S’abandonner à Dieu (Dieu, source de notre vitalité 2/4)

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Il était une fois, un homme…

Non, ce n’est pas un conte de fées que je voudrais vous raconter. Ca peut y ressembler, mais ne vous laissez pas impressionner : c’est une histoire, une histoire vraie. J’en ai été témoin il y a longtemps, quand j’ai eu la chance de voyager en Israël… Ce voyage a changé ma vie et celle de ceux qui m’entouraient.

Nous n’y sommes pas allés pour faire du tourisme, nous y sommes allés en dernier recours.

J’étais alors le serviteur d’un homme appelé Naaman. Nous venons du pays d’Aram, que d’autres appellent la Syrie. En ce temps-là, mon pays et le pays d’Israël se faisaient régulièrement la guerre, et dernièrement nous remportions systématiquement la victoire. A croire que leur dieu les avait abandonnés ! Pourquoi sommes-nous allés chez nos ennemis ? Parce que mon maître était désespéré.

Naaman était un homme de grande stature, un général renommé et apprécié par le roi. C’était l’incarnation de la force physique, mais aussi mentale : les stratégies militaires qu’il élaborait étaient sans défaut. Il était devenu le bras droit de notre roi. Mais un jour, on ne sait pas comment, cette force de la nature est tombée malade.

Au début, personne ne s’en doutait, il était juste plus fatigué et irritable, mais ça arrive. Au bout d’un moment, pourtant, on a commencé à voir apparaître sur ses mains et sur son cou, qui débordaient du col, des sortes de plaques rouges et boursouflées, qui se sont vite répandues, même sur son visage. Ces plaques le démangeaient beaucoup, et j’ai compris que sa cuirasse était presque insupportable à porter. La nuit, il se levait de plus en plus, je l’entendais marcher dans le palais : les brûlures devaient l’empêcher de dormir.

On a vu alors défiler une quantité de médecins, il fallait sans cesse chercher tel produit, faire tel sacrifice, manger tel aliment, appliquer telle dédoction… mais rien n’y a fait. Dans cette période de pure frénésie, rien n’a fonctionné. Mon maître était très pudique, mais je voyais bien, mois après mois, qu’il commençait à désespérer. Il refusait toutes les invitations, n’assistait plus qu’aux cérémonies obligatoires, il se désintéressait de tout.

Je crois qu’au-delà de la douleur physique, il se sentait diminué en tant qu’homme, et qu’il avait honte de cette situation, même s’il n’y était pour rien.

Une petite esclave juive avait rejoint le palais. Voyant que la situation durait, elle demanda à voir notre maîtresse. Très timidement, elle lui parla d’un prophète, dans son pays natal, en Israël, qui faisait beaucoup de miracles. Peut-être pourrait-il aider Naaman ? Notre maîtresse en parla à son époux, qui en parla au roi : celui-ci appréciait tant Naaman qu’il lui accorda son congé sans difficultés. Il lui confia une lettre de recommandation pour le roi d’Israël, et lui donna une montagne de cadeaux pour amadouer ce roi ennemi. Il y avait, au moins 500 kilos d’argent, 80 kilos d’or, 10 tenues royales brodées et serties de pierres précieuses… Un vrai trésor !

Je passe sur le voyage, qui nous a pris plus d’une semaine. En arrivant à la capitale, nous allons directement au palais, où le roi juif, un peu étonné, nous accueille. On commence le protocole, on donne une partie des cadeaux (bien appréciés !), mais quand le roi lit la lettre, il s’emporte. Quoi, qu’est-ce que cette histoire ? Pourquoi venir lui mettre sur le dos la maladie de Naaman ? Enfin, il n’est pas Dieu, il ne peut pas rien y faire ! Est-ce que ce ne serait pas plutôt un prétexte de l’ennemi pour venir l’espionner ?

Nouvelle déception pour mon maître. Nous avons besoin de racheter des provisions pour le voyage retour, alors nous attendons quelques jours au palais, dans cette atmosphère de suspicion vraiment inconfortable.

Un soir, le roi nous convoque, très agité : il a reçu une lettre d’un certain Elisée, qui se prétend prophète, et qui affirme pouvoir guérir Naaman. Le roi n’a pas l’air très au courant, et sur le moment, je trouve ça bizarre qu’il ne sache même pas qu’il y a dans son pays un prophète censé être si puissant.

Bon, quitte à être en Israel, même s’il n’a plus beaucoup d’espoir, mon maître décide de passer voir Elisée. Nous voilà repartis jusqu’au village du prophète, dont la maison (cabane !) se tient un peu à l’écart. Sur le chemin, avant même que nous ayons pu arriver et expliquer notre démarche, un homme vient à notre rencontre. Le prophète ? non, non non, il se présente, c’est son serviteur. Il nous dit, de la part d’Elisée, que la maladie de Naaman disparaîtra si celui-ci va se baigner sept fois dans le Jourdain, le fleuve qui coule juste à côté.

Le visage de mon maître se décompose. Aucun protocole n’a été respecté. Lui, le grand général, le n°2 du pays d’Aram, voilà comment on le traite ? On l’accueille sur un bord de chemin poussiéreux ? On ne daigne pas le rencontrer face à face ? On ne l’examine pas ? On l’envoie prendre un bain ? N’importe quoi ! Comme s’il ne pouvait pas faire ça chez lui ! Vexé, déçu, furieux, mon maître fait faire demi-tour à son char.

D’un côté, je le comprends, mais de l’autre, après avoir fait tout ce chemin, s’arrêter si tôt, c’est dommage ! Avec les autres serviteurs, nous commençons à discuter. Parce que, nous l’aimons bien, Naaman : il est exigeant, c’est vrai, mais respectueux, plein de bon sens (la plupart du temps). Alors à notre tour, nous essayons de le convaincre : si le prophète avait demandé quelque chose de difficile, ne l’aurait-il pas fait ? Pourquoi ne pas tenter de se baigner ici ? qu’a-t-il à perdre ? Naaman rechigne, mais l’idée fait son chemin.

C’est vrai que la simplicité fait parfois peur : on préfère suivre un protocole clair, même s’il est lourd. Quand le processus est compliqué, ça valide en quelque sorte la gravité de ce qu’on vit. Et puis, ça fait sérieux, réfléchi, efficace. Aller prendre un bain ? Sans formule magique ni geste, ni même présence du prophète ? Chez nous, en Aram, les dieux exigent toujours des choses compliquées. Le dieu d’Elisée serait-il capable d’agir ainsi, aussi simplement ? C’est difficile d’y croire…

Je n’oublierai jamais ce qui s’est passé ensuite. Ca n’a peut-être duré que quelques minutes, mais ce moment avait le poids de l’éternité.

Naaman arrête le char, descend, il s’approche de la rive du Jourdain. Il enlève son manteau de dessus, et le pose à côté. Vêtement après vêtement, lentement il se dépouille, là sous nos yeux, comme s’il nous avait oubliés. Au début, nous détournons les yeux, pudiques, mais la situation est trop inédite. C’est plus que ses vêtements, qu’il enlève – c’est ses médailles, son rang, son statut, et son identité.

Les morceaux de peau apparaissent, et les fameuses plaques rouges. Il en a partout, ça fait mal rien qu’à le regarder. Naaman avance d’un pas hésitant, met un pied dans l’eau, puis va plus en profondeur. L’eau, qui ne doit pas être très chaude, lui arrive à la taille. Il s’accroupit, s’incline, plonge la tête sous l’eau. Il se redresse. Une fois. Il attend, inspire à nouveau, et replonge. Deux fois.

Je le regarde plonger, et je compte : sept fois, répétitives, qui prennent tant de temps, qui restent si laborieuses, comme si chaque fois une couche de vie glissait de son corps et fondait dans l’eau. Je pense alors à tout ce que je n’aimerais pas exposer, ni au regard des hommes ni au regard d’un Dieu. Je pense à tout ce qui me pèse, tout ce qui me démange et me brûle, même si personne ne le voit. Y aurait-il un moyen de m’en décharger ? d’en être lavé ?

 

Naaman se redresse et sort du fleuve. Mais, ce n’est plus le même homme ! sa peau est redevenue comme avant, lisse et brune comme la nôtre ! Nous n’en revenons pas… Naaman a l’air hébété, comme au réveil d’un long sommeil, ou au retour d’un pays lointain. Le soulagement se lit sur ses traits, avec autre chose, que je n’arrive pas à définir. Une conviction ? Une détermination ?

Un autre serviteur lui tend une tenue de rechange, il ne met que la longue chemise de dessous, chausse les sandales et part, presque en courant, vers la cabane d’Elisée. Cette fois-ci, le prophète sort à sa rencontre. Naaman tombe à genoux, il lui raconte, avec des gestes et des éclats de voix, ce qui vient de se passer.

 

En m’approchant, j’entends qu’il lui propose le reste des cadeaux, mais non, répond le prophète, c’est gratuit. Quand Dieu agit, c’est gratuit ! Tout ce que Dieu désire, c’est qu’on lui fasse confiance.

Alors, Naaman se redresse. D’une voix forte, il dit qu’il a compris. Les dieux qu’il connaissait jusqu’à maintenant, et même toutes les choses dans lesquelles il plaçait sa confiance et son identité, ces choses sont vides et inutiles, mais le Dieu d’Israel, c’est lui le Dieu qui fait vivre. Et ce dieu-là est pour tout le monde, même pour Naaman, un étranger, un malade, un ennemi ; même à lui, Dieu a fait grâce.

Naaman fait venir un âne, et demande à prendre un peu de terre, d’ici, en souvenir de ce qu’il a expérimenté dans le Jourdain. Cette terre l’aidera à continuer de vivre avec Dieu et pour Dieu, même en Aram.

Nous sommes rentrés, et Naaman s’est effectivement tenu à sa foi. Je l’ai toujours vu murmurer des prières à son Dieu. Il a demandé à s’occuper des affaires intérieures, rechignant à retourner au front. Quand il est mort, d’une autre maladie, malgré les douleurs il s’accrochait à la paix. Il disait qu’il avait l’assurance que Dieu l’accueillerait.

(récit basé sur le texte de 2 Rois 5.1-19)

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La semaine dernière, le psaume 1 nous conduisait à voir la vie avec Dieu comme un arbre planté près d’un cours d’eau, puisant en Dieu sagesse, réconfort, soutien, protection, inspiration. Mais l’histoire de Naaman nous dit que la vie avec Dieu, c’est bien davantage : la foi n’est pas un truc en plus, une béquille qu’on ajoute à notre boîte à outils, une nouvelle corde à notre arc, un Dieu chez qui on va se servir. Non, la vie avec Dieu, c’est un fleuve dans lequel on plonge, tout entier, avec nos faiblesses et nos forces, avec nos illusions et nos questions, une relation dans laquelle on plonge tout entier et qui remplit toute notre vie.

Dieu lui-même a plongé pour nous rejoindre : en Christ, il est descendu dans le Jourdain, mieux, il est monté sur une croix, pour porter nos faiblesses et nos illusions, et répondre à notre question : oui, il nous aime, oui, il veut nous donner la vie.

Pour saisir la vie de Dieu, nous avons toujours besoin de revenir au Christ, mort et ressuscité, lui qui a plongé pour nous rejoindre, et qui est ressorti vivant, pour toujours, nous invitant à le suivre pour entrer dans la vie de Dieu.

 

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