement veut dire apprécier tout le monde, on arrive vite à nos limites. Mais si aimer, c’est vouloir le bien et y contribuer quand je peux – même de celui que je ne comprends pas, même de celle que je ne connais pas trop, même de celui qui m’agace – alors aimer redevient possible.

Paul met aussi ensemble amour et respect : « soyez les premiers à vous respecter/ vous honorer les uns les autres ». Et ça, parfois, on l’oublie ! Sous prétexte de proximité, nous tombons parfois dans la familiarité, à dire des choses dont on ne tolèrerait pas le quart dans un autre contexte. Aimer, c’est aussi respecter.

Partout, tout le temps : dans l’église et en dehors

Paul entremêle ici l’amour dans l’église, et en dehors de l’église : dans tous les cas il faut aimer c’est-à-dire vouloir le bien de l’autre, depuis nos prières jusqu’à nos actions. Aimer tous ceux que nous rencontrons – Jésus n’a jamais mis d’exception à son amour. Mais Paul fait quand même une distinction : il y a l’amour entre chrétiens, et en dehors. Pourquoi cette différence ? Dans l’église, par définition, Dieu est au centre de nos relations : il nous unit en Christ, par son Esprit, pour toujours – et il nous inspire, nous transforme, pour nous apprendre à aimer comme lui.  Du coup, il peut y avoir un espoir que nous fassions chacun un pas vers plus d’amour.

Hors église, les priorités, ou les motivations, peuvent être différentes. Mais peu importe, pour Jésus, relayé par Paul, même si nous rencontrons l’agressivité ou l’injustice, nous n’avons pas d’autre choix que d’aimer ! c’est ce qu’il a fait, lui ! Il est venu nous apporter la réconciliation avec Dieu alors que nous lui tournions le dos. Il n’y a pas exigence de résultat, mais exigence de méthode : l’amour !

C’est dur… déjà en famille ou en église, quand on a tant en commun, aimer est difficile. Mais alors quand on est blessé, rejeté, méprisé, calomnié… face à l’injustice ou à la trahison, il est tentant de rendre les coups ! L’exemple du Christ, c’est de répondre à la malveillance par la bienfaisance : faire ce qu’on aimerait qu’on nous fasse (ne pas court-circuiter un collègue, ne pas dégrader les biens d’un voisin négligent, ne pas surenchérir dans la querelle, ne pas calomnier…), rester humain (ne pas rester indifférent aux besoins basiques de celui qui me tend la main), prier pour le bien de l’autre. C’est ainsi que l’amour triomphe de tout, comme le Christ a triomphé du mal et de la haine. On comprend l’idée ! Difficile à faire, mais on comprend.

Or Paul donne un argument étonnant (v.19-20): si vous restez accrochés à l’amour, alors vous laissez agir la colère de Dieu et vous accumulez des charbons ardents sur la tête de votre agresseur. L’image des charbons ardents, dans la Bible, évoque habituellement la sainteté de Dieu et sa capacité à juger. Mais alors, aimer serait-il une façon détournée, évangéliquement correcte, d’ajouter à la culpabilité de l’autre ? Plus on aime notre agresseur, plus il sera condamné ? c’est un peu tordu, non ?

Certains ont trouvé une vieille pratique égyptienne, où on mettait sur sa tête un plat rempli de braises ardentes pour signifier sa repentance : rester bienveillant pousserait l’autre à la repentance.

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D’autres attirent l’attention que dans de nombreux pays, dont le Moyen Orient antique, on transporte beaucoup de choses sur sa tête : ajouter des chardons ardents sur la tête de l’autre, serait simplement lui rendre service en lui donnant de quoi ranimer son feu chez lui – vous, vous prêteriez des allumettes ou une lampe de poche.

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Sauf que Paul parle quand même de la colère de Dieu… le plus sérieux, il me semble, c’est d’admettre qu’il s’agit là d’un jugement de Dieu, mais tel que nous connaissons Dieu : c’est-à-dire que si le coupable se repent, il sera pardonné. Notre persévérance dans l’amour peut être un déclic pour lui.

Mais quand le coupable ne se repent pas, on peut se décourager, et se dire que notre amour est vain, inutile, que nous sommes perdants dans l’histoire, et que ce n’est pas juste. Or pour Dieu, le juste qui voit tout, même une seule goutte dans un océan d’injustice est remarquée – et cela a du poids, pour lui. Quand on aime, ce n’est jamais perdu, jamais du gâchis : pour Dieu, c’est précieux.

Le défi de l’amour en église

Dans toutes ces réflexions sur l’amour, j’aimerais revenir sur l’amour en église. La pandémie qui nous distancie les uns des autres a accentué une tendance à vivre sa foi « en individuel », avec la peur de la maladie, les confinements qui ont changé nos habitudes, et l’utilisation massive, pratique, des médias pour garder le lien. Plusieurs m’en ont parlé : nos cercles sociaux, et notre cœur peut-être, se sont rétrécis – on est moins patients, moins motivés, moins ouverts… Sans parler des tensions anciennes qui peuvent creuser des fossés entre nous, masqués par le statu quo.

Alors il y a de l’amour dans cette église – je suis aux bonnes loges pour le voir : l’armoire solidaire qui déborde, les coups de fil réguliers de certains membres, le groupe de visites, l’entraide et l’écoute, les messages, l’hospitalité jusqu’à parfois accueillir des étudiants chez soi ! Mais, mais… ces exhortations nous piquent : on ne peut jamais se dire qu’on a assez aimé, ou qu’il est temps de passer à autre chose. L’amour doit toujours être notre priorité d’église, là où nous investissons en premier. Les relations aimantes, bienveillantes, solidaires – voilà une des priorités de Dieu. Ca commence peut-être par rester à la fin du culte et parler à une nouvelle personne, échanger de vraies nouvelles et être attentif aux besoins, rejoindre un groupe, passer un coup de fil dans la semaine ou envoyer un petit message… Plus difficile, prier ou recontacter quelqu’un avec qui vous êtes en froid ?…

Les exhortations de Paul sont tellement diverses que ça pourrait nous impressionner et nous accabler d’avance : en réalité, c’est une invitation à poursuivre l’amour quel que soit votre profil. Vous êtes du genre à donner un coup de main ? dénoncez-vous  Vous êtes du genre à écouter ? passez boire un café chez quelqu’un qui n’habite pas loin ! Vous préférez inviter ? allez-y, même pour une simple balade ou un goûter. Priez pour une ou deux personnes que vous avez vues ce dimanche, ou pas vues depuis longtemps, et prenez contact.

Peu importe ce que vous faites, pour qui, comment : ce qui compte c’est de poursuivre l’amour. De faire de l’amour votre obsession : ainsi, vous ressemblerez, nous ressemblerons au Dieu qui nous aime tant qu’il s’est donné pour nous.

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