Aimer son prochain 2/2: relancer le dialogue

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https://www.youtube.com/watch?v=0dkVeF7JTvc   (La prédication commence à 5’30)

Qu’est-ce qui peut entraver, ternir notre joie, et même notre joie devant Dieu ? les soucis, les souffrances, les craintes… et les conflits. La semaine dernière, j’ai commencé une prédication en deux parties sur un texte de loi de l’Ancien Testament, dans le livre du Lévitique, au ch. 19, qui affirme ce grand principe : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, repris par Jésus et ses disciples comme principe fondamental de notre attitude vis-à-vis de l’autre. Dans la première partie du texte de la semaine dernière, 3 éléments ressortaient pour expliquer ce que signifie « aimer son prochain » : lui montrer du respect, être équitable, et même généreux dans les occasions du quotidien. Il nous restait deux versets qui parlent plutôt des conflits dans nos relations. Ce texte ne parle pas forcément des grands affronts, des scandales comme on peut en rencontrer quelques uns dans une vie, mais plutôt des petites / moyennes difficultés récurrentes, ces déchirures issues de malentendus et maladresses, des égoïsmes et indifférences banales et ordinaires…

Lecture biblique : Lévitique 19.17-18

17 Tu ne détesteras pas ton frère dans ton cœur ; tu avertiras ton compatriote, mais tu ne te chargeras pas d’un péché à cause de lui. 

18 Tu ne te vengeras pas ; tu ne garderas pas de rancune envers les gens de ton peuple ; tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis le SEIGNEUR.

 

Quand vous vous sentez offensé, votre première réaction est de…

A/ tendre un doigt accusateur, et piquer une colère

B/ serrer le poing, et chercher à vous venger (plus ou moins frontalement)

C/ croiser les bras, et vous refermer sur vous

Le texte propose une 4e réponse : avertir l’autre, lui tendre la main. Prendre l’initiative de lancer le dialogue sur ce sujet – dans le but implicite de résoudre la situation.

Dans un conflit, « aimer son prochain » équivaut à s’abstenir d’un certain nombre de réactions (ici, la haine, la rancune et la vengeance) et à en adopter une autre (relancer le dialogue). Creusons un peu…

1/ Veiller sur son cœur

Loin de se cantonner aux actes extérieurs, Dieu s’intéresse à notre attitude intérieure. Nos actes comptent, et aussi nos intentions, nos motivations, nos réactions intérieures… Jésus tire le fil en disant plus tard que celui qui insulte son frère, même en pensée, est sur la même pente que le meurtrier… A partir de petits commencements et de petites pensées inoffensives, nos pires comportements se préparent. On passe rarement du vide au trop-plein : c’est goutte à goutte que le vase proverbial se remplit. Dieu s’y intéresse, parce qu’il le voit, il connaît, il pèse ce qui se passe en nous, ce qui se trame dans notre âme.

Ainsi, en particulier dans le conflit, Dieu nous invite à veiller d’abord sur notre cœur, sur ces mouvements intérieurs qui vont faire germer tel ou tel comportement. Aimer, c’est d’abord refuser de détester, de se laisser aller à la rancune, à l’amertume, au mépris – c’est jeter le pinceau noir qui viendrait gribouiller la vision que nous avons de l’autre. Même si nos réactions sont intuitives et involontaires, Dieu nous invite à ne pas en rester là, à ne pas les laisser nous ballotter ou nous pousser sur une pente glissante, mais il nous appelle à choisir le chemin que nous voulons emprunter.

On connaît les dégâts de l’amertume, du mépris ou de la vengeance… Dans votre existence, avez-vous déjà vu quelque chose de bon sortir de la rancune, de la haine ou même, de l’indifférence, chez vous ou chez quelqu’un d’autre ? Alors pour vider le vase avant qu’il ne déborde, Dieu conseille d’avertir l’autre de ce qui ne va pas. Et ce faisant, on change de dynamique, on rechoisit son chemin – et on évite par là-même la pente glissante du péché, déjà pour nous, parce que notre vocation est d’être bienfaisants, non pas nocifs !

2/ ton prochain comme toi-même

J’aimerais parler du contenu de cet « avertir » auquel Dieu nous appelle. Mais je dois aussi parler de cette formule « aime ton prochain, comme toi-même ».

De quel prochain parle-t-on ? Ici, le texte mentionne le compatriote : Dieu vient de délivrer un peuple entier pour l’inviter à vivre dans sa présence et à montrer au monde à quoi ressemble la vie avec Dieu. Si ce peuple se déchire de l’intérieur, ça montrera autre chose que l’amour de Dieu, et puis ça gâchera les bénédictions que Dieu accorde. Il y a des similitudes avec le projet de Dieu pour l’Eglise au sens large, qui rassemble ceux que Dieu appelle à vivre en sa présence et à témoigner de sa grâce. Les conflits dans nos communautés, entre nos communautés, témoignent d’autre chose que de l’amour de Dieu…

Mais le prochain ne se rencontre pas que dans l’église ! C’est celui que je rencontre sur ma route quotidienne, avec plus ou moins d’affection : dans ma famille, mon réseau d’amis, dans mon voisinage, sur mon lieu de travail… C’est ma belle-mère, mon neveu, une collègue, un patron, un ami, ou une connaissance qui sort ponctuellement de l’anonymat pour prendre visage devant moi à cette étape du chemin.

Et le « comme toi-même » ? L’apport de la psychologie et de ses dérivés nous permet d’apprécier l’importance de ce « comme toi-même ». Dans une époque où nous sommes nombreux à être blessés de l’intérieur et à douter de notre valeur, cette invitation à recevoir l’amour pour soi sonne juste ! La bonne nouvelle de l’Evangile, c’est que Dieu nous aime, après tout ! Par peur de l’égoïsme et de l’orgueil, on l’a peut-être trop souvent oublié…

Cela dit, je ne suis pas convaincue que c’était l’intention du Lévitique ou de Jésus lorsqu’ils utilisent cette formule « comme toi-même ». Dans ce contexte, l’accent porte très clairement sur « ton prochain », en partant du principe qu’en général, nous nous traitons mieux que nous ne traitons les autres : avec plus d’indulgence, de protection, de réflexion. Nous prenons le temps de manger, dormir, nous laver, nous vêtir, de nous soigner etc. Et s’il y a  des exceptions qui ne le font pas, ce sont des exceptions ! Mais le principe général, c’est que spontanément, instinctivement, nous veillons sur nous-mêmes. Et l’appel qui résonne, en particulier dans le conflit, c’est d’accorder à l’autre les mêmes chances, le même bénéfice du doute, comme le dit Jésus, de faire à l’autre ce qu’on aimerait qu’il nous fasse (Matthieu 7.12).

3/ Avertir avec amour

Avertir et aimer : les deux mots s’éclairent l’un l’autre. Aimer l’autre, ce n’est pas toujours le brosser dans le sens du poil, mais parfois porter à  son attention ce qui ne va pas… et ainsi, on se décharge d’une complicité silencieuse avec son comportement. Mais avertir, dans le sens de l’amour, ce n’est pas seulement pour vider son sac ou son vase, pour lancer l’alerte, faire son devoir et retrouver une certaine tranquillité, mais pour le bien de l’autre aussi. Aimer l’autre, sans parler des émotions, c’est se comporter en ami, agir pour son bien. C’est contribuer à une solution qui soit juste et bonne pour chacun, avec respect, équité, générosité. Aimer le prochain, c’est chercher un chemin de solidarité vers l’autre, se rappeler qu’on est de la même pâte, relancer une passerelle là où le fossé menace de s’élargir. C’est refuser de réduire l’autre à l’offense, et chercher dans son visage la personne qu’il est, dans toute son humanité, sa beauté, sa fragilité, son ambiguïté ! Comme moi-même…

Alors, avertir c’est un premier pas, qui attend la réaction de l’autre. Même si notre intention désire une solution, notre responsabilité n’inclut pas la réaction de l’autre. S’il refuse d’entendre, on peut persévérer, mais pas le forcer. Ma responsabilité est de parler, même si l’autre n’écoute pas. Mais c’est bien une responsabilité conférée à chacun : tu aimeras, dit Dieu, toi… pas vous, ou on, ou l’autre… toi !

Et rien que ce premier pas, c’est tellement difficile de le faire ! parce qu’on est troublé par ce qu’on ressent ; parce qu’on a peur de la réaction de l’autre (sera-t-il agressif ? méprisant ? indifférent ?) ; et peut-être aussi parce que c’est plus facile de s’en tenir à notre version des choses – dialoguer, c’est parler mais aussi écouter, et prendre le risque d’être à son tour averti…

Ajoutons que nous sommes bien maladroits pour nous exprimer avec clarté et respect. Il y a d’excellents livres sur la communication[1], et vu l’importance du sujet dans nos vies quotidiennes, je ne peux que fortement conseiller de se former là-dessus pour de meilleures relations. Mais quand même quelques pistes, qui valent en toutes situations :

  • Prendre du recul. Respirer, faire une pause, laisser passer le flot de l’émotion, en parler à quelqu’un… se placer devant Dieu ! déjà pour voir si notre agacement est légitime avant de foncer tête baissée. Il y a bien des choses qui peuvent nous déplaire sans qu’elles ne soient mauvaises moralement.
  • Faire le tri entre les faits et mon interprétation des faits… Les malentendus sont tellement répandus ! Et souvent, l’autre n’a pas agi par rapport à moi, mais dans une logique qui lui est propre. Ce tri se fait au préalable, mais aussi dans la discussion : on essaiera d’être curieux, de demander pourquoi, d’accorder le bénéfice du doute à l’autre. Comme on aimerait qu’il évite de nous enfermer, nous, dans une de nos maladresses.
  • Choisir un cadre favorable. Commencer en privé, si possible en présentiel… faire baisser la pression. Déverser ses griefs sur les réseaux sociaux n’est pas très constructif; de même que les mails qui sont trop impersonnels pour pouvoir vraiment dialoguer avec nuance.
  • Avec humilité et bienveillance. Humilité pour être prêt à écouter vraiment l’autre, et accepter de réviser mon point de vue. Et bienveillance, car je cherche pour nous une issue positive. Le mot « aimer » n’est pas anodin !

4/ Un chemin

Le chemin que nous propose Lévitique 19 est un chemin… C’est en appliquant ces principes qu’on apprend à aimer, c’est en prenant ces habitudes, en adoptant ces postures, que l’on transmet de plus en plus d’amour et de bonté. Parfois, nous chrétiens avons l’impression (décourageante, culpabilisante !) que nous devrions déjà aimer notre prochain comme nous-mêmes, et qu’ainsi, à partir de cet amour idéal, nous aurions toujours la bonne attitude. Mais aimer notre prochain, comme aimer Dieu d’un cœur pur et entier, ce n’est pas automatique ! cela s’apprend ! proooogressivement ! L’amour ce n’est pas un examen que nous réussissons ou ratons, c’est un muscle que nous musclons exercice après exercice, entraînement après entraînement. Alors ne nous décourageons pas ! Mais utilisons chaque occasion, chaque situation comme une opportunité pour essayer de sortir de nos ornières et d’aimer un peu mieux…

Et sur ce chemin d’entraînement, nous avons un modèle – le Christ, qui ne nous a pas considérés comme des ennemis dans notre révolte, mais qui s’est fait notre frère ! ; nous avons un entraîneur, Dieu le Père, qui nous encourage par sa Parole et qui nous accompagne pas après pas ; et nous avons une boisson énergétique extrêmement puissante : l’Esprit de Dieu, qui œuvre en nous de l’intérieur… le chemin pour apprendre à aimer est contre-intuitif et déstabilisant, mais si nous le suivons, Dieu nous assure de sa présence, de sa triple présence, et de sa puissance… Oui, sa puissance, car Dieu accompagne de sa grâce nos tentatives maladroites et partielles, pour les transformer en bénédictions…

 

 

[1] Je comme unique, Jeanne Farmer, Empreinte Temps présent, 2014.

Les mots sont des fenêtres, ou bien ce sont des murs, Marshall Rosenberg, plusieurs éditions (fondateur de la méthode de Communication Non Violente, dite CNV).

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