Aimer son prochain 1/2: Respect et générosité

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Alors qu’on lui demande de désigner le commandement le plus important, Jésus répond : « Aime ton Dieu de toutes tes forces », et il ajoute : « aime ton prochain comme toi-même. Toute la loi se résume dans ces deux commandements. » (Matthieu 22.34-40)

Aimer son prochain comme soi-même… C’est un principe libérateur, qui donne du sens à la vie de foi, au-delà des règles religieuses. En même temps, c’est un principe qui met beaucoup de pression… Comment être sûr d’aimer son prochain ? Quand sait-on qu’on a atteint notre objectif ? Il n’y a pas de case à cocher, ni de protocole à suivre… Selon les situations, l’amour sera parfois indulgent, parfois exigeant… Et puis que veut vraiment dire « aimer » ? Entre : aimer le chocolat (ou la moto), aimer son épouse ou son mari, aimer ses enfants… quel type d’amour sommes-nous invités à vivre envers notre prochain ?

Notre difficulté vient sûrement en partie du fait qu’on connaît moins bien les lois du peuple juif que Jésus et ses compatriotes. Pour Jésus, les lois montrent concrètement à quoi ressemblent l’amour du prochain : elles illustrent dans un contexte donné ce grand principe universel que Dieu nous a créés pour vivre – aimer l’autre comme nous-mêmes. D’ailleurs, ce grand principe d’amour vient directement de la loi juive. Je vous propose ce matin de nous tourner vers quelques uns ( !) de ces exemples, pour voir comment ils peuvent nous aider concrètement à aimer notre prochain.

Lecture biblique : Lévitique 19. 9-18

9 Quand tu moissonnes, ne coupe pas les épis qui ont poussé en bordure de tes champs, et ne retourne pas ramasser les épis oubliés ; 10 ne repasse pas non plus dans tes vignes pour ramasser les grappes oubliées ou les grains tombés à terre. Laisse-les pour les pauvres et pour les immigrés. Je suis le Seigneur votre Dieu.

11 Ne commets pas de vol, ne mens pas. Ne trompe pas les autres Israélites. 

12 Ne prononce pas de faux serments en te servant de mon nom ; en faisant cela, tu déshonorerais qui je suis : je suis le Seigneur ton Dieu.

13 N’exploite personne et ne détourne rien ; ne garde pas jusqu’au lendemain le salaire dû à un ouvrier. 

14 N’insulte pas un sourd, et ne mets pas d’obstacle devant un aveugle. Montre par ton comportement que tu me respectes. Je suis le Seigneur.

15 Ne commets pas d’injustice dans tes jugements : n’avantage pas un faible, ne favorise pas un puissant, mais rends la justice de façon équitable envers les autres Israélites. 

16 Ne répands pas de calomnies sur les membres de ton peuple. Ne porte pas contre ton prochain des accusations qui le fassent condamner à mort. Je suis le Seigneur.

17 N’aie aucune pensée de haine contre un autre Israélite, mais n’hésite pas à le réprimander, afin de ne pas te charger d’un péché à son égard. 

18 Ne te venge pas et ne garde pas de rancune contre les membres de ton peuple. Chacun de vous aimera son prochain comme lui-même. Je suis le Seigneur.

Ces versets touchent à beaucoup de domaines différents, mais chaque précepte, à sa façon, est une façon d’aimer son prochain au quotidien. Je vais garder les deux derniers versets pour la semaine prochaine, car ils touchent plus aux relations privées, alors que les autres touchent à la vie en société en général.

Une diversité de situations

Récapitulons les situations citées : le travail au champ, les relations (tordues par le vol ou le mensonge), les droits des plus faibles, le domaine judiciaire. Le vol, on comprend bien, de même que l’interdiction d’abuser de la faiblesse d’un sourd ou d’un aveugle.

Côté champ, l’idée c’est que les employés, parfois très pauvres, engagés à la journée, puissent avoir un avantage en nature, en plus de leur salaire : que le propriétaire du champ laisse de manière informelle une sorte de prime de précarité. Le livre de Ruth raconte comment ce principe a permis à une famille de se reconstruire. Sur la même ligne, l’ouvrier journalier qui est payé le soir pour sa journée de travail vit vraiment au jour le jour : tarder à le payer, c’est ajouter à ses difficultés, comme si aujourd’hui un employeur payait ses salariés le 15 du mois au lieu du 2.

Côté juridique, il ne faut pas imaginer des tribunaux, des juges, des avocats etc. En général, ce sont les anciens du village qui arbitrent les conflits, sur la base de témoignages. D’où l’importance de ne pas être parjure : il n’y aura pas d’expert pour contester le faux témoignage, et ce mensonge peut complètement ruiner quelqu’un. En règle générale, dans un univers sans écrit, la parole vaut de l’or et on doit pouvoir compter sur ce que l’autre dit.

Globalement, Dieu exige du respect et de l’équité. Respecter l’autre dans ce qu’il est, et être juste, mais pas tâtillon : avec équité, on prendra en compte les circonstances (aggravantes ou atténuantes) de la situation. Respect et équité. Un respect qui n’est pas : chacun chez soi, on ne fait rien de mal et chacun se débrouille. Non, dans le respect biblique, il y a de la bienveillance et de la générosité, en particulier envers ceux qui sont dans le besoin – pauvres et immigrés. Aimer, c’est d’abord respecter et soutenir. Plus qu’un sentiment, c’est une attitude que Dieu demande – quelles que soient les émotions, ou la situation, avoir du respect, de l’équité, de la bienveillance vis-à-vis de mon prochain.

Justement, qui est ce prochain à aimer ? A notre époque mondialisée, où les drames des confins de la terre nous sont relayés parfois avec fracas, on peut se sentir écrasé et responsable du monde entier, quitte à changer d’indignation au gré des actualités !

Ici, le prochain, c’est le compatriote, le concitoyen, mais aussi celui qui est vulnérable, celui qui est pauvre ou immigré… En fait, celui qui se trouve sur ma route, aujourd’hui, quel qu’il soit – un inconnu, un collègue, un voisin, un membre de ma famille. Pas forcément celui dont je me sens proche, mais celui qui se trouve près de moi aujourd’hui.

Ca n’empêche de soutenir aussi des lointains ! Mais le premier cercle, c’est ceux qui m’entourent.

Pourquoi aimer son prochain ? car Dieu est Dieu. Le peuple juif, rescapé d’Egypte, sauvé par un Dieu fidèle et puissant, invité dans un nouveau pays à construire une nouvelle vie, est appelé à vivre avec Dieu, pour Dieu, par Dieu. A lui ressembler – au début du chapitre, Dieu dit : Vous serez saints car je suis saint (Lévitique 19.2). Vous serez comme moi ! Or Dieu est un Dieu qui respecte et qui soutient, un Dieu qui cherche notre bien et qui y travaille avec générosité.

Les chrétiens sont eux aussi, par le Christ, rachetés, sauvés, invités à une vie nouvelle – pour toujours ! Ils sont en plus habités par Dieu lui-même en Esprit, inspirés de l’intérieur pour vivre cet amour fondamental qui nous est pourtant si laborieux.

Pourquoi aimer son prochain ? parce qu’on a été créé pour ça, pour ressembler à Dieu ! Parce que l’être humain ne peut pas s’épanouir durablement en opprimant l’autre, ou même en vivant dans l’indifférence : il peut donner l’impression d’aller bien, d’être prospère, mais en réalité notre âme ne peut grandir que si elle s’élargit.

          3 domaines où vivre le respect et la générosité

Les commandements de l’Ancien Testament étaient destinés à aider le peuple juif à vivre cet amour du prochain. Même si notre société a changé, ces règles donnent quand même des idées concrètes et je voudrais finir avec 3 domaines où vivre le respect et la générosité. C’est varié, comme dans le texte, parce qu’il y a toujours un domaine dans lequel c’est plus difficile…

Dans nos paroles.

Tout-petits, on a appris que mentir, c’est mal ! Pour fonctionner, la société et les relations ont besoin d’une parole honnête, sinon on ne peut plus se faire confiance. Même dans notre société plus encadrée que dans l’Antiquité, les paroles tortueuses ou les contrats véreux peuvent mener à la catastrophe ! Mentir, c’est hors de question. S’arranger avec la vérité ?… aussi ! Et par honte, on est bien tenté de le faire…

Mais le texte va plus loin : colporter des rumeurs, des ragots, calomnier quelqu’un d’autre, c’est aussi avoir une parole irrespectueuse. Et si on pousse encore : il arrive que le prochain nous agace  ou nous agresse – respect et générosité nous exhortent à ne pas rentrer dans ce jeu, mais à garder une parole irréprochable. La maîtrise de soi, et donc de sa parole, fait partie des fruits de l’Esprit de Dieu en nous – c’est difficile, mais c’est notre vocation. Parfois il faudra prendre le temps de se taire et de laisser retomber pour pouvoir répondre avec respect.

* Avec plus faible que soi.

Dans toute la Bible, Dieu se présente comme un Dieu juste et qui protège la veuve et l’orphelin, le pauvre, le petit. Profiter de la faiblesse de l’autre, abuser de sa position ou de son pouvoir, ça le dégoûte ! Même s’il n’y a pas de conséquence visible, Dieu est dégoûté par l’abus de pouvoir.

Mais la pensée de Dieu va plus loin : pas de misérabilisme. Soutenir l’autre, oui, mais pas aux dépens de la justice. On n’abuse des gens vulnérables, mais on ne leur donne pas tous les droits non plus. Chacun a ses responsabilités éthiques !

Le texte attire notre attention sur les risques du favoritisme, d’un côté ou de l’autre – le favoritisme, ce n’est pas juste ! Ces derniers siècles, décennies, ont révélé et continuent de révéler les abus de pouvoir faits à d’autres peuples, aux femmes, aux personnes en difficulté. Mais quand la roue tourne, et que l’injustice première est dénoncée, le risque est grand, et on le voit parfois, de basculer dans l’autre excès, de se venger, de faire payer. Nourris de peine et d’indignation, les opprimés peuvent faire de très bons oppresseurs…

Dans un cercle plus restreint, face à un conflit d’équipe au travail, ou en famille, on peut être tenté de se ranger du côté de celui qui a notre sympathie ou qui a été trop souvent lésé. Mais Dieu nous invite à garder la tête froide, à lui laisser le jugement du passé et à nous concentrer sur la situation présente pour être le plus équitable possible.

Laisser de quoi glaner : le rapport à l’argent et au gain

Je termine par le début, et l’invitation à laisser de quoi glaner… Vous n’avez pas forcément de champ sous la main ! Mais je crois qu’en fait, Dieu nous interpelle sur notre rapport au gain et à l’argent. Dans la Bible, il n’y a pas de jugement sur les pauvres. L’histoire et la vie font que certains se retrouvent dans la précarité. Et la Bible ne cherche pas à mettre tout le monde exactement au même niveau, avec le même revenu : elle reconnaît qu’il y a des différences, parfois justes parfois non. Mais elle relève toujours une responsabilité des plus riches envers les plus pauvres : respecter, bien sûr, et soutenir quand c’est possible.

Laisser de quoi glaner, c’est petit, peu coûteux, et ça ne règlera pas le problème de l’autre. Mais petit pas par petit pas, ça peut lui donner un répit et qui sait, une chance de se retourner. C’est un petit débordement, qui peut apaiser l’autre sans nous mettre à sec. Aujourd’hui, sans forcément laisser notre sac à main ouvert pour les glaneurs de portefeuille, on peut, quand on en a les moyens, acheter un produit issu du commerce équitable ou solidaire, choisir une entreprise locale un peu plus chère mais plus juste dans la rémunération de ses employés, acheter au supermarché quelques conserves en surplus pour l’armoire solidaire, ou encore se choisir un prochain « au loin » avec un parrainage d’enfant ou un don pour des repas.

Conclusion

Par l’argent, comme par nos paroles ou nos prises de position, nous pouvons mettre en œuvre le respect et la générosité qui caractérisent l’amour du prochain tel que Dieu l’imagine. Aimer l’autre ne passe pas forcément par de grandes effusions, des gestes spectaculaires ou de lourds sacrifices, c’est aussi des petits choix, des petits moments, où l’on manifeste respect et générosité envers celui qui se trouve sur sa route.

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